Ministre de l’Économie, 20 août 2002, n° ECOC0200409Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés Financière Argassi et Groupement industriel et commercial (GIC),
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 30 juillet 2002, vous avez notifié l'acquisition de la société Groupement industriel et commercial (ci-après " GIC ") par la société Financière Argassi (ci-après " Argassi ") dans le secteur de la distribution au détail de produits d'équipements de la personne et de la maison.
La société anonyme GIC, entité cible, exerce en France, à travers un réseau de 20 magasins à l'enseigne Gigastore, les activités de négoce et de distribution de produits premiers prix d'équipement de la personne (vêtements) et de la maison (linge de maison...). La répartition du capital de la société GIC avant l'opération est la suivante : Banexi Capital Fund ([...] %) et Natio Vie Développement 3 FCPR (cf. note 1) ([...] %), BNP Développement ([...] %, filiale de BNP Paribas) ; le reste du capital étant détenu par les fondateurs historiques de Gigastore (cf. note 2).
En vertu du protocole d'accord conclu le 26 juillet 2002, Argassi, entreprise nouvellement créée par Eric Euvrard et Emmanuel Deroude, doit acquérir la totalité du capital et des droits de vote de GIC et de ses participations directes et indirectes, ainsi que les actifs et droits (notamment les marques et fonds de commerce) nécessaires à ses activités.
En vertu de l'article L. 430-1 (I) du Code de commerce, " une opération de concentration est réalisée :
1° Lorsque deux entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. "
La notion de contrôle doit s'analyser, selon le paragraphe III de l'article précité, comme découlant " des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :
des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;
des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise. "
L'opération notifiée consiste en la prise de contrôle du groupe GIC par Argassi. A l'issue de l'opération, la répartition du capital d'Argassi sera la suivante :
En l'espèce, et dans la mesure où Argassi a été spécialement créée pour l'acquisition de GIC, celle-ci doit être considérée comme un vecteur utilisé par les entreprises fondatrices pour cette acquisition. Or, conformément à la pratique communautaire (cf. note 3), lorsqu'une opération concerne l'acquisition d'une société par une entreprise commune nouvellement créée à cet effet, les entreprises concernées sont chacune des entreprises fondatrices et la société cible. En effet, lorsque plusieurs entreprises prennent le contrôle d'une entreprise nouvellement créée, cette dernière ne peut être considérée comme une entreprise concernée dans la mesure où elle n'existe pas encore, et, dès lors, n'a pas encore de chiffre d'affaires (cf. note 4).
Dès lors, au cas d'espèce, les entreprises concernées au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont les entreprises fondatrices d'Argassi dans la mesure où elles exercent un contrôle sur elle, ainsi que GIC, société cible. Argassi étant l'instrument utilisé par les entreprises fondatrices pour prendre le contrôle de GIC, pour que la présente opération constitue une concentration, il convient de vérifier que l'une ou plusieurs des entreprises fondatrices exercent sur elle un contrôle, unique ou conjoint, conformément aux critères dégagés par la pratique nationale et en cohérence avec la pratique communautaire (cf. note 5).
Les statuts de l'entreprise Argassi et le pacte devant être signé entre les actionnaires prévoient que la société est constituée sous forme de société anonyme à directoire et conseil de surveillance.
La société est dirigée par le directoire, qui est lui-même placé sous le contrôle du conseil de surveillance. Les membres du directoire (cf. note 6) sont nommés par le conseil de surveillance, qui fixe le mode et le montant de leur rémunération. En vertu du pacte d'actionnaires, le directoire sera composé de 3 membres (E. Euvrard, président, E. Deroude, directeur général, et B. Braka). Les décisions du directoire sont prises à la majorité des membres (avec voix prépondérante du président en cas de partage des voix). Leur révocation peut être prononcée par le conseil de surveillance ou par l'assemblée générale ordinaire sur sa proposition.
Selon les statuts d'Argassi, le conseil de surveillance est composé de trois membres au moins et de dix-huit membres au plus, nommés par l'assemblée générale ordinaire. Le pacte prévoit pour sa part que ce conseil sera composé de six membres, nommés selon les modalités suivantes : deux par CDC Ixis Services Industrie, deux par Banexi Capital Partenaires, un membre nommé d'un commun accord par ces deux sociétés de gestion ; le sixième membre étant nommé par le bloc des fondateurs. Les décisions du conseil sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, la voix du président de séance étant prépondérante en cas de partage. Le conseil exerce, selon les statuts, le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire, qui lui présente son rapport, une fois par trimestre au moins. Il opère, de plus, à toute époque de l'année, les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns. Le pacte d'actionnaires octroie en outre un droit d'information au profit de tous les investisseurs, qui vient compléter le droit d'information prévu par la réglementation régissant les sociétés commerciales. Les fondateurs d'Argassi (MM. Euvrard et Deroude) et la société s'engagent notamment à communiquer aux investisseurs " de façon générale, toutes les décisions significatives de la société et des filiales de façon qu'ils puissent suivre l'évolution de l'activité de celle-ci ". Le pacte octroie enfin un droit de consultation spécifique aux investisseurs B (sociétés de gestions gérées par CDC Ixis Services Industrie et Banexi Capital Partenaires ainsi que les actionnaires historiques de GIC) leur permettant d'être consultés par le directoire, préalablement à l'adoption de certaines décisions (cf. note 7) , afin de donner, à la majorité simple (cf. note 8), leur accord exprès [...].
Les décisions des actionnaires qui sont les décisions excédant les pouvoirs du directoire (en particulier les décisions d'approbation du budget) sont adoptées par l'assemblée des actionnaires. Le vote attaché aux actions de capital (ou de jouissance) est proportionnel à la quotité du capital qu'elles représentent, chaque action donnant droit à une voix. L'assemblée générale ordinaire statue à la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents.
Compte tenu de la composition du conseil de surveillance et de l'assemblée générale, et des modalités de vote prévues, il apparaît qu'aucune majorité stable n'est susceptible de s'instaurer durablement en leur sein. Aucun élément ne permet de plus, en l'espèce, de présumer que les investisseurs institutionnels (sociétés de gestions de fonds), qui détiennent plus de 70 % du capital d'Argassi, se comporteront au sein du conseil de surveillance ou de l'assemblée générale de manière coordonnée. En effet, en cas de désaccord entre ces deux actionnaires, rien ne permet de préjuger de l'issue du vote en l'absence d'intérêt objectif commun ou de tout autre élément de droit ou de fait en ce sens.
Il apparaît enfin que les actionnaires fondateurs d'Argassi, investisseurs dits " industriels ", qui disposeront chacun de [...] % du capital de la société, ne sont pas non plus susceptibles de bénéficier d'un contrôle sur cette société au sens du droit des concentrations.
En conclusion, il ressort des éléments de droit et de fait énumérés ci-dessus que la naissance possible d'alliances fluctuantes entre les actionnaires minoritaires conduit à considérer qu'en l'espèce aucun contrôle ne sera exercé sur l'entreprise Argassi par les actionnaires (ou certains d'entre eux) (cf. note 9). En effet, conformément aux critères dégagés par la pratique décisionnelle des autorités nationales et communautaires, il apparaît qu'en l'espèce il n'est pas indispensable que les actionnaires (ou certains d'entre eux) s'entendent sur les décisions concernant l'entreprise acquérante. Dans ce contexte, compte tenu notamment des statuts et du pacte d'actionnaires tels qu'il sont rédigés à la date de la notification, aucun de ces actionnaires n'est susceptible de détenir une influence déterminante s'exprimant par le pouvoir de bloquer les décisions qui déterminent la stratégie commerciale d'Argassi. Ainsi, ni la société Argassi nouvellement créée, ni ses actionnaires, ne constituent une entreprise concernée au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.
Dès lors, compte tenu des conditions actuelles de fonctionnement de l'entreprise Argassi nouvellement crée, je vous informe que l'opération notifiée ne constitue pas une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
La présente décision est sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.
Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) Ces deux FCPR sont gérés par Banexi Capital Partenaires, société de gestion filiale à 100 % de la société BNP Private Equity, elle-même filiale à 100 % de la BNP Paribas.
(2) Ces personnes sont les suivantes : [...].
(3) Et notamment le point 28 de la communication de la Commission sur la notion d'entreprise concernée au sens du règlement n° 4064-89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.
(4) Cette analyse est conforme à l'analyse développée par la Commission, et notamment au point 21 de la communication sur la notion d'entreprises concernées.
(5) Voir notamment la communication de la Commission sur la notion de concentration au sens du règlement précité.
(6) Les statuts prévoient que le directoire peut être composé d'un seul membre.
(7) En particulier sur les décisions qui ont trait au développement d'activités n'entrant pas dans le périmètre de la société, à la création ou l'acquisition d'une nouvelle filiale, ou à la rémunération des fondateurs d'Argassi ou de M. B Braka.
(8) Les investisseurs bénéficient d'un droit de vote proportionnel à leur participation au capital d'Argassi. Ces modalités de vote ne permettent donc pas de dégager une majorité stable concernant ces décisions.
(9) Cette analyse est cohérente avec la pratique de la Commission, et notamment avec le point 35 de la communication de la Commission concernant la notion de concentration au sens du règlement précité.