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Décisions

Conseil Conc., 27 septembre 2002, n° 02-D-61

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

la saisine de la Société moderne d'assainissement et de nettoiement (SMA) dirigée contre des pratiques relevées lors de l'attribution du marché d'exploitation de la décharge de Bagnols-en-Forêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Fontaine-Eloy, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, Mme Perrot, membre.

Conseil Conc. n° 02-D-61

27 septembre 2002

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 17 mars 1997 sous les numéros P 04, M 200 et F 952, par laquelle la Société moderne d'assainissement et de nettoiement (SMA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Monin ordures services (MOS) et sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ;

Vu la décision n° 97-PB-02 du 27 mai 1997 ;

Vu la lettre du 6 mai 2002 par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a notifié aux parties et au commissaire du Gouvernement sa décision de porter l'affaire devant la commission permanente en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ;

Vu les observations présentées par la société SMA et par le commissaire du Gouvernement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et la société Monin ordures services entendus lors de la séance du 5 juin 2002 ; la Société moderne d'assainissement et de nettoiement régulièrement convoquée ;

Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - La mise en décharge contrôlée

La principale modalité d'élimination des déchets reste la mise en décharge contrôlée. Les déchets sont répandus en couches successives sur un terrain aux caractéristiques géologiques, hydrologiques et d'aménagement permettant de limiter au maximum les risques de nuisance ou de pollution des milieux environnants. Les décharges se répartissent en trois classes : les centres d'enfouissement technique (ci-après CET) de classe 1 (ou sites imperméables) assurent le stockage des déchets spéciaux ; les CET de classe 2 (ou sites semi-perméables) gèrent les déchets municipaux ou assimilés (dont les déchets industriels banals) ; les décharges, classe 3, (ou sites perméables) reçoivent uniquement des déchets inertes.

Les installations d'élimination des déchets sont soumises à la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, qui précise les conditions de création, d'exploitation et de fermeture de ces installations soumises à autorisation préfectorale.

Aux termes de la loi du 13 juillet 1992, les décharges devront se transformer dans un délai de dix ans en centres de stockage qui ne recevront plus que les déchets ultimes. L'application de cette disposition devrait entraîner une diminution du nombre de décharges.

S'agissant plus particulièrement, du traitement des déchets ménagers en CET de classe II, les données de l'ADEME indiquent qu'en 1996, 466 CET traitaient les déchets ménagers expédiés en classe II, dont 137 en gestion pour le compte d'une collectivité territoriale, 171 en gestion dite privée et 158 en gestion directe.

La répartition, s'agissant du mode de gestion et du tonnage de déchets traités, est la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

En ce qui concerne l'offre relative à la gestion de centre d'enfouissement technique de classe II pour le compte des collectivités locales, les données transmises par la partie saisissante, sensiblement identiques à celles de l'ADEME, après traitement, sont les suivantes au niveau national :

EMPLACEMENT TABLEAU

Au niveau régional, l'analyse des données ADEME indique que sur 25 CET de classe II, soit 2 048 651 tonnes de déchets traités, 10 sont exploités en gestion dite "déléguée", soit 408 186 tonnes, 9 relèvent d'une gestion dite "privé", soit 1 071 106 tonnes, et 6 sont gérés directement par des personnes publiques, soit 569 359 tonnes.

La position des entreprises intervenant sur la région PACA est la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les informations "ADEME" permettent de constater que, sur un total global de 408 186 tonnes de déchets traités en classe II pour le compte des collectivités locales sur la région PACA, la part de marché du groupe MOS, via Déchets service, s'élève à un peu plus de 12 % du total. Ce tableau n'indique pas le nom de l'exploitant intervenant pour la commune de Manosque. Par ailleurs, il classe le SIRATOM d'Aubagne en "gestion déléguée" à lui-même. Quand bien même le CET de Manosque serait géré par le groupe MOS et le SIRATOM d'Aubagne serait reclassé en gestion directe, la part de marché du groupe MOS s'élèverait, au plus, à 21 % du total de déchets traités en PACA, contre 37 % pour la Somedis et 28 % pour la SMA.

B. - Le marché d'exploitation du CET, de classe II, de Bagnols-en-Frorêt pour le compte du Sitom de Fréjus Saint-Raphaël

1. Présentation

Le Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l'aire de Fréjus Saint-Raphaël (ci-après SITOM) regroupe sept communes. Il possède un Centre d'enfouissement technique, utilisé par neuf communes, situé au lieu-dit du "Vallon des Lauriers" sur la commune de Bagnols-en-Forêt.

Le SITOM a choisi de confier l'activité de traitements des ordures ménagères à des sociétés privées. Depuis 1976, la société SMA a été chargée de l'exploitation de cette décharge.

En vue de renouveler le contrat d'exploitation, le SITOM a lancé un appel d'offre restreint européen, tenant compte de l'évolution du site pour la période courant du 1er janvier 1997 au 1er juillet 2002.

2. La demande d'exploitation du CET de Bagnols-en-Forêt

Le rapport de présentation du marché indique : "Le Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l'aire de Fréjus/St Raphaël accueille sur le site de Bagnols-en-Forêt environ 130 000 tonnes par an de déchets de différentes natures (Ordures ménagères ; déblais/gravats, boues de station d'épuration et monstres notamment). Le SITOM a été autorisé par l'arrêté préfectoral du 27/05/1994, à procéder à une extension de 11 ha de la décharge de Bagnols-en-Forêt. Cette dernière représentera donc, en fin d'exploitation, une superficie totale de 14,70 ha, pour un volume total de déchets d'environ 830 000 m3. (100 000 tonnes par an).

Parallèlement, dans la perspective de 2002, le SITOM s'est engagé dans une démarche globale en matière de traitement des ordures ménagères. La recherche d'une exploitation plus rationnelle et plus respectueuse de l'environnement, a conduit le SITOM à mettre en place : une presse à balle d'une capacité de 40 t/h ; une station de traitement de lixiviats élaborée (4 niveaux de traitement) d'une capacité de 100 m3/jour".

L'objet du marché est ainsi défini : "Le présent marché consiste en la prise en charge de l'exploitation du site de la décharge contrôlée de Bagnols-en-Forêt dans le cadre suivant :

Confinement et réaménagement final du site n°1, anciennement exploité, dès la prise en charge de l'exploitation,

Réception et contrôle des déchets en utilisant le matériel et suivant le protocole défini par l'entreprise retenue. Le personnel affecté à la pesée sera du personnel du SITOM travaillant sous la responsabilité de l'entreprise retenue,

Fourniture du matériel et des outils nécessaires pour compléter le site de réception et de contrôle, ainsi que pour assurer la surveillance globale du site,

Fourniture du matériel de manutention, de transport sur le site, et d'enfouissement,

Fourniture du personnel en dehors de celui affecté à la pesée,

Pendant une période de deux ans, liée à la période de garantie de l'installation assistance à l'exploitant de la station de traitement des lixiviats,

Conduite des installations permettant une exploitation industrielle optimale du site de Vallon des Lauriers,

Réaménagement du site soumis à exploitation selon les prescriptions de l'arrêté préfectoral d'autorisation en date du 27 mai 1994 et cela au plus près de l'avancement de l'exploitation,

Assistance au Maître d'Ouvrage pour toutes les mesures de mise en conformité qui apparaîtraient nécessaires,

La responsabilité globale du site et de l'ensemble des équipements incluant le pilotage global du site du point de vue de l'environnement et des risques".

L'appel à candidature date du 30 mai 1996. La date limite de réception des candidatures a été fixée au 7 juillet 1996.

3. L'offre en vue d'exploiter le CET, de classe II, de Bagnols-en-Forêt pour le compte du SITOM

Douze entreprises ont répondu à l'appel d'offres en vue d'être sélectionnées : les sociétés France déchets, Fassa, Somedis, Valt, SOGEA, MOS, COVED, SMA, Sud Est assainissement, Cise et une société non connue dont l'offre est arrivée hors délais.

La commission d'appel d'offres a décidé, le 19 juillet 1996, de retenir quatre des onze entreprises pré-sélectionnées : la Société moderne d'assainissement et de nettoiement (SMA), la société Monin ordures services (MOS), reprise en 1997 par la société Déchets service, la société France déchets et la société Coved.

Ces quatre entreprises, sélectionnées par le SITOM, présentent, en 1996, les caractéristiques suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

A l'époque des faits, ces entreprises, toutes juridiquement indépendantes, sont indirectement adossées aux majors du secteur : France déchets est une filiale du groupe Lyonnaise des eaux, MOS est une filiale du groupe Lyonnaise des eaux, Coved dépend du groupe Bouygues, la SMA est une filiale du groupe Pizzorno dont une des entreprises, Sovatram, est détenue à hauteur de 65 %, par Onyx Méditerranée, filiale de Vivendi.

Le dossier de consultation a été transmis par le SITOM, le 13 août 1996, la date limite de réception des offres ayant été fixée au 27 septembre 1996 ;

Le 23 septembre, soit quatre jours avant l'expiration du délai de remise des offres, la société France déchets a informé par courrier le président du SITOM de sa décision de ne pas remettre de proposition au motif qu'elle appartenait au même groupe que la société MOS.

La société Coved a également décidé de ne pas remettre de proposition. Elle a fait parvenir au SITOM une télécopie, datée du 27 septembre 1996, dont la teneur suit : "Je vous confirme que nous ne répondons pas à l'appel d'offre pour l'exploitation du CET Bagnols-en-Forêt. Nous vous ferons parvenir un courrier explicatif". Ce courrier n'est, en définitive, jamais parvenu au SITOM.

Au cours de la seconde phase de la procédure, la commission d'appel d'offres, réunie à nouveau le 14 novembre 1996 pour attribuer le marché, a retenu la SMA, considérée comme mieux-disante pour un montant annuel de 13 768 482 F HT. La société MOS avait, quant à elle, présenté une offre d'un montant de 7 217 200 F HT.

4. Les offres des sociétés SMA et MOS

Les offres de ces sociétés ont été analysées sur la base de huit critères définis par l'appel d'offres et quantifiés par le bureau d'études Girus mandaté à cette fin par le SITOM de Fréjus Saint-Raphaël. Les critères énoncés par l'article 8 du règlement de la consultation adressé au entreprises pré-sélectionnées par le SITOM étaient les suivants : "Garantie professionnelle et financière ;

1.Expérience d'exploitation de sites de caractéristiques analogues

2.Capacité à assurer une garantie totale de traitement

3.Valeur technique au différents plans de : exploitation générale ; captage et élimination du biogaz, site 2, site anciennement exploité ; réaménagement du site, site 2, site anciennement exploité

4.Dispositif d'information du maître d'ouvrage

5.Prix

6.Dispositif de pilotage global du site au plan de l'environnement et des risques

7.Capacité à assister le maître d'ouvrage pour toute mise en conformité qui s'avèrerait nécessaire (études ou travaux)"

Le rapport d'analyse des offres présenté par le bureau d'études Girus commente sa mission en indiquant que : "L'objectif de sa mission était de permettre d'obtenir les informations les plus précises sur les engagements des sociétés dans leur capacité à proposer au syndicat intercommunal une solution de traitement des déchets produits sur la zone, dans le cadre de l'exploitation du site de la décharge de Bagnols-en-Forêt afin d'atteindre dans les meilleures conditions le 1er juillet 2002".

Cette considération s'inscrit dans le droit fil de la description de l'objet du service à rendre figurant dans le CCAP et plus particulièrement le CCTP de l'appel d'offres. Le premier critère directement relatif à la gestion du site du Vallon des Lauriers correspond à la capacité des entreprises à assurer une garantie totale de traitement. Les entreprises ont répondu en ce sens en proposant chacune leurs solutions techniques. Le cabinet Girus remarque à propos de l'offre présentée par MOS que : "Ce dossier a été construit beaucoup plus dans la logique d'un appel d'offre sur performance qui repose sur une audition des candidats permettant de faire préciser les offres".

Les offres déposées par la SMA et MOS se décomposent comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les prix proposés par MOS sont supérieurs à ceux de la SMA s'agissant des postes "presse à balles", "mise en décharge directe" et "traitement des lixiviats". En revanche, pour l'exploitation générale du site, MOS présente un prix nettement inférieur à celui de la SMA.

Le rapport du cabinet Girus comporte une rubrique intitulée : "Remarques sur les dossiers". A propos de l'offre présentée par la société MOS, il est écrit : "Dossier très sérieux et structuré dans sa présentation technique, mais très insuffisant dans la capacité d'analyse économique de la prestation proposée". Il note, à propos du prix "MOS", que : "les prix sont présentés de façon peu précise et souvent globalisés. Aucun détail n'est fourni sur la constitution de postes très importants (...) Ceci est de façon générale contradictoire avec ce qui était précisé à l'article 8 du CCAP où était notamment spécifié : "l'ensemble de ces frais fixes sera explicité et détaillé selon les différents postes".

Dans son appréciation, il relève que l'offre de MOS est "attractive mais [...] qui peut être liée à la cubature de 200 000 m3 retenue correspondant à, à peine, deux ans de fonctionnement". Il ajoute que "la proposition de MOS est très insuffisante en matière d'information sur la constitution des prix et surtout sur les engagements restant ou ne restant pas à la charge de la collectivité".

Si le cabinet Girus a demandé des explications à la société MOS sur sa "capacité à assurer une garantie totale du traitement" (critère 3 de notation), aucune demande de précision n'a, en revanche, été effectuée s'agissant du prix proposé par MOS.

Par ailleurs, lors de la réunion de la commission d'examen des offres, du 14 novembre 1996, le représentant de la DGCCRF a formulé les remarques suivantes à la rubrique "I. Avis éventuels des membres à voix consultative" : "2 - L'analyse par le bureau Girus des critères de choix du règlement de consultation n° 3, 4 et 7 fait apparaître des imprécisions qui auraient pu motiver, compte tenu de l'écart très important entre le montant des offres, une demande d'information complémentaire en application de l'article 300, alinéa 1 du code des marchés publics" qui prévoit que "la commission peut demander aux candidats de préciser ou compléter la teneur de leur offre. Ces investigations deviennent obligatoires avant de rejeter une offre anormalement basse". En outre, le représentant de la DDE a indiqué que : "Compte tenu de l'écart très important au niveau du coût de l'exploitation entre les deux concurrents, il conviendrait de demander : 3- un sous détail de prix à la société MOS afin de bien définir les prestations". Enfin, ces avis étaient partagés par certains maires, dont les communes appartiennent au SITOM de Fréjus Saint-Raphaêl.

5. L'offre de la société MOS relative au traitement des lixiviats

Aux termes de l'article 4 du règlement de consultation, intitulé "décomposition du prix forfaitaire", "le détail des prix sera présenté suivant le cadre de l'acte d'engagement. Seront précisés et distingués pour le site n° 1 anciennement exploité : le prix du dégazage et du traitement du biogaz ; le prix de la réhabilitation du site (hors biogaz) ; le prix de surveillance du site n° 1. (...) Seront précisées et distinguées pour le site en exploitation : la partie forfaitaire annuelle ; les parties proportionnelles à différencier selon les quantités suivantes : mise en balles et broyage avec enfouissement ; mise en décharge directe ; volume de lixiviats traités".

S'agissant du traitement des lixiviats, l'article 7 du cahier des clauses techniques particulières dispose que : "Pendant une durée de deux années, l'exploitation de la station de traitement des lixiviats sera prise en charge par le concepteur. Un contrat sera signé entre le concepteur de la STEP et l'entreprise retenue au moment de la prise en charge de l'exploitation du CET (...) Après cette période, l'entreprise retenue devra être à même de prendre en charge l'exploitation de la station de traitement dans le cadre d'un avenant (...)". La pièce L annexée au cahier des charges propose "un modèle de convention à établir entre l'entreprise retenue et le concepteur de la station de traitement des lixiviats". Cette convention, en son article 11, traite de la rémunération du constructeur : "En contrepartie des charges définies par le présent contrat, le constructeur percevra une rémunération mensuelle basée sur les caractéristiques moyennes de l'effluent telles que définies au $ 1 de l'annexe 2 d'un montant de 27 F HT/M3. En moyenne annuelle, la facturation de la redevance ne pourra être inférieure à 25 000 M3/an".

La réponse de la société MOS fait apparaître un prix de 15,08 F (HT)/m3 traité sous la rubrique 3 de l'article 2 "Prix" de l'acte d'engagement, intitulée "Traitement des lixiviats conformément au projet de convention joint" (partie proportionnelle du traitement) :

EMPLACEMENT TABLEAU

"2. Exploitation du CET (hors réhabilitation site n° 1) (...)

En revanche, le tableau de décomposition du prix forfaire figurant dans la deuxième partie de l'acte d'engagement indique un prix de 40,16 F (HT)/m3 traité.

EMPLACEMENT TABLEAU

Ces mêmes documents font apparaître pour la société SMA, d'une part, un prix de 27 F (HT)/m3 traité, sous la rubrique 3 de l'article 2 "Prix" de l'acte d'engagement retourné par cette société, intitulé "Traitement des lixiviats conformément au projet de convention joint" (partie proportionnelle du traitement), et d'autre part, un prix de 40,16 F (HT)/m3 traité, dans le tableau de décomposition du prix forfaire (2ème partie).

Le directeur général de la société MOS a justifié ainsi ses prix : "Concernant le coût de traitement des lixiviats, le prix de 15,08 F HT que nous avons mentionné sur l'acte d'engagement concerne la partie proportionnelle de la prestation, qui se monte en réalité à 40,16 F HT le m3, comme cela a été indiqué dans la décomposition du prix forfaitaire annexée dans l'acte d'engagement. La partie fixe de cette prestation était incluse au chapitre 2.1 de l'acte d'engagement (partie fixe annuelle) dans la somme globale de 3 348 000 F HT. Pour évaluer le coût de cette prestation, nous avons considéré que le contrat d'exploitation du CET était passé pour 5 ans, et que Degrémont s'engageait à réaliser la prestation pour 2 ans à un prix de 27 F HT le m3 à condition que les volumes ne dépassent pas 25 000 m3 par an. Les 40,16 F HT le m3 indiqués sur notre offre tiennent compte du gros entretien au cours des 3 années après la garantie. Le responsable de chez MOS a consulté Degrémont pour avoir des informations techniques afin de pouvoir calculer un prix de traitement des lixiviats".

A l'appui de sa déclaration, le directeur général de MOS a produit un document d'étude de l'appel d'offres lancé en vu de l'exploitation du site dit "Vallon des Lauriers".

6. La mise en cause de l'attribution du marché de l'exploitation du CET, classe II, de Bagnols-en-Forêt

Le sous-préfet de l'arrondissement de Draguignan, ayant estimé que la passation du marché était entachée d'irrégularités, a demandé, par lettre du 10 février 1997, au président du SITOM d'annuler le marché. En l'absence d'une décision en ce sens du syndicat, le préfet du Var a déféré le marché passé entre le SITOM et la SMA, ainsi que la délibération du SITOM en date du 28 novembre 1996 qui s'y rattache, au Tribunal administratif de Nice. A la suite de l'annulation desdits actes par jugement du tribunal administratif du 14 novembre 1997, confirmé par la cour administrative d'appel, ce même marché a été attribué derechef à la SMA après nouvelle mise en concurrence.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Considérant qu'aux termes de l'article L.464-6 du Code de commerce, "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure." ;

Considérant que la société saisissante soutient que la société MOS a proposé, à l'occasion de l'appel d'offres restreint lancé par le SITOM de Fréjus Saint-Raphaël pour l'exploitation d'un centre d'enfouissement technique, un prix abusivement bas, pratique prohibée par les dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu L. 420-4 du Code de commerce aux termes desquelles sont interdites les "offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits..." ;

Considérant que, par décision du 27 mai 1997 (97-PB-02), rejetant les demandes de mesures conservatoires sollicitées, le Conseil a estimé qu' "en passant le marché en vue du renouvellement de la concession de l'exploitation de la décharge intercommunale, le SITOM est intervenu pour déléguer une mission de service public confiée aux communes et à leurs regroupements par l'article 12 de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, exerçant ainsi une fonction collective dans l'intérêt des collectivités territoriales concernées, et non en tant que consommateur personne physique ou morale contractant pour satisfaire ses besoins personnels ; qu'en conséquence, l'offre de prix proposée par la société Monin ordures services au Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l'aire de Fréjus - Saint-Raphaël n'est pas visée par les dispositions de l'article 10-1 qui prohibent les seules offres ou pratiques de prix de vente aux consommateurs" ;

Considérant que la partie saisissante expose, par ailleurs, que pour obtenir le marché d'exploitation du CET de classe II de Bagnols-en-Forêt pour le compte du SITOM, la société MOS aurait pratiqué des prix qualifiés d'abusivement bas ou de "prédateurs" ; que pour pouvoir se comporter de la sorte, la société MOS se serait entendue avec les sociétés Coved, France déchets et Degrémont, ces deux dernières appartenant comme elle au groupe Lyonnaise des eaux ; qu'ainsi, la société Coved a, dans un premier temps, répondu à l'appel d'offres lancé par le SITOM pour se désister subitement ; que, de son côté, la société France déchets n'a pas révélé son appartenance au groupe Lyonnaise des eaux afin de favoriser l'offre de la société MOS ; qu'en outre, la société Degrémont aurait fait bénéficier la société MOS d'une offre de prix très inférieure à celle prévue par le cahier des charges pour le traitement des lixiviats ; que, par ailleurs, le prix de "dumping" présenté par la société MOS à l'occasion de l'appel d'offre restreint résulte de l'appui logistique et financier dont dispose cette société de par son appartenance au groupe Lyonnaise des eaux et caractériserait un abus de position dominante ;

En ce qui concerne les pratiques d'ententes

S'agissant du retrait de la société Coved

Considérant que la société Coved a informé le SITOM de Saint-Raphaël de son souhait de ne pas répondre, bien que sélectionnée, à l'appel d'offre relatif à l'exploitation du CET de classe II de Bagnols-en-Forêt ; que pour justifier cette abstention le directeur régional de la société Coved Rhône Méditerranée a indiqué qu'à la suite de la réception du cahier des charges : "Un technicien de la direction technique de COVED s'est rendu sur les lieux, le 29 août 1996, avec le directeur commercial" et que : "Nous avons pu constater sur place que l'exploitation en cours était jugée par notre collaborateur de "mauvaise qualité". Compte tenu de l'état d'exploitation, présente et passée, nous n'avons pas voulu prendre le risque d'être le dernier exploitant de ce site, au risque d'être poursuivi par l'administration pendant 30 ans en cas de sinistre. En cas de relance de l'appel d'offre, si la consultation est relancée dans les mêmes termes, nous ne répondrons pas".

Considérant qu'il n'existe pas au dossier d'éléments permettant de contredire cette justification ; que dès lors, il n'est pas établi que le retrait de la société Coved Rhône Méditerranée soit le résultat de la mise en œuvre d'une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

S'agissant du retrait de la société France déchets

Considérant que, le 23 septembre, soit quatre jours avant l'expiration du délai de remise des offres, la société France déchets a adressé un courrier au président du SITOM afin de l'informer qu'elle avait décidé de ne pas remettre de proposition au motif qu'elle appartenait au même groupe que la société MOS ; que ce document indique, en substance, qu'"il ne [leur] a pas paru conforme aux exigences d'une bonne pratique concurrentielle que deux entreprises du même groupe, également qualifiées et détentrices du même savoir-faire (...) remettent chacune une offre" ; que le directeur de cette société, M. Pascal Mettey, a, par ailleurs, précisé que "dans le groupe SITA, auquel nous appartenons, il y a priorité aux filiales régionales pour répondre aux consultations concernant les décharges de classe II" ;

Considérant que le fait d'informer le maître d'ouvrage, avant l'expiration du délai de remise des offres, de la réalité de la concurrence entre deux filiales d'un même groupe et de renoncer à concourir pour obtenir le marché n'est pas constitutif, en soi, d'une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce; que, par ailleurs, l'instruction n'a pas mis en évidence l'existence d'une action concertée des sociétés MOS et France déchets qui expliquerait le retrait de cette dernière société au profit de MOS dans le but de fausser la concurrence entre les différent intervenants ; que par suite, il n'est pas démontré que le retrait de la société Déchets service constitue une infraction sanctionnée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

S'agissant de l'entente entre les sociétés Degrémont et MOS

Considérant que le directeur général de la société MOS a justifié ainsi les prix proposés dans sa réponse à l'appel d'offres : "Concernant le coût de traitement des lixiviats, le prix de 15,08 F HT que nous avons mentionné sur l'acte d'engagement concerne la partie proportionnelle de la prestation, qui se monte en réalité à 40,16 F HT le m3, comme cela a été indiqué dans la décomposition du prix forfaitaire annexée dans l'acte d'engagement. La partie fixe de cette prestation était incluse au chapitre 2.1 de l'acte d'engagement (partie fixe annuelle) dans la somme globale de 3 348 000 F HT. Pour évaluer le coût de cette prestation, nous avons considéré que le contrat d'exploitation du CET était passé pour 5 ans, et que Degrémont s'engageait à réaliser la prestation pour 2 ans à un prix de 27 F HT le m3 à condition que les volumes ne dépassent pas 25 000 m3 par an. Les 40,16 F HT le m3 indiqués sur notre offre tiennent compte du gros entretien au cours des 3 années après la garantie. Le responsable de chez MOS a consulté Degrémont pour avoir des informations techniques afin de pouvoir calculer un prix de traitement des lixiviats" ;

Considérant qu'à l'appui de sa déclaration, le responsable de la société incriminée a fait parvenir un document d'étude de l'appel d'offres lancé en vue de l'exploitation du site dit "Vallon des Lauriers" ; que ce document, rédigé en francs, indique notamment :

EMPLACEMENT TABLEAU

"4. Station d'épuration (...) Selon les indications de Degrémont

Dont partie fixe : 27 F X 25 000 = 675 000 F".

"Récapitulatif

1 Remise en état du site

Forfait global 924 200 F pendant 5 ans

2 Exploitation

Partie fixe

1 Frais globaux : 1 724 000

2 Presses balles : 480 000

3 CET : 517 000

4 STEP : 627 000

total : 3 348 000

Partie proportionnelle presse à balles : 95 000 T (19,60 F/T) soit 79,5 %

Partie proportionnelle CET : 30 000 T (13,60 F/T) soit 44 %

Partie proportionnelle STEP : 25 000 T (15,08 F/T) soit 37,5 %

Qu'il résulte de ce document que la société MOS a étudié et transmis une offre, qui bien que présentée en contradiction avec la demande du SITOM s'agissant de son ordonnancement, est conforme au cahier des charges ;

Considérant que l'ensemble de ces éléments permet de conclure que la société MOS, en répondant à l'appel d'offres s'agissant du traitement des lixiviats, a tenu compte des exigences concernant la rémunération du constructeur de la station de traitements des lixiviats, à savoir pour une durée de deux années un montant de 27 F HT/m3 pour un minimum de 25 000 m3/an, comptabilisées en partie fixe de la prestation ; qu'en tout état de cause, aucun élément du dossier ne démontre l'existence d'une entente anticoncurrentielle qu'aurait développée les sociétés MOS et Degrémont dans le cadre de l'attribution du marché d'exploitation de la décharge de Bagnols-en-Forêt et susceptible d'être sanctionnée sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance devenu L. 420-1 du Code de commerce ;

En ce qui concerne l'abus de position dominante

Considérant que la prestation de traitement des déchets en CET de classe II présente des différences substantielles par rapport aux autres techniques de traitement des déchets ménagers; qu'elle fait appel à des techniques différentes de celles des autres modes de traitement des déchets ménagers comme le recyclage, le compostage ou l'incinération qui impliquent une transformation physique ou chimique des déchets; qu'en outre, la mise en décharge contrôlée est le seul mode de traitement qui permette l'élimination des déchets ultimes générés par les autres procédés tels que les mâchefers et les résidus de fumées, ainsi que l'élimination des déchets encombrants; qu'en revanche, ce mode de traitement ne répond manifestement pas aux objectifs de valorisation des déchets par réemploi ou recyclage définis par la loi; que les coûts moyens de traitement en décharge contrôlée sont très inférieurs à ceux des autres modes de traitement, avec valorisation ou sans valorisation; que les quantités de déchets traités selon les divers modes de traitement attestent que les collectivités territoriales, demanderesses d'élimination de déchets ménagers, ont, pour leur grande majorité, choisi le mode de gestion par enfouissement technique quant bien même elles disposaient d'autres moyens pour éliminer les déchets; qu'il en résulte que le traitement des déchets en centre d'enfouissement technique de classe II ne constitue pas un mode d'élimination des déchets substituable aux autres techniques d'élimination;

Considérant que, d'après les données ADEME relatives au traitement des déchets en CET de classe II, pour le compte de collectivités locales et en zone PACA, la société Somedis traite 37 % du total des déchets, la SMA 28 % et la société Déchets service du groupe MOS 12 % ;

Considérant que la domination d'un marché résulte de la réunion d'éléments qui permettent de constater que l'entreprise est en situation de s'abstraire de la concurrence des autres entreprises présentes sur le marché ; que l'un des principaux critères de recherche de la position d'une entreprise est l'importance de la part détenue par l'entreprise sur le marché examiné ;

Considérant, par ailleurs, que, si le fait pour une entreprise mère, en position dominante sur un marché, de subventionner une de ces filiales afin de lui permettre de présenter des prix prédateurs, destinés à éliminer la concurrence, constitue un abus, il n'existe au dossier aucun élément permettant de penser que l'entreprise MOS aurait bénéficié de l'appui, matériel, financier ou huAlain, du groupe Suez-Lyonnaise des eaux pour présenter son offre; que par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la position occupée par la société Lyonnaise des eaux sur le marché de la gestion des CET de classe II pour le compte de collectivités locales, il n'est pas établi que cette société aurait été à l'origine d'une pratique prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décide

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.