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Décisions

Conseil Conc., 14 janvier 2003, n° 03-D-01

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Comportement de sociétés du groupe L'Air liquide dans le secteur des gaz médicaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Sévajols, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mme Perrot, MM. Bidaud, Charrière-Bournazel, Lasserre, membres.

Conseil Conc. n° 03-D-01

14 janvier 2003

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 22 décembre 1998, sous le numéro F 1108, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur des gaz médicaux ; Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ainsi que le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, par les sociétés du groupe L'Air liquide (Air liquide international, Air liquide santé France, Carboxyque française, Technologies hospitalières Alsace, Technologies hospitalières Lorraine, Technologies hospitalières Flandres, Technologies hospitalières Île-de-France, Technologies hospitalières Bourgogne, Technologies hospitalières Rhône-Alpes, Technologies hospitalières Bretagne, Technologies hospitalières Touraine, Technologies hospitalières Languedoc et Technologies hospitalières Auvergne-Limousin), ci-après dénommées sociétés du groupe L'Air liquide, la société Driot et Cie, la société Réalisations médicales industrielles, et par M. Winka ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, le représentant des sociétés Air liquide international, Air liquide santé France et Carboxyque Française, le représentant des sociétés Technologies hospitalières, le représentant de la société Driot et Cie et celui de la société Réalisations médicales industrielles entendus lors de la séance du 15 octobre 2002, M. Winka ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I - Constatations

A - LE SECTEUR DES GAZ MÉDICAUX

1. Les produits

1) Les gaz médicaux sont les gaz utilisés par les établissements de soins ou les particuliers, à des fins thérapeutiques ou pour des techniques médicales. Les principaux gaz médicaux sont, d'une part, les gaz purs : oxygène (O2), azote (N2), protoxyde d'azote (N2O), monoxyde d'azote (NO) et gaz carbonique ou anhydride carbonique (CO2), et, d'autre part, les mélanges gazeux : mélanges carbogène (CO2 + O2), protoxyde d'azote-oxygène (N2O + O2), hélium-oxygène (He + O2), l'air médical ou air reconstitué (O2/N2 en mélange 22/78). L'oxygène représente la majeure partie du marché.

2) Ces différents gaz sont normalisés et substituables d'un fournisseur à l'autre. En revanche, les gaz de nature différente ont des usages médicaux spécifiques. Les usages des principaux gaz médicaux sont les suivants :

oxygène : oxygénothérapie, assistance respiratoire ;

protoxyde d'azote : anesthésie et analgésie ;

air médical gaz comprimé (22/78) : assistance respiratoire ;

mélange O2-He (22/78) : assistance respiratoire en pédiatrie ;

mélange O2-N2O (50/50) : analgésie en obstétrique ;

mélange carbogène (O2-CO2) : circulation extra-corporelle ;

gaz carbonique (CO2) : dispositif médical pour les endoscopies et la dermatologie ;

azote (N2) : excipient inerte.

3) Ces gaz médicaux peuvent être stockés sous forme comprimée ou sous forme liquéfiée. Ils sont livrés en vrac, en bouteilles ou en cadres en fonction des quantités consommées et des modes de consommation de l'établissement de soins. Lorsqu'ils sont achetés en vrac, les livraisons se font par camions citernes et ils sont stockés dans des réservoirs installés dans les établissements de soins.

4) Jusqu'au 31 décembre 1992, tous les gaz, qu'ils soient destinés à l'industrie ou à la santé, étaient fabriqués, stockés, conditionnés et transportés de façon indifférenciée. Dans un courrier daté du 31 décembre 1992, après une année de concertation avec les professionnels du secteur concerné, la direction de la pharmacie et du médicament (DPHM) du ministère de la santé a officiellement confirmé, à la Chambre syndicale des gaz industriels, médicaux et de l'anhydride carbonique (CSGIMAC), que les gaz à usage médical étaient des médicaments au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique. Depuis lors, on distingue, au sein des gaz médicaux, entre les gaz pharmaceutiques, qui sont en contact avec les tissus vivants et le malade et qui ont le statut de médicaments, et les gaz de laboratoire, qui sont utilisés pour les techniques médicales et n'ont pas le statut de médicament.

2. Les services complémentaires

5) La fourniture de gaz médicaux s'accompagne de services complémentaires : fourniture de matériels (bouteilles, cadres) et maintenance (surveillance des stocks, télésurveillance, installation des bouteilles, formation du personnel, etc.). Les gaz produits par les différentes sociétés étant techniquement équivalents, la nature et la qualité des services proposés sont des critères de choix important pour les établissements de soins. La société CFPO a pris en compte cette variable en mettant en œuvre, sur la période 1990/1995, le plan "Mercure". L'objectif de ce plan était le développement programmé des services afin de développer le chiffre d'affaires et de fidéliser la clientèle hospitalière.

3. Les réseaux de fluides médicaux

6) La plupart des établissements de soins disposent de réseaux de fluides médicaux qui permettent la distribution des différents gaz au sein des établissements. La construction de ces réseaux, dont une grande partie consiste à poser des canalisations, est une activité proche du second œuvre du bâtiment. La construction de ces réseaux s'accompagne de prestations de maintenance et d'exploitation de ceux-ci.

4. La demande

7) La demande de gaz médicaux est atomisée et regroupe deux catégories de clientèle : les établissements de santé et les distributeurs du secteur de l'oxygénothérapie. Le secteur des établissements de santé comprend les établissements de soins publics et privés, soit près de 300 000 lits actifs sur l'ensemble du territoire en 1996. Le secteur de l'oxygénothérapie regroupe un secteur associatif et un secteur libéral au sein duquel coexistent un réseau direct et un réseau pharmaceutique. Il y a environ 30 000 patients traités en oxygénothérapie. Ce secteur s'approvisionne auprès des distributeurs en gros.

8) La demande hospitalière intègre des contraintes particulières dues aux caractéristiques techniques du marché. D'une part, en effet, le caractère vital de ces produits implique que la fourniture de gaz doit être assurée en continu. D'autre part, cette fourniture nécessite la mise en œuvre d'un appareillage spécifique ; mis à disposition par le fournisseur, ces matériels doivent être changés si l'on change de fournisseur, de sorte que les hôpitaux craignent des ruptures ou des difficultés d'approvisionnement en cas de changement de fournisseur. Cette réticence à changer de fournisseur peut également résulter du cumul des contrats. En effet, certains hôpitaux sont liés à un fournisseur par de multiples conventions partielles de fournitures et services, échelonnées dans le temps. Le renouvellement de ces conventions s'effectuant à des dates différentes, la mise en concurrence peut s'avérer une opération délicate. En conséquence, la demande hospitalière se caractérise par une rigidité au changement de fournisseur, susceptible de renforcer la position sur le marché de l'offreur dominant.

9) Le prix n'est pas toujours un critère déterminant dans le choix d'un fournisseur. Dans certains appels d'offres, la société retenue n'est pas la moins-disante, au motif que ses prestations, télésurveillance, maintenance, sont considérées comme de meilleure qualité que celles de ses concurrents. A titre d'exemple, les éléments figurant au dossier démontrent que la commission de coordination des commandes publiques des hôpitaux du Bas-Rhin a, le 21 décembre 1992, déterminé son choix pour de tels motifs, alors même que les prix proposés par un concurrent étaient sensiblement inférieurs. De même, à partir de 1993, certains hôpitaux ont effectué leur choix non pas en fonction des prix les moins élevés, mais au motif que la société retenue avait de l'avance dans la "démarche pharmaceutique", c'est-à-dire, l'obtention du statut de laboratoire pharmaceutique pour la fabrication et l'autorisation de mise sur le marché du médicament pour les gaz fabriqués. Cette spécificité a permis à la société CFPO-Air liquide santé de maintenir ou d'augmenter sa part de marché malgré des prix de ventes supérieurs à ceux de ses concurrents.

5. L'offre

10) Sur le territoire national, entre 1994 et 1998, les principaux fournisseurs de gaz médicaux sont les sociétés suivantes :

la société CFPO à laquelle a succédé, le 30 juin 1995, la société Air liquide santé. Cette dernière société s'est successivement appelée CFPO, Air liquide santé puis, à compter du 3 août 1998, Air liquide santé France. Ces sociétés appartiennent au groupe L'Air liquide ;

la société Carboxyque française puis, à partir du 19 juin 1995, la société Carboxyque santé, absorbée par Air liquide santé France en 1998. Ces sociétés appartiennent au groupe L'Air liquide ;

la société Aga puis, à partir du 21 octobre 1993, la société Aga médical ;

la société Air products puis, à partir du 1er mai 1997, la société Air products médical. Elles appartiennent au groupe américain Air products ;

la société société anonyme des gaz d'Auvergne (Saga médical) ;

la société Gaz technique de France (GTF) ;

la société Euregaz, entreprise familiale qui a été rachetée, le 20 décembre 1995, par les sociétés Aga et Aga médical.

11) Les modifications juridiques nombreuses, intervenues à partir de 1993, sont liées à l'adoption du statut de médicament. En effet, dès lors que la direction de la pharmacie et du médicament a officiellement considéré, le 31 décembre 1992, que les gaz à usage médical étaient des médicaments au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique, la filière des gaz médicaux a dû être différenciée de celle des gaz industriels, la réglementation pharmaceutique s'appliquant au centre de stockage du fournisseur, au transport et aux stocks des établissements de santé. Les gaz médicaux concernés ont dû être conditionnés et distribués par des "établissements pharmaceutiques" et posséder une autorisation de mise sur le marché (AMM).

12) Or, aucun fournisseur de gaz, à l'exception de la société CFPO, ne distinguait les gaz industriels et les gaz médicaux. Pour se conformer aux exigences du Code de la santé, ces fournisseurs ont créé des sociétés spécifiques pour leur activité médicale. Ainsi, la société Carboxyque française a créé, en décembre 1994, la société Carboxyque santé. La société Aga a créé, le 21 octobre 1993, la société Aga médical et la société Air Products a créé, le 17 février 1994, la société Air products médical. M. Tillit, directeur général de la société Air Product et M. Baif, directeur produit d'Air Product Médical ont indiqué aux enquêteurs "(...) nous produisons de l'oxygène, de l'azote, nous conditionnons du Protoxyde d'Azote que nous achetons en Belgique auprès d'un producteur Belge. (...) Nous importons aussi d'autres mélanges qui sont considérés comme spéciaux et qui seront vraisemblablement des dispositifs médicaux (...)" (P. 121 du rapport du rapporteur).

13) Dans le secteur des réseaux de fluides médicaux, la structure de l'offre est différente. Les fournisseurs de gaz sont en concurrence avec des petites entreprises locales spécialisées dans la construction des réseaux, cette activité étant proche d'une activité de second œuvre du bâtiment. Le groupe L'Air liquide est présent dans ce secteur par l'intermédiaire de sociétés partenaires réparties sur l'ensemble du territoire national.

6. La position des différents offreurs sur le marché

14) Le groupe L'Air liquide a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 32 milliards de francs en 1995 et 34 milliards de francs en 1996. Il emploie dans le monde près de 27 000 personnes, dont 30 % en France. Le groupe est spécialisé dans les gaz industriels et médicaux et il est implanté dans plus de 60 pays.

15) En France, plusieurs sociétés du groupe L'Air liquide, outre Air liquide santé et Carboxyque santé, interviennent dans le secteur de la santé. La société Vitalaire est spécialisée dans les soins respiratoires à domicile, la société Taema, dans l'équipement des salles d'anesthésie et de réanimation, et la société ALM, dans les tables et l'éclairage opératoire.

16) Sur le marché des gaz médicaux, avant leur fusion en mai 1998, deux sociétés du groupe L'Air liquide intervenaient simultanément : la société CFPO puis la société Air liquide santé, d'une part, la société Carboxyque française puis la société Carboxyque santé, d'autre part. A elle seule, la société CFPO-Air liquide santé détenait plus de 60 % du marché des gaz médicaux. Les deux sociétés du groupe L'Air liquide, les sociétés CFPO puis Air liquide santé et les sociétés Carboxyque française puis Carboxyque santé, détenaient, ensemble, plus de 70 % du marché des gaz médicaux en France.

17) Il ressort des déclarations des responsables de la société Air liquide santé, en date du 27 mars 1997, que 60 % du chiffre d'affaires réalisé par cette société dans le secteur des gaz médicaux, provient du secteur public ; selon les déclarations des responsables de la société Carboxyque santé, en date du 23 avril 1997, 80 % du chiffre d'affaires, dans ce même secteur, est "généré par l'achat public".

18) Les parts de marchés de ces sociétés et celles de leurs concurrents, entre 1992 et 1995, sont reportées ci-après :

EMPLACEMENT TABLEAU

19) Par ailleurs, la société CFPO-Air liquide santé bénéficiait des atouts suivants :

elle appartenait à un groupe puissant, le groupe L'Air liquide ;

elle était la première et la seule à s'être spécialisée, dès les années soixante, dans les gaz médicaux ;

elle bénéficiait d'une notoriété importante ;

elle offrait la gamme de produits et de services la plus complète.

7. Les liens entre les sociétés CFPO-Air liquide santé et Carboxyque française-Carboxyque santé

Historique des sociétés CFPO et Air liquide santé

20) Jusqu'au 30 juin 1995, l'activité de fabrication de gaz médicaux et services associés était assurée, au sein du groupe l'Air liquide, par la société CFPO. La société Air liquide santé exerçait une activité dans le domaine de la chimie uniquement. Le 30 juin 1995, les assemblées générales de ces deux sociétés décidaient du transfert de l'ensemble de l'activité santé de CFPO vers la société Air liquide santé, CFPO n'étant plus opérationnelle mais devenant une société holding. Elles ont également décidé du changement de dénomination sociale (voir point 21) de CFPO en Air liquide santé et d'Air liquide santé en CFPO.

21) A partir du 30 juin 1995, une nouvelle société a donc pris en charge l'activité gaz médical. Entre le 30 juin 1995 et le 1er janvier 1996, cette société s'est dénommée CFPO, comme la précédente. Le 1er janvier 1996, à la suite d'une décision de l'assemblée générale extraordinaire du 20 décembre 1995, elle a pris le nom d'Air liquide santé. Enfin, le 19 mai 1998, la société Air liquide santé a fusionné avec la société Carboxyque santé et, le 3 août 1998, elle a pris le nom d'Air liquide santé France.

Historique des sociétés Carboxyque française et Carboxyque santé

22) Jusqu'au 19 juin 1995, la société Carboxyque française est intervenue à la fois dans le secteur des gaz médicaux et dans celui des gaz industriels. La société Carboxyque santé a été crée le 2 décembre 1994 et a bénéficié le 19 juin 1995 d'un apport partiel d'actifs de la société Carboxyque française, qui n'interviendra plus dans le secteur des gaz médicaux à compter de cette date. Le 19 mai 1998, la société Carboxyque santé a fusionné avec la société Air liquide santé France. Elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 1er décembre 1998.

23) Au total, durant la période examinée dans la présente affaire, les entreprises concernées sont :

Pour CFPO - Air liquide Santé :

EMPLACEMENT TABLEAU

Pour Carboxyque française et Carboxyque Santé :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les liens financiers

24) En 1994, la société CFPO était filiale de la société L'Air liquide. En 1995, la société CFPO était filiale de la société Air liquide santé. En 1996, la société Air liquide santé était filiale de la société Air liquide santé développement. Ainsi, les sociétés CFPO et Air liquide santé ont toujours été des filiales, de premier ou de deuxième rang, de la société L'Air liquide.

25) Sur l'ensemble de la période étudiée et jusqu'à ce jour, la société Carboxyque française est détenue, à hauteur de 97,22 %, par la société Cofigaz, elle même détenue à 99,99 % par la société L'Air liquide. La société Carboxyque santé était, jusqu'à fin 1998, détenue à hauteur de 99,99 % par la société Carboxyque française.

26) La société Air liquide santé France est détenue à 89,88 % par la société Air liquide santé international, elle même détenue à hauteur de 99,99 % par la société L'air liquide.

Les équipes dirigeantes

27) Entre 1994 et 1998, les équipes dirigeantes des deux sociétés étaient distinctes l'une de l'autre, à l'exception de deux administrateurs communs en 1994 et d'un administrateur commun en 1995 et 1998 :

EMPLACEMENT TABLEAU

Des moyens de production et des produits spécifiques

28) Les sociétés CFPO, puis Air liquide santé, et Carboxyque française, puis Carboxyque santé, ont toujours eu, jusqu'en 1998, des moyens de production distincts.

29) La société CFPO-Air liquide santé était organisée en 7 directions régionales autour de 8 laboratoires pharmaceutiques : Seclin, Mont-Saint-Aignan, Heillecourt, Bonneuil-sur-Marne, Nantes, Vénissieux, Aix-les-Mille et Paris. Ces établissements pharmaceutiques ont officiellement été autorisés le 19 janvier 1996.

30) La société Carboxyque santé exploitait 2 établissements pharmaceutiques, le premier à Corbas près de Lyon, le second à Trappes en région parisienne. L'établissement de Corbas conditionnait de l'oxygène médical en bouteilles et en cadres ainsi que du dioxyde de carbone en bouteilles et en sphères. L'établissement de Trappes conditionnait de l'oxygène médical en bouteilles, cadres et évaporateurs fixes et mobiles ainsi que du protoxyde d'azote médical en bouteilles et en sphères. L'établissement pharmaceutique de Trappes a été officiellement autorisé le 16 juillet 1997 et, celui de Corbas, le 21 juillet 1997.

31) Chaque société exploitait des produits et services spécifiques qui avaient des caractéristiques, des présentations et des marques qui leur étaient propres. D'ailleurs, chaque société a sollicité et obtenu des autorisations de mise sur le marché spécifique. L'oxygène médical Air liquide santé et l'oxygène médical Carboxyque santé ont tous deux obtenu des AMM le 10 juin 1997.

Les déclarations des responsables des deux sociétés et les documents internes

32) Selon les déclarations des responsables des deux sociétés, les sociétés CFPO-Air liquide santé et Carboxyque française-Carboxyque santé disposaient, l'une par rapport à l'autre, d'une autonomie fonctionnelle et commerciale. En effet, les responsables de la société Air liquide santé ont déclaré le 27 mars 1997 : "Actuellement, Air liquide santé et Carboxyque santé exercent leur activité commerciale dans le secteur des gaz médicaux de façon séparée. En effet, chaque société dispose de ses propres moyens notamment en matière d'image de marque, de logistique, de matériels de mise en œuvre, d'innovation, de politique commerciale et, en particulier, de prix, de personnel et aussi de recours à la sous-traitance et au partenariat. En revanche, nous exerçons les mêmes activités sur le même marché hospitalier. Carboxyque santé est considéré comme un concurrent par la direction générale comme par les équipes commerciales". De leur côté, les responsables de la société Carboxyque santé ont déclaré, le 23 avril 1997 : "Par rapport à Air liquide santé, Carboxyque santé possède un réseau commercial individualisé, une logistique propre, des produits annexes particuliers (emballages, moyens techniques...), du personnel différent, soit globalement une unité "industrielle" distincte ainsi qu'une direction commerciale distincte. Chacun est responsable de son entité juridique. Carboxyque santé jouit d'une autonomie commerciale. Carboxyque santé a une politique commerciale différente de celle d'Air liquide santé. D'ailleurs, en moyenne, notre niveau de prix est, à notre connaissance, inférieur à celui d'Air liquide santé".

33) Par ailleurs, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société Air liquide santé France du 16 septembre 1998, réunion au cours de laquelle la fusion avec la société Carboxyque santé a été approuvée, indique, qu'avant la fusion, les deux sociétés exerçaient de façon autonome leurs activités : "Le groupe Air liquide souhaite regrouper les activités de ses filiales françaises, Air liquide santé France et Carboxyque santé, en les fusionnant au sein d'une même entité : Air liquide santé France. Depuis 1997, ces deux sociétés sont dotées du statut d'établissement pharmaceutique et exercent, de façon autonome, leurs activités dans le domaine de la fabrication et de la vente aux établissements et professionnels de santé, de gaz à usage médical, dont certains sont des médicaments. La volonté de se développer dans le secteur de la santé et les exigences réglementaires applicables aux produits pharmaceutiques, aux dispositifs médicaux, et notamment aux gaz à usage médical conduisent le groupe Air liquide à engager cette fusion".

34) Enfin, un courrier de la société Carboxyque santé adressé, le 7 août 1998, au CHU de Besançon précise : "Dès aujourd'hui et jusqu'à la réalisation de la fusion Air liquide santé et Carboxyque santé continuent d'exercer leur activité de façon autonome. Toutefois, le processus engagé implique que, dès maintenant, nos deux sociétés ne répondent plus en concurrence aux demandes du marché".

Les pratiques commerciales

35) Cette autonomie commerciale des deux sociétés se manifestait dans leurs relations avec les hôpitaux. En effet, jusqu'en 1998, les sociétés CFPO-Air liquide santé et Carboxyque française-Carboxyque santé déposaient des offres distinctes et se présentaient comme concurrentes.

36) Dans la notification de griefs et le rapport, vingt procédures de mise en concurrence, organisées par des hôpitaux publics ou privés entre fin 1993 et début 1997, ont été examinées. Les deux sociétés du groupe L'Air liquide ont déposé des offres présentées comme concurrentes pour 19 de ces procédures : Bourg-en-Bresse, Bar-le-Duc, Aulnay-sous-Bois, Rouen, Dunkerque, Saintes, Meaux, Annemasse-Bonneville, Besançon, Saint-Julien-en-Genevois, Angers, Evry, Arras, Assistance publique de Marseille, Hospices civils de Lyon, Avranches Granville, Grenoble, Cornouaille et la centrale d'achat de l'hospitalisation privée (CAHP). Dans la seule procédure de cet échantillon où la société CFPO a répondu seule - le marché négocié organisé par l'Infirmerie protestante de Lyon - la société Carboxyque n'était pas consultée.

8. Les liens entre le groupe L'Air liquide et les partenaires spécialisés dans les réseaux de fluides médicaux

37) Le secteur des réseaux de fluides médicaux regroupe les activités de construction ou installation des réservoirs et des canalisations (plomberie), de leur contrôle et de leur maintenance. Dans ce secteur, la société CFPO-Air liquide santé s'est associée avec seize partenaires répartis sur l'ensemble du territoire. Treize de ces sociétés sont constituées sous la forme de société à responsabilité limitée et les trois autres sont des sociétés anonymes. Des participations financières, des protocoles d'accords et des liens commerciaux les relient à la société CFPO-Air liquide santé, et donc au groupe L'Air liquide. La société Carboxyque santé ne détient aucune participation financière dans des entreprises spécialisées dans les réseaux de fluides médicaux mais elle s'est associée avec un partenaire, M. Winka.

Les liens financiers

38) La société CFPO-Air liquide santé détient des participations financières comprises entre 10 et 100 % du capital de chacune de ces sociétés :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les protocoles d'accord

39) La société CFPO-Air liquide santé a signé des protocoles d'accord avec treize de ses partenaires : les sociétés Technologies hospitalières, la société RMI et la société Driot et Cie. Ces protocoles sont tous identiques, à l'exception de celui signé avec la société Driot et Cie qui est légèrement différent dans la forme. Aux termes des protocoles "Technologies hospitalières", la société CFPO est propriétaire du fonds de commerce constitué par les activités de construction et de maintenance des réseaux, elle assure les actions de prospection, les négociations commerciales et le recouvrement des factures clients. Le partenaire a l'exclusivité des prestations réalisées pour CFPO dans un territoire donné et, dans le domaine médical, le partenaire ne doit travailler que pour la société CFPO, exclusivement. La société CFPO assure la formation du personnel du partenaire qui peut utiliser le logo CFPO lorsqu'il travaille pour la société CFPO.

40) La société Carboxyque santé a également signé un protocole, proche du modèle "Technologies hospitalières", avec un partenaire, M. Winka, entrepreneur individuel. En revanche, elle ne détient aucune participation dans le capital de sociétés spécialisées dans les réseaux de fluides médicaux.

Les relations commerciales

41) Les sociétés Technologies hospitalières travaillent presque exclusivement pour la société CFPO-Air liquide santé, soit directement sur des installations appartenant à la société Air liquide santé, soit en qualité de sous-traitants. En revanche, d'autres partenaires de CFPO-Air Liquide santé ont une activité indépendante importante, le chiffre d'affaires réalisé avec la société CFPO-Air liquide santé ne représentant qu'une part de leur activité. Ainsi, la société Driot et Cie réalisait une part importante de son chiffre d'affaires dans les secteurs de la couverture, de la plomberie et du chauffage et, entre 1991 et 1996, la part de chiffre d'affaires correspondant à des travaux de sous-traitance pour la société CFPO était comprise entre 45 et 70 %. La société Chicoine médical a précisé que, jusqu'au 3eme trimestre 1999, elle intervenait sur le marché des réseaux de fluides médicaux pour son propre compte et, ponctuellement, en qualité de sous-traitant de la société Air liquide santé. De même, près de 50 % des marchés obtenus, entre 1994 et 1996, par la société Mauger gaz médicaux l'étaient pour des clients directs de celle-ci et non des marchés passés pour la société CFPO-Air liquide santé.

42) Enfin, l'activité de M. Winka ne dépendait pas exclusivement de la société Carboxyque santé. En effet, M. Winka a continué, pendant la durée de son contrat avec la société Carboxyque santé, à exercer une activité dans le domaine médical pour son propre compte.

9. Les politiques tarifaires des sociétés CFPO et Carboxyque française

Les incidences de l'adoption du statut de médicament

43) A la suite du courrier de la DPHM, en date du 31 décembre 1992, confirmant que les gaz à usage médical étaient des médicaments au sens du Code de la santé publique, les entreprises ont pris des mesures pour se conformer aux exigences pharmaceutiques. Les fournisseurs, à l'exception de la société CFPO, ont d'abord dû individualiser leurs activités de stockage et de conditionnement des gaz médicaux par rapport à celles des gaz industriels. Le statut de médicament a également nécessité l'embauche de pharmaciens et des adaptations techniques : traçabilité à l'aide de puces électroniques, analyse et contrôle des lots, étiquetage des produits. Toutes ces modifications ont eu des coûts auxquels il convient d'ajouter ceux liés aux dossiers de demande de statut d'établissement pharmaceutique et de demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM).

44) Au sein de la Chambre syndicale des gaz industriels médicaux et de l'anhydride carbonique, les fabricants et distributeurs de gaz médicaux ont évalué les surcoûts moyens liés au statut pharmaceutique à 15 % environ. Cette évaluation recoupe les données communiquées par les fournisseurs de gaz médicaux.

45) Pour les établissements de santé, les prix résultent de devis proposés le plus souvent dans le cadre d'appels d'offres. Pour les marchés reconductibles sur plusieurs années, ces prix évoluent généralement en fonction d'une formule de révision de prix contractuelle.

46) La société CFPO a organisé, dès le début de l'année 1993, une campagne d'information de sa clientèle sur les conséquences du passage au statut pharmaceutique, c'est-à-dire, la hausse de la qualité des produits et de leur prix. Puis, en novembre 1994, elle a lancé une campagne de prix statut pharmaceutique appelée "plan Diamant". L'objectif de ce plan était d'augmenter les prix de l'oxygène, du protoxyde d'azote et de l'air médical d'au moins 15 %, avant la fin 1995. Les augmentations ne s'appliquaient pas seulement aux nouveaux contrats mais également aux contrats en cours. Pour faire accepter les hausses de prix en cours de contrat, les commerciaux avaient pour instruction de négocier des avenants en annonçant des hausses de prix ultérieures très fortes si la hausse, moindre mais immédiate, n'était pas acceptée.

47) Un document de la société Air liquide santé récapitule les actions menées dans le cadre du "plan Diamant". Sur cette note, il est indiqué que, fin 1994, les nouveaux prix ont été présentés à 68 clients, 44 ont donné leur accord écrit pour des augmentations avant l'obtention du statut pharmaceutique, 5 ont donné leur accord écrit pour des augmentations au moment de l'obtention du statut, 2 devaient être revus au moment de l'obtention et 4 ont refusé catégoriquement les augmentations en mettant en avant le contrat en cours. Un autre document de la société Air liquide santé dresse un bilan du "plan Diamant" à la fin du mois d'avril 1995. Cette note précise : "Rappel de l'enjeu ? rentabiliser les investissements liés au statut ? d'ici fin 1995, revoir les prix chez tous nos clients, engranger 55 MF de CA supplémentaires (CA 1994 gaz thérapeutiques : 368 MF)... Résultats à fin avril 1995 En nombre de clients : 1 100 clients ciblés, 379 clients rencontrés, 190 négociations terminées dont 170 ont débouché sur un accord de révision des prix (92 %)...". Dans un document du 27 mars 1997, la société Air liquide santé a indiqué : "Les augmentations de prix relatives aux produits considérés ont conduit à 6 MF en 1995 et 10,8 MF en 96 de supplément de chiffre d'affaires".

48) La société Carboxyque française a également organisé une campagne de prix qui a débuté en avril 1994. Elle a adopté un comportement identique à celui de la société CFPO en proposant aux hôpitaux des augmentations de prix supérieures à celles résultant des contrats, au motif de l'adoption du statut de médicament.

10. Les problèmes posés aux hôpitaux par les changements de fournisseurs de gaz

49) Il ressort des éléments recueillis au cours de l'enquête et de l'instruction que la fourniture des gaz médicaux et le fonctionnement des installations préoccupaient les responsables hospitaliers, notamment lors des changements de fournisseurs. Ainsi, il ressort des déclarations de M. Guizard, pharmacien des hôpitaux, chef de service au centre hospitalier de Meaux qu'il "(...) existe un problème technique relatif à l'enlèvement de l'installation précédente et à l'installation et mise en route de la nouvelle installation. En effet, le simple dépôt et remontage d'une nouvelle installation nécessite un délai d'environ cinq semaines, délai pendant lequel l'ancien titulaire devra fournir à partir d'une cuve temporaire des produits dont le prix ne sera plus couvert par le marché antérieur (...)" et "(...) ces problèmes conduisent les acheteurs à une hésitation et à une certaine frilosité pour changer de fournisseur (...)" et, enfin, "les acheteurs sont donc dans une situation où la concurrence joue peu et se trouvent donc captifs" (PV du 7 février 1997, pages 390 et 5 du rapport du rapporteur). Par ailleurs, le rapport administratif cite, à cet égard, d'une part, un document émanant de la société CFPO du 15 décembre 1995 qui indique que "comme beaucoup de pharmaciens hospitaliers, Mme Simon éprouve des réticences à changer de fournisseur de gaz en raison des travaux de démontage et de remontage : elle craint que lors de ces travaux la fourniture de gaz soit perturbée" (P. 249 du rapport du rapporteur), d'autre part, les déclarations des responsables d'Air Liquide Santé, selon lesquels : "l'impact du coût des installations n'apparaît pas comme un facteur déterminant dans le changement de fournisseur. En revanche, les exigences de coopération entre fournisseur et client peuvent constituer des freins à la mobilité compte tenu du caractère particulièrement sensible des fluides en matière de sécurité" (P. 250 du rapport du rapporteur). Enfin, il ressort des déclarations de MM. André et Peterson, responsables de la société Oxypharm que "le changement de fournisseur n'est pas simple en raison du stock de bouteilles qui appartiennent aux gaziers. Il faut environ six mois pour retourner l'ensemble des bouteilles, qu'il faut vider, inventorier et restituer puis reconstituer un nouveau stock" et que "par conséquent, nous avons un degré de dépendance important vis-à-vis des fournisseurs" (P. 252 et 253 du rapport du rapporteur).

B - LES ACCORDS GÉNÉRAUX DE RÉPARTITION DE MARCHÉS ET D'ENTENTE SUR LES PRIX ENTRE LA SOCIÉTÉ CFPO-AIR LIQUIDE SANTÉ ET LA SOCIÉTÉ CARBOXYQUE FRANÇAISE-CARBOXYQUE SANTÉ

50) Figurent au dossier neuf documents saisis lors des visites domiciliaires autorisées le 22 octobre 1996. Ils font état de la concertation organisée entre les deux sociétés du groupe L'Air liquide pour définir une stratégie commerciale commune, la mettre en œuvre de concert et en contrôler les résultats.

1. Notes sur l'exposé de M. Icart du 25 avril 1994

51) Un document, saisi au sein de la société Carboxyque santé, comporte les mentions suivantes :

"Notes sur l'exposé de Mr Icart

Réunion MM. Icart, Lemaire, Monié du 25 avril 1994 (organisée par Mr Icart)

1 le marché des gaz médicaux est modifié par la législation.

2 M. Solente : 2 investissements AL sur le marché : PO et CS parts de marché du groupe mieux protégées en maintenant la rentabilité CS sur 2 pôles : Paris et Lyon

3 Conséquences : renforcer CS sur ces deux pôles. Rhône : plus large qu'avant. Transfert Ouest Rhône : facteur temps 2 personnes JML + RM.

4 tenir compte de l'état réel du marché : si bonne position pas bonne transfert à l'autre càd : majorité de cas PO : CS mais aussi peut être hors de ces pôles

5 règles à fixer pour transferts : clarté et ordre rentabilité condition : information réciproque fiable, clarté : se donner des listes clients, ordre : se donner du temps, immobiliser les équipes locales e attendant : ne pas aller chez les clients non transférés, PO ne va pas voir les clients CS, excepté pb : chez clients

6 PO ne fait aucune promotion chez clients CS : PO ne doit pas augmanter sa part de marché gaz. CS ne fait aucune promotion hors transfert".

M. Icart était président du conseil d'administration de la société CFPO, M. Lemaire, directeur commercial de la société CFPO, M. Monié, directeur général de la société Carboxyque, et M. Solente, administrateur au sein des deux sociétés.

2. La note de M. Monié à M. Gruat du 17 novembre 1995

52) Un document saisi dans le bureau de M. Gruat directeur général de la société Carboxyque française et daté, selon les déclarations de ce dernier du 17 novembre 1995, comporte les mentions suivantes :

"Le 17 novembre

R. Monié à Mr P. Gruat

Ci-joint un projet de note faisant le point de la situation CFPO-CS et permettant d'expliciter les termes généraux des règles énoncées par Mr Lemaire. Je pense qu'une réunion doit être organisée. Je vous remercie pour vos commentaires éventuels.

MARCHÉ HOSPITALIER CFPO - CS

1. Politique groupe AL sur marché français

Situation de fait résultant de l'historique : 2 sociétés actives

Décisions : maintenir les 2 intervenants afin de protéger les parts de marché du groupe

Conséquences : la présence de CS conforte la démarche médicale/qualité de CFPO, en clientèle et vis-à-vis de la concurrence. CS doit engager les investissements et mettre en place l'exploitation imposés par cette nouvelle législation. Les 2 sociétés sont des alternatives commerciales réciproques, non des concurrents. Les 2 sociétés doivent s'utiliser l'une l'autre pour le maintien des parts de marché. Les actions commerciales des 2 sociétés doivent contribuer au maintien de la rentabilité actuelle du marché :

1 la clientèle de CS demeure une monnaie d'échange (à périmètre constant) de la stratégie concurrence définie par CFPO

2 les deux intervenants justifient réciproquement en clientèle leur politique de prix

Condition de viabilité : CS doit atteindre une taille critique sur ce marché, taille qu'elle n'a pas aujourd'hui. Cette optimisation est d'autant plus importante que la politique "médicale" de CFPO impose des contraintes d'investissements et d'exploitation lourdes pour CS. CS doit bénéficier de la "veille du marché gaz" du groupe.

Ce qui reste à faire : définir des règles de fonctionnement/rapport quotidien de l'ensemble CFPO+CS qui doivent permettre l'utilisation judicieuse de cette politique : les deux sociétés doivent optimiser à tout moment la position de l'ensemble.

Remarque importante : la politique énoncée du groupe porte sur le marché gaz uniquement. Il est normal, compte tenu de leur nature, de lui adjoindre le marché services traditionnels, dans les positions déjà acquises.

Néanmoins deux marchés sont laissés à libre interprétation : réseaux et matériel de mise en œuvre. Ces marchés représentent 35 % de l'activité CS.

2. Application de la politique groupe

2.1. Ce qui est décidé sur le marché gaz (cf. notes de mars et juin 1994)

médicalisation de CS : investissements, exploitation, filialisation

maintien de CS sur l'Île-de-France, premier marché et marché "naturel" de CS, dont l'AP-HP

retrait de CS de l'Ouest

renforcement équivalent de CS sur la zone Grand Rhône

maintien de CS sur le Nord et l'Est, zones d'attaques concurrentielles fortes et où CFPO a des parts de marché >60 %, et réfléchir à terme sur la position groupe sur ces secteurs

le développement des services traditionnels de CS doit se faire sur l'ensemble des établissements hospitaliers, quelque soit le fournisseur gaz actuel

CS doit acquérir une part du marché Air médical en Île-de-France

2.2. Les actions sur le marché depuis juin 1994

CS participe à la stratégie concurrence des CFPO selon les instructions de celle-ci : volume aller + retour : 6 millions/an

CS/CFPO participent à une campagne de prix "statut pharmaceutique". Les manifestations les plus parlantes sont celles des marchés publics renouvelés : pour CS : aucun marché encore en renouvellement (hors HCL) et hors Ouest. Pour CFPO : 2 cas significatifs : HCL : gain de marge 2 millions ; Nancy : maintient d'une rentabilité élevée en air médical + delta prix gaz

des actions de protection concurrentielles : clients CFPO repris par CS à des prix minorés sur des zones non stratégiques pour CS : CH d'Arras : 0,5 million ; APM : 4 millions

deux transferts CS au profit CFPO dans l'Ouest : CH Saintes : 0,5 million ; CH... : 0,3 million

un bilan pour CS dans la région Rhône de - 1,4 millions (dont + 0,6 millions réalisables si 1 clinique est effectivement construite : non confirmé actuellement)

le bilan global pour CS s'établit, quant à lui, à + 1 million

2.3. Ce qui reste à faire

Positionnement géographique de CS :

définir des listes précises sur la région Rhône

permettre à CS de retrouver sa rentabilité Ouest. En outre son utilisation pour les actions de protection concurrentielles ne doit pas affecter sa rentabilité.

Part de marché actuelle de CS : absolument maintenir cette part de marché ; compenser les pertes au profit de Sol

Politique générale marché :

et dans l'essentiel : considérer CS comme partie complémentaire de CFPO

donner par cela une taille critique convenable à CS

Activités réseaux et matériels : préciser la nature des actions : concurrence pure ?

Condition : avoir des relations claires

3. Innovation

CS étudie des domaines de développement qui lui sont propres : traitement des eaux sanitaires, prestation stérilisation, application particulière de désinfection en restauration collective

Bilan Centre Est-Ouest depuis mars 1994

EMPLACEMENT TABLEAU

3. La note sur les règles rapportées par M. Lemaire

53) Un document a été saisi au sein de la société Carboxyque santé, dans le bureau du secrétariat de M. Monié. Selon les responsables de Carboxyque santé, ce document aurait été établi fin 1995. M. Lemaire était le directeur commercial de la société Air liquide santé. Sur ce document, il est indiqué :

"Règles rapportées par Mr Lemaire :

CS est une alternative commerciale à CFPO et non pas un concurrent

Les transferts se font sur des listes précises en dehors desquelles les deux sociétés ne cherchent pas à se déplacer

La croissance de CS ne se fait pas sur la clientèle de CFPO pas plus que celle de CFPO ne se fait sur celle de CS. CS a d'ailleurs sélectionné des champs de croissance différents de ceux de CFPO

Les actions commerciales ne doivent viser qu'à améliorer les marges ou à contrer les concurrents extérieurs au groupe".

4. Notes manuscrites de M. Lemaire du 11 décembre 1995

54) Des notes manuscrites, datées du 11 décembre 1995, ont été saisies au sein de la société Air liquide santé, dans le bureau de M. Lemaire, directeur commercial. Sur ces notes, il est indiqué :

"YLC concurrence :

Le groupe CFPO-CARBO ne doit plus perdre des parts de marché. Comment devenir offensifs ? Comment nous y préparer ?

Qu'est-il nécessaire de faire pour que nous ne concédions plus de PM ?...

... objectif

1. ne plus perdre de PM...= en gagner

repositionner l'offre commerciale de CFPO et celle de CF de façon complémentaire...

=>Séminaire sur le sujet en mars 1996".

YLC sont les initiales de M. Yves Lyon-Caen, président du conseil d'administration de la société CFPO.

5. Notes manuscrites de M. Lemaire du 20 février 1996

55) Des notes manuscrites, datées du 20 février 1996, ont été saisies au sein de la société Air liquide santé, dans le bureau de M. Lemaire, directeur commercial. Sur ces notes, il est indiqué :

"ALS/CS

1) passé récent

récupérer les clients CFPO qui veulent changer

augmenter MB

maintien statut quo

=>vendeurs CF vont chez client CFPO pas chez client Conc/groupe

= quand évolution directives à CS réorientées vers croissance =>conflits

2) aujourd'hui

objectifs : contrecarrer Sol : empêcher progression, reprendre client pris par Sol

prévention : CFPO et CS évaluent les clients fragiles et exposés (APM-APHP) ? lucidité réalisme

défensif : bataille en cours : pompiers

rétorsion : celui qui a perdu devant Sol n'est pas le mieux placé pour reprendre =>envoyer l'autre pour avoir l'écoute du client

risques : introduire ou établir un nouvel acteur à des prix intermédiaires =>on favorise la pression sur les prix, intégrer cette donnée dans notre politique prix-services ALS = diamant ; CS = maintient l'écart (- 25 %)...

positionnement clair

cohérence dans les objectifs donnés aux 2 sociétés ALS CS

autorité de DG (YCL) : obtenir de CS qu'elle soit effectivement l'alternative...

principes :

CS et ALS en alternative l'un de l'autre, à l'initiative de celui qui est fournisseur : garder les clients déçus ; MB

Hors gaz classiques (RFM, services...) liberté de manœuvre".

6. Exposé de M. Lyon-Caen du 1er mars 1996

56) Une feuille dactylographée, datée du 1er mars 1996, a été saisie au sein de la société Air liquide santé, dans bureau de M. Lemaire. Sur cette feuille, il est indiqué :

"Paris, le 01 mars 1996

Monsieur Lyon-Caen :

1. ne plus perdre de parts de marché, c'est-à-dire en gagner

2. élaborer une stratégie offensive et défensive pour chaque région

3. repositionner l'offre commerciale de CFPO et celle de Carboxyque santé de façon complémentaire

4. revoir les politiques de prix afin que CFPO puisse coter ponctuellement à bas prix sans se mettre en porte-à-faux vis-à-vis des autres clients...".

7. Travaux des groupes de travail réunis le 6 mars 1996

57) Des notes sur des groupes de travail qui se sont réunis le 6 mars 1996 ont été saisies au sein de la société Air liquide santé, dans le bureau de M. Lemaire. Sur ces notes, il est indiqué :

"ALS - CS

YLC :... 3) garder la liberté dans les champs de différence selon des axes stratégiques explicites

2) position explicite pour CS = effort de clarification à faire par CS et objectifs de rentabilité. Laisser une certaine liberté ciale aux 2 sociétés = zone de frottement

1) A quel moment déclenche-t-on le plan Orsec ?. Si CS a pris un client loin de ses bases à des prix bas pour faire contre feu, quelle aide logistique peut-on envisager ? Est-ce possible commercialement ? Comment le gère-t-on ?

CS = éviter les faux combats - ne pas se tromper de cible

Actions prioritaires.....Clarifier le positionnement de CFPO et Carbo en vraie alternative".

8. Réunion Carboxyque santé du 25 mars 1996

58) Un compte rendu d'une réunion qui s'est tenue le 25 mars 1996 a été saisi au sein de la société Carboxyque française. Dans ce compte rendu, il est indiqué :

"COMPTE RENDU RÉUNION PLAN STRATÉGIQUE CARBOXYQUE SANTÉ, 25 mars 1996

La réunion du 25 mars a permis de confirmer les orientations suivantes sur les différents secteurs d'activité :

Marché "Utilisation des gaz en milieu hospitalier"

Trois segments de cette activité ont pu être abordés : les activités gaz, réseaux, services et le développement lié de nouveaux produits.

1. Gaz

Sur le secteur géographique où elle est présente : à l'est de l'axe Normandie-Languedoc, CS doit être un acteur actif afin de protéger les parts de marché du groupe.

Sa présence doit aussi permettre de protéger les niveaux de prix du marché tout en notant que :

son niveau de prix doit être comparable à ceux de Aga et AP, soit environ 20 % inférieur à celui de ALS,

un écart de prix trop faible ne permet pas à CS de maintenir ses fournitures face à la qualité des moyens offerts par ALS.

Ces objectifs doivent amener CS à accroître sa part de marché sur cette zone environ + 3 % de part nationale.

2. Réseaux

Cette activité, porteuse de services, doit retrouver un niveau de rentabilité acceptable : CS doit augmenter les prix de ses offres.

Afin de capitaliser sur sa bonne renommée, CS doit rechercher des partenaires locaux à acquérir, en prenant leur contrôle total.

3. Services

CS doit présenter une offre globale similaire à celle de ALS.

CS doit être en mesure de prendre 10 % de toutes les nouvelles affaires.

4. Nouveaux produits

CS doit être en mesure de présenter des produits concurrentiels à ceux de ALS dans un délai court après l'introduction de ces derniers, et vice-versa.

5. Matériel

Sur ce segment, non abordé au cours de cette réunion, CS souhaite maintenir sa propre gamme de matériel d'application des gaz compte tenu de :

l'identité qu'une telle gamme donne à l'indépendance de CS,

la contribution de cette gamme aux résultats de CS.

6. Exploitation

Pour l'exploitation courante, non abordée, les points suivant restent à finaliser :

Stockage dédié = CS doit pouvoir accéder aux stockages dédiés ALS en centrale de production,

Distribution liquide = les moyens de distribution liquide doivent être optimisés entre CS et ALS,

Marquage des camions = les camions de distribution liquide doivent conserver le sigle actuel "Air liquide" et non être marqués ALS,

Conditionnement régional = CS et ALS doivent pouvoir se sous-traiter réciproquement les conditionnements,

Pharmacovigilance = celle-ci peut au mieux être assurée au niveau du groupe,

gamme de mélanges = la gamme offerte doit être définie de façon homogène entre ALS et CS.

Nouveaux développements

Les nouveaux développements, tels l'utilisation de l'ozone ou la stérilisation, sont, dans un premier temps, développés de façon indépendante.

Afin de mieux bénéficier de leurs potentiels, les nouvelles activités pourront faire l'objet de généralisation par les différentes structures du groupe une fois leurs intérêts confirmés.

R. Monié

Distribution :

Carboxyque : MM. Duprieu, Gruat

Air liquide santé développement : MM. Lyon-Caen, Bellynck

Pour information :

Air liquide santé : M. Deloche".

9. Note sur les objectifs stratégiques 1996-1998

59) Une note sur les objectifs stratégiques a été saisie au sein de la société Carboxyque, agence de Grand-Couronne. Dans cette note, il est indiqué :

"1. Objectifs stratégiques 1996/1998

1.1. Objectifs du groupe Air liquide

Pour la période 1996/1998, le groupe s'est fixé des objectifs de croissance :

de la part de marché : + 2 points,

des ventes : 10 % par an,

du résultat net : 12 % par an.

1.2. Activité et résultats 1996 du groupe

Dans un contexte économique européen morose et dans l'attente de la forte croissance que générera l'activité des grands contrats signés récemment, des efforts particulièrement importants doivent être entrepris pour atteindre ces objectifs, en matière de :

- dynamisme commercial,

- réduction des coûts.

1.3. Objectifs stratégiques de Carboxyque

Ils ont été fixés début 1996, dans l'esprit de ceux du groupe et nécessitent, pour être atteints, croissance interne (plus de 10 % par an) et externe (acquisitions pour 155 MF).

1.4. Stratégie de marché et projet d'entreprise

Ces deux types de croissance seront le résultat de l'application de la stratégie de marché élaborée à la même époque.

Cette stratégie est l'illustration du projet d'entreprise que plusieurs groupes de travail ont contribué à définir.

Carboxyque est une entreprise complexe de par la diversité de ses métiers et son positionnement original sur le marché français, de filiale du leader. La triple stratégie qui en résulte (leader en CO2, opportuniste en gaz industriels, challenger dans la santé) doit être connue de tous et à l'origine de toutes nos décisions, nos actions mais aussi de nos attitudes.

Projet d'entreprise

[...]

Développer l'activité d'une filiale spécialisée santé :

assurer la part de marché du groupe,

innover dans les services à caractère technique.

Ce projet est parfaitement validé par le groupe : aux équipes Carboxyque de le réaliser. [...]".

C - LES CONCERTATIONS LORS DE CERTAINS APPELS D'OFFRES

1. Les marchés du centre hospitalier d'Avranches Granville

Le déroulement de la procédure

60) Une procédure de marché négocié a été organisée début 1996. L'avis a été publié le 22 février 1996 et la date limite de remise des offres était fixée au 18 mars 1996. Les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé ont déposé des offres distinctes. Les marchés sur les deux sites, Avranches et Granville, ont été attribués, le 26 mars 1996, à la société Air liquide santé, moins disante.

Les éléments relatifs à ce marché

61) Plusieurs documents relatifs à cette procédure, dont des télécopies provenant de la société Air liquide santé ou des rapports d'émission de télécopie de la société Carboxyque, ont été saisis dans les locaux de la société Carboxyque santé, agence de Grand-Couronne. Certains documents sont antérieurs à la date limite de remise des offres, fixée au 18 mars 1996.

62) En effet, le 11 mars 1996, M. Philippe Besson, directeur régional de la société Air liquide santé, a adressé à M. Gilles Domain, de la société Carboxyque santé, plusieurs télécopies relatives à la procédure organisée par le centre hospitalier d'Avranches-Granville. Ces télécopies, reçues à 16 h 19 et 17 h 23, portent sur les quantités et les prix de l'appel d'offres organisé par le centre hospitalier d'Avranches-Granville.

63) Le même jour, à 16 h 55, M. Gilles Domain a adressé à M. Philippe Besson une télécopie dans laquelle il précise :

"Nos interlocuteurs sont M. Martinetti et Mme Noisseron, ils pilotent effectivement l'appel d'offres ; les quantités figurant dans les tableaux correspondent aux consommations 1995 ; les mises à disposition d'emballages sont réalisées aux conditions suivantes : loc. mensuelle, quelque soit le type de bouteille 50,20 francs HT, contrat 5 ans, 1 990 francs TTC".

64) Par ailleurs, des rapports d'émission de télécopies et des télécopies entre les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé, postérieurs à la date limite de remise des offres mais antérieurs à la date à laquelle l'attributaire à été choisi, ont été saisis au sein de la société Carboxyque, agence de Grand Couronne.

2. Les marchés du centre hospitalier universitaire de Grenoble

Le déroulement de la procédure

65) Une consultation a été organisée par le CHU de Grenoble, fin 1996. L'avis d'appel d'offres ouvert a été publié au BOAMP le 21 septembre, et au JOCE le 24 septembre. La date limite de réception des offres était fixée au 4 novembre et les plis ont été ouverts le 5 novembre. Les offres étaient les suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

66) Le 12 novembre 1996, la commission d'appel d'offres a déclaré l'appel d'offres infructueux pour les lots 1 et 2, compte tenu de l'absence de concurrence et de l'augmentation de prix très importante. Le lot 3 a été attribué à la société Air products et le lot 4 à la société Carboxyque santé.

Les éléments relatifs à ce marché

67) Un cahier manuscrit, avec sur la couverture la mention "Monsieur Nessali", a été saisi dans le bureau de M. Nessali, au sein de la société Carboxyque santé à Corbas. Dans ce cahier, il est écrit :

"29/10 : Appel de M. Monié au sujet de AO pour Roanne et Grenoble. Il faut que vous preniez contact avec M. Viret...

31/10 : M. Guillemot Air liquide santé CHU Grenoble 38

AO tèl : 04 72 90 24 75

Lot n° 1 coût oxygène vrac : 1 million 510 mille francs HT total lot n° 1 = 3 million 250 mille francs HT.

Lot n° 2 : sous lot n°1 fourniture gaz bouteille 1 million 553 mille francs

sous lot n°2 mise à disposition emballage + dist interne des bouteilles 1 million 138 mille francs

lot n° 3 = hélium liquide 301 mille francs (faux suite tèl M. Guillemot ? 330 mille francs)

total lot 2 = 2 millions 691 mille"

68) M. Monié était directeur général de la société Carboxyque santé. M. Virey était le directeur régional Centre-Est de la société Air liquide santé. Il a signé les offres de la société Air liquide santé en 1996. Le numéro de téléphone indiqué, le 04 72 90 24 75, est attribué à la direction régionale Centre-Est Air liquide santé à Vénissieux.

3. Les marchés des Hospices civils de Lyon

Le déroulement de la procédure

69) Pour l'année 1994, le marché des gaz en vrac, d'un montant annuel de 8,6 millions de francs, a été attribué à la société CFPO, et celui des gaz conditionnés, d'un montant annuel de 1,8 millions de francs, à la société Carboxyque française.

70) Un appel d'offres sur performances regroupant 4 lots a été organisé fin 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 12 septembre 1994. Quatre fournisseurs ont déposé des offres : les sociétés CFPO, Prodair, Aga et Carboxyque française. Le 1er février 1995, la commission d'appel d'offres a déclaré l'appel d'offres infructueux, au motif que les prix étaient très supérieurs à ceux consentis auparavant.

71) Une procédure négociée a ensuite été organisée. Au cours de cette procédure, les propositions des sociétés Prodair, CFPO et Carboxyque ont été examinées. Le 7 avril 1995, la commission d'appel d'offres a décidé de retenir un seul fournisseur pour tous les sites, la société CFPO, pour la période du 1er juillet 1995 au 30 juin 1998.

Les éléments relatifs à ce marché

72) Une lettre de M. Icart, PDG de la société CFPO, datée du 27 mars 1995 et adressée à M. Deschandelliers, alors administrateur de la société Carboxyque française, a été saisie dans les locaux de la société Carboxyque française. Cette lettre précise :

"CFPO

Le président directeur général

Carboxyque française

Tour Ariane cedex 22

92088 Paris La défense

M. Deschandelliers

Paris, le 27 mars 1995

L'appel d'offres des Hospices civils de Lyon arrivant à son terme, vous m'avez demandé de porter la part réservée à la Carboxyque à 4 millions de francs, alors que la répartition initiale la limitait à 2 millions de francs.

Votre demande s'appuie, me semble-t-il, sur les considérations suivantes :

a) Le transfert des clients s'effectue de manière extrêmement lente et semble assez compliquée ; cette opération gardera un caractère difficile et donc, selon vous limité.

b) Lors de réunions générales consacrées à l'opération dite de recentrage de la Carboxyque, le chiffre de 4 millions avait été avancé comme pouvant constituer sa part dans le marché des Hospices civiles de Lyon.

Nous nous sommes parlé deux fois sur cette affaire et après en avoir pris le temps de la réflexion, considéré l'ensemble des aspects de cette question, il m'est apparu souhaitable de vous exposer ma position par écrit, reprenant, complétant les éléments que j'avais pu déjà vous donner oralement.

Cette affaire, en effet, me semble devoir être considérée dans l'ensemble de la politique du groupe en matière de santé, d'une part et d'autre part de la position de chacune de nos entreprises sur le marché médical hospitalier. La présence de deux entreprises du même groupe, sur un marché aussi bien délimité que celui des hôpitaux, suppose que deux objectifs permanents soient respectés le mieux possible :

celui de la couverture équilibrée du territoire,

et celui de la marge la plus élevée possible.

Pour ce qui est du premier point, il convient de considérer que la position de la Carboxyque est forte à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, faible en province, et que celle de la CFPO qui est faible à Paris est forte dans les établissements de province. Tous ceux-ci n'ont pas cependant la même importance et sous cet aspect, je considère que l'effacement progressif de la CFPO aux hospices civils de Lyon constituerait une diminution de son influence générale et donc un affaiblissement de son image. Cet établissement fait en effet partie des très grands ensembles régionaux avec l'Assistance publique de Marseille dont la position est actuellement plutôt difficile et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg pour lesquels notre position est fragilisée à cause des événements dont vous avez eu connaissance.

Sur le deuxième point, le fait de porter la part de Carboxyque à 4 millions, c'est-à-dire l'attribution d'un lot supplémentaire ne peut, en l'état actuel des éléments en ma possession, se faire que par une diminution de prix par la Carboxyque par rapport à ceux remis par la CFPO. Ceci correspond donc à une baisse globale de la marge du groupe et surtout à un manque à gagner non négligeable pour la CFPO qui, ainsi que vous le savez, a entrepris, dans des conditions difficiles une remontée de ses prix ; conditions difficiles dans la mesure où la lenteur et la pesanteur de l'Agence du médicament joints à l'inertie des autres fabricants et distributeurs de gaz médicaux qui n'ont nullement avancé, au moins officiellement, dans le statut de laboratoire pharmaceutique ont fait que les documents sur lesquels aurait pu s'appuyer cette augmentation n'ont pas encore été publiés (AMM et ouverture d'établissements pharmaceutiques).

Dans ces conditions et compte tenu de ce que je viens de vous exposer, je souhaite que nous en restions à ce qui avait été initialement prévu pour les Hospices civiles de Lyon et que la répartition soit donc d'un lot pour la Carboxyque et de trois lots pour la CFPO".

Les suites de la procédure

73) Une note, non datée, saisie dans les locaux de la société Carboxyque française, dresse un bilan sur cette procédure. Cette note indique que les échanges entre les sociétés CFPO et Carboxyque sur cet appel d'offres ont permis une augmentation de prix de 17 %, correspondant à environ 2 millions de francs de marge supplémentaire :

"AO HCL

11,5 millions en 4 lots, dont fourniture actuelle CS : 1,5 million fr

Premier tour : / veille commission : contacts précis pour le lot 4 : modalités de reprise.

Demande d'effort complémentaire

Offres : Proposition : théorique + 4 millions réel : + 800 kf

politique de remise plus importante que prévue : pénalisante pour CS (1 % total=5 %CS) diminuant l'intérêt pour client (écart moindre)

Blocage des remises CS : fax (en cause : 125 000 francs/an)

Irritation du pharmacien principal : CFPO attributaire de la totalité du marché

Action favorable de CS : augmentation des prix : + 17 % soit environ 2 000 000 ff de marge suppl.

Conséquences pour CS : report des objectifs perte de crédibilité perte de 1,5 millions francs/an".

D - LES REMISES LIÉES

74) Lors de certains appels d'offres, les sociétés Carboxyque française, CFPO et Air liquide santé ont proposé des remises liées à l'attribution de plusieurs lots ou de la totalité du marché des gaz médicaux. La société CFPO a également accordé à la Centrale d'achat de l'hospitalisation privée des remises liées aux montants des services.

1. Les marchés du centre hospitalier d'Arras

75) En 1994, le centre hospitalier d'Arras a organisé un appel d'offres ouvert, pour des marchés à commandes reconductibles annuellement, pour une durée maximum de 3 ans. L'appel d'offres était composé de cinq lots : oxygène médical pour réseau, air médical pour réseau, protoxyde d'azote pour réseau, fluides médicaux conditionnés et maintenance des réseaux de fluides médicaux. La date limite de remise des offres était fixée au 30 juin 1994. Le règlement particulier d'appel d'offres précisait dans son article 2 : "Une même entreprise pourra présenter sa candidature pour plusieurs lots de sa compétence, et pourra faire des offres pour lots groupés. Dans ce cas, une note indiquant le ou les rabais qu'elle consent sur ces offres dans l'hypothèse où elle serait attributaire de plusieurs lots simultanément, sera annexée à l'acte d'engagement". Les offres étaient les suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

76) Les deux sociétés du groupe Air liquide ont proposé des rabais en cas d'obtention des quatre premiers lots. La société CFPO a proposé un rabais de 3 % et la société Carboxyque, qui a obtenu les 4 premiers lots, un rabais de 15 %.

2. Les marchés du centre hospitalier de Saintes

77) En 1995, une procédure de marché négocié a été organisée, la date limite de remise des offres étant fixée au 1er septembre 1995. Le marché se décomposait en deux lots : lot 1 : fourniture d'oxygène médical et système de télésurveillance, lot 2 : production d'air médical, location du compresseur et système de télésurveillance.

78) Quatre fournisseurs ont répondu à cette consultation : les sociétés GTF, CFPO, Carboxyque santé et Aga. L'offre de la société GTF s'élevait à 1,7 million de francs, celle de la société Carboxyque santé à 2,2 millions de francs, celle de la société CFPO à 2,3 millions de francs et celle de la société Aga à 2,7 millions de francs.

79) Les offres de la société GTF, moins disante, et de la société Aga ont été écartées au motif qu'elles n'offraient pas des garanties suffisantes dans le cadre du nouveau statut pharmaceutique : "La société Aga a fait la demande d'autorisation d'établissement pharmaceutique qui est en cours d'enregistrement. La société GTF devait déposer la demande d'AMM courant 95. Il en résulte que les sociétés Aga et GTF n'offrent pas les garanties souhaitées par les praticiens en terme de sécurité des malades dans le cadre du nouveau statut pharmaceutique des gaz médicaux".

80) Parmi les offres restantes, la proposition de base moins disante était celle de la société Carboxyque santé. Toutefois, après la prise en compte des variantes proposées par la société CFPO, l'offre de la société CFPO, alors moins-disante, a été retenue. Cette variante prévoyait un prix annuel plus bas pour la première année et une augmentation de prix la seconde, puis, la troisième année, conditionnée à l'obtention du statut de laboratoire pharmaceutique :

EMPLACEMENT TABLEAU

81) La variante, qui a permis à la société CFPO de présenter une offre moins élevée que la société Carboxyque santé, n'était applicable que si la société CFPO était attributaire des deux lots. En effet, l'offre de la société CFPO précisait : "variante CFPO n° 2 : étalement sur 3 ans de la hausse des prix gaz médicaux liée à la démarche pharmaceutique. Cette variante n'est applicable que dans le cas où les 2 lots seraient attribués à CFPO".

3. Les marchés du centre hospitalier de Cornouaille

82) A la suite d'un appel d'offres déclaré infructueux le 3 avril 1995, le centre hospitalier de Cornouaille a organisé une procédure de marché négocié. L'avis a été publié au JOCE, le 4 avril 1995, et au BOAMP, le 5 avril 1995. Huit sociétés ont été consultées et trois fournisseurs ont répondu : les sociétés CFPO, Carboxyque française et Airgaz. Le marché était décomposé en 5 lots : lot 1 : fourniture, oxygène, azote en vrac et air reconstitué pour le site de Quimper, lot 2 : oxygène en vrac pour le site de Concarneau, lot 3 : gaz médicaux conditionnés, lot 4 : gaz techniques conditionnés et lot 5 : mélanges.

83) La société CFPO, qui était la seule à répondre pour l'ensemble des lots, a proposé un rabais de 3 % si elle était attributaire de cinq lots, proposition ramenée à l'attribution de quatre lots au cours des négociations.

84) Le lot 1 a été attribué à la société CFPO qui était la seule à faire une proposition. Pour le lot 2, deux sociétés ont répondu, CFPO et Carboxyque. L'offre moins disante de la société CFPO, d'un montant de 134 901,74 francs, avant rabais, a été retenue. Pour les lots 3 et 4, trois entreprises ont répondu, les sociétés Airgaz, CFPO et Carboxyque. Les offres de la société Airgaz, moins disantes, ont été écartées au motif qu'elle était peu engagée dans une démarche pharmaceutique et qu'elle n'avait pas déposé de dossier d'AMM, contrairement aux sociétés CFPO et Carboxyque. Les offres de la société CFPO, d'un montant inférieur à celles de la société Carboxyque, ont été retenues. Enfin, pour le lot 5, l'offre de la société Airgaz a été écartée, pour les mêmes motifs que précédemment. La proposition de la société Carboxyque, mieux placée que celle de la société CFPO, a été retenue. Le rapport de présentation indique que la société CFPO a accepté de maintenir le rabais de 3 %, même si le lot 5 ne lui était pas attribué.

4. Les marchés du centre hospitalier de Meaux

85) En septembre 1996, le centre hospitalier de Meaux a déclaré un premier appel d'offres infructueux, au motif que les prix étaient trop élevés et que seuls deux fournisseurs avaient répondu, les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé. Cet appel d'offres était composé de 3 lots.

86) Un second appel d'offres a été organisé ; les offres devaient être déposées au plus tard le 31 janvier 1997. Il était composé des seize lots suivants : lot 1 : oxygène vrac, lot 2 : oxygène en bouteilles, lot 3 : protoxyde d'azote vrac, lot 4 : protoxyde d'azote en bouteilles, lot 5 : mélange en bouteilles, lot 6 : anhydride carbonique en bouteilles, lot 7 : hélium en bouteilles, lot 8 : azote en bouteilles, lot 9 : air médical en bouteilles, lot 10 : production air comprimé, lot 11 : secours air médical, lot 12 : analyse air médical, lot 13 : télésurveillance, lot 14 : secours automatique, lot 15 : monoxyde d'azote, lot 16 : maintenance des réseaux. L'offre de la société Air liquide santé comportait une clause de "groupement des lots" ainsi rédigée : "Si l'hôpital de Meaux attribue les lots suivants à Air liquide santé : lots 1 à 9, lots 10, 11, 12 en variante 1 ou 2, lots 13 à 16, une remise de 4 % sera à appliquer sur notre offre de base. Si l'hôpital de Meaux attribue à Air liquide santé : lots 1 à 9, lots 13 à 15, une remise de 3 % sera à appliquer sur notre offre de base".

5. Les marchés du CHU de Besançon

87) En 1996, le CHU de Besançon a organisé un appel d'offres pour la période du 1er juillet 1996 au 30 juin 1997. L'avis d'appel public à la concurrence a été publié le 30 mars 1996 au BOAMP et le 4 avril 1996 au JOCE. La date limite de réception des offres était fixée au 17 mai. L'appel d'offres était composé de 14 lots. Il était précisé dans le CCTP que le candidat pouvait prévoir des remises supplémentaires dans l'hypothèse où il se verrait attribuer plusieurs lots.

88) Seuls, deux fournisseurs ont présenté des offres, les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé. La société Air liquide santé a proposé les remises supplémentaires suivantes : "1ère proposition clause package lot n° 1 à lot n° 13 : - 6 % sur l'ensemble des lots n° 1 à n° 13 ; 2ème proposition clause package lot n° 1 à lot n° 13 + Ariane Présence : - 9 % sur l'ensemble des lots n° 1 à n° 13".

89) Le compte rendu de la commission d'appel d'offres précise :

"La société Air liquide s'est révélée la moins disante pour la fourniture des gaz des lots 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9 et 13. Pour les lots 10, 11 et 12 la société Carboxyque santé n'a pas présenté d'offres. La société Air liquide peut donc, eu égard à ses propositions, être retenue aussi pour ces lots.

Pour le lot n°5, l'offre de la société Carboxyque santé est moins disante. Néanmoins, étant donné que la société Air liquide santé consent une remise supplémentaire de 6 %, en cas d'attribution des lots n° 1 à 13, l'économie réalisée en attribuant l'ensemble des lots 1 à 13 à Air liquide santé est largement supérieure à l'économie de 18 014,43 francs, qui serait réalisée si le lot n° 5 était attribué à la société Carboxyque santé.

Pour le lot n° 6, l'offre la moins disante a été proposée par la société Carboxyque santé, mais dans le cadre de la commission technique, réunie le 18 juin 1996, composée du directeur des affaires économiques, de deux pharmaciens, de deux ingénieurs biomédicaux et de trois techniciens, ces derniers ont signalé que les bouteilles à manomètres intégrés, de la société Carboxyque santé, paraissaient moins élaborées que celles de la société Air liquide santé... Pour ces raisons, ce lot est attribué à la société Air liquide santé".

6. Les marchés de l'hôpital civil de Strasbourg

90) En 1992, malgré des prix supérieurs à ceux proposés par la société Air products, la société CFPO a été retenue au motif que les critères qualitatifs lui étaient favorables. De plus, la société CFPO proposait une "remise package" de 6 % si elle était attributaire de l'ensemble des lots. Cette remise lui a permis de réduire l'écart de prix avec la société Air products et d'être retenue comme mieux disante. Cette "remise package" a été reconduite en 1993, 1994 et 1995 et l'hôpital civil de Strasbourg a reconduit, chaque année, le marché attribué en 1992 à la société CFPO.

7. Les marchés du CHU de Caen

91) Le 26 octobre 1998, le CHU de Caen a organisé un appel d'offres ouvert en deux lots : gaz en vrac et gaz conditionnés. Pour le lot gaz en vrac, deux entreprises ont déposé des offres, la société Air liquide santé France et la société GTF. Pour le lot gaz conditionnés, une seule entreprise a répondu, la société Air liquide santé France. Les offres étaient les suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

92) La société Air liquide santé France a donc proposé un prix plus bas si elle était attributaire des deux lots. Malgré cette remise, le lot 1 a été attribué à la société GTF.

8. Les accords avec la centrale d'achats de l'hospitalisation privée

93) Le 31 mai 1994, la société CFPO a accordé, aux adhérents de la centrale d'achats de l'hospitalisation privée (CAHP), des remises de 5, 7 ou 9 % liées à l'importance du chiffre d'affaires service. Les remises accordées étaient d'autant plus importantes que le chiffre d'affaires des services était élevé. La grille de remise était la suivante :

"CA service : entre 10 et 20 %, remise de 5 % sur les prix du gaz (hors emballage)

CA gaz+service

: entre 20 et 40 %, remise de 7 % sur les prix du gaz (hors emballage)

: supérieur ou égal à 40 %, remise de 9 % sur les prix du gaz (hors emballage)"

E - LES PROTOCOLES ORGANISANT LES RELATIONS DES SOCIÉTÉS CFPO ET CARBOXYQUE SANTÉ AVEC LEURS PARTENAIRES DANS LE SECTEUR DES RÉSEAUX DE FLUIDES MÉDICAUX

1. Les protocoles de la société CFPO avec ses partenaires

94) Une note interne, saisie au sein de la société Air liquide santé, expose la stratégie de la société CFPO en matière de services pour les années 1990 à 1995. Cette note précise :

"les services ont été conçus et développés dans le cadre d'un plan : le plan Mercure dont l'objectif était double :

- créer de la croissance en terme de chiffres d'affaires et de résultats

- contribuer à la fidélisation de la clientèle en faisant progresser au sein de la clientèle hospitalière les concepts suivants :

. un gaz médical = 1 gaz + 1 service (a contrario : un gaz seul = une utilité)

. un réseau de fluides médicaux = 1 chantier bien réalisé + services (a contrario : l'activité RFM sans services = activité du bâtiment)

. le matériel médical = matériel + services (a contrario : le matériel seul est souvent choisi au moins disant)

Dans cet esprit, les services constituent aussi une barrière d'entrée pour les concurrents dans les différentes activités de CFPO".

95) Une note interne de la direction juridique de la société CFPO, datée du 28 juin 1995, expose les principes du partenariat entre CFPO et ses partenaires :

"Le 28 juin 1995

Les partenaires "Technologie hospitalières" de CFPO, au nombre de 15, couvrent l'ensemble du territoire national. La zone de compétence de chacun d'eux est géographiquement limitée.

Ils assurent, d'ordre et pour le compte de CFPO, la réalisation de travaux de pose de canalisations de fluides médicaux et de matériels associés dans les établissements hospitaliers dont CFPO est le fournisseur.

Chacun de ces partenaires a été retenu, d'une part, compte tenu de sa haute compétence dans le domaine considéré, de sa notoriété locale, et d'autre part, du service de proximité qu'il permet à CFPO de rendre à l'égard de ses clients.

En tant que prestataire de services à l'image de CFPO, ils apparaissent à l'égard des tiers comme relevant de l'organisation CFPO...

Avant leur intégration dans l'organisation CFPO, la plupart des partenaires exerçaient une activité similaire dans le domaine considéré. Ils exécutaient en leur nom propre des marchés de pose de canalisations de fluides médicaux ou étaient sous-traitants de CFPO.

Le recours au "partenariat" a eu pour objectif de permettre à CFPO de renforcer les services de proximité en clientèle sans investissements industriels propres et sans accroissement de ses effectifs, tout en développant son fonds de commerce, sans guerre stérile. L'exclusivité, à laquelle sont tenus les mandataires et la prise de participation de CFPO dans le capital des sociétés communes, est apparue comme un gage de fidélité des partenaires".

96) Des documents dactylographiés, saisis dans le bureau de M. Deloche, directeur général de la société Air liquide santé, exposent les raisons pour lesquelles la société CFPO souhaite contrôler le marché de la construction de réseaux :

"Opportunité d'une présence CFPO dans l'activité de distribution des fluides médicaux par canalisation

- C'est une attente des clients

Le pharmacien hospitalier est concerné par la qualité du produit à la prise. Il attend du laboratoire pharmaceutique qui lui fournit des fluides médicaux qu'il ne se contente pas de les livrer en vrac dans la cour de l'hôpital, mais prenne aussi en charge leur distribution dans l'hôpital.

- C'est une source de développement

Via des services directement liés au réseau. Les services RFM (hors entretien) représentent 2 ans après leur lancement 10 % des valeurs contrats Mercure.

Via des activités connexes. Le réseau permet d'accéder à l'intérieur de l'établissement mettant CFPO en situation favorable pour d'autres produits (ex : MGA)

- C'est un rempart à une certaine concurrence gaz

Pourquoi contrôler le marché de la construction :

Si CFPO ne contrôlait pas 50 % du marché,

- le marché serait animé par une trentaine de PME =>guerre sur les prix =>problème de qualité = banalisation des installations (donc des produits qui y circulent)

- les installateurs contrôleraient les contrats d'entretien, le développement de services RFM serait très problématique.

Conclusion : il faut continuer de contrôler le marché de la construction pour jouer un rôle direct sur le marché de l'exploitation. Il faut trouver la meilleur forme d'association avec les meilleurs installateurs...

Partenariat actuel (Avantages) : limitation de la concurrence en chantier, contrôle de la qualité des prestations, contrôle du marché des services".

97) Pour la construction et la maintenance de réseaux de fluides médicaux, la société CFPO s'est associée avec seize partenaires qui lui permettent d'être présente sur tout le territoire national. Onze d'entre eux ont signé un protocole identique avec la société CFPO : les dix sociétés Technologies hospitalières et la société RMI. Le protocole signé par la société Driot et Cie est légèrement différent et les sociétés Chicoine médical et Mauger gaz médicaux ont déclaré n'avoir signé aucun protocole de ce type avec la société CFPO.

98) Les protocoles signés avec les sociétés Technologies hospitalières et la société RMI précisent :

"TH... a notamment pour activité :

- Étude et réalisation de réseaux de fluides médicaux

- Installation et stockage de matériel de production de fluides à usage médical

- Maintenance des réseaux et des installations de stockage et de production

- Maintenance de matériels d'application des gaz à usage médical.

CFPO reste propriétaire du fonds de commerce constitué par les activités visées ci-dessus. En particulier, elle assure les actions de prospection et négociation commerciales ainsi que le recouvrement des factures clients.

Article 1 : objet de l'accord

CFPO confie à TH (...) qui accepte, l'exécution de prestations à apporter à la clientèle de CFPO de la zone géographique délimitée par les départements suivants : (...) dans le domaine de la fourniture de fluides médicaux et des matériels et équipements pour la mise en œuvre de ces fluides, ci-après désigné par domaine médical. Sur cette zone géographique, TH... agit pour ordre et pour compte de CFPO et dans les conditions du présent accord".

Article 2 - Les prestations

Le type et la nature de chacune des prestations confiées à TH (...) par CFPO ainsi que les conditions de leur exécution par TH (...) sont définies dans les annexes qui font partie intégrante de cet accord.

Article 4 - Exclusivité

"4.1 Dans le domaine médical, CFPO confiera à TH (...) exclusivement, l'exécution des prestations visées à l'article 2.

4.2 Compte tenu de la disponibilité nécessaire pour satisfaire les besoins de la clientèle du domaine médical, du savoir-faire communiqué par CFPO, de la formation du personnel de TH (...) assurée par CFPO.

dans le domaine médical TH (...) n'exécutera des prestations visées à l'article 2 que pour CFPO exclusivement et,

(ii) en dehors du domaine médical TH (...) aura la faculté de fournir des prestations visées à l'article 2, avec du personnel non agréé par la CFPO, à tout tiers pour autant que celui-ci :

- n'exerce pas d'activité dans le domaine médical, directement ou indirectement, en France ou à l'étranger.

- ne soit pas sous le contrôle de droit ou de fait d'une société exerçant directement ou indirectement en France ou à l'étranger, une activité dans le domaine médical.".

L'article 1 des annexes précise la nature des prestations visées à l'article 2 :

"l'étude technique des réseaux, l'établissement du devis client et de la facture, la réalisation et le montage en clientèle des réseaux, la réception des installations".

99) Le 26 septembre 1991, la société Driot et Cie a signé avec la société CFPO un protocole de partenariat d'une durée de cinq ans. Les articles 1 et 2 et 5 du protocole précisent :

"Article 1 - Objet

CFPO constitue la société Driot, qui accepte son installateur agréé pour la réalisation des prestations définies à l'article 2, dans les départements de Seine, Hauts-de-Seine, Seine-St-Denis, Val-de-Marne, Val d'Oise, Yvelines, Seine-et-Marne, et au cas par cas Loiret, Eure-et-Loire et Yonne.

CFPO confie l'exclusivité des prestations définies à l'article 2 à la société Driot d'ordre et pour le compte de CFPO et dans les conditions du présent protocole.

La société Driot s'engage à effectuer à titre exclusif pour CFPO lesdites prestations, par contre la société Driot continuera son autre activité de plomberie, couverture, chauffage.

Par dérogation à la règle d'exclusivité ci-dessus, il est expressément convenu entre les parties :

- que CFPO continuera à confier à la société Meresse des prestations définies à l'article 2. Ces prestations en volume devant rester égales à ce qu'elles sont actuellement. Pour l'année 1991, le montant prévisionnel est estimé à 500 000 francs. La société Driot aura la possibilité de consulter le compte fournisseur Meresse dans les livres de CFPO.

- que la société Dubuc, filiale de la société Driot qui réalise pour CFPO les prestations définies aux paragraphes 2.2, 2.3 et 2.4 de l'article 2, pourra continuer ses activités dans les cliniques et établissements hospitaliers dont la liste figure en annexe 4.

Article 2 - Nature des prestations

2.1 Étude et réalisation des réseaux de distribution de fluides médicaux (au sens de la norme NFS 90.155)

2.2 Réalisation d'installations, propriétés de CFPO, en clientèle

2.3 Maintenance et dépannage des réseaux de fluides médicaux...

Exécution de prestations de services dans le cadre de contrat de services CFPO/client CHS (...)

Article 5 - centrale d'achat CFPO

Achat de tubes cuivre

CFPO a négocié, avec la société Tréfimétaux, fabricant de tubes cuivre, la mise au point d'une qualité de tubes dégraissés pour l'oxygène. Seuls ces tubes, dont les caractéristiques techniques sont définies à l'annexe 1, pourront être utilisés pour la réalisation des réseaux de fluides médicaux effectués pour le compte de CFPO.

Des prix préférentiels sont consentis aux installateurs agréés de CFPO. En conséquence, la société Driot s'engage à s'approvisionner auprès de Tréfimétaux.

Achat de brasure à l'argent

CFPO a négocié, avec la Compagnie des métaux précieux fabricant de brasure à l'argent, des prix préférentiels pour l'ensemble de ses installateurs agréés. La société Driot s'engage à s'approvisionner auprès de la Compagnie des métaux précieux".

100) Selon le responsable de la société Driot et Cie, entre 1991 et 1996, la société Driot et Cie n'a pas prospecté, pour son propre compte, dans le secteur des fluides médicaux. Par ailleurs, la clause d'approvisionnement exclusif auprès de la société Tréfimétaux a été respectée alors que, pour la brasure d'argent, la société Driot s'est approvisionnée exclusivement auprès de la société Alliages industrie et non auprès de la Compagnie des métaux précieux.

2. Le protocole de la société Carboxyque santé avec son partenaire, M. Winka

101) La société Carboxyque santé n'a aucune filiale et aucune participation dans des sociétés spécialisées dans les réseaux de fluides médicaux. De plus, jusqu'à fin 1995, les relations avec ses sous-traitants, à l'exception de celles avec M. Winka, étaient informelles. Un seul protocole d'accord a été signé, le 13 septembre 1995, avec M. Raymond Winka, entrepreneur individuel implanté dans le département du Nord. Ce protocole, signé entre la société Carboxyque santé et M. Winka, est, à quelques mots près, identique à ceux signés entre la société CFPO et ses partenaires. Les clauses d'exclusivité sont identiques à celles prévues dans les contrats signés par les sociétés Technologies hospitalières.

102) Quelques jours après la signature du protocole d'accord, la société Carboxyque santé a adressé à M. Winka la lettre suivante :

"Objet : protocole d'accord

Monsieur,

Faisons suite à nos précédents entretiens, nous vous communiquons la liste des établissements de soins publics ou privés, répartis sur la zone géographique déterminée en article 1, pour lesquels votre prospection est libre dans le domaine des réseaux neufs (hors appels d'offres)".

F - LES GRIEFS NOTIFIÉS

103) Les griefs suivants ont été notifiés et maintenus au stade du rapport :

1. Les accords généraux de répartition de marchés et d'entente sur les prix

104) Il est reproché aux sociétés CFPO puis Air liquide santé, d'une part, et aux sociétés Carboxyque française puis Carboxyque santé, d'autre part, d'avoir conclu des accords généraux de répartition de marchés et d'entente sur les prix et d'avoir ainsi enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. Les concertations ponctuelles lors des appels d'offres organisés par les Hospices civils de Lyon, le centre hospitalier d'Avranches-Granville et le CHU de Grenoble

105) Il est reproché aux sociétés CFPO, Carboxyque française et Carboxyque santé, de s'être concertées pour se répartir les marchés des hospices civils de Lyon et aux sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Avranches-Granville et par le centre hospitalier universitaire de Grenoble. Ces pratiques sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

3. Les concertations avec les partenaires dans le secteur des réseaux de fluides médicaux

106) Il est reproché à la société CFPO puis à la société Air liquide santé de s'être concertées avec douze partenaires, les sociétés Technologies hospitalières Alsace, Technologies hospitalières Lorraine, Technologies hospitalières Flandres, Technologies hospitalières Île-de-France Sud, Technologies hospitalières Bourgogne, Technologies hospitalières Rhône-Alpes, Technologies hospitalières Bretagne, Technologies hospitalières Touraine, Technologies hospitalières Languedoc, Technologies hospitalières Auvergne-Limousin, Réalisations médicales et industrielles (RMI) et Driot et Cie en signant des protocoles d'accord contenant des clauses anticoncurrentielles. De même, il est reproché à la société Carboxyque santé de s'être concertée avec M. Winka. Ces pratiques concertées sont contraires aux dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

4. Les abus de position dominante dans le secteur des réseaux de fluides médicaux

107) Il est reproché aux sociétés CFPO, Air liquide santé et Carboxyque santé d'avoir abusé de leurs positions dominantes sur le marché des gaz médicaux et dans le secteur des réseaux de fluides médicaux. En signant des protocoles avec des installateurs qui bénéficiaient d'une très forte notoriété dans leur région, elles ont abusivement restreint la liberté commerciale des installateurs et les possibilités de recours à des sous-traitants pour leurs concurrents et ont renforcé leurs positions dominantes sur le marché des gaz médicaux et dans le secteur des réseaux de fluides médicaux. Ces pratiques sont contraires aux dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

5. Les remises liées

108) Il est reproché aux sociétés Carboxyque française, CFPO, Air liquide santé puis Air liquide santé France, en proposant des remises liées à l'attribution de plusieurs ou de la totalité des lots et des remises liées à l'importance des services, d'avoir abusé de leurs positions dominantes sur le marché des gaz médicaux et d'avoir enfreint les dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

6. Les destinataires des griefs

109) Compte tenu des modifications juridiques et structurelles qui ont affecté les entreprises entre la date des faits et celle de la notification de griefs, les pratiques relevées à l'encontre de la société CFPO, antérieurement au 30 juin 1995, ont été notifiées à la société Air liquide santé international et les griefs retenus à l'encontre de la société Carboxyque santé ont été notifiés à la société Air liquide santé France.

II - Sur la base des constatations qui précèdent, le conseil

A - SUR LA PROCÉDURE

110) Considérant qu'un grief a été notifié aux sociétés CFPO puis Air liquide santé, d'une part, et aux sociétés Carboxyque française puis Carboxyque santé, d'autre part, pour avoir conclu des accords généraux de répartition de marchés et d'entente sur les prix et avoir ainsi enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

111) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que le manque de clarté de l'énoncé initial du grief d'entente générale sur les prix affecte gravement leurs droits de la défense ; qu'elles font valoir sur ce point, qu'elles ont déduit de la mention de la page 22 de la notification de griefs selon laquelle "A la suite de l'adoption du statut de médicament, en 1993 et, surtout, en 1994, les prix des gaz médicaux ont beaucoup augmenté" que l'entente générale qui leur était imputée était circonscrite aux années 1993 et 1994 et qu'elles n'étaient donc pas poursuivies pour les faits s'étant déroulés lors des années postérieures ; qu'elles soutiennent que la rapporteure a reconnu dans son rapport la réalité de l'ambiguïté reprochée, en précisant que la phrase précitée aurait dû être ainsi rédigée "A la suite de l'adoption du statut de médicament, à partir de 1993 et, surtout, à partir de 1994, les prix des gaz médicaux ont beaucoup augmenté" ; qu'elles en déduisent que cette ambiguïté "vicie irrémédiablement" l'ensemble de la procédure ;

112) Considérant, en premier lieu, que pour décrire l'ensemble de l'affaire, la rapporteure a commencé par en exposer les prémices, dans un chapitre initial consacré à l'adoption du statut du médicament et à ses incidences sur le comportement des sociétés mises en cause ; que c'est dans ce chapitre que figure le paragraphe cité de la page 22 de la notification de griefs, rédigé de la manière suivante : "A la suite de l'adoption du statut de médicament, en 1993 et, surtout, en 1994, les prix des gaz médicaux ont beaucoup augmenté. L'enquête administrative n'a pas révélé de concertation sur les prix entre tous les fournisseurs de gaz. En revanche, elle a révélé que les sociétés CFPO et Carboxyque française étaient les initiateurs de ces hausses de prix et qu'elles s'étaient concertées pour imposer leurs augmentations de prix aux établissements de santé" ; qu'après cet exposé des prémices, la rapporteure a pris soin d'exposer, dans les chapitres suivants, la totalité de l'affaire ; que cette référence initiale aux augmentations de prix de 1993 et 1994 n'est en rien présentée comme correspondant aux effets des pratiques reprochées aux sociétés du groupe L'Air liquide dans les chapitres suivants ; qu'il n'est nullement indiqué, ni dans ce chapitre, ni dans la suite de l'exposé de l'affaire figurant dans la notification de griefs, que les ententes de prix entre les sociétés du groupe L'Air liquide ont eu pour effet des hausses de prix limitées aux années 1993 et 1994 ;

113) Considérant, en second lieu, que les pièces sur lesquelles s'appuie la rapporteure pour retenir le grief sont présentées par ordre chronologique dans le chapitre 5.1 de la notification de griefs, intitulé "Les accords généraux de répartition de marché et d'entente sur les prix" et correspondent aux documents présentés dans les points 50 à 59 de la présente décision ; que, comme le relèvent justement les sociétés du groupe L'Air liquide, ces pièces sont datées entre le 25 avril 1994 et le 25 mars 1996 ; que leur contenu concerne également ces trois années ; qu'il est clairement énoncé, à la suite des chapitres présentant ces documents, à la page 32 et à la page 33 de la notification de griefs, que : "Les documents présentés dans le chapitre précédent indiquent que, dès le mois d'avril 1994, les sociétés CFPO et Carboxyque française se sont concertées pour se répartir les marchés et coordonner leurs politiques tarifaires" ; que, le chapitre suivant de la notification de griefs intitulé "l'application de ces accords et les concertations lors de certains appels d'offres" regroupe des appels d'offres qui se sont déroulés en 1994 et 1995 ; que ces appels d'offres litigieux sont clairement identifiés par l'identité du responsable du marché et par la date du marché ; que la lecture complète de la notification de griefs - chapitre exposant les prémices de l'affaires et chapitres exposant l'ensemble de son déroulement - permettait donc de comprendre, sans aucune ambiguïté, que le grief d'accords généraux de répartition de marché et d'entente sur les prix concernait les années 1994, 1995 et 1996, sans que les parties puissent se prévaloir de la seule rédaction d'une seule phrase de cette notification, isolée de son contexte ;

114) Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la notification de griefs permettait aux entreprises mises en cause de discerner, précisément, les pratiques qui leur étaient reprochées, et plus particulièrement la période concernée par les accords généraux de répartition de marchés et d'entente sur les prix ; qu'il ne peut donc valablement être soutenu qu'ils n'ont pas été en mesure d'exercer leurs droits de la défense ;

B - SUR LA DÉFINITION DES MARCHÉS ET LA POSITION DES SOCIÉTÉS DU GROUPE L'AIR LIQUIDE SUR CES MARCHÉS

115) Considérant que le marché est le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande de produits et de services offerts; que le marché pertinent comprend les produits et les services offerts par l'entreprise en cause et les produits ou services substituables et géographiquement accessibles pour les clients de cette entreprise; que la détermination d'un marché doit procéder de l'examen des caractéristiques objectives du produit en cause mais aussi des conditions de concurrence et de structure de l'offre et de la demande sur le marché;

116) Considérant que la réglementation applicable aux gaz médicaux est différente de celle applicable aux gaz industriels; que, depuis que certains gaz médicaux sont considérés comme des médicaments, la filière des gaz médicaux est différente de celle des gaz industriels ; que les demandes des deux types de produits sont également distinctes; que les gaz médicaux ne se trouvent donc pas sur le même marché que les gaz industriels;

117) Considérant que, pour les hôpitaux, les différents gaz médicaux répondent à des usages spécifiques et ne sont pas substituables entre eux; que, toutefois, les appels d'offres regroupent généralement dans un ou plusieurs lots, la totalité ou plusieurs gaz médicaux ainsi que les services annexes;

118) Considérant que les fournisseurs de gaz médicaux sont susceptibles d'offrir à leur clientèle une gamme étendue, voire complète des gaz et des services dont elle a besoin; qu'ils considèrent que les gaz, les services annexes, les matériels et les installations sont liés; qu'il n'est pas contesté que ce marché faisant l'objet d'une réglementation spécifique nationale était, au moment des pratiques reprochées, de dimension nationale;

119) Considérant, en conséquence, que le marché pertinent est le marché national des gaz médicaux et des services annexes;

120) Considérant que la structure de l'offre et de la demande permet de considérer que les deux sociétés du groupe L'Air liquide interviennent sur le marché des gaz médicaux et des services annexes; que la société CFPO, puis la société Air liquide santé, détenaient entre 1992 et 1995 plus de 66 % du marché des gaz médicaux; qu'elles appartenaient à un groupe puissant, le groupe L'Air liquide; que la société CFPO était la première à s'être spécialisée, dès les années soixante, dans les gaz médicaux ; qu'elles bénéficiaient d'une très forte notoriété; qu'elles offraient la gamme de produits et de services la plus complète ; que, compte tenu de ces caractéristiques, la société CFPO, puis la société Air liquide santé, détenaient une position dominante sur le marché des gaz médicaux;

121) Considérant que la société Carboxyque française puis la société Carboxyque santé détenaient, entre 1992 et 1995, plus de 7 % du marché des gaz médicaux; que les deux sociétés du groupe L'Air liquide, les sociétés CFPO-Air liquide santé et Carboxyque française-Carboxyque santé étaient, pour chacune d'elles, détenues à près de 100 % par le groupe L'Air liquide, et qu'elles couvraient, ensemble, plus de 70 % du marché des gaz médicaux; qu'elles détenaient, conjointement, une position dominante sur le marché des gaz médicaux;

122) Considérant, en revanche, que les activités de construction et de maintenance des réseaux de fluides médicaux constituent des marchés connexes, mais distincts, de celui des gaz médicaux ; qu'en effet, les prestations sont de nature différente et se rapprochent de celles du second œuvre du bâtiment ; qu'en ce qui concerne la demande, les hôpitaux organisent des procédures spécifiques pour la construction des réseaux et, que s'agissant de l'offre, les fournisseurs de gaz se trouvent en concurrence avec plusieurs dizaines de petites entreprises régionales ; que dans la mesure ou la construction et la maintenance de ces réseaux nécessite une proximité géographique de l'intervenant, les marchés de réseaux de fluides médicaux sont de dimension régionale ; que les éléments figurant au dossier ne permettent pas de considérer que le groupe L'Air liquide se trouvait en position dominante sur ces marchés régionaux ;

C - SUR LES GRIEFS D'ACCORDS GÉNÉRAUX DE RÉPARTITION DES MARCHÉS ET D'ENTENTE SUR LES PRIX

Sur le comportement d'entreprises appartenant au même groupe lors de procédures de mise en concurrence

123) Considérant, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante, tant communautaire que nationale, les dispositions prohibant les ententes illicites ne s'appliquent pas, en principe, aux accords conclus entre des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, comme une société mère et ses filiales, ou les filiales d'une même société mère entre elles, ou comme les sociétés mères d'une filiale commune, si elles ne disposent pas d'une autonomie commerciale et financière, à défaut de volonté propre des parties à l'accord ; qu'en effet, en l'absence d'autonomie commerciale et financière, les différentes sociétés du groupe forment alors une unité économique au sein de laquelle les décisions et accords ne peuvent relever du droit des ententes ;

124) Considérant, en second lieu, qu'il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres ;

125) Considérant, en troisième lieu, qu'il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie commerciale, à l'occasion des mises en concurrence ou d'une mise en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre ;

126) Considérant, en revanche, que si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres ; mais que si ces offres multiples ont été établies en concertation, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, ces offres ne sont plus indépendantes; que, dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence; que cette pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel; qu'il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification de cette pratique que le responsable du marché ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations;

Sur la nature des accords entre les deux sociétés du groupe L'Air liquide

127) Considérant, en premier lieu, que les documents cités aux points 50 à 59 et 72 de la présente décision établissent que les sociétés CFPO puis Air liquide santé, d'une part, et les sociétés Carboxyque française puis Carboxyque santé, d'autre part, se sont concertées, au niveau des dirigeants de ces entreprises, pour élaborer une politique commerciale conjointe, déclinée, dans les deux entreprises en cause, en deux politiques commerciales coordonnées, adaptées aux caractéristiques de ces deux entreprises ; qu'elles ont en commun surveillé la mise en œuvre de ces politiques coordonnées, au cours des années 1994, 1995 et 1996, et qu'elles ont effectué régulièrement le bilan de cette coordination ; que la ligne directrice de cet accord a consisté à faire agir les deux entreprises comme "des alternatives réciproques et non des concurrentes" afin "d'optimiser les parts de marché et la marge du groupe" ;

128) Considérant que la déclinaison de cette politique globale entre les deux entreprises en cause a consisté, en premier lieu, en la mise au point d'un plan de répartition de la clientèle : elles ont convenu de ne pas démarcher ou faire de promotion chez les clients de l'autre, pour les clients qu'elles avaient décidé de conserver sans transfert, mais de se concerter sur les clients qui devaient être transférés de l'une à l'autre; qu'elles ont, en second lieu, déterminé des zones de développement géographique réciproques : il a été décidé que la société Carboxyque santé maintenait, ou renforçait, sa position en Île-de-France, dans la région lyonnaise et du Rhône, alors qu'elle devait se retirer de la région Ouest; qu'elles ont adopté, en troisième lieu, une pratique de protection concurrentielle grâce à une politique conjointe de prix : elles ont convenu d'adopter entre elles des niveaux de prix complémentaires, ceux de la société Carboxyque française-Carboxyque santé devant être inférieurs de 25 % environ à ceux de la société CFPO-Air liquide santé, de façon à conforter aux yeux de la clientèle l'idée que les prix plus élevés étaient justifiés par l'effet qualité dont témoignait l'engagement dans le statut pharmaceutique, plus marqué pour CFPO que pour Carboxyque, le montant de l'écart ayant été déterminé de façon à optimiser la probabilité que Carboxyque (et non la concurrence) récupère les clients de CFPO réticents à payer le coût de la qualité;

129) Considérant que le résultat de cette déclinaison spécifique aux deux entreprises de leur politique conjointe se heurtait, sur le terrain, à l'action des autres compétiteurs, à la volonté propre des responsables de marché, ou encore aux réticences des cadres locaux des deux entreprises à mettre en œuvre les directives concertées au sommet ; que les deux entreprises ont donc complété leur dispositif en établissant régulièrement des bilans de son résultat; que ces bilans consistaient à tenir le décompte des clients, en nombre, ou des marchés, en francs, conservés ou échangés entre les deux entreprises de façon à vérifier que le plan de répartition s'accomplissait selon l'objectif de maximiser la part de marché et la marge du groupe;

130) Considérant qu'il ressort des éléments relevés aux points 127, 128 et 129 que les entreprises CFPO et Carboxyque ont conjointement élaboré une politique commerciale commune, spécifiquement déclinée; que sa mise en œuvre a été conjointement élaborée dans le plus grand détail et ses résultats contrôlés en continu par les principaux responsables des deux entreprises afin qu'ils puissent corriger tout écart avec le plan conjointement établi; que ces pratiques visaient à répartir les marchés entre les deux entreprises dans le meilleur intérêt du groupe auquel elles appartenaient; que, comme il a été rappelé aux points 124 et 125, ces pratiques sont licites pour autant que, si la signature des marchés en question relève de la procédure gouvernant les marchés publics ou d'une procédure de mise en concurrence, les entreprises en cause ne déposent qu'une seule offre : leur offre commune;

131) Mais considérant, en second lieu, qu'il ressort des déclarations relevées au point 17 que les hôpitaux publics représentent plus de 60 % du chiffre d'affaires de la société CFPO - Air liquide santé ; que la société Carboxyque santé travaille exclusivement avec des hôpitaux et que 80 % de son chiffre d'affaires correspondent à des achats publics ; que la plupart des hôpitaux organisent une mise en concurrence pour choisir un fournisseur de gaz médical ; que, jusqu'en 1998, les deux sociétés du groupe L'Air liquide se sont présentées comme concurrentes et ont fréquemment répondu de manière apparemment indépendante aux mêmes appels d'offres; qu'il ressort de l'examen de vingt appels d'offres, organisés entre fin 1993 et début 1997, que les deux sociétés du groupe L'Air liquide ont déposé des offres présentées comme concurrentes pour dix-neuf de ces procédures (point 36) ; qu'alors même que les deux sociétés s'étaient réparti géographiquement les marchés en décidant que la société Carboxyque santé devait se maintenir ou renforcer sa position en région parisienne et dans la région lyonnaise, les deux sociétés du groupe L'Air liquide ont déposé des offres présentées comme concurrentes dans ces régions ; que, de même, les deux sociétés du groupe L'Air liquide ont déposé des offres présentées comme concurrentes pour le centre hospitalier de Saintes, alors qu'elles avaient décidé que la société Carboxyque devait se retirer de cette région ; qu'elles ont également déposé des offres présentées comme concurrentes pour les marchés sur lesquels elles avaient décidé de mener des actions de protection concurrentielle, comme par exemple à Arras et à Marseille ; que dans ces trois cas, l'offre apparemment concurrente n'a pas emporté le marché ; que ce n'est qu'en 1998, à la suite de la décision de fusionner les deux sociétés, que les deux sociétés ont informé les hôpitaux qu'elles ne répondraient plus en concurrence aux demandes du marché ;

132) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que les accords généraux qui leurs sont reprochés doivent être analysés comme des accords de répartition des tâches au sein d'un groupe et qu'ils n'avaient ni objet ni effet anticoncurrentiels ; qu'il s'agissait de rationaliser au sein du groupe l'activité des deux sociétés présentes dans le secteur des gaz médicaux en permettant qu'elles soient complémentaires ;

133) Mais considérant que le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause ne résulte pas du partage concerté des tâches au sein du groupe, utilisant au mieux la complémentarité des deux entreprises, mais de la contradiction entre, d'une part, l'abandon de l'autonomie commerciale dont témoigne l'adoption concertée, entre les deux entreprises, de plans complémentaires détaillés arrêtant le positionnement de leurs prix et le partage de leur clientèle, et, d'autre part, le retour à un comportement apparent d'autonomie commerciale lors des réponses aux appels d'offres sur les marchés publics par le dépôt d'offres concurrentes, présentées comme indépendantes, alors qu'elles résultaient directement de la concertation initiale; qu'en effet, comme il est rappelé ci-dessus aux points 125 et 126, dès lors que des offres apparemment substituables entre elles étaient présentées aux responsables des marchés par des entreprises se présentant en concurrence, ces offres ne devaient pas avoir été élaborées au sein d'une structure ayant convenu d'un partage complémentaire, précis et détaillé des tâches revenant aux composantes de cette structure ;

134) Considérant que les documents présentés dans les points 50 à 59 et 72 établissent que la concertation précise et détaillée sur les prix et la répartition de marchés entre les deux sociétés du groupe L'Air liquide, alors qu'elles déposaient ensuite des offres présentées comme concurrentes, avait pour objet de tromper les responsables des marchés, de se protéger de la concurrence extérieure, de justifier réciproquement auprès de la clientèle leurs politiques de prix, et donc de faire accepter aux hôpitaux des augmentations de prix importantes, au motif de l'adoption du statut de médicament ; que ces accords avaient un objet anticoncurrentiel ;

Sur les effets des pratiques

135) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que la pratique litigieuse n'aurait pas affecté de manière sensible la concurrence ; que bien qu'opérant sur le même marché, les deux sociétés n'étaient pas réellement concurrentes du fait du faible recoupement géographique entre elles et de l'importante différence existant entre les produits et services offerts par chacune d'elles ; que la pratique litigieuse a, pour l'essentiel, simplement entériné une situation de fait préexistante ; que plusieurs exemples montreraient que, dans les faits, la politique souhaitée par les responsables des filiales du groupe n'a pu être développée sur le terrain, les équipes commerciales n'ayant pas toujours tenu compte des instructions émises par leurs directions respectives ;

136) Mais considérant que la concertation des deux sociétés du groupe l'Air liquide a été mise en œuvre sur un marché pour lequel la demande se caractérise par une rigidité au changement de fournisseur et une faible élasticité aux prix ; que ces deux sociétés détenaient plus de 70 % du marché et que leur comportement a restreint la concurrence sur les marchés pour lesquels ces deux sociétés se sont présentées comme concurrentes ; que cette restriction n'a pu que favoriser l'établissement des prix au dessus de leur niveau concurrentiel ;

137) Considérant, de plus, qu'à partir de 1993 et 1994, les deux sociétés du groupe L'Air liquide ont lancé des campagnes de prix "statut pharmaceutique" pour augmenter leurs prix et leurs marges et qu'en coordonnant leurs stratégies, elles ont pu, plus facilement, imposer les augmentations de prix, non seulement pour les nouveaux contrats, mais également pour les contrats en cours ; qu'ainsi, les effets de la concertation peuvent s'apprécier, notamment, dans les résultats du "plan Diamant" ; qu'à cet égard, les documents présentés au point 47, indiquent, qu'à la fin du mois d'avril 1995, le plan Diamant a permis d'augmenter le chiffre d'affaires de 8 millions de francs ; que, dans un document du 27 mars 1997, il est indiqué que les augmentations de prix ont permis d'augmenter le chiffre d'affaires de 6 millions de francs en 1995 et de 10,8 millions de francs en 1996 ; que dans la note de M. Monié du 17 novembre 1995 (point 52), il est indiqué : "CS/CFPO participent à une campagne de prix statut pharmaceutique. Les manifestations les plus parlantes sont celles des marchés publics renouvelés : pour CS : aucun marché encore en renouvellement (hors HCL) et hors Ouest. Pour CFPO : 2 cas significatifs : HCL : gain de marge 2 millions ; Nancy : maintient d'une rentabilité élevée en air médical + delta prix gaz" ; qu'une autre note non datée, saisie dans les locaux de la société Carboxyque française (point 73), précise que la concertation entre les deux sociétés du groupe sur l'appel d'offres des Hospices civils de Lyon a permis une augmentation de prix de 17 % correspondant à environ 2 millions de francs de marge supplémentaire ; que les difficultés, parfois rencontrées par les entreprises en cause pour faire respecter par leurs équipes commerciales locales le plan conjointement établi, n'ont pas été telles qu'elles aient pu compromettre l'application de ce plan ; que dès lors, il ne peut être valablement soutenu que les pratiques relevées n'ont pas eu d'effet sensible ;

138) Considérant que cette concertation concernait deux sociétés représentant plus de 70 % du marché national des gaz médicaux, soit une partie substantielle du marché européen; qu'elle était susceptible de limiter l'accès aux appels d'offres organisés en France des entreprises appartenant aux autres États membres ; qu'une au moins de ces entreprises procédait à des importations de gaz comme le montre la pièce citée au point 12; que, dès lors, cette concertation a été susceptible d'affecter le commerce entre États membres;

139) Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que la concertation précise et détaillée portant sur les prix, sur la répartition géographique des marchés ainsi que celle des clientèles entre les deux sociétés du groupe L'Air liquide, qui déposaient ensuite des offres présentées comme concurrentes aux responsables des marchés publics, est contraire aux dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce;

D - SUR LE GRIEF DE CONCERTATIONS PONCTUELLES LORS DE CERTAINS APPELS D'OFFRES

Sur l'appel d'offres D'Avranches-Granville

140) Considérant qu'il est reproché aux sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Avranches-Granville ; que ce grief se fonde sur des télécopies échangées le 11 mars 1996 entre les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé (points 62 et 63) ;

141) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que le grief repose sur une télécopie qui n'évoquerait pas de transmission d'informations sur le prix du gaz ; qu'elles ajoutent qu'à supposer qu'un échange d'informations soit intervenu entre les entités du groupe L'Air liquide, cet échange a porté sur des éléments secondaires qui ne concerneraient pas l'objet fondamental du marché ;

142) Mais considérant que le grief ne repose pas sur une seule mais plusieurs télécopies ; que le 11 mars 1996, une semaine avant la date limite de remise des offres, M. Philippe Besson, directeur régional de la société Air liquide santé, a adressé à M. Gilles Domain, de la société Carboxyque santé, plusieurs télécopies relatives à la procédure organisée par le centre hospitalier d'Avranches-Granville ; que sur ces télécopies, reçues à 16 h 19 et 17 h 23, sont reportés des tableaux comportant, par produits, pour le centre hospitalier d'Avranche-Granville, des quantités, des prix "actuels" et des prix "politique 1996" ; qu'il s'agit de quantités et de prix concernant l'appel d'offres organisé par le centre hospitalier d'Avranches-Granville ; que, le même jour, à 16 h 55, M. Gilles Domain a adressé à M. Philippe Besson une télécopie dans laquelle il est indiqué : "Nos interlocuteurs sont M. Martinetti et Mme Noisseron, ils pilotent effectivement l'appel d'offres ; les quantités figurant dans les tableaux correspondent aux consommations 1995 ; les mises à disposition d'emballages sont réalisées aux conditions suivantes : loc. mensuelle, quelque soit le type de bouteille 50,20 FHT, contrat 5 ans, 1 990 FTTC" ;

143) Considérant que ces documents établissent que, le 11 mars 1996, les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé ont échangé des informations sur les prix qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Avranches-Granville ; qu'il ne peut valablement être soutenu que les prix sont des éléments secondaires d'une offre; que ces échanges d'informations ont limité l'indépendance des offres et restreint la concurrence sur ce marché;

144) Considérant que les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en échangeant des informations sur les prix qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Avranches-Granville;

Sur l'appel d'offres organisé par le centre hospitalier de Grenoble

145) Considérant qu'il est reproché aux sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par le centre hospitalier universitaire de Grenoble ; que ce grief repose sur les notes du cahier manuscrit de M. Nessali saisi dans les locaux de la société Carboxyque santé à Corbas (point 67) ;

146) Considérant que selon les sociétés du groupe L'Air liquide cette pièce montre que, à supposer que des contacts soient effectivement intervenus avant la remise des plis, Carboxyque santé n'avait pas vocation à soumissionner pour l'ensemble des lots et n'a, de fait, présenté une offre que pour les lots 3 et 4 ; que le lot 3 a été attribué à la société Air products ; qu'en l'absence de toute affectation sensible de la concurrence, aucun grief ne saurait être retenu ;

147) Mais considérant que les notes de M. Nessali établissent que, quatre jours avant la date limite de remise des offres, M. Guillemot, salarié de la société Air liquide santé, a communiqué à M. Nessali, de la société Carboxyque santé, les prix qu'il envisageait de déposer ; que ces échanges d'informations sur les offres, qui ont limité l'indépendance des offres nécessaire au bon fonctionnement de la concurrence, ont eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché ; qu'il ne peut être valablement soutenu que ces pratiques n'ont pas eu d'effet sensible dans la mesure où la société Air liquide santé était la seule à déposer une offre sur les lots 1 et 2, que les deux sociétés du groupe L'Air liquide se sont présentées comme concurrentes sur le lot 3 et que la société Carboxyque santé était seule à déposer une offre sur le lot 4 ;

148) Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés Air liquide santé et Carboxyque santé ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en échangeant des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par le centre hospitalier universitaire de Grenoble ;

Sur le marché des Hospices civils de Lyon

149) Considérant qu'il est reproché aux sociétés CFPO, Carboxyque française et Carboxyque santé de s'être concertées pour se répartir les marchés des Hospices civils de Lyon ; que ce grief se fonde sur la lettre de M. Icart du 27 mars 1995 (point 72) et une note, non datée, saisie dans les locaux de la société Carboxyque française (point 73) ;

150) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que la lettre de M. Icart ne renfermerait pas la preuve d'un accord destiné à provoquer une hausse de prix et qu'elle ne ferait que refléter l'existence de discussions entre CFPO et Carboxyque française dans le cadre de l'accord de répartition des tâches appliqué au sein du groupe L'Air liquide ; qu'au surplus, cette lettre exposerait des désaccords, sans que rien ne permette d'affirmer que les deux sociétés seraient parvenues à un accord ;

151) Mais considérant que la lettre de M. Icart, président de la société CFPO, à M. Deschandelliers, salarié de la société Carboxyque française, contient les mentions suivantes : "Vous m'avez demandé de porter la part réservée à Carboxyque à 4 millions de francs, alors que la répartition initiale la limitait à 2 millions de francs... Je souhaite que nous en restions à ce qui avait été initialement prévu pour les Hospices civils de Lyon et que la répartition soit donc d'un lot pour la Carboxyque et de trois lots pour CFPO" ; que cette lettre, antérieure au 7 avril, date à laquelle la commission d'appel d'offres a retenu la société CFPO, établit que les sociétés CFPO et Carboxyque française se sont concertées pour se répartir les marchés des Hospices civils de Lyon évalués à près de 11,5 millions de francs annuels et que la part de marché réservée à la société Carboxyque était de deux millions ; qu'en effet, les termes de cette lettre expliquent que cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique générale concertée de répartition des marchés et de transfert de clients entre les deux sociétés, l'objectif étant d'augmenter les prix et la marge du groupe ; que les sociétés CFPO et Carboxyque française ont chacune déposé des offres présentées comme concurrentes lors de la procédure organisée par les Hospices civils de Lyon ; que selon une note non datée saisie dans les locaux de la société Carboxyque française, la concertation sur cet appel d'offres a permis une augmentation de prix de 17 % correspondant à environ 2 millions de francs de marge supplémentaire ;

152) Considérant que les accords de répartition des lots entre les deux sociétés du groupe L'Air liquide avant le dépôt de leurs offres ne peuvent s'analyser comme un accord de répartition interne des tâches au sein du groupe puisque les deux sociétés ont déposé des offres présentées comme concurrentes; qu'en matière d'appel d'offres, les accords de répartition de marchés et les échanges d'informations sur les offres, antérieurement à la date où le résultat de la consultation est connu ou peut l'être, limitent l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence et réduisent la concurrence sur le marché concerné; qu'en l'espèce, la concertation entre les sociétés CFPO et Carboxyque française a bien eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence sur ce marché ;

153) Considérant qu'il est établi que les sociétés CFPO et Carboxyque française ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant pour se répartir le marché des Hospices civils de Lyon ; qu'en revanche, la société Carboxyque santé qui n'est entrée en activité que le 19 juin 1995, doit être mise hors de cause de ce chef ;

154) Considérant que les pratiques de concertation relevées à l'occasion de ces trois appels d'offres montrent comment l'accord général de répartition des marchés, consistant en une concertation précise et détaillée sur les prix et le partage des marchés pour tromper le responsable du marché en lui présentant des offres faussement concurrentielles, s'est poursuivie, dans ces trois cas particuliers, par des échanges spécifiques d'informations jusqu'au dépôt des offres, voire même après ce dépôt puisque, dans le cas de Lyon, le marché déclaré infructueux avait donné lieu à un marché négocié; que, cependant, ces pratiques, relevées à l'occasion des trois appels d'offres qui constituent la mise en œuvre des accords généraux de répartition des marchés conclus entre les entreprises, ne sauraient, sous peine de sanctionner deux fois la même pratique, donner lieu à des sanctions pour leurs auteurs;

E - SUR LE GRIEF D'ABUS DE POSITION DOMINANTE DANS LE SECTEUR CONNEXE DES RÉSEAUX DE FLUIDES MÉDICAUX

155) Considérant que la société CFPO s'est associée avec des partenaires répartis sur l'ensemble du territoire, qui assurent, pour ordre et pour le compte de CFPO, la réalisation de travaux de pose de canalisations de fluides médicaux et de matériels associés, ainsi que leur entretien, dans les établissements hospitaliers ; qu'avant cette association, la plupart des partenaires exécutaient en leur nom propre des marchés de pose de canalisations de fluides médicaux ou étaient sous-traitants de CFPO ; qu'en s'associant, la société CFPO a pris des participations dans le capital de sociétés communes comprises entre 10 et 100 % du capital et a signé avec la plupart de ses partenaires des protocoles ;

156) Considérant que les protocoles signés avec onze partenaires, les sociétés Technologies hospitalières et la société RMI, précisent que, pour les prestations d'études, de devis, de facturation, de travaux et de réception des installations de réseaux, à l'intérieur d'un territoire défini dans les protocoles, les partenaires ont l'exclusivité des prestations CFPO ; qu'ils travaillent pour ordre et pour le compte de la société CFPO ; qu'en retour, les partenaires ne peuvent exécuter ces mêmes prestations, dans le secteur médical, que pour la société CFPO, exclusivement ; que, pour ces mêmes prestations effectuées en dehors du domaine médical, les partenaires ne peuvent pas travailler avec une autre entreprise qui exerce son activité, directement ou indirectement, en France ou à l'étranger, dans le domaine médical ; qu'en conséquence, dans le secteur médical ou hors du domaine médical, les partenaires ne peuvent pas travailler avec les autres fournisseurs de gaz qui exercent tous leur activité, directement ou indirectement, dans le domaine médical ; qu'ainsi, les partenaires de la société CFPO, qui bénéficient d'une exclusivité, ne peuvent pas être en concurrence entre eux lorsqu'ils travaillent pour le compte de la société CFPO, et que, dans le domaine médical ou hors du domaine médical, ils ne peuvent pas travailler pour les concurrents de la société CFPO ;

157) Considérant que le protocole qui a été signé, en septembre 1991, entre la société CFPO et la société Driot et Cie est légèrement différent ; que toutefois, on retrouve dans ce protocole un territoire dans lequel la société Driot et Cie bénéficie de l'exclusivité des travaux CFPO pour certaines prestations et l'engagement de la société Driot et Cie de travailler à titre exclusif pour la société CFPO en ce qui concerne ces mêmes prestations, les exceptions étant précisément énoncées dans le contrat ;

158) Considérant qu'aux termes du protocole signé entre la société Carboxyque santé et M. Winka, ce dernier détient l'exclusivité des prestations confiées par la société Carboxyque santé sur son territoire ; qu'il doit travailler exclusivement pour la société Carboxyque santé dans le domaine médical et ne peut travailler pour les autres fournisseurs de gaz industriels hors du domaine médical ;

Sur l'objet et l'effet anticoncurrentiel des clauses d'exclusivité

159) Considérant que les clauses d'exclusivité figurant dans les protocoles régissant les rapports des entreprises CFPO, Air liquide santé et Carboxyque avec certaines entreprises d'installation et entretien des réseaux des fluides médicaux rendent rigide et pérenne le lien formé entre les entreprises "fournisseur de gaz" et "installateur"; qu'une fois ce lien établi, la rigidité dont il est assorti entraîne nécessairement que des responsables hospitaliers qui décident de changer de fournisseur de gaz doivent simultanément changer d'entreprise d'installation ou d'entretien; que les déclarations figurant au dossier (point 49), recueillies auprès des responsables hospitaliers, montrent le souci de ces derniers d'éviter toute prise de risque à l'égard des malades lors du basculement du fournisseur - et de ses installations - ancien vers le fournisseur - et ses installations - nouveau ; que ce risque est l'élément déterminant de la situation de "client captif" de l'hôpital vis-à-vis de son fournisseur de gaz;

160) Considérant, en conséquence, que créer artificiellement, en cas de changement de fournisseur, la nécessité de changer aussi l'entreprise en charge d'installer, voire d'entretenir, le réseau des fluides, alors qu'elle connaît ces installations et est habituée à les entretenir, constitue un élément d'aggravation du risque auquel sont sensibles les responsables hospitaliers; que cette hausse du risque renforce le degré de "captivité" du client qu'est l'hôpital vis-à-vis de son fournisseur de gaz ; que cette pratique a pour objet d'ériger des barrières à l'entrée sur les marchés des gaz médicaux; que, mise en œuvre par un groupe d'entreprises en position dominante, l'objet de cette pratique est anticoncurrentiel;

161) Considérant que les effets anticoncurrentiels des clauses d'exclusivité des protocoles concernent principalement le marché des gaz médicaux, et non le secteur des réseaux de fluides médicaux ; qu'en effet, le secteur des réseaux de fluides médicaux est atomisé et comporte un grand nombre de petites entreprises susceptibles d'intervenir dans ce domaine ; qu'en revanche, le marché des gaz médicaux est un marché oligopolistique sur lequel intervenaient principalement trois fournisseurs, les deux sociétés du groupe L'Air liquide et la société Aga médical ; que les deux sociétés du groupe L'Air liquide détenaient plus de 70 % du marché et occupaient, ainsi qu'il a été relevé précédemment, une position dominante sur le marché ; qu'en signant des protocoles contenant des clauses d'exclusivité avec treize partenaires répartis sur l'ensemble du territoire, dont certains bénéficiaient, selon les termes de la note de M. Genevois, salarié de la direction juridique de la société CFPO (point 94), d'une haute compétence et d'une notoriété locale, les sociétés CFPO, Air liquide santé et Carboxyque santé ont renforcé les barrières à l'entrée et leur position dominante sur le marché des gaz médicaux par des moyens excédant les limites d'un comportement compétitif normal et d'une concurrence légitime;

162) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide soutiennent que l'exclusivité ne procéderait pas d'une volonté de fausser la concurrence, mais de la nécessité d'épouser l'évolution du marché et de répondre aux attentes des clients ; que l'exclusivité procéderait d'une logique strictement sécuritaire et qualitative dont le Conseil ne saurait contester la légitimité ; qu'en séance, elles ont fait valoir à cet égard que dans une décision n° 91-D-29, relative à des pratiques d'entente dans le cadre des échanges de bouteilles de gaz destinées aux particuliers, le Conseil de la concurrence avait admis que des impératifs de sécurité conduisaient à faire application de l'exemption prévue par les dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elles soutiennent encore que les clauses d'exclusivité étaient nécessaires pour sauvegarder la confidentialité du savoir faire transmis par les sociétés du groupe l'Air liquide aux entreprises chargées de l'installation des réseaux ; qu'elles ajoutent que ce type de clause n'aurait pu générer une quelconque affectation sensible de la concurrence dans la mesure où l'offre est atomisée et où les fournisseurs de gaz disposent toujours d'un vaste choix de sous-traitants susceptibles de devenir leurs partenaires, un grand nombre de plombiers pouvant intervenir dans ce domaine ; qu'il n'est, selon elles, enfin, pas démontré que l'effet cumulatif de ces protocoles a fermé l'accès au marché pour de nouveaux concurrents ;

163) Mais considérant, en premier lieu, que dans l'affaire citée par les parties, l'exclusivité considérée comme anticoncurrentielle par le Conseil avait pour effet de ne pas transférer sur les particuliers des obligations et des responsabilités dont ceux-ci n'avaient pas connaissance et qu'ils n'étaient pas en mesure d'assumer ; qu'en l'espèce, il n'existe aucun lien entre l'exclusivité prévue dans les protocoles et la qualité, ainsi que la sécurité, des prestations effectuées par les opérateurs ; qu'en effet, il n'est aucunement démontré en quoi l'exclusivité garantirait la compétence des partenaires, alors que de nombreux autres moyens, comme par exemple la sélection et la formation des partenaires, permettent d'atteindre ces objectifs légitimes ; que, d'ailleurs, les protocoles contiennent d'autres dispositions propres à assurer le niveau de la compétence des prestataires et la fiabilité du réseau, prévues par l'article 5, relatif au transfert de connaissances, et par l'article 6, relatif à la formation et à l'agrément du personnel ; qu'enfin, la préoccupation de sécurité n'est jamais mentionnée dans les documents figurant au dossier, qui font état de l'exclusivité, alors qu'en revanche, il ressort de la note du service juridique de la société CFPO, saisie dans le bureau de M. Deloche et citée au point 95 que "(...) l'exclusivité à laquelle sont tenus les mandataires et la prise de participation de CFPO dans le capital des sociétés communes, est apparu comme un gage de fidélité des partenaires".

164) Considérant, en deuxième lieu, que les clauses d'exclusivité ne sauraient être justifiées par la nécessité de garantir la confidentialité du savoir-faire puisque la confidentialité du savoir-faire est assurée par l'article 8 du protocole en cause qui prévoit expressément que les sociétés Technologies hospitalières s'engagent à n'utiliser les informations communiquées par CFPO que pour la seule exécution de l'accord et s'engagent à ne pas divulguer ces informations dès la prise d'effet de l'accord jusqu'à l'échéance de 5 ans à compter de la date de fin de l'accord ;

165) Considérant, en troisième lieu, que les documents saisis dans le bureau de M. Deloche exposent les raisons pour lesquelles la société CFPO souhaitait contrôler le marché de la construction de réseaux (point 96) ; que dans ces documents, il est indiqué : "C'est un rempart à une certaine concurrence gaz. Si CFPO ne contrôlait pas 50 % du marché, le marché serait animé par une trentaine de PME =>guerre sur les prix... Partenariat actuel (Avantages) : limitation de la concurrence en chantier, contrôle de la qualité des prestations, contrôle du marché des services" ; qu'il résulte de ces termes que la limitation de la concurrence et le contrôle du marché des services sont analysés comme le principal avantage du partenariat mis en place ; qu'une note interne de la société CFPO (point 94) précise : "les services constituent aussi une barrière d'entrée pour les concurrents dans les différentes activités de CFPO" ; que le contrôle de l'activité de certaines entreprises installant les réseaux de fluides médicaux, selon l'analyse même des entreprises qui le mettaient en œuvre, permet d'ériger des barrières à l'entrée pour les différentes activités, et donc sur le marché des gaz médicaux, permettant aux entreprises qui mettaient en œuvre ce contrôle de renforcer leur position dominante sur ce marché ;

166) Considérant que les clauses d'exclusivité ont renforcé la position dominante de sociétés détenant ensemble plus de 70 % du marché national des gaz médicaux, soit une partie substantielle du marché commun; que ces clauses d'exclusivité étaient susceptibles de limiter l'accès au marché français pour les entreprises appartenant aux autres États membres; qu'une au moins de ces entreprises procédait à des importations comme le montre la pièce citée au point 12; que, dès lors, ces clauses d'exclusivité étaient susceptibles d'affecter le commerce entre États membres;

167) Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés CFPO, Air liquide santé et Carboxyque santé ont enfreint les dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en signant avec leurs partenaires des protocoles contenant des clauses d'exclusivité anticoncurrentielles;

F - SUR LE GRIEF D'ENTENTE AVEC DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES RÉSEAUX DE FLUIDES MÉDICAUX

168) Considérant qu'un grief a été retenu à l'encontre des sociétés CFPO, Air liquide santé, Carboxyque santé, Technologies hospitalières Alsace, Technologies hospitalières Lorraine, Technologies hospitalières Flandres, Technologies hospitalières Île-de-France Sud, Technologies hospitalières Bourgogne, Technologies hospitalières Rhône-Alpes, Technologies hospitalières Bretagne, Technologies hospitalières Touraine, Technologies hospitalières Languedoc, Technologies hospitalières Auvergne-Limousin, Réalisations médicales et industrielles (RMI), Driot et Cie et M. Winka pour avoir signé des protocoles d'accord contenant des clauses anticoncurrentielles et avoir ainsi enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

169) Considérant que les sociétés du groupe L'Air liquide font valoir que les sociétés Technologies hospitalières, filiales de CFPO - Air liquide santé, ne disposeraient pas d'une autonomie suffisante pour que le droit des ententes soit applicable aux liens d'exclusivité les unissant ; que, de même, M. Winka fait valoir qu'il se trouve en étroite situation de dépendance à l'égard de la société Carboxyque santé et que son activité ne correspond pas à la définition donnée de l'entreprise par le droit de la concurrence ;

170) Considérant, en l'espèce, qu'en 1995 et en 1996, la société CFPO, puis la société Air liquide santé, détenaient entre 40 % et 100 % des parts sociales des sociétés Technologies hospitalières ; que, pour deux d'entre elles, cette participation était de 40 %, que pour huit d'entre elles, elle était supérieure à 50 % et qu'elle était de 100 % ou près de 100 % pour sept ; qu'il est, en outre, établi que la maison mère accordait régulièrement à ses filiales des concours financiers importants ; que la stratégie de ces sociétés était définie par leur maison mère dans le cadre de réunions de synergie destinées à arrêter des orientations stratégiques ; que la plupart de leurs responsables étaient issus du groupe L'Air liquide ; qu'enfin, la plupart de ces sociétés réalisaient la quasi totalité de leur chiffre d'affaires avec la société Air liquide santé ; que, dès lors, dans ces circonstances, il n'est pas établi que les sociétés Technologies hospitalières disposaient d'une autonomie suffisante pour pouvoir refuser de signer les protocoles ; qu'en conséquence, les accords conclus entre la société CFPO, puis la société Air liquide santé et les sociétés Technologies hospitalières n'entrent pas dans le champ d'application des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce ;

171) Considérant, en revanche, que le groupe L'Air liquide ne détenait pas de participation dans le capital des sociétés RMI et Driot et Cie, ainsi qu'à l'égard de l'entreprise de M. Winka ; que ces entreprises doivent être considérées comme autonomes ; que, toutefois, il convient de relever qu'il s'agit de petites structures implantées localement, et détenant de très faibles parts de marché dans le secteur des réseaux fluides médicaux où un grand nombre de petites entreprises sont susceptibles de répondre à la demande ; qu'en conséquence, les clauses d'exclusivité des contrats signés avec ces trois seules entreprises n'ont pas pu avoir d'effet sensible sur ce marché ;

172) Considérant, ainsi, qu'il n'est pas établi que les sociétés CFPO, Air liquide santé, Carboxyque santé, Technologies hospitalières (Alsace, Lorraine, Flandres, Île-de-France Sud, Bourgogne, Rhône-Alpes, Bretagne, Touraine, Languedoc, Auvergne-Limousin), Réalisations médicales et industrielles (RMI), Driot et Cie et M. Winka ont enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce en signant des protocoles d'accord contenant des clauses d'exclusivité ;

G - SUR LES GRIEFS D'ABUS DE POSITION DOMINANTE POUR LES REMISES LIÉES

173) Considérant que, lors des procédures de mise en concurrence pour l'attribution de marchés, organisées par sept centres hospitaliers, les sociétés Carboxyque française, CFPO et Air liquide santé ont proposé des remises liées à l'attribution de plusieurs lots, ou à la totalité du marché des gaz médicaux ; que cette pratique a concerné les marchés des centres hospitaliers d'Arras, de Saintes, de Cornouaille, de Meaux, du CHU de Besançon, de l'hôpital civil de Strasbourg et du CHU de Caen ; que la société CFPO a également proposé à la Centrale d'achats de l'hospitalisation privée des remises liées au montant des services ;

174) Mais considérant que la possibilité d'offrir des remises liées était expressément prévue par les divers règlements des marchés en cause ; que les entreprises qui ont offert ces remises n'ont fait que s'y conformer ; qu'aucun élément du dossier ne laisse penser que les remises offertes auraient été anormales ou auraient dissimulé des comportements anticoncurrentiels empêchant les hôpitaux de s'approvisionner auprès des concurrents des sociétés du groupe L'Air liquide ; qu'il n'est donc pas établi que ces remises ont constitué des pratiques abusives, restreint la concurrence ou renforcé la position dominante des deux sociétés du groupe L'Air liquide sur le marché des gaz médicaux et qu'elles ne constituent donc pas des infractions aux dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

H - SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

175) Considérant, ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, notamment de l'arrêt Enichem Anic du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 17 décembre 1991, que lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction ;

176) Considérant qu'en cas de fusion ultérieure de la société responsable de l'exploitation avec une autre société, cette fusion, qui peut résulter soit de la création d'une société nouvelle soit de l'absorption de la société responsable par une autre société, entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine actif et passif aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération, et que la société nouvelle ou la société absorbante répond, dès lors, des infractions commises antérieurement à cette date par la société partie à la fusion ; que, si entre le moment où l'infraction a été commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement, sans que cette disparition se soit accompagnée de la transmission universelle de ses droits et obligations à une autre personne, il convient de localiser, dans un premier temps, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble, afin d'éviter qu'en raison de la disparition de la personne responsable de son exploitation au moment de l'infraction, l'entreprise ne puisse pas répondre de la commission de celle-ci ;

177) Considérant, en l'espèce, que la société Carboxyque française n'a exercé son activité dans le secteur des gaz médicaux que jusqu'au 19 juin 1995, mais a continué d'exister juridiquement après cette date ; qu'elle doit se voir imputer les pratiques auxquelles elle a participé jusqu'à cette date ;

178) Considérant que la société Carboxyque santé a été créée le 2 décembre 1994 et a exercé une activité dans le secteur des gaz médicaux entre le 19 juin 1995 et le 19 mai 1998, date à laquelle elle a fusionné avec la société Air liquide santé ; que cette dernière s'est dénommée ultérieurement Air liquide santé France ; que les pratiques mises en œuvre par la société Carboxyque santé doivent donc être imputées à la société Air liquide santé France qui a repris ses droits et obligations ;

179) Considérant que la société CFPO a exercé une activité dans le secteur des gaz médicaux jusqu'au 30 juin 1995, date à laquelle l'ensemble de son activité a été transféré vers une autre société qui s'est appelée, dans un premier temps, Air liquide santé ; que, toutefois, la société CFPO a continué à exister après le transfert d'activité et qu'elle se dénomme aujourd'hui Air liquide santé international ; qu'en conséquence, les pratiques mises en œuvre par la société CFPO, jusqu'au 30 juin 1995, doivent être imputées à la société Air liquide santé international ;

180) Considérant, qu'à compter du 30 juin 1995, la société Air liquide santé, qui exerçait, alors, une activité de chimie, a repris l'activité gaz médical de la société CFPO, ainsi que sa dénomination ; qu'à compter du 1er janvier 1996, cette société CFPO a repris la dénomination Air liquide santé, puis, à compter du 3 août 1998, a fusionné avec la société Carboxyque santé et a pris la dénomination Air liquide santé France ; que dès lors, les pratiques mises en œuvre entre le 30 juin 1995 et le 1er janvier 1996 par la société CFPO, puis entre le 1er janvier 1996 et le 3 août 1998, par la société Air liquide santé, qui constituent, sous une dénomination différente, la même personne morale, doivent être imputées à la société Air liquide santé France ;

III - Sur les sanctions

181) Considérant que les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ; que, par suite et en vertu du principe de la non-rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables ;

182) Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non-exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490,17 euro" ;

Sur la gravité des faits et le dommage à l'économie

183) Considérant que les pratiques relevées ont concerné les achats d'établissements hospitaliers ; que les gaz médicaux sont des produits à la fois indispensables à la vie des malades et sans substituts de sorte que l'élasticité de leur demande à leur prix ne peut être que des plus faibles; que la demande se caractérise par une rigidité au changement de fournisseur de sorte qu'une fois le choix d'un fournisseur effectué, l'hôpital se trouve, dans une certaine mesure, en situation de "client captif", situation de nature à rigidifier les situations acquises; qu'il s'agit de médicaments dont le coût est intégralement pris en charge par les organismes de sécurité sociale, ce qui garantit au fournisseur une totale solvabilité de la demande;

184) Considérant que, eu égard aux caractéristiques qui viennent d'être rappelées, un respect scrupuleux des règles de la concurrence était particulièrement nécessaire lors du choix des fournisseurs par les demandeurs, c'est-à-dire lors de la passation des marchés publics, car la concurrence, lors de la passation de ces marchés, constituait le seul frein susceptible d'empêcher une hausse excessive des prix, s'agissant de produits, d'une part, indispensables, et, d'autre part, non soumis aux contraintes usuelles que constituent la solvabilité de la demande et sa réaction à la baisse en cas de hausse des prix;

185) Considérant, en conséquence, qu'il est particulièrement grave que les deux principales filiales médicales du groupe L'Air liquide, en position dominante, aient faussé cette concurrence en mettant en œuvre une politique générale de tromperie des responsables hospitaliers en leur laissant croire, par le dépôt d'offres apparemment en concurrence, que la procédure du marché public pouvait se dérouler de façon fructueuse, alors qu'en réalité, ces offres avaient été concertées pour les tromper;

186) Considérant que la pratique, consistant pour deux opérateurs en situation dominante à fermer par des clauses d'exclusivité le marché connexe de l'installation et de l'entretien des réseaux de fluides médicaux, avait pour objet d'élever les barrières à l'entrée sur le marché des gaz médicaux ; que cette pratique a contribué à ce que, très souvent, les deux filiales en cause se trouvaient être les seules compétiteurs sur le marché ; que cette circonstance a renforcé l'efficacité de la tromperie qu'elles exerçaient à l'encontre des responsables hospitaliers ; que cette seconde pratique renforce la gravité de la première ;

187) Considérant que les concertations ponctuelles prolongeant la concertation générale, mises en évidence lors des appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Avranches Granville, le CHU de Grenoble et les Hospices civils de Lyon correspondent à la mise en œuvre de cette concertation générale, de façon propre à éclairer complètement la pratique, mais sans ajouter à sa gravité ;

188) Considérant que cet ensemble de pratiques avait pour but "d'optimiser la marge du groupe L'Air liquide" mais que les données figurant au dossier ne permettent pas d'évaluer quantitativement le dommage à l'économie qui est la contrepartie du supplément de marge ainsi obtenu ; que, cependant, ce dommage peut être qualitativement caractérisé par l'importance du marché des gaz médicaux supérieur à trois milliards de francs au total pour les trois années concernées, et par la position dominante des deux entreprises en cause, plus de 70 % de part de marché ; qu'au surplus, la situation de "client captif" qui, dans une certaine mesure, est celle de l'hôpital vis-à-vis de son fournisseur de gaz en raison des risques et des coûts qu'implique un changement de fournisseur, n'a pu que prolonger les effets anticoncurrentiels analysés au-delà de la période des trois années concernées ;

Sur la situation de chacune des sociétés mises en cause

189) Considérant que la société Carboxyque française, qui a cessé son activité dans le secteur des gaz médicaux le 19 juin 1995, a enfreint les dispositions des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce en déposant des offres présentées comme concurrentes alors qu'elle s'était concertée avec la société CFPO ; que son chiffre d'affaires réalisé en France en 2001 s'est élevé à 85 432 467 euro ; qu'au vu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1,4 million d'euro ;

190) Considérant que la société Air liquide santé international vient aux droits et obligations de la société CFPO, pour les pratiques antérieures au 30 juin 1995 ; que la société CFPO a enfreint les dispositions des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce en déposant des offres présentées comme concurrentes alors qu'elle s'était concertée avec la société Carboxyque française ; qu'elle a abusé de sa position dominante en signant avec ses partenaires des protocoles contenant des clauses d'exclusivité anticoncurrentielles ; que le chiffre d'affaires de la société Air liquide santé international réalisé en France en 2001 s'est élevé à 16 379 605 euro ; qu'au vu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 285 000 euro ;

191) Considérant que la société Air liquide santé France vient aux droits et obligations de la société Carboxyque santé, qui a commencé son activité dans le secteur des gaz médicaux le 19 juin 1995 et a fusionné avec la société Air liquide santé le 19 mai 1998 ; que la société Carboxyque santé a enfreint les dispositions des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce en déposant des offres présentées comme concurrentes alors qu'elle s'était concertée avec la société Air liquide santé ; que la société Carboxyque santé a abusé de sa position dominante en signant avec M. Winka un protocole contenant des clauses d'exclusivité ;

192) Considérant que la société Air liquide santé France, qui s'est successivement appelée CFPO, Air liquide santé puis, à compter du 3 août 1998, Air liquide santé France a enfreint les dispositions des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce en déposant des offres présentées comme concurrentes alors qu'elle s'était concertée avec la société Carboxyque santé ; qu'elle a abusé de sa position dominante en signant avec ses partenaires des protocoles contenant des clauses d'exclusivité anticoncurrentielles ; que le chiffre d'affaires de la société Air liquide santé France réalisé en France en 2001 s'est élevé à 153 708 925 euro ; qu'au vu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 2,7 millions d'euro ;

193) Considérant que les responsables de la gestion du système hospitalier, en général, et les pharmaciens d'hôpital, en particulier, doivent être informés des pratiques des entreprises en cause ; qu'il y a lieu, en conséquence, de porter à la connaissance de ces responsables la décision du Conseil par la publication de ses parties II, titres B à G (points 115 à 174 inclus) et III (points 181 à 193 inclus), ainsi que de son dispositif, dans un quotidien d'information économique générale, Les Échos et dans une publication particulièrement destinée aux pharmaciens hospitaliers, Le Moniteur Hospitalier ;

DÉCIDE

Article 1 : Il n'est pas établi que les sociétés CFPO, Air liquide santé, Carboxyque santé, et leurs partenaires, les sociétés Technologies hospitalières, la société RMI, la société Driot et Cie et M. Winka, ont enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce en ayant signé des protocoles contenant des clauses d'exclusivité ;

Article 2 : Il n'est pas établi que les sociétés Carboxyque française, CFPO, Air liquide santé et Air liquide santé France ont enfreint les dispositions de l'article 82 du traité de Rome et l'article L. 420-2 du Code de commerce en proposant des remises liées à l'attribution de plusieurs ou de la totalité des lots et des remises liées à l'importance des services ;

Article 3 : Il est établi que les sociétés CFPO, Air liquide santé, Carboxyque française et Carboxyque santé ont enfreint les dispositions de l'article 81 du traité de Rome et de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant sur les prix et pour se répartir les marchés alors qu'elles ont déposé des offres présentées comme concurrentes, notamment, lors des appels d'offres organisés par les Hospices civils de Lyon, les centres hospitaliers d'Avranches-Granville et de Grenoble ;

Article 4 : Il est établi que les sociétés CFPO, Air liquide santé et Carboxyque santé ont enfreint les dispositions de l'article 82 du traité de Rome et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en ayant signé avec leurs partenaires des protocoles contenant des clauses d'exclusivité anticoncurrentielles ;

Article 5 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

à la société Carboxyque française : 1 400 000 euro

à la société Air liquide santé international : 285 000 euro

à la société Air liquide santé France : 2 700 000 euro

Article 6 : Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, les sociétés Carboxyque française, Air liquide santé international et Air liquide santé France feront publier les parties II, titres B à G (points 115 à 174 inclus) et III (points 181 à 193 inclus) de la présente décision, ainsi que le dispositif de celle-ci, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition du quotidien Les Échos et de la revue Le Moniteur hospitalier. Cette publication sera précédée de la mention : "décision n° 03-D-01 du 10 janvier 2003 du Conseil de la concurrence relative au comportement de sociétés du groupe L'Air liquide dans le secteur des gaz médicaux" ;