CA Reims, ch. soc., 5 novembre 1986, n° 86-4
REIMS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pruvot
Défendeur :
Ballart (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Crutz
Conseillers :
MM. Godefroy, Heintz
Avocats :
Mes Decarme, Cottereau
LA COUR, rend l'arrêt suivant :
Jim Pruvot est entré le 12 janvier 1981 au service de la société anonyme des Etablissements Ballart en qualité de VRP; ayant fait l'objet d'un licenciement (avec préavis) selon lettre en date du 21 mars 1985, il a saisi le 3 juin suivant le Conseil de prud'hommes de Reims d'une demande tendant, dans son dernier état, outre à la remise sous astreinte de 500 F par jour de retard d'un relevé de commissions (période de janvier à mai 1985), au paiement avec intérêt à compter du jour de la demande des sommes de :
1°- 45 000 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
2°- 3 576 F à titre de commissions,
3°- 357,60 F à titre d'indemnité compensatrice de congé payé (période du 1er au 25 juin 1985),
4°- 360 000 F à titre d'indemnité de clientèle,
5°- 240 000 F à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence,
6°- 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
7°- 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure, civile.
Par jugement du 20 novembre 1985 le conseil de prud'hommes a fait droit intégralement à la demande d'indemnité compensatrice de préavis (n°1 ci-dessus), a fait droit à concurrence de 1 061 F, 106,10 F et 142 729,20 F aux chefs de demande respectivement présentés sous les numéros 2°); 3°) et 5°), et a rejeté pour le surplus les prétentions de Pruvot, les dépens étant supportés par moitié par chacune des parties.
Le même jugement a rejeté une demande reconventionnelle présentée par les Ets Ballart qui, considérant que Pruvot avait fautivement refusé d'exécuter son préavis, sollicitaient paiement des sommes de 20 820,33 F pour inexécution du préavis, et de 40 000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
Pruvot a régulièrement interjeté appel de cette décision, mais uniquement en ce qui concerne les chefs de demande n° 4°) à 7°) et la demande de remise d'un relevé de commissions.
Au soutien de son recours il fait valoir :
- qu'il a été engagé en qualité de VRP (vente de luminaires) rémunéré à la commission selon convention du 9 janvier 1981, et que le 13 décembre 1982 a été signé un avenant instituant le versement d'une avance mensuelle sur commissions de 15 000 F (en deux fraction égales),
- qu'il avait été victime le 21 juillet 1965, alors qu'il se trouvait au service d'un autre employeur, d'un accident du travail qui a donné lieu à une rechute entraînant suspension du contrat de travail du 8 novembre 1984 au 9 janvier 1985; qu'il a repris son service le 10 janvier 1985, mais qu'une nouvelle rechute est intervenue le 25 février, entraînant un nouvel arrêt de travail se prolongeant jusqu'au 15 avril 1985.
- que son employeur, voulant se débarrasser de lui, l'a licencié le 21 mars,
- qu'à partir du mois de janvier 1985 les Ets Ballart ont violé la convention du 13 décembre 1982 en ne versant pas ponctuellement les sommes lui revenant - ce qui le mettait dans l'impossibilité de travailler - et en ne lui remettant que tardivement (31 janvier 1985) les catalogues nécessaires à ses activités,
- que le licenciement est intervenu au cours d'une suspension du contrat de travail due à une rechute d'accident du travail, et qu'en pareille hypothèse l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 novembre 1975 (plus favorable que l'article L. 122-32-10 du Code du travail - Loi du 7 janvier 1981) n'écarte pas le droit à indemnisation lorsque l'accident est survenu au service d'un autre employeur,
- qu'il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 mars 1985 et qu'il a demandé à son employeur par lettre recommandée avec avis de réception du 14 mars de différer cet entretien car, se trouvant en état de rechute d'accident du travail, il ne pouvait s'y rendre,
- que l'employeur a passé outre et l'a licencié par lettre recommandée avec avis de réception du 21 mars, au motif que son chiffre d'affaires avait baissé en 1984 et était pratiquement nul pour les deux premiers mois de 1985 et ce, alors que les autres VRP de l'entreprise augmentaient le leur,
- que selon la lettre recommandée avec avis de réception du 29 mars, Pruvot a contesté les motifs du licenciement, faisant valoir que son chiffre d'affaires, lorsqu'il était en activité progressait de 5 % d'année en année (abstraction faite des périodes d'arrêt de travail) et ce alors que le bilan de la société montre que le chiffre d'affaires de celle-ci a baissé de près de 2 millions de francs en 1984 par rapport à 1983,
- que même en janvier et février 1985 il a réalisé un chiffre d'affaires HT supérieur à 450 000 F malgré le retard intervenu dans la remise des catalogues,
- qu'il n'a pu exécuter son préavis faute de trésorerie pour faire face aux frais de tournée, et ce, parce que ses avances sur commissions lui ont été supprimées,
- que cette inexécution est, en toute hypothèse postérieure au licenciement et ne peut être prise en compte dans l'appréciation du caractère abusif ou non de celui-ci,
- qu'en fait il s'agit bien d'un licenciement abusif, procédant de la volonté de nuire, et que la décision des premiers juges, qui sera confirmée en ce qu'elle a accordé à Pruvot une indemnité compensatrice de préavis de 45 000 F, soit trois mois de salaire, conformément aux dispositions de l'accord national interprofessionnel, sera, au contraire infirmée en ce qu'elle a refusé de faire droit à sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif, soit 200 000 F, somme qui n'est nullement exagérée au regard du préjudice subi, alors surtout que Pruvot n'a jamais reçu les documents lui permettant de s'inscrire à l'ANPE,
- qu'en ce qui concerne l'indemnité de clientèle les trois conditions exigées pour en bénéficier sont réunies; que les deux premières sont évidentes, savoir : rupture incombant à l'employeur et absence de faute grave de la part du représentant,
- que la troisième, c'est à dire la justification par le représentant qu'il a apporté ou créé une clientèle, ou qu'il a développé une clientèle préexistante, l'est également ainsi qu'il en est justifié par la production des listings de clients département par département,
- que pour ce qui est de la clause de non-concurrrence, l'article 17 de l'accord interprofessionnel prévoit que l'employeur peut dispenser le VRP de l'exécution de cette clause, en l'en prévenant par lettre recommandée avec avis de réception dans les 15 jours de la notification de la rupture,
- que tel n'a pas été le cas en l'espèce, et que Pruvot est fondé à réclamer une indemnité égale aux 2/3 d'un mois de salaire pendant deux années,
- qu'enfin, il était d'usage que l'employeur, trois fois par an, remette aux VRP un relevé de facturations; qu'en dépit de maintes réclamations Pruvot n'a pas reçu les relevés couvrant la période de janvier à mai 1985, sinon un relevé partiel (avril à juin).
Et Pruvot demande à la cour : de confirmer les condamnations d'ores et déjà prononcées par les premiers juges, en portant à 230 408,40 F celle qui est relative à la contrepartie pécuniaire de l'exécution de la clause de non-concurrence, de condamner les Ets Ballart au paiement des sommes de 360 000 F (indemnité de clientèle), 200 000 F (dommages et intérêts pour licenciement abusif) et 6 000 F (sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile), d'ordonner, enfin, sous astreinte de 500 F par jour de retard, la remise des relevés de commissions relatifs à la période de janvier à mai 1985.
Les Etablissements Ballart répondent selon conclusions contenant appel incident :
- que Pruvot s'est trouvé en rechute d'un accident du travail ancien du 8 novembre 1984 au 2 janvier 1985; qu'à cette date il a fait parvenir un avis de prolongation d'interruption de travail jusqu'au 16 janvier,
- qu'à la réception de l'avis de prolongation les Ets Ballart ont avisé Pruvot qu'il serait pourvu à son remplacement au salon du luminaire se tenant à Paris du 9 au 14 janvier mais que Pruvot s'est empressé de se faire délivrer une fiche d'aptitude médicale lui permettant d'assurer le service du salon,
- que le 16 janvier il a été demandé à Pruvot de fournir, d'une part, le découpage de son secteur par tournées jusqu'au 30 juin, d'autre part, hebdomadairement, un rapport très détaillé de ses activités journalières,
- que Pruvot a opposé un refus à cette demande et que par un nouveau courrier du 25 janvier il a été prié de fournir à tout le moins les dates approximatives de ses passages dans les différents secteurs (pour pouvoir renseigner téléphoniquement les clients intéressés), ainsi qu'un rapport hebdomadaire; que le même courrier invitait Pruvot à s'engager à travailler cinq jours par semaine,
- que selon lettre du 28 janvier, Pruvot, tout en ne répondant pas aux questions posées, a fait savoir qu'il refusait d'exécuter les ordres reçus,
- que le 30 janvier ont été transmis à Pruvot les nouveaux catalogues (reçus tardivement par les Ets Ballart) ainsi qu'un rappel des instructions antérieures,
- que pour toute réponde les Ets Ballart ont reçu notification d'un nouvel arrêt de travail de 30 jours ultérieurement prolongé jusqu'au 11 mars,
- que le 12 mars les Ets Ballart ont convoqué Pruvot à un entretien préalable convocation à laquelle il a été répondu par la notification d'un nouvel arrêt de travail de 30 jours, c'est-à-dire jusqu'au 11 avril 1985,
- que le 13 mars a été adressée à Pruvot une avance sur commissions avec rappel que, conformément aux dispositions de l'avenant du 13 décembre 1982, vu la baisse de chiffre d'affaires il ne lui en serait pas adressé d'autres,
- que Pruvot a accusé réception de ce courrier par lettre du 15 mars dans laquelle on peut lire ces propos particulièrement irrespectueux : " Permettez moi de vous dire que vous ne manquez pas de souffle... ",
- que Pruvot a été licencié selon lettre recommandée avec avis de réception du 21 mars 1985 vu la baisse de son chiffre d'affaires, et a été invité à exécuter son préavis de trois mois dans la mesure où son état de santé le permettrait, qu'il a contesté le motif du licenciement par lettre du 29 mars,
- que par courrier du 18 avril Pruvot, en dehors de toute prolongation d'arrêt de travail, a notifié à son employeur son refus d'exécuter le préavis et sa décision de rompre le contrat de travail,
- que la loi du 7 janvier 1981 instituant une protection spéciale pour les salariés victimes d'un accident du travail ne s'applique pas lorsque l'accident est survenu alors que le salarié était au service d'un autre employeur comme c'est le cas en l'espèce (article L. 122-32-10 du Code du travail),
- que d'autre part le chiffre d'affaires des Ets Ballart est en constante augmentation (en francs constants),
- que le chiffre d'affaires de Pruvot, quant à lui, a progressé de 2,47 % de 1981 à 1984, ce qui équivaut à une baisse en francs constants alors surtout qu'il bénéficiait du secteur potentiellement le plus fructueux,
- que les collègues de Pruvot ont réalisé, par exemple, de 1982 à 1984, une augmentation de chiffre d'affaires se situant entre 7 % et 15 %,
- que plus spécialement au cours du premier trimestre 1985, le chiffre d'affaires de Pruvot a été inférieur de près de 40 % à celui qu'il avait réalisé au cours du premier trimestre 1982,
- qu'en ce qui concerne les VRP, il est de principe que l'insuffisance des résultats constitue un motif légitime de licenciement; qu'en l'espèce s'ajoute le refus de respecter les ordres de la direction,
- que dès lors Pruvot doit être débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- qu'en ce qui concerne l'indemnité de clientèle il doit être rappelé qu'elle n'est pas due lors que la rupture n'est pas imputable à l'employeur,
- qu'en l'espèce le contrat ne devait être définitivement rompu qu'à l'expiration du délai de préavis, c'est-à-dire le 21 juin 1985 et que Pruvot qui devait reprendre le travail le 11 avril, a fait savoir le 18 avril qu'il refusait d'exécuter son préavis,
- que ce refus n'est pas imputable comme le prétend Pruvot, à un refus des Ets Ballart de régler les avances sur commissions, car les Ets Ballart se sont toujours ponctuellement acquis de leurs obligations à cet égard; que Pruvot a d'ailleurs été débouté par la formation de référé de la juridiction prud'homale d'une demande de provision sur de prétendues avances sur commissions - décision qui a été confirmée par la cour d'appel,
- qu'ainsi la rupture intervenue en cours de préavis est imputable à Pruvot qui dès lors ne saurait prétendre à une quelconque indemnité de clientèle, indemnité exigible seulement à l'issue du préavis normalement exécuté,
- qu'en toute hypothèse le chiffre d'affaires apporté à Pruvot à l'époque de son embauche était de 1 246 318 F et n'a augmenté que de 2,4 % en 1983-84 alors que les tarifs ont augmenté de près de 8 %; que les résultats de l'intéressé ont été pires encore pendant la période du 1er septembre 1984 au 28 février 1985,
- que non seulement Pruvot n'a apporté aucune augmentation en valeur de la clientèle, mais que celle-ci a même diminué en nombre, passant de 171 à 132 clients,
- qu'enfin Pruvot doit être débouté des fins de sa demande de délivrance de relevés de commissions, tous renseignements utiles à cet égard lui ayant été communiqués au cours de la présente procédure.
En ce qui concerne l'appel incident :
- que la demande de Pruvot tendant à l'octroi d'une indemnité pécuniaire compensatrice de la clause de non-concurrence est irrecevable, car le délai de quinze jours fixé par l'article 17 de la convention collective n'est pas prévu à peine de forclusion, de sorte que les Ets Ballart sont parfaitement fondés à dispenser Pruvot de l'exécution de la clause de non-concurrence,
- que de plus la rupture du lien de travail par Pruvot en cours de préavis est constitutive d'une démission abusive excluant, à la différence d'une démission normale, tout droit à indemnité,
- que pour le cas où la cour admettrait le principe du droit à indemnité compensatrice, elle devrait restreindre ce droit à un tiers du salaire mensuel pendant deux années (soit 2 974,52 F par mois), comme le prévoit la convention collective en cas de démission, et non aux deux tiers dudit salaire qui ne sont dus qu'en cas de licenciement,
- qu'en ce qui concerne l'indemnité de préavis les premiers juges ont à tort fait droit à la demande de Pruvot, puisque celui-ci ne l'a pas exécuté, que de plus, au cas où une indemnité serait due à ce titre, elle devrait être calculée sur la base de 8 923 F par mois - soit le douzième de la somme de 107 083 F moyenne des gains des douze derniers mois - et non pas sur la base de 15 000 F par mois,
- qu'en outre au cas où la cour estimerait qu'il est dû un reliquat de préavis, celui-ci ne pourrait concerner que la période du 11 avril au 21 juin 1985, soit une somme globale de 20 830,33 F,
- qu'enfin les Ets Ballart sont bien fondés à solliciter reconventionnellement paiement des sommes de :
a) 20 830,33 F pour non-respect par Pruvot de son obligation d'exécuter son préavis, alors qu'il n'en était pas dispensé,
b) 40 000 F à titre de dommages et intérêts pour " rupture brutale du contrat de travail notifiée le 18 avril 1985 alors qu'il n'avait pas repris le travail depuis le 11 avril ".
Les Ets Ballart demandent à la cour d'infirmer la décision attaquée et de dire que Pruvot ne peut prétendre à aucune indemnité compensatrice de la clause de non concurrence ni à aucune indemnité de préavis, subsidiairement de ramener à 2 974,52 F par mois pendant deux années le montant de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence, et à 20 830,33 F le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, reconventionnellement de condamner Pruvot au paiement des sommes de 20 830,33 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 40 000 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du lien de travail, et 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi :
Attendu que Jim Pruvot, représentant au service des Ets Ballart depuis le 12 janvier 1981, a fait l'objet d'un licenciement avec préavis de trois mois selon lettre recommandée avec avis de réception du 21 mars 1985, aux motifs que son chiffre d'affaires était en baisse en 1984 et pratiquement nul en janvier février 1985 suite à un arrêt de travail, et ce, alors que le chiffre d'affaires de ses collègues était en hausse;
Attendu qu'à la suite de rechutes d'un accident du travail survenu en 1965, à une époque où il était au service d'un autre employeur, Pruvot a été en arrêt de travail du 8 novembre 1984 au 8 janvier 1985, puis du 25 février 1985 au 15 avril 1985, le tout justifié par des avis d'arrêt de travail ou de prolongation d'arrêt de travail successifs d'une durée moyenne de quinze jours;
Attendu que la protection particulière instituée en faveur des accidentés du travail par la loi du 7 janvier 1981 est exclue lorsque l'accident est survenu à une époque où le salarié était au service d'un autre employeur, comme c'est le cas en l'espèce, et que contrairement à ce que soutient Pruvot l'Accord National Interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 modifié ne contient aucune disposition dérogeant à la règle générale;
Attendu que le licenciement intervenu dans les conditions de l'espèce, après convocation à un entretien préalable prévu pour le 19 mars 1985, doit donc être considéré comme régulier en la forme;
Attendu que Pruvot soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, car son chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter depuis son entrée en fonctions, passant de 1 150 000 F HT environ en 1980 (à l'époque de son prédécesseur) à 2 135 825 F HT en 1984 (compte arrêté le 8 novembre); qu'en 1985, malgré ses interruptions de travail, et en dépit d'une remise tardive par les Ets Ballart des catalogues indispensables aux activités d'un VRP, il a néanmoins réalisé un chiffre d'affaires de 465 023 F;
Mais attendu que les Ets Ballart qui font observer que les chiffres bruts ne sont pas significatifs puisque ne tenant pas compte des hausses de prix intervenues entre 1980 et 1984, affirment que la progression du chiffre d'affaires de Pruvot n'a été que de 2,47 %, alors que ses collègues réalisaient au cours des exercices 1982-83 et 1983-84 des augmentations nettement plus considérables : Viard : 9,87 %; Dufrese 15 %; Blanc 7 %;
Attendu que s'il faut tenir compte pour apprécier l'activité de Pruvot en 1984, de l'interruption de travail de près de deux mois, il n'en est pas mois évident que l'absence prolongée d'un de ses représentants porte atteinte aux intérêts de l'entreprise, laquelle pouvait difficilement pourvoir au remplacement de l'intéressé, non seulement en raison de la spécificité de la mission du VRP, mais encore en raison de l'incertitude sur la durée de l'absence (justifiée, comme il a été dit plus haut, par avis successifs se joignant les uns aux autres) qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler à cet égard, que Pruvot bénéficiaire d'un arrêt de travail du 2 au 16 janvier 1985 et ayant appris que le Salon du Luminaire se tenait au 9 au 14 janvier s'est fait délivrer rapidement un certificat d'aptitude à la reprise du travail qui lui a permis d'être présent à l'ouverture du Salon;
Attendu, quoi qu'il en soit, qu'il est certain que les relations entre les parties se dégradaient nettement depuis le mois de décembre 1984, comme en font foi les très nombreuses correspondances échangées à partir de cette date, parfois sur un ton aigre-doux;
Attendu que compte tenu de l'importance du rôle de Pruvot au sein de l'entreprise, en sa qualité de représentant en charge de dix sept départements, on ne saurait tenir pour illégitime le licenciement intervenu dans les conditions sus-relatées, alors surtout que Pruvot avait manifestement perdu la confiance de son employeur;
Attendu que Pruvot, qui à la date du licenciement bénéficiait d'une prolongation d'arrêt de travail de 30 jours à compter du 11 mars 1985, a été invité à exécuter son préavis de trois mois " dans la mesure où son état de santé le lui permettrait " qu'il a avisé les Ets Ballart par courrier du 10 avril qu'il reprendrait ses activités le 16 suivant, les invitant en même temps à lui verser une avance sur commissions faute de quoi, étant dans l'impossibilité de financer ses frais de prospection, il ne pourrait exécuter son préavis;
Attendu que par un avenant au contrat de travail en date du 13 décembre 1982 il avait été convenu que Pruvot percevrait à titre d'avances sur commissions une somme forfaitaire de 15 000 F par mois, versée en deux fractions égales (le compte définitif étant effectué en principe, une fois par an);
Attendu que les Ets Ballart sont restés sourds à l'appel de Pruvot; qu'il doit être précisé ici d'une part que Pruvot avait déjà reçu le 10 janvier les somme de 8 336 F et 4 962 F et le 15 mars une avance de 10 000 F, d'autre part que l'accord du 13 décembre 1982 prévoyait la modulation de l'avance mensuelle en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires;
Attendu, ceci posé, que l'on ne saurait faire grief aux Ets Ballart de leur circonspection eu égard à l'accumulation des arrêts de travail de Pruvot, bien qu'à l'époque ce dernier fût encore créancier d'un solde de commissions relativement important (de l'ordre de 20 000 F bruts, semble-t-il);
Attendu que l'exposé ci-dessus, qui exclut toute idée de démission de la part de Pruvot en cours de préavis, amène à constater que par leur attitude, d'ailleurs dépourvue de toute intention de nuire, les Ets Ballart ont mis Pruvot dans l'impossibilité d'accomplir, son préavis - situation dont les conséquences doivent être assimilées à celles d'une dispense d'exécution du préavis;
Attendu que lorsque les frais de tournée sont incorporés dans les commissions comme c'est le cas en l'espèce, il est admis que l'évaluation forfaitaire de ces frais représente 30 % du montant des commissions;
Attendu que les Ets Ballart, au vu de documents non contestés, fixent à 107 083 F le montant des commissions nettes versées entre le 1er juin 1984 et le 30 juin 1985, (soit 8 923,58 F par mois en moyenne) et qu'il convient de retenir ce chiffre comme base de calcul des diverses indemnités dues à Pruvot;
Attendu qu'en conséquence de ce qui vient d'être exposé ci-dessus Pruvot est en droit de prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis relativement à la période du 16 avril au 21 juin 1985, soit 20 830,33 F, mais qu'il doit être débouté des fins de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif puisque celui-ci a été reconnu fondé sur une cause réelle et sérieuse;
Attendu que l'indemnité de clientèle a pour but de réparer le préjudice que cause au VRP son départ de l'entreprise en lui faisant perdre pour l'avenir le bénéfice de la clientèle apportée, créée ou développée; qu'il est de principe que l'accroissement doit exister en nombre et en valeur, sans qu'il soit tenu compte de l'élévation d'un chiffre d'affaires résultant de la hausse des prix, et que c'est au représentant de prouver qu'il a apporté ou créé une clientèle susceptible de renouveler ses commandes dans un avenir proche;
Attendu que face aux prétentions de Pruvot les Ets Ballart opposent, documents à l'appui, d'une part, que le nombre de clients existant à l'entrée en fonction de Pruvot était de 178, et que ce nombre est tombé à 144 à la fin de l'année 1984, et d'autre part qu'il n'y a eu aucune augmentation en valeur, car l'augmentation du chiffre d'affaires a été inférieure à l'augmentation des tarifs;
Attendu que Pruvot, qui s'appuie sur des documents personnels non susceptibles de vérification, n'a émis aucune contestation précise quant à la véracité des pièces et chiffres fournis par son adversaire; que force est de considérer qu'il n'a pas rapporté la preuve d'une augmentation - grâce à son action - de la clientèle, et que dès lors doit être confirmée la décision des premiers juges en ce qu'elle l'a débouté des fins de sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle;
Attendu que l'article 15 du contrat de travail contient la clause suivante : " en cas de rupture du présent contrat pour quelque " cause que ce soit Jim Pruvot s'interdit de s'intéresser directement ou pour le compte d'un tiers à une entreprise concurrente. Cette interdiction s'appliquera pendant les deux années " qui suivront la rupture; ses effets sont limités au secteur de Jim Pruvot ";
Attendu qu'aux termes de l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel des VRP l'employeur peut dispenser le VRP de l'exécution de la clause de non-concurrence à condition de l'en aviser par lettre recommandée avec avis de réception dans les quinze jours de la lettre de licenciement ou de constatation de la rupture;
Attendu que n'est pas allégué en l'espèce l'envoi d'une telle lettre et que dès lors en application du même texte, les Ets Ballart sont tenus de verser à Pruvot pendant deux années une " contrepartie pécuniaire mensuel le spéciale " égale aux deux tiers de la rémunération mensuelle des douze derniers mois;
Attendu que cette contrepartie, qui cesse d'être due en cas de violation par le VRP de la clause de non concurrence, (sans préjudice de dommages et intérêts) n'est ipso facto exigible que mois après mois, à terme échu; qu'en l'espèce, en l'absence de toute allégation de violation par Pruvot de ses obligations elle est d'ores et déjà exigible pour la période du 22 juin 1985 au 8 octobre 1986 (date de la clôture des débats), soit : 8 923,58 F x 2/3 x 15,5 mois = 92 210 F; que pour le surplus les Ets Ballart doivent être condamnés à payer à Pruvot pour la période du 9 octobre 1986 au 22 juin 1987, une indemnité mensuelle de 5 549,05 F;
Attendu par ailleurs que les Ets Ballart affirment qu'ils ont produit aux débats tous documents permettant à Pruvot de prendre connaissance des relevés de commissions dont il réclame la délivrance sous astreinte;
Attendu qu'effectivement les Ets Ballart ont versé une masse considérable de documents, qui ont été régulièrement communiqués à Pruvot, et dans lesquels paraissent se trouver tous les renseignements réclamés par Pruvot, que faute de plus amples précisions sur les relevés dont il n'aurait pu prendre connaissance Pruvot doit être débouté des fins de sa demande en délivrance de documents sous astreinte;
Attendu que les Ets Ballart succombant dans leurs prétentions à voir imputer à Pruvot la responsabilité de la rupture, doivent être déboutés de leur demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité fondée sur l'inexécution du préavis et de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail;
Attendu que ces mêmes Etablissements seront tenus de la totalité des dépens tant de première instance que d'appel et, par voie de conséquence, seront déboutés de leur demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile tandis que sera accueillie à concurrence de 2 000 F la demande formulée à ce même titre par Pruvot, car il ne serait pas équitable que celui-ci supporte la charge des frais irrépétibles qu'il a dû engager pour faire triompher, fût-ce partiellement, son bon droit;
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel en la forme; Au fond, Infirmant dans la mesure utile la décision déférée; Condamne la société des Ets Ballart à payer à Jim Pruvot les sommes de : 20 830,33 F (vingt mille huit cent trente francs trente trois centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 92 210 F (quatre vingt douze mille deux cent dix francs) à titre de contrepartie pécuniaire de l'exécution de la clause de non-concurrence (fraction échue) avec intérêts de droit au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement déféré; Condamne la société des Ets Ballart à payer en outre à Pruvot à titre de contrepartie pécuniaire de l'exécution de la clause de non-concurrence et à terme échu, une indemnité mensuel le de 5 549,05 F (cinq mille cinq cent quarante neuf francs cinq centimes) pendant la période du 9 octobre 1986 au 21 juin 1987; La condamne enfin à payer au même une indemnité 2 000 F (deux mille francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires; Condamne les Ets Ballart aux dépens, tant de première instance que d'appel.