Cass. com., 14 janvier 2003, n° 01-02.066
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Malteries franco suisses (SA)
Défendeur :
Denoux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Viricelle
Avocats :
Me Foussard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Bourges, 16 janvier 2001), que la quasi-totalité du capital social de la société Malteries Franco suisses, centrale d'achat d'orge de brasserie, qui avait donné mandat en 1982 à M. Denoux de la représenter dans les achats d'orge de brasserie auprès des cultivateurs d'Indre-et-Cher moyennant une commission de 0,90 francs du quintal, a été acquise en 1994, par le groupe Epis Centre ; que celui-ci a demandé à M. Denoux de favoriser les relations avec les clients non adhérents à des coopératives par une souscription d'actions dans le capital de la société Maltor, holding du groupe Epis Centre, moyennant l'engagement d'acheter toute la production d'orge de ces agriculteurs ; qu'en 1998, il a été proposé à tous les agriculteurs clients de participer à une augmentation de capital et de limiter les approvisionnements aux seuls actionnaires de la société Maltor ; que par lettre du 22 juin 1998, la société Malteries franco suisses a fait savoir à son agent que la nouvelle politique risquant d'entraîner une diminution des achats effectués par son intermédiaire, elle était prête à trouver une solution acceptable à cette diminution d'activité et à adapter la rémunération au volume réellement collecté ; que par lettre du 30 juin 1998, M. Denoux l'a informée de son désaccord et de ce qu'il lui imputait la rupture du contrat d'agent commercial ;
Attendu que la société Malteries franco suisses reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Denoux diverses sommes à titre d'indemnité de préavis et d'indemnité compensatrice de rupture et d'avoir rejeté implicitement sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour rupture intempestive du mandat, alors, selon le moyen : 1°) que si un taux de commissionnement et la détermination du fait générateur du droit à commission, tels que fixés par la convention des parties, ne peuvent être modifiés unilatéralement par le mandant sous peine de se voir imputer la rupture du contrat d'agent commercial, le volume des affaires ou le potentiel de clientèle est essentiellement variable et ne relève pas du champ contractuel, sauf clause particulière ; qu'au cas d'espèce, il ne résulte d'aucune énonciation de la décision que le taux de commissionnement ou la détermination des opérations donnant lieu à commission ait été unilatéralement modifiés par la société Malteries franco suisses ; qu'en imputant pourtant à la société Malteries franco suisses la rupture du contrat motif pris d'un changement de politique commerciale susceptible d'entraîner une diminution du potentiel de clientèle et donc du volume des achats, sans préciser en quoi le contrat d'agent commercial garantissait à M. Denoux un flux d'affaires constant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 2007 du Code civil et 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 ; 2°) que pour permettre de caractériser une rupture du contrat d'agent commercial à l'initiative du mandant, la modification unilatérale du contrat doit être certaine et avérée ; qu'il ne résulte ni des motifs propres de l'arrêt, ni des motifs adoptés du jugement, que le risque, simplement envisagé dans la lettre du 22 juin 1998, d'une baisse d'activité, et donc de rémunération, liée à la nouvelle politique du groupe, s'était effectivement réalisé au jour où M. Denoux a cessé toute relation avec son mandant, de sorte que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 2007 du Code civil et 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 ; 3°) que la modification unilatérale du contrat d'agent commercial ne saurait davantage s'évincer d'une simple offre de renégocier les conditions de la rémunération de l'agent commercial; qu'en déduisant, par motifs adoptés, une modification de la structure de la rémunération de la lettre du 22 juin 1998, laquelle ne faisait qu'exprimer, aux termes mêmes du jugement, la volonté de la société Malteries franco suisses de trouver une solution acceptable à une éventuelle diminution d'activité, en adaptant la rémunération au volume réellement collecté, les juges du fond ont encore privé leur décision de base légale au regard des articles 1134 et 2007 du Code civil et 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 ; 4°) que le juge ne peut statuer sur la base d'un moyen relevé d'office sans avoir préalablement rouvert les débats et provoqué les explications des parties, dans le respect du principe de la contradiction ; qu'il ne résulte nullement des conclusions d'appel de M. Denoux que celui-ci se soit plaint d'une atteinte à l'indépendance et à la liberté d'organisation qui lui étaient reconnues par le contrat d'agent commercial et qui résulterait du seul changement de politique commerciale du mandant ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 5°) que la clause d'un contrat d'agent commercial suivant laquelle l'agent " exerce son activité professionnelle de manière indépendante " et " prospecte la clientèle et organise ses tournées comme il l'entend " ne saurait tenir en échec le pouvoir du mandant de définir de façon abstraite et générale, le type de clientèle avec lequel il entend contracter ; qu'en décidant que le changement de politique, manifesté par une volonté de réserver les livraisons directes aux seuls actionnaires, portait par lui-même atteinte à l'indépendance et à la liberté d'organisation dont bénéficiait M. Denoux, les juges du fond ont violé les articles 1134 et 1984 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le système de commissionnement de l'agent commercial reposait sur le volume des achats effectués et qu'il n'a jamais donné son accord pour qu'il soit modifié, manifestant au contraire son désaccord par un courrier du 28 juin 1998 ; qu'il retient, sans qu'il lui soit fait grief de dénaturation, que la société Malteries franco suisses a expressément admis que la modification de sa politique d'achats devait entraîner une diminution du potentiel de clientèle de M. Denoux et, par voie de conséquence, des commissions perçues par ce dernier, tandis qu'elle ne proposait que de trouver une solution acceptable à cette diminution d'activité et d'adapter la rémunération au volume réellement collecté; qu'il en déduit que M. Denoux n'avait aucune certitude de conserver un mode de rémunération équivalent susceptible de lui procurer des revenus identiques à ceux qu'il percevait de son activité personnelle développée depuis seize ans auprès des agriculteurs du Cher et de l'Indre; qu'il observe enfin que, dans ses conclusions d'appel, la société Malteries franco suisses n'est toujours pas en mesure de lever les aléas résultant des nouvelles mesures mises en place; qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen, qui ne peut être accueilli dans ces deux branches, est mal fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.