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Décisions

Conseil Conc., 17 décembre 2002, n° 02-D-75

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

décision

Saisine et la demande de mesures conservatoires des sociétés Scoot France et Fonecta France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Guillot, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mme Aubert, Mme Mader-Saussaye, M. Lasserre, M. Piot, M. Robin, membres.

Conseil Conc. n° 02-D-75

17 décembre 2002

Le Conseil de la concurrence (section III B),

Vu les lettres enregistrées les 31 juillet et 21 août 2002 sous les numéros 02-0072 M et 02-0071 F, d'une part, 02-0077 M et 02-0076 F, d'autre part, par lesquelles les sociétés Scoot France et Fonecta France ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société France Télécom et de ses filiales qu'elles estiment anti-concurrentielles et ont sollicité en outre le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu l'avis n° 02-962 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 24 octobre 2002 ; Vu la décision de jonction des deux affaires en date du 12 septembre 2002, prise en application de l'article 31 du décret du 30 avril 2002 susvisé ; Vu la décision n° 02-DSA-21 du 11 octobre 2002 ; Vu les observations présentées par les sociétés Scoot France, Fonecta France, France Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Scoot France, Fonecta France, France Télécom et Pages Jaunes, entendus lors de la séance du 5 novembre 2002 ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés ;

I.- CONSTATATIONS

A - le secteur d'activité

1. Les services de renseignements et d'annuaires consistent à mettre à la disposition du public des informations à caractère pratique (noms et/ou dénominations sociales, prénoms, adresses, coordonnées téléphoniques, et éventuellement profession, adresse électronique) sur une catégorie de personnes (listes d'abonnés, listes d'entreprises à une échelle locale ou nationale) regroupées sur des fichiers exhaustifs issus des listes d'abonnés et utilisateurs de service téléphonique. Il existe différentes techniques de mise à disposition de ces informations : le renseignement par téléphone, la mise en ligne sur minitel ou sur Internet (annuaire électronique), l'édition papier (annuaire papier). Aux différentes techniques utilisées correspondent des modèles économiques variés. Les activités dont il s'agit sont génératrices de recettes provenant soit de tarifs de fourniture ou de connexion au service (cas du renseignement téléphonique, de l'annuaire électronique), de la vente d'espaces publicitaires (cas des annuaires papier), ou bien des deux à la fois. Outre la technique de mise à disposition utilisée, le produit se différencie encore par le type d'informations proposées. L'annuaire Pages blanches de France Télécom regroupe la totalité des abonnés au téléphone par département tandis que l'annuaire Pages jaunes rassemble les professionnels. Les listes d'adresses d'entreprises peuvent être enrichies d'éléments complémentaires sur leur activité.

B - les opérateurs

2. La société Scoot France, filiale à 100 % de Vivendi Universal Net, propose un service de renseignements exclusivement en ligne, téléphone et Internet, à l'exclusion de l'offre papier. Il s'agit d'une offre enrichie par rapport au service offert sur le 12, dans la mesure où la société Scoot fournit des renseignements complémentaires qui consistent, par exemple, en des informations sur la société concernée ou le professionnel recherché (horaires d'ouverture, prestations fournies, spécialités etc.). La société Scoot tire ses recettes à la fois de l'accès payant à ses services (téléphone, minitel) et des professionnels sur lesquels elle fournit des renseignements. Les informations de base ne peuvent être obtenues qu'auprès de France Télécom. A l'heure actuelle, compte tenu des prix appliqués, Scoot n'a acheté que la base des professionnels et non l'ensemble de la base des abonnés au téléphone.

3. La société Sonera France, créée en janvier 2000, était, jusqu'en mars 2002, une filiale de l'opérateur historique finlandais Sonera, qui a, depuis lors, cédé son activité "services automatiques et assistés d'annuaires" aux fonds d'investissement 3i et Veronis Suhler, la dénomination sociale étant modifiée en Fonecta France. Pour son activité de service de renseignements, Fonecta France utilise le centre d'appels téléphoniques de la société Intra Call Center, dont le groupe Fonecta détient également le contrôle depuis 2000. Dans le cadre d'une démarche de simplification de la structure du groupe Fonecta, les sociétés Intra Call Center et Fonecta France devaient fusionner avant la fin de l'année 2002, de telle sorte que l'ensemble des services et équipements nécessaires à l'exploitation du service de renseignements en France soit regroupé dans une seule et même entité juridique.

4. En mai 2001, la société Sonera France a conclu un accord avec la société France Télécom aux fins d'offre d'un service de renseignements téléphoniques accessible par le réseau fixe de l'opérateur historique en composant le 32-11. Estimant le prix d'accès à la base complète des abonnés au téléphone de France Télécom trop élevé, la société Fonecta a finalement ouvert ce service en mai 2002, en recourant au service d'accès à la requête sur la base d'un contrat passé entre Pages Jaunes et Intra Call Center. Lors de son audition par la rapporteure, le représentant de la société Fonecta a indiqué que cette décision avait été prise sous la contrainte des engagements contractés pour le lancement d'une campagne publicitaire préalablement à l'ouverture. L'activité de renseignements offerte par Fonecta France se différencie de celle de France Télécom, dans la mesure où cette dernière communique seulement deux numéros par requête, alors que Fonecta peut communiquer plusieurs numéros. La facturation se fait à la durée alors que France Télécom facture à la requête.

5. Le groupe France Télécom est actuellement organisé en sept branches qui rassemblent diverses filiales et entités. La branche Internet grand public, qui est l'une d'entre elles, se compose, d'une part, des services de France Télécom dont la direction des annuaires et la direction des kiosques (activités minitel), d'autre part, du groupe Wanadoo, dont la société Pages Jaunes est une filiale. L'activité de la société Intelmatique (filiale à 100 % de France Télécom) a été, pour l'essentiel, transférée à la branche Entreprise, en particulier pour les services d'accès professionnel aux services minitel. Cependant, à l'occasion de ce transfert, la gestion des services d'accès à la requête aux bases annuaires a été cédée à la société Pages Jaunes.

C - les faits

6. Les sociétés Scoot France et Sonera France (devenue Fonecta) ont, respectivement les 27 juillet 2000 et 20 juillet 2001, saisi le Conseil de la concurrence d'une procédure de non respect des injonctions prononcées par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 29 juin 1999, qui a donné lieu à un pourvoi rejeté par la Cour de cassation le 4 décembre 2001.

7. En effet, une société Filetech, qui avait pour activité la constitution de fichiers de prospection destinés à la réalisation d'opération de marketing direct, avait, le 17 novembre 1992, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputées à France Télécom sur le marché des fichiers destinés aux opérations de marketing direct. Elle estimait que France Télécom abusait de sa position dominante sur le marché en lui interdisant de continuer à exploiter les ressources de la liste des abonnés au téléphone au prix de la consultation de l'annuaire électronique et en l'obligeant à recourir aux prestations plus onéreuses offertes par les services Marketis ou Téladresses, qui commercialisent des listes d'abonnés. La société Filetech demandait au conseil d'enjoindre à France Télécom de lui communiquer le contenu de la liste orange, afin de la mettre en mesure d'expurger ses fichiers, ou d'offrir tout autre service permettant aux opérateurs concurrents de retrancher de leurs propres fichiers les coordonnées des personnes figurant sur la liste orange, ou d'accéder à des fichiers expurgés à un prix raisonnable, c'est-à-dire orienté vers les coûts de la prestation fournie.

8. La décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998 du conseil, rendue sur cette saisine, a été déférée à la Cour d'appel de Paris qui, dans son arrêt du 29 juin 1999, après avoir annulé ladite décision pour des raisons de procédure, a reconnu que France Télécom s'était rendue coupable d'abus de position dominante, lui a infligé une sanction pécuniaire et lui a "enjoint, jusqu'à la mise en service de l'organisme prévu à l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, chargé de tenir à jour la liste de l'annuaire universel,

- de fournir, dans des conditions identiques, à toute personne qui lui en fait la demande, la liste consolidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées, les informations contenues dans l'annuaire universel,

- de proposer un service permettant la mise en conformité des fichiers contenant des données nominatives détenues par des tiers avec la liste orange des abonnés au téléphone, que ces fichiers soient ou non directement extraits de la base annuaire ;

Dit que ces prestations devront être proposées dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires à un prix orienté vers les coûts liés aux opérations techniques nécessaires pour répondre à cette demande, à l'instar, s'agissant de la prestation de déduplication ou topage, de la prestation prévue au catalogue de France Télécom à la rubrique prévoyant la mise en conformité des fichiers tiers externes avec la liste safran et la déduplication ou le topage de ces fichiers".

9. Dans la décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002, qu'il a rendue sur la saisine en non respect d'injonction des sociétés Scoot et Fonecta, le conseil a retenu, d'une part, qu'"il n'est pas établi que France Télécom n'a pas respecté l'injonction relative au caractère objectif des prix de cession des données annuaire indiqués en ligne L. 12 du catalogue de prix de l'opérateur public", d'autre part, que "France Télécom n'a pas respecté les injonctions formulées à son encontre par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999 sur les deux points suivants :

- non-orientation vers les coûts des prix de consultation de la base annuaire via les services offerts par la société Intelmatique ;

- caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaires indiqués en ligne L. 12 du catalogue de prix de l'opérateur public pour les utilisateurs souhaitant exercer un service de renseignement mais ne souhaitant pas exercer une activité d'édition d'annuaires imprimés".

10. Enfin, le conseil, considérant qu'il ne disposait pas d'éléments suffisants lui permettant de se prononcer sur l'orientation vers les coûts des tarifs de cession de la base annuaire par France Télécom, a décidé de renvoyer le dossier à l'instruction et a prononcé un sursis à statuer de ce chef.

Il n'a pas été formé de recours à l'encontre de cette décision.

11. Un expert a été désigné par le rapporteur général du conseil avec pour mission :

de décrire les opérations de constitution du fichier commercial et du fichier de la base annuaire ;

- d'identifier précisément les tâches spécifiques à la constitution de la base annuaire ;

- d'apprécier le volume de ces tâches et leur nécessité en considération d'une exigence minimale d'efficacité ;

- d'évaluer le coût de revient de ces opérations.

12. Par lettres en date respectivement des 31 juillet et 21 août 2002, les sociétés Scoot France et Fonecta France ont saisi à nouveau le Conseil de la concurrence de pratiques d'abus de position dominante imputées à France Télécom sur le marché de la cession des listes d'abonnés au service téléphonique. Elles demandent que soit prononcée une sanction pécuniaire suffisamment forte et dissuasive, l'opérateur historique jouant sciemment sur le facteur temps et reproduisant de manière constante et délibérée des pratiques tarifaires qui empêchent le développement du secteur, au mépris du droit de la concurrence et des décisions de justice et qu'injonction soit donnée à France Télécom de fournir sa base de données à un tarif non discriminatoire et orienté vers les coûts. Elles ont assorti leurs saisines de demandes de mesures conservatoires.

13. Les sociétés saisissantes font valoir que France Télécom détient toujours une position dominante sur le marché de la commercialisation de la liste des abonnés au service téléphonique qui, par son exhaustivité et sa mise à jour permanente, constitue une facilité essentielle pour les opérateurs de marketing et, à plus forte raison, pour les opérateurs de services de renseignements téléphoniques, lesquels ne disposent d'aucune ressource alternative. Elles observent qu'en l'absence de mise en place de l'organisme chargé d'établir et de tenir à jour la liste nécessaire à l'édition d'annuaires universels et à la fourniture de services universels de renseignements, visé à l'article L. 35-4 du Code des postes et télécommunications, France Télécom demeure "la source unique pour la constitution de listes à des fins d'annuaires pour les abonnés au téléphone fixe" et que l'organisme dont il s'agit ne verra jamais le jour du fait de l'abrogation, par l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001, des dispositions de l'article L. 35-4 précité qui prévoyaient sa création. Les sociétés Scoot France et Fonecta France estiment, en conséquence, que les conditions sont réunies pour que les principes de non discrimination et d'orientation vers les coûts, précédemment posés par le conseil et la Cour d'appel de Paris, soient réaffirmés pour la période postérieure à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 25 juillet 2001, dans la mesure où, le conseil aurait, dans sa décision du 26 juin 2002, considéré que la validité des injonctions prononcées par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999, ne s'étendait pas au-delà de cette entrée en vigueur.

14. Or, les sociétés plaignantes soutiennent que France Télécom a continué, postérieurement à la date susvisée, à imposer des tarifs discriminatoires et excessifs et n'a pas modifié ses comportements, malgré la décision du conseil du 26 juin 2002 constatant le non respect d'une partie au moins des injonctions prononcées par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999. Elles font, en effet, valoir qu'ayant écrit, les 2 et 3 juillet 2002, à l'opérateur afin que de nouveaux tarifs, tenant compte de la décision du conseil, leur soient proposés, elles se sont vu répondre par la société Pages Jaunes, dans une lettre du 15 juillet adressée à la société Fonecta, que "... nous menons actuellement un travail de réflexion et d'analyse sérieux et approfondi afin d'apporter une réponse satisfaisante à la décision du conseil. En conséquence, nous vous informerons de notre position dès qu'elle aura été arrêtée et procéderons aux ajustements éventuels de votre contrat en cours" et dans une lettre du 22 juillet 2002 adressée à Scoot France, que "pour ce qui concerne les tarifs du service d'accès à la requête, nous analysons actuellement ladite décision pour apprécier les conséquences à en tirer. Nous vous informerons des modifications tarifaires intervenues dès qu'elles auront été arrêtées.".

15. En conséquence, les sociétés Scoot France et Fonecta France, outre la réaffirmation de l'injonction prononcée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 1999 et le prononcé de sanctions pécuniaires, demandent au conseil, à titre de mesures conservatoires, d'enjoindre à France Télécom de leur fournir sa base de données des abonnés au service téléphonique à un tarif provisoire n'excédant pas 0,00457 euro par consultation, d'enjoindre également à France Télécom de mettre à leur disposition une offre de service d'accès à la requête à un tarif situé entre 0,019 euro et 0,032 euro par requête et enfin, d'enjoindre à France Télécom, pour la période correspondant aux faits visés dans leur saisine, soit depuis le 29 juillet 2001 et en application des dispositions de l'article L. 420-3 du Code de commerce, de leur remettre des avoirs au titre des factures précédemment émises, afin de ramener le prix de cession des données facturé pour cette période aux montants précités.

16. En application des dispositions des articles L. 36-10 du Code des postes et télécommunications et 35 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a communiqué la saisine des sociétés Scoot et Fonecta à l'Autorité de régulation des télécommunications. Dans son avis du 24 octobre 2002, l'autorité observe que les pratiques tarifaires de France Télécom n'ont pas été substantiellement modifiées en ce qui concerne la cession de fichiers à des fins d'annuaires et de renseignements, depuis les décisions des autorités de concurrence (décision n° 98-D-60 du 29 septembre 1998 puis arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 1999), en particulier depuis la décision du conseil n° 02-D-41 du 26 juin 2002 et que les pratiques relevées sur le marché de la cession de listes d'abonnés pourraient être reconnues, une nouvelle fois, comme constitutives d'un abus de position dominante prohibé par l'article L. 420-2 du Code de commerce. Sur la demande de mesures conservatoires, l'autorité considère qu'il pourrait être justifié d'enjoindre à France Télécom de fixer, pour la cession de ses listes d'abonnés aux éditeurs d'annuaires et fournisseurs de services de renseignements, des prix non-discriminatoires qui seraient fondés sur les prix que France Télécom consent actuellement à ses filiales ou partenaires pour des prestations équivalentes et qui figurent dans la décision n° 02-D-41 du conseil en date du 26 juin 2002.

17. Pour conclure à l'irrecevabilité des saisines de Scoot et Fonecta, la société France Télécom conteste, en premier lieu, que l'effet de la précédente injonction ait pris fin le 29 juillet 2001. Elle soutient, en second lieu, que, les faits visés dans ces saisines sont les mêmes et tendent au même objet que ceux dénoncés dans les précédentes saisines des 27 juillet 2000 et 20 juillet 2001 et qui ont fait l'objet de la décision du 26 juin 2002 et que les sociétés Scoot et Fonecta entendent, en réalité, obtenir la réformation de cette décision alors qu'elle a acquis l'autorité de la chose décidée et qu'aucun élément nouveau par rapport à la situation qui prévalait le 26 juin dernier n'est produit. Elle fait valoir, enfin, qu'en tout état de cause, et même dans l'hypothèse où les saisines seraient déclarées recevables, les demandes de fixation immédiate et provisoire de prix de cession sont en contradiction, à la fois avec les points tranchés par le conseil dans sa décision du 26 juin dernier et avec la prescription d'une instruction complémentaire. Elle rappelle encore avoir soumis au conseil, par lettre du 24 septembre 2002, des propositions "tendant à une correcte application de la décision du 26 juin 2002".

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la recevabilité des saisines :

18. Considérant qu'aux termes de l'article L.462-8 du Code de commerce, "le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt à agir de l'auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l'article L. 462-7, ou s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence".

"Il peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".

19. Qu'aux termes de l'article L. 464-6 du même Code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, "lorsqu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure" ; qu'ainsi, alors que le rejet de plano de la saisine, prévu au deuxième alinéa de l'article L. 462-8, suppose une appréciation des éléments de preuve produits à l'appui de celle-ci et qu'aux termes de l'article L. 464-6 dans sa nouvelle rédaction, le prononcé d'un non-lieu intervient après une analyse des faits objet de la saisine afin d'en vérifier la matérialité et de dire s'ils constituent ou non des pratiques anti-concurrentielles prohibées, l'existence d'une cause d'irrecevabilité de la saisine exclut tout examen tant des preuves produites que du fond ;

20. Considérant que le Conseil de la concurrence reconnaît à ses décisions l'autorité de la chose "décidée"; que, dans une décision n° 93-D-45 du 26 octobre 1993, il a retenu que les pratiques précédemment examinées par le conseil puis par la Cour d'appel de Paris, respectivement, dans une décision du 4 juin 1991 et dans un arrêt du 26 février 1992, étaient les mêmes que celles faisant l'objet de la saisine soumise à son examen et qu'il convenait de faire application de l'article 20 de l'ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986, suivant lequel "le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure"; que, de même, dans une décision n° 98-D-51 du 7 juillet 1998, le conseil a considéré "qu'en définitive, la saisine F 799 du 2 octobre 1995, qui se borne, comme son auteur l'indique, à réitérer les précédentes, ne dénonce aucune pratique anti-concurrentielle matériellement distincte de celles que le conseil a examinées dans sa décision de non-lieu du 4 mars 1997 confirmée par la Cour d'appel de Paris le 10 mars 1998" et que "dans ces conditions, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 1er décembre 1986";

21. Considérant que, dans sa décision n° 02-D-41 du 26 juin 2002, le conseil, après avoir relevé que les injonctions prononcées par la Cour d'appel de Paris le 29 juin 1999 s'appliquaient "jusqu'à la mise en service de l'organisme prévu à l'article L.35-4 du Code des postes et télécommunications, chargé de tenir à jour la liste de l'annuaire universel", a retenu que cet organisme n'avait pas été créé, que la création en avait été abandonnée par les dispositions de l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 portant adaptation au droit communautaire du Code de la propriété intellectuelle et du Code des postes et télécommunications, qui avait modifié l'article L. 35-4 susvisé, que la validité de l'injonction ne pouvait s'étendre au-delà de la date d'entrée en vigueur de ladite ordonnance, elle-même subordonnée à la publication d'un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, non encore publié à la date de la décision du 26 juin 2002 ; que le conseil en a déduit que les faits invoqués à l'appui de la saisine étaient survenus durant une période couverte par la validité des injonctions ;

22. Considérant que le décret d'application visé à l'article L. 35-4 n'était encore pas publié à la date des présentes saisines et qu'ainsi, les pratiques dénoncées sont relatives à une période durant laquelle les injonctions de l'arrêt du 29 juin 1999 étaient toujours en cours de validité ; que dans sa décision du 26 juin 2002, le Conseil a, par ailleurs, retenu que les sociétés Scoot et Sonera entraient dans le champ des bénéficiaires de ces injonctions ;

23. Considérant que la décision précitée constate que France Télécom n'a pas respecté lesdites injonctions sur deux points :

- non orientation vers les coûts des prix de consultation de la base annuaire via les services offerts par la société Intelmatique ;

- caractère discriminatoire des prix de cession des données annuaires indiqués en ligne L. 12 du catalogue de prix de l'opérateur public pour les utilisateurs souhaitant exercer un service de renseignement mais ne souhaitant pas exercer une activité d'édition d'annuaires imprimés ;

Que le Conseil a, par ailleurs, sursis à statuer sur le point de savoir si l'injonction relative à l'orientation vers les coûts des tarifs de l'activité de gestionnaire de fichier avait ou non été respectée ;

24. Considérant qu'au soutien de leurs présentes saisines, les sociétés Scoot France et Fonecta France ne dénoncent aucune pratique matériellement distincte de celles qui ont donné lieu à la décision du 26 juin 2002; que l'envoi par ces sociétés, dans les jours qui ont suivi ladite décision, de courriers à Pages Jaunes et à France Télécom pour les inviter à leur communiquer des propositions tarifaires conformes à celle-ci, ainsi que les réponses d'attente qui leur ont été faites et dont les termes ne préjugent en rien de la position de France Télécom sur les demandes de Scoot France et de Fonecta France, n'apportent aucun élément de nature à permettre que le conseil soit à nouveau saisi de faits continus, déjà appréhendés par la procédure dans le cadre de laquelle la société France Télécom qui a, d'ores et déjà, définitivement été reconnue coupable d'un double non-respect d'injonction, encourt la sanction pécuniaire prévue par les articles L. 464-3 et L. 464-2 du Code de commerce;

25. Considérant que le principe non bis in idem, qui est d'application générale en matière de sanction et que consacrent l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14-7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, interdit de connaître à nouveau de faits sanctionnables qui ont fait l'objet de poursuites et d'une décision antérieures;

26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les saisines des sociétés Scoot France et Fonecta France doivent, sans examen au fond, être déclarées irrecevables;

27. Considérant qu'aux termes de l'article 42 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence" ; qu'il s'ensuit, la saisine étant irrecevable, que la demande de mesures conservatoires ne peut qu'être rejetée ;

Décide:

Article 1er : Les saisines au fond enregistrées sous les numéros 02-0071 F et 02-0076 F sont déclarées irrecevables.

Article 2 : Les demandes de mesures conservatoires enregistrées sous les numéros 02-0072 M et 02-0077 M sont rejetées.