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Décisions

Conseil Conc., 19 décembre 2002, n° 02-D-76

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société CGU Courtage concernant un marché public de l'OPAC de Villeurbanne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Bleys, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mme Perrot, MM. Charrière-Bournazel, Lasserre, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 02-D-76

19 décembre 2002

Le Conseil de la concurrence (Section I),

Vu la lettre enregistrée le 22 avril 2000, sous le numéro F 1212, par laquelle la société CGU Courtage a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques, relevant des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, mises en ouvre par la société Groupalpha, la chambre syndicale des courtiers d'assurance de la région Rhône-Alpes Auvergne et l'association de défense des usagers du courtage d'assurances ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ainsi que le décret n° 2002-689 du 3 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision de secret des affaires n° 02-DSA-13 du 17 avril 2002 par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence s'est prononcée sur la demande présentée par le Cabinet Bruno Perret ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par la société CGU Courtage ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, la société CGU Courtage entendus au cours de la séance du 12 novembre 2002 ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

1 - A l'époque des pratiques dénoncées, le patrimoine locatif de l'OPAC de Villeurbanne représentait une surface de 586 282 mètres carrés assurés sur la base d'un tarif oscillant, depuis 1993, entre 2 francs et 2,75 francs le mètre carré, avec une franchise de 3 000 francs par sinistre. Fin septembre 1998, les contrats en cours venant à échéance, l'OPAC a passé un marché d'assurance multirisque pour leur renouvellement.

A. Les marchés publics de service des collectivités locales

Les dispositions réglementaires

2 - Jusqu'en 1998, aucune disposition n'obligeait les collectivités locales et leurs établissements publics à recourir à une mise préalable en concurrence pour la passation de leurs contrats d'assurance.

3 - La directive européenne 92-50 du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation de marchés publics de service, transposée en droit français, notamment, par la loi n° 97-50 du 22 janvier 1997 et le décret d'application n° 98-111 du 27 février 1998, a entraîné la soumission des contrats d'assurance des collectivités locales et de leurs établissements publics au Code des marchés publics.

4 - Deux circulaires ministérielles d'application sont intervenues successivement, la première, le 27 juillet 1998, la seconde, le 30 juillet 1999. Le décret n° 99-634 du 19 juillet 1999 a modifié le Code des marchés publics en conséquence et a complété la réforme.

5 - Les personnes publiques concernées doivent, désormais, se soumettre aux règles de mise en concurrence et de publicité des marchés de service. Cependant, lorsqu'il s'agit d'un marché d'assurance, elles peuvent conférer un mandat à un courtier d'assurance pour organiser la procédure de sélection des candidats. Dans ce cas, le courtier ne pourra pas participer à l'appel d'offres.

B. La profession de courtier

Fonction

6 - Le courtier est un intermédiaire entre les acheteurs de produits d'assurances (entreprises, collectivités, certains particuliers) et les mutuelles et compagnies d'assurance. Sa fonction consiste à réaliser une étude des besoins d'assurance de son client, puis à rechercher l'assureur le mieux apte à satisfaire à ces besoins et, également, à commercialiser des contrats d'assurance. Une fois le contrat conclu, il en surveille la bonne exécution et son respect par les deux parties. Il est généralement rémunéré sous forme de commissions.

7 - Le courtier peut être le conseil de la collectivité publique ou le représentant de l'entreprise d'assurance candidate au marché, mais il ne doit pas cumuler les deux fonctions.

8 - La collectivité qui délègue à un courtier l'organisation de la procédure de sélection n'abandonne pas ses compétences puisqu'il lui appartient de conclure le contrat, ainsi que le prévoit la circulaire du 27 juillet 1998 : "un mandat est donné au courtier afin qu'il procède à la mise en concurrence de compagnies d'assurances ; ce mandat doit être établi par écrit et lui imposer de mettre en concurrence plusieurs entreprises d'assurances dans les conditions prévues au Code des marchés publics ; à l'issue de cette procédure, c'est naturellement à la personne publique qu'il revient de faire son choix".

9 - Le courtier le plus important, en France, est la société Gras Savoye, viennent ensuite les deux leaders mondiaux, les groupes américains MMC (Marsh & Mclennan, devenue depuis Marsh SA) et Aon, puis le groupe des Assurances Verspieren. Ces quatre courtiers, présents sur l'agglomération lyonnaise, ont participé à l'appel d'offres de l'OPAC de Villeurbanne en 1998.

Organisation professionnelle

10 - Dans la région Rhône-Alpes, le Sycra (chambre syndicale des courtiers d'assurances Rhône-Alpes/Auvergne), regroupe 148 adhérents dont 113 dans le département du Rhône. Parmi ces adhérents, on relève la présence des groupes précités Gras Savoye, Marsh, Aon, ainsi que les principaux courtiers lyonnais indépendants, tels le groupe Dufaud Courtage et la société MVRA.

C. Le marché de l'OPAC de Villeurbanne

L'appel d'offres

11 - Au mois de septembre 1998, l'OPAC de Villeurbanne a lancé un appel à la concurrence pour la passation d'un marché public d'assurances. Le bureau d'études Tec-Habitat était le maître d'œuvre de l'opération.

12 - L'annonce a été publiée le 25 septembre 1998, dans le quotidien Le Progrès et, le 1er octobre 1998, dans le BOAMP. Elle était ainsi libellée :

"Objet du marché : Assurance Multirisque du Patrimoine locatif de l'Opac. La consultation est réservée aux assureurs ou aux courtiers d'assurances.

(...) Le marché sera attribué en fonction :

- Des qualités des prestations ;

- Du prix des prestations ;

- Des références".

13 - La commission d'examen des candidatures, réunie le 8 octobre 1998, a retenu sept sociétés auxquelles le règlement de consultation a été transmis. Celui-ci prévoyait que la consultation était ouverte "aux agents généraux d'assurance et aux courtiers et sociétés de courtage d'assurance", et indiquait les deux solutions variantes demandées : franchise 5 000 F et franchise 10 000 F, l'offre de base correspondant à une franchise de 3 000 F. Un tableau répertoriant les sinistres intervenus depuis 1996 était joint en annexe au règlement de consultation.

14 - Le cahier des charges détaillait les garanties selon les types de sinistres et la durée du contrat (2 ans et 9 mois, avec prise d'effet au 1er avril 1999, échéance au 31 décembre 1999, renouvellement tacite pour les deux années pleines suivantes) et comportait en annexe une liste détaillée du patrimoine à assurer.

15 - Le 17 novembre 1998, la commission a procédé à l'ouverture des offres de prix des six candidats. Le groupe Verspieren n'a pas répondu, la société Sase a produit trois offres, avec trois compagnies d'assurances différentes.

16 - Les offres concernant l'offre de base et les variantes étaient les suivantes :

17 - Le 27 novembre 1998, les trois candidats considérés comme mieux-disants (les sociétés Groupalpha, Gras Savoye et Bruno Perret) ont été auditionnés par l'OPAC pour une présentation plus détaillée de leurs offres.

18 - Le rapport d'analyse des offres, daté du 15 décembre 1998, élaboré par le bureau d'études Tec-Habitat, mentionne, en ce qui concerne l'offre du Cabinet Bruno Perret que celui-ci "ramène son offre à 1 242 918 F TTC/an en base et à 1 025 993,50 F TTC/an en variante 1 (franchise 5 000 F) et maintient son prix sur 22 mois si le rapport sinistre à prime est inférieur à 150 %, ce qui apporte une visibilité certaine sur cette période compte-tenu de l'évolution de la sinistralité."

19 - Sa bonne performance étant reconnue, en ce qui concerne la gestion et le suivi des sinistres, le cabinet Bruno Perret, associé à la société CGU Courtage, a été déclaré attributaire du marché, au prix annuel de 1 025 993,50 F TTC (soit 1,75 F/m²).

D. Les faits

La "pré-consultation"

20 - Au mois de mai 1998, la société Groupalpha avait organisé une consultation des sociétés d'assurance de l'agglomération lyonnaise en indiquant :

"Notre client depuis plus de 10 ans, l'Opac de Villeurbanne, nous demande de vous questionner pour une proposition Multirisque PNO en vue d'une souscription éventuelle pour le 1er janvier 1999. Nous souhaiterions savoir si vous êtes intéressés sur le principe d'étudier ce dossier, compte tenu des précisions ci-dessous (...)", suivent des indications relatives au patrimoine concerné et aux sinistres intervenus de 1993 à 1997, le montant de la franchise et son évolution probable. Un état statistique des sinistres sur trois ans ainsi que la liste des bâtiments concernés et le budget annuel ont également été communiqués.

21 - La société CGU Courtage a répondu :

"Suite à notre communication téléphonique de ce jour, nous vous confirmons que notre tarif est d'environ 5 frs du m² avec une franchise de 3 000.

Les commissions restant à déterminer.

Nous classons ce dossier sans suite".

L'offre de la société CGU Courtage dans le cadre du marché

22 - Lors de l'appel d'offres lancé par l'OPAC de Villeurbanne, la société Groupalpha a consulté à nouveau les compagnies d'assurance qui avaient répondu à la pré-consultation, à l'exception de CGU Courtage, puis a présenté une offre avec la société MGA.

23 - La société CGU Courtage indique dans sa saisine que, contactée par la société d'assurance SASE, d'une part, et le cabinet Bruno Perret, d'autre part, elle a fait des propositions initiales s'élevant à 1,98 francs le mètre carré environ, en association avec la société SASE et 1,79 francs le mètre carré environ, en association avec le cabinet Bruno Perret. Elle précise à ce sujet qu'à cette occasion, elle a refait ses calculs et s'est rendu compte qu'elle avait fait une importante erreur en proposant un tarif de 5 francs le mètre carré à la société Groupalpha en juin 1998.

24 - Le cabinet Bruno Perret, ayant consenti un effort supplémentaire au cours de la présentation détaillée faite à l'OPAC, comme il a été mentionné ci-dessus, le marché lui a été attribué en association avec la société CGU Courtage.

La réaction de la société Groupalpha

25 - La société Groupalpha, apprenant l'attribution du marché de l'Opac au cabinet Perret, associé à la société CGU Courtage, pour un prix de l'ordre de 1,75 franc le mètre carré, a estimé avoir été évincée du marché et avoir souffert d'un préjudice, "du fait de la faute de CGU Courtage" qui lui avait communiqué une proposition exorbitante en juin 1998. Soutenue par les organisations représentatives des courtiers, la société Groupalpha a considéré qu'en proposant des prix très différents à deux courtiers, la société CGU Courtage n'avait pas respecté les usages du courtage lyonnais qui prévoient, notamment que "lorsque une compagnie est saisie d'une affaire par un apporteur auquel elle a fourni une tarification, elle doit donner la même tarification à tout autre intermédiaire qui lui propose le même projet pour la même affaire".

26 - La société Groupalpha, la chambre syndicale des courtiers d'assurance de la région Rhône-Alpes/Auvergne et l'association de défense des usagers du courtage d'assurances ont porté l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon et ont demandé, outre la réparation du préjudice et des dommages et intérêts, que soit ordonnée la publication du jugement dans deux revues spécialisées : L'argus et l'Assurance Française.

Les moyens de défense de la société CGU Courtage

27 - En réponse à ces demandes, la société CGU Courtage a exposé que la pré-consultation lancée par la société Groupalpha constituait un stratagème visant à connaître les tarifications des différents assureurs avant les courtiers concurrents, et à les évincer ensuite en invoquant une antériorité de consultation. Elle a fait valoir qu'il ne pouvait y avoir de corrélation directe entre l'erreur de calcul commise par elle, lors de la pré-consultation, et le fait que la société Groupalpha n'ait pas été retenue dans le cadre de l'appel d'offres, d'autant que celle-ci ne l'avait pas consultée au moment de cet appel d'offres.

E. L'objet de la saisine du Conseil de la concurrence

28 - La société CGU Courtage reproche à la société Groupalpha :

- d'une part, d'avoir organisé une "pré-consultation" des assureurs au mois de mai 1998, concernant le parc immobilier de cet organisme, non pas dans le cadre de sa fonction de courtier mais dans le but d'avoir accès à des informations sur la tarification des assureurs dès le mois de juin 1998, en prévision du lancement de l'appel d'offres le 29 septembre 1998, ce qui serait constitutif de pratiques anti-concurrentielles ;

- d'autre part, de ne pas l'avoir consultée dans le cadre de cet appel d'offres, abusant ainsi de sa position dominante sur ce marché.

29 - Par ailleurs, la société CGU Courtage qualifie de "manœuvre de dénigrement visant à la discréditer" l'action introduite devant le Tribunal de commerce de Lyon par la société Groupalpha, soutenue par la chambre syndicale des courtiers d'assurance de la région Rhône-Alpes/Auvergne et l'association de défense des usagers du courtage d'assurances.

F. Le rapport de non-lieu

30 - Au vu de ces constatations, la rapporteure a proposé au Conseil de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure en application de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

31 - Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce que "lorsqu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider (...) qu'il n'y a pas lieu à poursuivre la procédure".

En ce qui concerne les pratiques relatives à la pré-consultation

32 - La société CGU Courtage soutient que la société Groupalpha ne peut nier avoir eu connaissance, au moment de la pré-consultation du mois de mai 1998, des dispositions de la loi n° 97-50 du 22 janvier 1997 et du décret d'application n° 98-111 du 27 février 1998, cités supra, ainsi que du projet de lancement par l'OPAC de Villeurbanne, à court ou moyen terme, de la procédure d'appel à concurrence ; elle fait valoir, à cet égard, que la société Groupalpha n'a pas démontré qu'elle procédait périodiquement à de telles consultations dans le cadre de sa fonction de courtier et qu'en conséquence, il est établi que la pré-consultation n'était motivée que par la perspective de pouvoir répondre au futur marché de l'OPAC et a permis à la société Groupalpha d'obtenir des informations sur la tarification des assureurs avant les autres courtiers, ce qui a limité leur accès au marché de l'assurance de l'OPAC et faussé le libre exercice de la concurrence.

33 - Ainsi que l'a précisé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 9 janvier 2001, SEEE, une pratique d'entente anti-concurrentielle ne peut être sanctionnée que si les entreprises en cause ont librement et volontairement participé à une action concertée, en sachant qu'elle avait pour objet ou pouvait avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché.

34 - En l'espèce, s'il n'est pas contestable que la société Groupalpha devait connaître la modification prochaine du cadre juridique de l'assurance des personnes publiques ou assimilées, consistant à soumettre la passation des contrats d'assurance aux dispositions du Code des marchés publics, il n'en demeure pas moins, d'une part, que la pratique de pré-consultation qui lui est reprochée est intervenue avant que ne soit publiée la circulaire d'application du 27 juillet 1998 et, d'autre part, que sa démarche entrait dans le cadre de sa mission initiale de courtier de l'OPAC, sous le régime légal et réglementaire ayant prévalu jusqu'alors.

35 - Par ailleurs, il n'est nullement démontré que les informations recueillies dans le cadre de cette consultation, même en tenant compte des "usages du courtage lyonnais", auraient permis à cette entreprise de bénéficier d'une situation privilégiée dans le cadre de l'appel d'offres lancé par l'OPAC de Villeurbanne, qu'elle n'a d'ailleurs pas remporté.

36 - Enfin, aucun élément de l'enquête ne fait apparaître une quelconque entente sur les prix entre la société Groupalpha et les autres courtiers ou des pratiques abusives résultant de sa position auprès de l'OPAC, soit sous la forme de l'obtention d'informations privilégiées de la part de ce dernier, soit sous la forme de pressions exercées sur cet établissement pour obtenir le marché. Ainsi, il n'est pas démontré que la pré-consultation effectuée, même si elle a permis à la société Groupalpha de connaître le niveau des prix des futurs concurrents, aurait débouché sur une action concertée dont les participants auraient eu conscience qu'elle avait pour objet, ou pouvait avoir pour effet, de limiter l'accès au marché, ou de faire obstacle à la libre fixation des prix.

37 - La société CGU Courtage fait, de surcroît, grief à la société Groupalpha de ne pas l'avoir consultée dans le cadre de la procédure de l'appel d'offres de septembre 1998.

38 - Il ressort, cependant, des pièces du dossier que l'abstention de consulter la société CGU Courtage, au moment de l'appel d'offres du mois de septembre 1998, trouve son explication dans le montant particulièrement élevé de la proposition faite par cette société lors de la pré-consultation (5 francs/m²). Par ailleurs, cette abstention n'a nullement engendré d'entrave à l'accès au marché d'assurance de l'OPAC, puisque la consultation a été lancée de façon publique et que tous les courtiers et assureurs ont pu en avoir connaissance et présenter des offres, y compris la société CGU Courtage, qui a, finalement, emporté le marché.

39 - En conséquence, il résulte des éléments qui précèdent qu'il n'est pas établi que la société Groupalpha aurait, par la pré-consultation organisée par elle au mois de mai 1998, mis en ouvre une pratique d'entente anti-concurrentielle prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

En ce qui concerne le dénigrement allégué

40 - La société CGU Courtage expose que l'action intentée devant le Tribunal de commerce de Lyon, conjointement, par la société Groupalpha, la chambre syndicale des courtiers d'assurance de la région Rhône-Alpes/Auvergne et l'association de défense des usagers du courtage d'assurance, ainsi que la demande de publication du jugement, formulée dans ce cadre, constituent une pratique de dénigrement qui relève de l'abus de position dominante, pour la société Groupalpha, et de l'entente, s'agissant des autres demandeurs.

41 - Il résulte cependant d'une jurisprudence constante que le fait d'agir en justice ainsi que les demandes présentées dans ce cadre sont l'"expression du droit fondamental d'accès au juge", et ne peuvent être qualifiés d'abus, "(...) sauf si une entreprise en position dominante intente des actions en justice qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses droits et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler l'opposant, et qui sont conçues dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence" (point 11 de la décision de la Commission européenne IV/35-268 du 21 mai 1996 ITT Promédia NV-Belgacom). Dans un arrêt rendu sur cette même décision (T-111-96 du 17 juillet 1998 ITT Promedia NV-Comm. CE), le Tribunal de première instance des Communautés européennes a validé cette analyse : "(...) il importe de souligner, comme l'a fait à juste titre la Commission, que le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu'il implique est l'expression d'un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été également été consacré par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (...). L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité. Ensuite, il convient de relever que, constituant une exception au principe général d'accès au juge, garantissant le respect du droit, les deux critères cumulatifs doivent être interprétés et appliqués restrictivement, de manière à ne pas tenir en échec l'application du principe général (...)" (points 60 et 61).

42 - Le Conseil de la concurrence a adopté une analyse analogue fondée sur l'exigence des deux mêmes conditions cumulatives, dans ses décisions n° 99-D-77 du 7 décembre 1999, n° 00-D-24 du 10 mai 2000 et 02-D-35 du 13 juin 2002 ; en outre, la Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre commerciale n° 1675 en date du 9 octobre 2001, a rappelé que l'abus de droit suppose l'intention de nuire.

43 - En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de considérer que l'action intentée par la société Groupalpha, la chambre syndicale des courtiers d'assurances de la région Rhône-Alpes/Auvergne et l'association de défense des usages du courtage d'assurance ne répondrait à une autre motivation que celle de faire valoir et reconnaître leurs droits. Par ailleurs, la publication du jugement fait partie des mesures de réparation que peuvent prononcer les autorités de jugement et la demande tendant à ce qu'elle soit ordonnée ne saurait être considérée comme une pratique anti-concurrentielle contraire aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce, ou un éventuel abus de position dominante prohibé par l'article L. 420-2 du Code de commerce.

44 - Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent, qu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est, en l'espèce, établie et il convient donc de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce précitées.

Décide

Article unique : Il n'a pas lieu de poursuivre la procédure.