Cass. com., 14 janvier 2003, n° 99-14.198
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Lancôme France (SNC)
Défendeur :
O'Dylia (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocats :
SCP Roger, Sevaux, SCP Defrenois, Levis
LA COUR : - Joint les pourvois 99-14.198 et 99-14.654 qui attaquent le même arrêt; - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 24 février 1999), que la société O'Dylia qui exploite des parfumeries, était contractuellement liée à la société Lancôme; que celle-ci, se prévalant d'opérations promotionnelles considérées comme tapageuses et dévalorisantes pour sa marque, a cessé d'approvisionner trois points de vente de la société O'Dylia, laquelle a saisi le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater le caractère illicite et abusif de la résiliation à laquelle la société Lancôme a unilatéralement procédé par courriers des 26 et 28 mars 1996, ordonner la satisfaction de commandes sous astreinte et prononcer une condamnation en paiement au titre du préjudice résultant du refus de vente depuis le 28 mars 1996 ainsi que la réparation du préjudice commercial; que concluant au rejet des prétentions de la société O'Dylia, la société Lancôme a sollicité subsidiairement au cas où la reprise des livraisons serait ordonnée, la subordination de cette livraison à la signature par la société O'Dylia d'un nouveau contrat de distribution; que le tribunal a constaté la résiliation anticipée des contrats afférents aux trois points de vente en cause et a condamné la société Lancôme à payer à la société O'Dylia une certaine somme à titre de dommages-intérêts, rejetant toutes autres demandes; qu'appelante de cette décision, la société O'Dylia a sollicité la reprise des livraisons, la condamnation de la société Lancôme à lui payer des dommages-intérêts au titre de l'interruption des relations contractuelles et subsidiairement au paiement de dommages-intérêts au titre de la rupture définitive de ces relations; que la société Lancôme également appelante a sollicité, outre l'infirmation de sa condamnation en paiement de dommages-intérêts, le prononcé de la résiliation des contrats litigieux aux torts de la société O'Dylia et la condamnation de celle-ci à lui payer des dommages-intérêts pour atteinte à la marque;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches du pourvoi n° 99-14.198 formé par la société Lancôme, qui est préalable : - Attendu que la société Lancôme fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement du 2 décembre 1996 qui l'avait condamnée à payer à la société O'Dylia la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui l'avait déboutée de sa demande reconventionnelle et y ajoutant de l'avoir condamnée à payer à la société O'Dylia la somme complémentaire de 300 000 F au titre du préjudice commercial, alors, selon le moyen : 1°) qu'en affirmant que "s'il est établi en l'occurrence par le constat précité qu'à tout le moins, les parfums Lancôme ont fait l'objet d'une opération qui peut paraître dévalorisante, la cour d'appel a statué par des motifs dubitatifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; 2°) que selon l'article 1184 du nouveau Code de procédure civile, "la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera pas à son engagement"; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté le manquement contractuel de la société O'Dylia mais prononce la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Lancôme en affirmant que celle-ci ne démontrait (pas) le caractère "systématique, récidivant et tapageur" de l'opération promotionnelle "dévalorisante pour le fournisseur", a ajouté au texte précité une condition qu'il ne prévoit pas et a dès lors violé l'article 1184 du Code civil; 3°) qu'à l'appui du moyen faisant valoir que "Lancôme a été amené à adresser à plusieurs reprises et pour la première fois le 23 juillet 1992 des lettres de mise en demeure de la société O'Dylia en raison de pratiques susceptibles de nuire à son image de marque", la société Lancôme avait versé aux débats deux lettres émanant de la société Lancôme l'une datée du 23 juillet 1992, reprochant à la société O'Dylia "le procédé discriminatoire de l'opération promotionnelle basée sur une remise de 20 % sur quelques marques dont Lancôme" et l'autre datée du 16 mars 1994 lui rappelant l'interdiction d'insérer "dans un catalogue publicitaire l'annonce d'une remise de 30 % sur un produit Lancôme"; que dès lors, la cour d'appel qui affirme qu'aucune précision n'est donnée sur l'incident qui se serait situé en 1992 et encore moins sur celui de 1994" a dénaturé par omission ces documents et a violé l'article 1134 du Code civil; 4°) que le contrat doit être exécuté de bonne foi; que la cour d'appel s'est totalement abstenue de rechercher, comme elle y était invitée si au regard notamment de la lettre de la société Lancôme du 23 janvier 1996 qui précisait "j'ai pris de bonne note de votre souci permanent de contribuer au renforcement de l'image de marque Lancôme dans notre circuit sélectif (mise en scène valorisante, promotions non discriminatoires ...)", la société O'Dylia aurait rempli de bonne foi ses obligations contractuelles en procédant à l'opération promotionnelle dévalorisante pour son fournisseur; qu'elle a dès lors privé son arrêt de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du Code civil;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'il ne ressort pas de l'examen des pratiques promotionnelles mises en œuvre par la société O'Dylia que celles-ci aient été discriminatoires à l'égard de la SNC Lancôme, que la très grande majorité des marques de luxe vendues dans les boutiques de la société O'Dylia ont été traitées dans les mêmes conditions, qu'il n'appert aucunement que la marque Lancôme ait été dévalorisée sciemment ou non, qu'en outre le contrat de distributeur agréé ne comporte aucune clause prévoyant un classement des marques obligeant le distributeur à associer, dans le cadre de pratiques promotionnelles, telle marque avec telle autre; que l'arrêt constate, par motifs propres, que s'il est établi par un constat que les parfums Lancôme ont fait l'objet d'une opération promotionnelle qui peut paraître dévalorisante pour le fournisseur dans la mesure où ses concurrents directs tels Dior, Chanel et Guerlain en étaient préservés, il n'en demeure pas moins que Lancôme ne démontre pas le caractère systématique de telles opérations portant sur ses produits, ni leurs caractères récidivant et tapageur; qu'en l'état de ces constatations et appréciations portant sur l'ensemble des pratiques dénoncées par la société Lancôme, la cour d'appel, qui a écarté l'existence d'une faute autorisant la résiliation du contrat aux torts du distributeur, et sans avoir à procéder à la recherche invoquée à la quatrième branche du moyen que ses constatations rendaient inopérante, a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches du pourvoi n° 99-14.654 formé par la société O'Dylia : - Attendu que la société O'Dylia fait grief à l'arrêt d'avoir constaté la résiliation des contrats de distribution de ses trois magasins situés à Noisy-le-Grand et Rosny-sous-Bois, et, en conséquence, rejeté la demande de cette dernière tendant à voir la société Lancôme condamnée, sous astreinte, à satisfaire les commandes de ces trois magasins, alors, selon le moyen : 1°) qu'il ressortait de l'article V des trois contrats signés entre les sociétés Lancôme et O'Dylia, pour Noisy-le-grand et Rosny-sous-bois les 19 février et 2 novembre 1988, que ceux-ci avaient été conclus pour une durée déterminée d'un an, renouvelable par tacite reconduction; qu'en affirmant que les contrats étaient à durée indéterminée, la cour d'appel a dénaturé ces contrats et partant, violé l'article 1134 du Code civil; 2°) qu'au cas où l'une des parties à un contrat synallagmatique n'exécute pas ses obligations, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté doit, si elle opte pour la résolution de la convention, demander celle-ci en justice; qu'en constatant la résiliation des trois contrats de distribution à durée déterminée conclus entre les sociétés Lancôme et O'Dylia, après avoir relevé, d'une part, que la première ne justifiait pas d'un manquement de la seconde à ses obligations contractuelles pour justifier la résiliation des contrats et, d'autre part, que la société O'Dylia sollicitait simplement l'exécution forcée des contrats, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1184 du Code civil;
Mais attendu que la société O'Dylia, qui n'a pas contesté la qualification des contrats proposées par la société Lancôme dans ses conclusions d'appel, est irrecevable à soulever ce moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, pour la première fois devant la Cour de cassation;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Lancôme avait mis fin, sans motif légitime, aux contrats litigieux le 26 mars 1996 et qu'elle devait indemniser le préjudice en résultant, la cour d'appel, qui a ainsi constaté la rupture unilatérale fautive des contrats à laquelle la société Lancôme a procédé, a pu décider que la société O'Dylia ne pouvait en poursuivre l'exécution forcée après cette date; doù il suit que le moyen n'est pas fondé en ses première et deuxième branches;
Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce; - Attendu que pour rejeter la demande de la société O'Dylia aux fins de livraison, l'arrêt retient que les contrats ayant été rompus, la société O'Dylia ne peut solliciter la livraison des produits Lancôme au réseau de distribution sélective auquel elle n'appartient plus pour les trois points de vente en cause;
Attendu qu'en statuant ainsi sans constater que la société O'Dylia ne remplissait plus les conditions d'agrément dans le réseau de distribution de la société Lancôme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi de la société Lancôme et sur le second moyen du pourvoi de la société O'Dylia : Casse et annule mais seulement en ce qu'il a refusé la demande de la société O'Dylia aux fins de reprise de relations contractuelles avec la société Lancôme, et en ce qu'il a fixé à une certaine somme le montant des dommages-intérêts dûs par la société Lancôme, l'arrêt rendu le 24 février 1999, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles.