Cass. com., 14 janvier 2003, n° 00-16.617
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Coquel (SARL), Coquel
Défendeur :
Esso (SA), CRCAM
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Tric
Avocats :
SCP Boré, Xavier, Boré, SCP Célice, Blancpain, Sotner
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 31 mars 2000), que le 8 avril 1988, la société Esso a conclu avec la SARL Coquel, constituée et gérée par les époux Coquel, un contrat de gestion d'une station-service regroupant un mandat exclusif de vente des carburants et une location-gérance du fonds de commerce pour la distribution des autres produits et l'exercice des activités annexes; que le contrat a été résilié à l'amiable le 29 octobre 1991; que la société Coquel et M. Coquel ont assigné la société Esso en annulation du contrat et remise en l'état antérieur ainsi qu'en paiement d'une provision à valoir sur le résultat des comptes de restitution, et, en ce qui concerne M. Coquel, de dommages-intérêts; qu'en cours de procédure, la société Coquel a demandé subsidiairement des dommages-intérêts pour abus en matière de prix et, plus subsidiairement, l'indemnisation des pertes d'exploitation de la station-service;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches, produit par la société Coquel : - Attendu que la société Coquel reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation fondée sur l'article 2000 du Code civil, alors, selon le moyen : 1°) que les pertes que le mandataire a essuyées à l'occasion de sa gestion et dont les parties peuvent décider qu'elles sont couvertes par un forfait sont exclusives de celles qui ont pour origine un fait imputable au mandant; qu'en écartant la demande de la société Coquel d'indemnisation des pertes subies à l'occasion de sa gestion et ayant pour origine la distribution des carburants dont la maîtrise avait été conservée par la société Esso, son mandant qui fixait elle-même les prix de vente au détail des carburants, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 2000 du Code civil; 2°) que le mandant doit indemniser le mandataire des pertes subies à l'occasion de sa gestion sans imprudence qui lui soit imputable; qu'en énonçant que la SARL Coquel ne pouvait faire supporter à la société Esso la gestion déficitaire de la station sans caractériser une imprudence de la SARL mandataire à l'origine du déficit, aucune imprudence n'étant, au demeurant, alléguée par la société pétrolière à qui incombait la charge d'une telle allégation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2000 du Code civil; 3°) que la renonciation à un droit ne se présume pas et, lorsqu'elle est tacite, ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, que, selon la cour d'appel, la société Coquel aurait renoncé en connaissance de cause à l'indemnisation des pertes générées par la distribution des carburants placée sous la maîtrise du mandant dès lors que la société Coquel et son représentant M. Coquel avaient conclu "en commerçants avertis, entretenant depuis de longues années des relations d'affaires avec la société pétrolière, avec une connaissance exacte des aléas de l'exploitation d'une station-service et des pertes pouvant découler de sa gestion, ainsi que des conditions de fixation des prix des produits par la société Esso"; qu'il résulte cependant d'autres constatations de l'arrêt qu'à la date de conclusion du mandat litigieux conférant la maîtrise de la distribution des carburants et de leurs prix de vente au détail à la société pétrolière, ni la société Coquel, ni M. Coquel, à titre personnel, n'avaient une quelconque expérience des méthodes et de la politique de prix pratiqués par la société Esso en qualité de mandant leur permettant de renoncer à l'indemnisation des pertes générées dans un tel contexte; que la cour d'appel a, en effet, constaté que la société Coquel venait d'être créée, en 1988, avant la conclusion du mandat tandis qu'auparavant, les époux Coquel étaient, de 1971 à 1988, revendeurs exclusifs des produits de marque Esso; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel n'a donc pas caractérisé une renonciation tacite mais dépourvue d'équivoque, à la supposer légalement possible, à l'indemnisation des pertes générées par un élément de l'exploitation dont la société Esso, mandant avait conservé l'entière maîtrise; qu'elle a, par là même, privé sa décision de base légale au regard des dispositions combinées des articles 2000 et 2221 du Code civil; 4°) que la contradiction entre deux clauses d'un contrat rend leur interprétation nécessaire; qu'en l'espèce, la société Coquel faisait valoir dans ses conclusions d'appel que "le contrat litigieux se référait aux dispositions de l'accord interprofessionnel du 3 mars 1986, prévoyant que l'exploitant qui se comporte en bon commerçant doit dégager un résultat positif d'exploitation, tous frais naturellement payés" et que "cette clause était en contradiction flagrante avec celle insérée au contrat selon laquelle les parties déclarent déroger expressément aux dispositions de l'article 2000 du Code civil"; que la société Coquel demandait en conséquence à la cour d'appel de résoudre la contradiction entre ces deux clauses par une interprétation en sa faveur; que la cour d'appel s'est soustraite à son devoir d'interprétation en se bornant à relever que 'les accords interprofessionnels prévoient en préambule qu'une station-service gérée convenablement doit dégager des bénéfices et que les sociétés pétrolières s'engagent à examiner les réclamations faites de ce chef par les exploitants", sans rechercher si ce libellé constituait la reprise, sous une autre forme, de la règle de l'article 2000 du Code civil, selon laquelle le mandataire a droit à l'indemnisation des pertes subies à l'occasion de la gestion du mandat, "sauf imprudence qui lui soit imputable" et sans procéder en conséquence à l'interprétation nécessaire des clause contradictoires susvisées, ainsi que l'y invitait la société Coquel dans ses conclusions; qu'elle a, par là même, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que l'article 4-5 des conditions générales du contrat passé entre les parties précise que la société reçoit une commission couvrant forfaitairement sa rémunération et l'ensemble de ses frais et qu'en conséquence, les parties déclarent déroger expressément aux dispositions de l'article 2000 du Code civil, et que la société Coquel et son représentant M. Coquel ont renoncé à l'application du texte susmentionné en commerçants avertis, entretenant depuis plusieurs années des relations d'affaires avec la compagnie pétrolière, avec un connaissance exacte des aléas de l'exploitation d'une station-service et des pertes pouvant découler de sa gestion, ainsi que de la fixation des prix des produits par la société Esso, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la société Esso a baissé ses prix à l'occasion du changement de gérance ni qu'elle a eu une stratégie délibérée qui, telle que décrite par la société Coquel et M. Coquel, aurait nui à ses propres intérêts et, qu'en conséquence, les pertes d'exploitation invoquées auraient été imputables à cette politique des prix dont la compagnie pétrolière avait la maîtrise; qu'il en déduit que la société Esso n'a pas à supporter la gestion déficitaire de la station-service; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision;
Attendu, en second lieu, que répondant aux conclusions de la société Coquel, l'arrêt retient que l'article 4-5 des conditions générales n'est pas en contradiction avec les accords interprofessionnels; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le second moyen : - Attendu que la société Coquel reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts pour abus dans la fixation du prix des lubrifiants, alors, selon le moyen, que le jugement dont la société Coquel demandait la confirmation avait constaté que la société Esso vendait les lubrifiants à son distributeur à des prix supérieurs aux prix de détail pratiqués dans les grandes surfaces en faveur des consommateurs, ce qui privait la société Coquel des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, et s'était livré à une évaluation de l'indemnité réparant le préjudice subi en conséquence de l'abus ainsi commis à 150 000 F en considération du "chiffre d'affaires lubrifiants" réalisé par la société Coquel avec la société pétrolière; que la cour d'appel a au contraire écarté toute indemnisation en se bornant à énoncer qu'il n'était pas interdit à la société Coquel de vendre d'autres lubrifiants que ceux de la société Esso en application de l'article 5 des conditions générales du contrat, sans rechercher, ainsi que l'y invitait la société Coquel rappelant que le contrat comportait une interdiction formelle de toute atteinte à la marque Esso, si la société Esso avait commis une faute en omettant d'attirer l'attention des animateurs de la société Coquel qui avaient toujours été liés à elle par un engagement d'approvisionnement exclusif pour tous les lubrifiants sans restriction, sur la limitation de cet engagement désormais circonscrit aux seuls lubrifiants "utilisés" dans la station, et si la société Esso devait répondre de ses manquements à la bonne foi commis tant lors de la conclusions du contrat, par défaut d'information sur la liberté nouvelle ouverte au distributeur en ce qui concerne l'approvisionnement des lubrifiants offerts à la vente dans la station, qu'au cours de son exécution, en imposant au distributeur des prix d'achat des lubrifiants d'emblée supérieurs aux prix de détail des même produits offerts par la concurrence, ce qui privait le distributeur des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu que l'arrêt relève que l'objet de la clause d'exclusivité est restreint aux lubrifiants utilisés dans la station et retient qu'il était loisible à la société Coquel, dont il a observé par ailleurs qu'elle était un commerçant averti, de s'approvisionner pour les autres lubrifiants auprès d'autres distributeurs; qu'il relève encore que l'étude produite par la société Coquel pour démontrer que les prix pratiqués par la société Esso étaient supérieurs à ceux de la vente aux consommateurs dans les grandes surfaces ne porte pas sur les produits utilisés en station; qu'il retient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la société Coquel n'avait pas les moyens de pratiquer des prix concurrentiels; que répondant ainsi aux conclusions dont fait état le moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen est sans fondement;
Et sur le moyen unique produit par M. Coquel, pris en ses deux branches : - Attendu que M. Coquel reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement d'une provision de 350 000 F à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice personnel et sa demande d'expertise aux fins d'évaluation définitive de ce préjudice, alors, selon le moyen : 1°) que dans les conclusions prises par la société Coquel, M. Coquel n'apparaissait pas en qualité d'appelant à titre accessoire; qu'en l'associant constamment à la société Coquel dans le résumé des prétentions communes qu'elle prête aux deux parties, la cour d'appel a entaché sa décision de dénaturation des écritures de M. Coquel et a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; 2°) que dans les conclusions prises dans son intérêt à titre personnel, M. Coquel poursuivait la réparation de son préjudice tiré de l'appauvrissement subi en conséquence des apports en compte courant d'associé de la SARL qu'il avait été contraint de faire "pour faire face au déficit d'exploitation du mandat supporté par la SARL"; qu'il précisait que le remboursement des pertes à la SARL n'emportait pas réparation de son préjudice personnel résultant de la privation de liquidités importantes ainsi que de l'obligation de céder une partie de son actif immobilier à la société Esso pour dégager de nouvelles liquidités, alors même qu'il comptait tirer de la location commerciale de l'immeuble cédé au successeur de la SARL des revenus pour sa retraite; qu'il sollicitait en conséquence la condamnation de la société Esso à lui payer une provision de 350 000 F et demandait à la cour d'appel de désigner un expert, chargé d'évaluer son préjudice définitif en calculant "la perte en capital, compte tenu de l'indexation normale des loyers commerciaux et des perspectives d'avenir de la station-service par rapport au prix tiré de la vente"; qu'en conséquence de la dénaturation des conclusions d'appel de la société Coquel, à qui elle associait à tort M. Coquel! en qualité d'intervenant accessoire, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions d'appel séparées, prises par M. Coquel à titre personnel, et a, par là même, entaché sa décision d'une violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que, sans dénaturer les conclusions de M. Coquel ni méconnaître les termes du litige, la cour d'appel a justifié le rejet de la demande faite par M. Coquel à titre personnel en décidant que la société Esso n'était pas tenue de prendre en charge les pertes d'exploitation; que le moyen n'est pas fondé;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.