CA Lyon, 3e ch., 26 mars 1999, n° 98-05265
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Match 1 (SA)
Défendeur :
ITC (SA), Scarfogliero (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
Mme Robert, M. Ruellan
Avoués :
Me Guilhem, SCP Dutrievoz
Avocats :
Mes Lagneaux, Rebut
FAITS PROCEDURE PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société Match 1, créée en décembre 1986, a acquis, par acte du 03-12-1987, le fonds de commerce de fabrication et commercialisation de machines automatiques pour le montage de roues de cycles qu'exploitait à Annecy la société CPM avant qu'elle ne fasse l'objet d'une mise en liquidation judiciaire ayant conduit à la dite cession sur le fondement de l'article 155 de la loi du 25-01-1985;
Afin d'assurer la reprise de son activité la société Match 1 a conclu le 01-09-1989 avec la société ITC, constituée à cet effet entre MM. Grebel et Carminati, anciens responsables de la société CPM, un contrat de représentation commerciale exclusive d'une durée de 3 ans renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par l'une des parties six mois avant l'arrivée du terme;
Bien que la société Match 1 ait notifié par courrier du 24-03-1997 à la société ITC son intention de ne pas reconduire ce contrat au-delà de son échéance du 01-09-1992, les relations de collaboration qu'il a instaurées entre les deux sociétés se sont poursuivies jusqu'à ce que, suite à la mise en redressement judiciaire de la société Match 1 par jugement rendu le 10-09-1997 par le Tribunal de grande instance de Montbrison, Me Pozzoli, agissant en qualité d'administrateur judiciaire et en vertu des dispositions de l'article 37 de la loi du 25-01-1985, décide, dans le cadre d'un plan de continuation, de mettre fin à cette " convention de collaboration " par courrier recommandé du 24-03-1997 avec effet immédiat;
C'est dans ces conditions que la société ITC a adressé le 22-04-1997 à Me Scarfogliero, représentant des créanciers, une demande d'admission au passif de la société Match 1 à titre de créancier chirographaire pour :
- un solde de commissions de 262 651, 68 F portée par courrier du 02-07-1997 à 289 898, 68 F HT,
- une indemnité de clientèle de 5 261 088, 59 F HT correspondant à deux années de commissions;
Suite à la contestation soulevée par la société Match 1 et Me Scarfogliero, le juge commissaire a rendu une ordonnance en date du 30-06-1998 aux termes de laquelle, après avoir débouté ceux-ci de leur exception d'incompétence matérielle et de leur exception d'irrecevabilité pour irrégularité de la déclaration de créance, a prononcé l'admission au passif de la société ITC pour les sommes de 317 258, 79 F et 5 518 847, 20 F TTC;
La société Match 1 a relevé appel de cette ordonnance et déposé des conclusions de réformation aux termes desquelles reprenant les moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, elle soutient essentiellement :
- que portant sur la qualification des relations contractuelles ayant existé entre les parties la contestation ne relevait pas, en vertu de l'article 101 de la loi du 25-01-1985, de la compétence du juge commissaire mais de celle du Tribunal de grande instance de Montbrison statuant en matière commerciale;
- au fond que la créance revendiquée à titre d'indemnité de clientèle n'est pas fondée dès lors qu'à compter du 01-09-1992 les parties n'étaient plus liées par le contrat d'agent commercial signé le 01-09-1989 et que faute de signature d'un nouveau contrat et de renouvellement par la société ITC de son inscription au registre des agents commerciaux, il n'existait plus entre les parties, au 01-01-1994 date d'entrée en vigueur de la loi du 25-01-1991, de contrat susceptible d'être qualifié de contrat d'agent commercial et dont la reconduction tacite aurait ouvert droit à indemnité de résiliation en vertu de la nouvelle loi; que d'ailleurs la commune intention des parties a été de soustraire leurs relations à l'application du statut d'agent commercial ainsi qu'en atteste la durée limitée du contrat de collaboration qu'elles ont initialement signé, exclusive de toute indemnité de rupture, de la volonté exprimée par la société ITC dans un courrier adressé le 12-11-1992 aux services fiscaux de se situer dans le cadre d'un contrat de courtage, et surtout de l'état de dépendance dans lequel la société ITC collaborait à la politique commerciale de la société Match 1 qui participait directement aux négociations et à la conclusion des contrats;
- qu'en toute hypothèse le montant de l'indemnité réclamée dépasse largement le préjudice qu'elle a pour objet de réparer compte tenu des circonstances de fait selon lesquelles la rupture des relations s'inscrit dans le cadre d'une réorganisation en vue du redressement de l'entreprise, la société ITC n'a fait qu'entretenir la clientèle transmise à la société Match 1 lors de l'acquisition du fonds et n'a jamais atteint les objectifs fixés de telle sorte qu'elle est à l'origine des difficultés ayant entraîné sa mise en redressement judiciaire;
Elle demande donc à la cour à titre principal de constater que le juge commissaire n'était pas compétent pour trancher la contestation, à titre subsidiaire de constater que les relations contractuelles liant les parties ne relevaient pas du statut des agents commerciaux et que leur rupture ne pouvaient donc ouvrir droit à indemnisation, plus subsidiairement de rejeter toute créance indemnitaire faute de preuve du préjudice allégué et en toute hypothèse de condamner la requérante au paiement d'une indemnité de procédure de 20 000 F;
La société ITC a déposé des conclusions tendant à la confirmation de l'ordonnance entreprise sauf à voir porter à la somme de 6 344 872, 70 F TTC le montant de sa créance indemnitaire et voir condamner l'appelante à lui verser une indemnité de procédure de 20 000 F;
Au soutien de ses prétentions et en défense à l'argumentation adverse elle fait essentiellement valoir :
- que faute d'avoir été soulevée in limine litis l'exception d'incompétence est irrecevable; qu'elle est en tous cas mal fondée au regard des dispositions de l'article 101 de la loi du 25-01-1985 et en toute hypothèse dépourvue de portée en vertu de l'effet dévolutif de l'appel;
- qu'aux termes du contrat initial les parties ont expressément entendu être liées par un contrat d'agent commercial d'une durée de trois ans reconductible tacitement; que sa poursuite au-delà du terme échu sans autre modification qu'une réduction temporaire du taux de commissionnement, traduit la volonté des parties de le renouveler dans les mêmes termes sans limitation de durée; que les allégations de l'appelante quant à l'existence d'un rapport de dépendance contraire aux modalités d'exercice du mandat d'agent commercial et quant à l'absence de développement d'une clientèle nouvelle sont démenties par l'ensemble des pièces et correspondances versées aux débats;
- que le défaut de renouvellement de son inscription sur le registre des agents commerciaux est purement fortuit et dépourvu de toute incidence sur l'existence du mandat d'agent qui, soit procède du contrat initial qui s'est renouvelé après 1992 et sous l'empire duquel elle était immatriculée, soit procède d'un nouveau contrat conclu en 1992 et régi par la loi du 25-06-1991 aux termes de laquelle l'immatriculation n'est plus une condition d'application du statut;
- qu'en vertu de la loi précité la rupture du contrat, qu'il soit à durée indéterminée ou déterminée ouvre droit à indemnisation du préjudice résultant de la perte de clientèle, même si cette rupture est justifiée par la nécessité de réorganiser les services de l'entreprise;
- que la société Match 1 n'est pas non plus fondée à se prévaloir d'une rupture justifiée par une violation de son engagement de non-concurrence en l'absence de toute élément susceptible de fonder ces allégations;
- que le montant de l'indemnité ne peut davantage être contesté dès lors qu'elle a été calculée, conformément aux usages, sur la base du montant des commissions brutes des deux dernières années, et qu'elle démontre avoir perdu 50 % de son chiffre d'affaires suite à la résiliation de ce mandat;
Me Scarfogliero, intimé en qualité de représentant des créanciers, n'a pas constitué avoué malgré l'assignation qui lui a été délivrée le 14-12-1998 en la personne d'une employée habilitée;
Sur requête de la société ITC le conseiller de la mise en état a, par ordonnance en date du 30-10-1998, condamné la société Match 1 au paiement d'une provision de 583 560, 60 F représentant sa participation à titre provisionnel à la répartition faite le 09-09-1999;
Sur quoi LA COUR,
1°) Sur l'exception d'incompétence
Attendu qu'à la supposer recevable l'exception d'incompétence soulevée par l'appelante est dépourvue de fondement au regard des dispositions combinées des articles 101 et 102 alinéa 3 de la loi du 25-01-1985 dont il résulte que le juge commissaire est compétent pour statuer sur l'admission ou le rejet des créances lorsque la matière relève de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure collective, ce qui est le cas en l'occurrence dès lors que le litige porte sur l'application d'une convention signée entre deux sociétés commerciales dont l'une est la débitrice en redressement judiciaire;
2°) Sur le bien fondé de la demande d'admission
Attendu que le litige ne porte que sur la créance indemnitaire revendiquée par la société ITC pour rupture de son contrat d'agent commercial, et non sur celle, réclamée à titre de solde de commissions, dont l'admission pour son montant déclaré n'est pas remise en cause;
Attendu qu'au soutien de son appel la société Match 1 prétend que les relations qui se sont instaurées entre les parties s'inscriraient dans le cadre d'un contrat de collaboration ou de prestation de services sui generis ou dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun dont la résiliation pour juste motif n'ouvrirait pas droit à indemnisation au profit de la société ITC;
Attendu cependant que la société Match 1 ne peut sérieusement soutenir, sans en dénaturer les clauses claires et non équivoques, que le contrat de représentation qu'elle a signé le 01-09-1989 pour une durée de trois années renouvelable avec la société ITC ne constituerait pas un contrat d'agent commercial dès lors qu'il y est expressément stipulé qu'elle confère à cette dernière un mandat exclusif de représentation auprès de sa clientèle dans l'exercice duquel elle lui garantit la plus entière indépendance;
Que ses allégations selon lesquelles, sous couvert de ce contrat, destiné à détourner l'interdiction faite par l'article 155 de la loi du 25-01-1985 aux anciens dirigeants de la débitrice de participer à la gestion de la société repreneur, la société ITC ne disposait en fait d'aucune indépendance et liberté de négociation et de transaction, ne reposent que sur des notes internes dont ni le contenu ni la forme n'accréditent l'existence d'un lien de subordination ou d'une limitation significative des pouvoirs de l'agent qui excéderait celle inhérente à l'exercice de tout mandat impliquant qu'il reçoive des instructions de son mandant et lui rende compte régulièrement des diligences accomplies pour son compte;
Que ces allégations sont d'ailleurs en totale contradiction avec les stipulations du contrat relatives aux conditions d'exercice du mandat lesquelles comportent notamment une clause dite " de survente " qui, autorisant l'agent à vendre à un prix supérieur au tarif fixé par le mandant moyennant un taux de commissionnement majoré, caractérise généralement l'existence d'une représentation exercée dans des conditions d'indépendance maximales, de même que la clause autorisant la société ITC à agir concurremment pour le compte d'autres mandants consacre le caractère autonome de son activité;
Qu'enfin le mode de rémunération de la société ITC fixée par la convention sous forme d'un commissionnement sur l'ensemble des ventes réalisées par la société Match y compris celles qu'elle n'aurait pas apportées, est en tous points conforme au statut de l'agent commercial bénéficiant d'une représentation exclusive;
Attendu que si la société Match 1 justifie avoir notifié par courrier du 17-02-1992 à la société ITC son intention de ne pas renouveler ledit contrat au-delà du terme fixé au 01-09-1992, et si dans l'esprit des parties cette absence de reconduction ne devait pas ouvrir droit à indemnisation de l'agent, il s'évince de l'ensemble des pièces versées aux débats que leurs relations se sont poursuivies au-delà de ce terme durant plusieurs années jusqu'à ce que Me Pozzoli y mette un terme par sa lettre du 24-03-1997;
Or attendu que les prétentions de la société appelante selon lesquelles les relations qu'elles auraient alors entretenues postérieurement au 01-09-1992 se seraient situées en dehors du cadre du statut de l'agent commercial sont en totale contradiction tant avec les stipulations mêmes du contrat du 01-09-1989, qui en prévoyaient le renouvellement par tacite reconduction, qu'avec les termes des correspondances que les parties ont échangées les 3 et 27-09-1993 par lesquelles la société Match 1 d'une part, après avoir rappelé à la société ITC que suite à son courrier de dénonciation du 17-02-1992 elles avaient poursuivi leur collaboration, à titre précaire, sur les mêmes bases, lui propose d'envisager la poursuite de son mandat selon les modalités qu'elle lui a communiquées à savoir une renonciation à tout commissionnement sur les ventes réalisées en Italie et une réduction de 9 % à 6, 5 % de son taux de commissionnement de base, et la société ITC d'autre part déclare expressément accepter cette proposition sous réserve que les réductions apportées au commissionnement constituent une modification temporaire de l'article 3 du contrat du 01-09-1989;
Que cette commune intention exprimée ainsi par les parties de poursuivre le contrat initial, laquelle emporte renonciation pour la société Match 1 au bénéfice de son courrier de dénonciation dont le but était de renégocier le taux de commissionnement, se trouve d'ailleurs confirmée par l'ensemble des notes internes échangées entre les parties qui démontrent que les modalités de leur collaboration sont effectivement demeurées les mêmes, la société ITC continuant en qualité de professionnel indépendant à négocier des contrats de vente au nom et pour le compte de la société Match 1 conformément aux prescriptions de l'article 1 de la loi du 25-06-1995, et que la seule modification apportée aux modalités d'exercice de ce mandat ont consisté à réduire temporairement le taux de commissionnement de l'agent, avant de le relever à 8 % aux termes d'un échange de correspondances intervenu les 22-12-1995 et 17-01-1996;
Que la société ITC est donc bien fondée à soutenir qu'elle est demeurée liée à la société Match 1 par le contrat signé la 01-09-1987 que les parties ont reconduit d'année en année sur les mêmes bases, et qu'en vertu de ce contrat sa collaboration s'inscrivait dans le cadre de l'exercice d'un mandat d'agent commercial;
Qu'il en résulte qu'en vertu de l'article 20 de la loi du 25-06-1991 qui en a étendu le champ d'application aux contrats en cours au 01-01-1994, le contrat liant les parties se trouve soumis de plein droit aux dispositions de la nouvelle loi selon lesquelles un contrat à durée déterminée qui continue à être exécuté par les deux parties après son terme est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée dont la résiliation, à moins qu'elle ne soit la conséquence d'une faute grave de l'agent, ouvre droit pour ce dernier au versement d'une indemnité compensatrice du préjudice résultant de la perte de clientèle;
Or attendu que motivée par la nécessité de réorganiser les services de la société Match 1 et réduire ses charges de fonctionnement en vue de présenter un plan de redressement par continuation, la rupture du contrat par Me Pozzoli ne repose pas sur un quelconque manquement qu'aurait commis la société ITC envers la société Match 1 qui n'est donc pas fondée à se prévaloir a posteriori d'une prétendue carence de cette dernière dans l'exécution de son mandat, au demeurant non démontrée et démentie par l'augmentation même de son taux de commissionnement en 1996;
Attendu que c'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que la société ITC était en droit de prétendre au versement d'une indemnité de clientèle;
Attendu que compte tenu de la durée du mandat et de la diminution très substantielle du montant de son chiffre d'affaires que la société ITC justifie avoir enregistré consécutivement à sa cessation dudit mandat, laquelle n'a pas été précédée d'un préavis eu égard aux circonstances l'ayant motivée, le montant de l'indemnité compensatrice de la perte de clientèle a été à juste titre évaluée, conformément aux usages, sur la base du montant des commissions perçues au cours des deux derniers exercices précédents la rupture, ce qui, aux termes du décompte joint à la déclaration de créance, représente la somme de 5 261 088, 59 F HT, (et non celle de 5 518 347, 20 F mentionnée dans l'ordonnance entreprise);
Que celle-ci sera donc confirmée en toutes ses dispositions sauf à corriger le montant de ladite indemnité;
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, et ceux non contraires du premier juge, LA COUR : Confirme l'ordonnance entreprise sauf à admettre la société ITC pour les sommes de 317 258, 79 F et 5 261 088, 59 F HT; Rejette toutes autres demandes; Condamne l'appelante aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Dutrievoz avoués.