CA Versailles, 12e et 13e ch. réunies, 13 mai 1997, n° 5489-94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Schneider (SARL)
Défendeur :
BP France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
M. Frank, Mme Laporte, M. Maron, Mme Metadieu
Avoués :
Me Bommart, SCP Lissarague, Dupuis & Associés
Avocats :
Mes Bazetoux, Heral
FAITS ET PROCEDURE :
Selon contrat du 28 juin 1984, la SA BP France a confié à la SARL Schneider, l'exploitation d'un fonds de commerce de station service situé 182 avenue de Strasbourg à Brumath (67) sous forme de location-gérance, en ce qui concerne la vente de lubrifiants et d'articles divers et en qualité de mandataire pour la distribution des produits énergétiques pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation sous préavis de trois mois, sans que la durée puisse excéder 5 ans.
Après avoir dénoncé le contrat, le 27 avril 1988 à effet du 31 juillet suivant, la société Schneider a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action indemnitaire au titre des pertes éprouvées dans la gestion du mandat sur le fondement de l'article 2000 du Code civil et de la rupture abusive de ce contrat.
Par jugement du 22 février 1990, cette juridiction a déclaré la société BP France tenue d'indemniser la société Schneider des pertes subies dans la gestion de son mandat de distribution des carburants du 28 juin 1984 au 31 juillet 1988 et ordonné, avant dire droit, une expertise afin de vérifier la réalité des pertes alléguées.
Sur le recours exercé par la société BP France contre cette décision, la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 24 juin 1992, l'a infirmée et débouté la société Schneider de toutes ses prétentions et la société BP France de sa demande en dommages et intérêts, lui a alloué une indemnité de 10 000 F HT en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la société Schneider aux dépens des deux instances.
Sur le pourvoi formé par la société Schneider, la Cour de cassation, par arrêt du 28 juin 1994, relevant en premier lieu au visa de l'article 1134 du Code civil que la cour d'appel avait méconnu la loi des parties, pour avoir estimé que les sociétés BP France et Schneider avaient dérogé aux dispositions supplétives édictées par l'article 2000 du Code civil, par la stipulation d'une commission forfaitaire sur la vente des produits énergétiques ne pouvant avoir pour objet de couvrir les pertes d'exploitation subies par le mandataire, puis en second lieu, au visa de l'article 2000 du Code civil, que la Cour n'avait pas donné de base légale à sa décision de rejet de la demande en indemnisation de ses pertes présentées par la société Schneider en se bornant à retenir que la réalité des pertes alléguées définies comme étant "la résultante d'un excédent de charges par rapport aux recettes", n'était pas démontré, sans rechercher comme elle y avait été invitée si les conditions de la vente des produits énergétiques étaient fixées par la société mandante de telle sorte que le mandataire n'était pas maître, ni des charges de l'exploitation, ni des recettes de celle-ci alors que, dans cette hypothèse, le mandataire sauf le cas où une imprudence lui serait imputable, doit sortir indemne de sa gestion", a cassé et annulé l'arrêt du 24 juin 1992 dans toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.
La société Schneider a saisi la cour de ce siège.
Elle soutient que les pertes d'exploitation doivent être indemnisées par la société BP France conformément aux dispositions de l'article 2000 du Code civil, auquel les parties n'ont pas renoncé en vertu d'une clause expresse et non équivoque du contrat, dans la mesure où elles ont pour origine les conditions d'exploitation imposées par la société BP qui n'a jamais jugé utile de les modifier en dépit des difficultés rencontrées qu'elle lui a signalées à de nombreuses reprises.
Elle se réfère pour leur montant aux conclusions de l'expert en soulignant que les déficits n'ont pas lieu d'être compensés avec la prime de fin de gérance remise au mandataire quelque soient les résultats.
Elle estime que la société BP, est seule responsable de la rupture du contrat de mandat d'intérêt commun qui les liait à défaut de lui avoir assuré des conditions d'exploitation lui permettant de dégager des résultats positifs et de l'avoir indemnisée de ses pertes.
Elle sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement en ce qu'il a dit applicable aux relations contractuelles, les dispositions de l'article 2000 du Code civil, et ordonné une expertise, la condamnation de la société BP au versement de la somme de 217 307 F au titre des pertes d'exploitation par voie d'homologation du rapport d'expertise de Madame Hénault du 24 juillet 1991, majorée des intérêts légaux à compter du jour où les avances ont été faites conformément à l'article 2001 du même code soit à partir du:
- 30 juillet 1984 sur la somme de 7 871 F
- 31 juillet 1985 sur la somme de 48 308 F
- 31 juillet 1986 sur la somme de 45 459 F
- 31 juillet 1987 sur la somme de 22 489 F
- 31 juillet 1988 sur la somme de 93 180 F
ou subsidiairement, de l'assignation du 9 septembre 1988, et dans tous les cas, leur capitalisation.
Elle réclame, en outre, 800 000 F de dommages et intérêts, correspondant à deux années de commissions pour rupture abusive du contrat de mandat d'intérêt commun ou subsidiairement, la somme de 400 000 F sauf à parfaire, représentant les commissions restant à percevoir jusqu'au 28 juin 1989, terme du contrat avec intérêts légaux depuis le 9 septembre 1988 capitalisés ainsi qu'une indemnité de 80 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société BP France conclut au rejet de toutes les prétentions de la société Schneider et demande reconventionnellement 5 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle oppose que l'analyse économique des conventions, comme l'absence de preuve rapportée par la société Schneider de pertes subies à l'occasion de la gestion du mandat et imputables à son exercice qui n'auraient pu être normalement prévues lors de la conclusion du contrat et de la fixation conventionnelle de sa rémunération, militent pour son débouté.
Elle fait valoir, qu'en toute hypothèse, l'indemnité de fin de gérance de 160 521,45 F doit être portée au crédit du compte de l'activité.
Elle ajoute qu'elle ne peut être poursuivie au titre de pertes découlant de l'exercice du mandat, à les supposer identifiées, résultant de l'imprudence du mandataire qui a selon elle, exploité la station service d'une manière contraire à sa finalité économique.
Elle prétend avoir offert des solutions, proposé des négociations dans le respect des accords interprofessionnels, mais s'être heurtée à la position transigeante de la société Schneider dont l'attitude a été exclusivement à l'origine de la rupture.
Elle considère que le montant de l'indemnité éventuellement due ne devrait concerner que la rupture de la seule convention de mandat, soit celle de distribution de carburants et ne pourrait excéder le commissionnement que la société Schneider était en mesure d'espérer pour l'unique période restant à courir.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public, le 13 décembre 1996, qui l'a visé à la même date en s'en rapportant à justice.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 1996.
MOTIFS DE L'ARRET :
Considérant que les relations entre les sociétés Schneider et BP, régies par le contrat d'exploitation de station service du 28 juin 1984, s'analysent d'une part, en un mandat pour la distribution exclusive des hydrocarbures BP d'intérêt commun, puisque l'une et l'autre des parties avait un intérêt propre à l'essor de l'entreprise compte tenu de la stipulation de commissions en faveur du mandataire, déterminées en fonction des ventes et, d'autre part, en une location-gérance pour la revente des autres produits.
Considérant que les demandes de la société Schneider tendent à l'indemnisation des pertes d'exploitation subies en qualité de mandataire et à celle résultant de la rupture selon elle abusive de la convention par la société BP.
Considérant qu'en vertu de l'article 2000 du Code civil, le mandant est tenu d'indemniser le mandataire des pertes d'exploitation qu'il a essuyées dans sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.
Considérant que tant le contrat d'exploitation que le protocole d'accord interprofessionnel du 1er mars 1983, auquel les parties ont soumis leurs relations, font référence expressément aux articles 1984 et suivants du Code civil, sans aucune restriction et sans comporter une quelconque dérogation à l'un de ces textes qui serait de nature à emporter renonciation non équivoque des parties à l'application des dispositions de l'article 2000 du même code, laquelle ne saurait résulter des termes de l'article 2-10 des conditions générales prévoyant "que la société est rémunérée pour ses peines et soins et toutes les charges qu'elle supporte dans l'exécution du présent mandat par une commission définie aux conditions particulières", qui ne visent nullement les pertes en cause, et ne traduisent pas la volonté des parties de déroger à l'application de article 2000 du Code civil.
Considérant que la société BP ne peut utilement prétendre à son exclusion en se contenant d'affirmer que les époux Schneider n'auraient rien mis en œuvre pour gérer la station de manière attractive sans étayer ses allégations de la moindre preuve, ni justifier de réclamations de sa part à cet égard pendant toute la durée d'exécution du mandat.
Qu'elle ne peut davantage invoquer le caractère excessif de leurs rémunérations dès lors que l'expert Madame Hénault, après les avoir vérifiées, a estimé que leur montant était normal et avait varié en fonction des résultats de la société dont ils étaient gérants.
Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'obligation de la société BP d'indemniser la société Schneider sur ce fondement au titre de ses pertes d'exploitation éprouvées durant la période s'écoulant entre les dates de la conclusion et de la dénonciation du contrat du 28 juin 1984 au 31 juillet 1988 et ordonné une expertise aux fins d'en vérifier la réalité.
Considérant que l'expert, après avoir examiné l'ensemble des pièces communiquées par les parties et notamment les documents comptables et fiscaux et vérifié la ventilation des charges entre les activités de mandat et de location-gérance comme les charges concernées et leur imputabilité au mandat, a évalué les pertes d'exploitation pour les exercices 83 à 88 à 217 307 F.
Que ces diligences accomplies de manière exhaustive n'ont pas lieu d'être remises en cause par la société BP qui, comme au cours du déroulement des opérations d'expertise, critique la ventilation effectuée par la société Schneider sans fournir pour autant d'autres clefs précises de répartition.
Que les données énoncées par Madame Hénault qui constituent des éléments d'appréciation suffisamment probants et pertinents seront en conséquence, pris en compte par la cour sauf à exclure du montant total des pertes celles de 7 871 F afférentes à l'exercice 83/94 durant lequel les époux Schneider exploitaient la station service, à titre individuel, en qualité de locataires gérants.
Considérant que le versement de l'indemnité de rupture fixée à 160 521,45 F en l'espèce, étant exclusivement subordonné, aux termes de l'article 4 des accords interprofessionnels de 1983, auxquels les parties ont entendu se soumettre à une durée de relations contractuelles d'au moins trois ans et au respect des obligations du contrat, sans qu'il ne soit fait état des résultats, n'a pas vocation à devoir compenser les déficits d'exploitation subis par le mandataire résultant des conditions déterminées par le mandant.
Considérant, par ailleurs, que les pertes, objet du litige, ne constituant pas des avances au sens de l'article 2001 du Code civil, la société Schneider n'est en droit d'obtenir les intérêts légaux sur l'indemnité de 209 436 F qui lui sera allouée de ce chef qu'à compter de l'assignation du 9 septembre 1988, et leur capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil, que depuis sa demande par conclusions du 22 février 1996.
Considérant qu'il s'infère de l'ensemble des pièces versées aux débats qu'à la suite de l'ouverture en 1985 à proximité de la station service exploitée par la société Schneider d'une grande surface procédant à d'importantes baisses de prix sur la distribution des carburants, le titrage vendu par cette société s'est réduit dans de notables proportions.
Que la société Schneider qui a réalisé au nom et pour le compte de la société BP la vente en exclusivité de ses produits selon des conditions de fonctionnement, des modalités de livraison et des tarifs imposés par le mandant a, dès le 30 décembre 1985, appelé l'attention de la société BP sur la baisse d'activité constatée due à l'absence de compétitivité des prix fixés par le pétrolier par rapport à la concurrence en sollicitant déjà de sa part la prise rapide de mesures pour y remédier.
Que le 8 juin 1987, la société Schneider réitérait sa demande en faisant état d'un déficit de vente de 10 000 litres par mois, de prix BP affichés, toujours plus élevés et non alignés sur la station la plus proche et rappelait l'engagement pris par BP de l'indemniser des pertes d'exploitation.
Qu'en réponse, la société BP, le 17 juin 1987, a seulement proposé le versement d'une indemnité de 9 600 F de manque à gagner sans cependant adopter une autre politique de prix, ni modifier les conditions de rentabilité de l'entreprise.
Que les 7 juillet 1987 et 26 octobre 1987, la société Schneider réclamait à nouveau le rétablissement de l'équilibre de l'activité carburant, puis adressait une ultime demande le 20 avril 1988, tout aussi vainement.
Considérant qu'il résulte de ces éléments, que nonobstant la présence constante des époux Schneider à la station service, l'absence de toute négligence démontrée à leur encontre et en dépit des différentes requêtes transmises par la société Schneider à la société BP pour lui signaler les difficultés rencontrées dans l'exploitation de la station service et lui demander d'en modifier les conditions dont cette dernière avait l'unique maîtrise afin de lui permettre de dégager des résultats devant être normalement équilibrés, comme te prévoyaient les accords interprofessionnels ou à tout le moins, de l'indemniser des pertes subies dans la distribution de carburants, la société BP qui n'établit pas y avoir procédé, est exclusivement à l'origine de la rupture du contrat que la société Schneider a été ainsi contrainte de dénoncer.
Considérant que la prétention en dommages et intérêts de cette dernière fondée en son principe, doit toutefois être limitée au montant des commissions nettes qu'elle aurait dû percevoir du 1er août 1988 jusqu'au terme de la convention le 28 juin 1989 qui constitue son seul préjudice et qu'il appartiendra aux parties d'évaluer, à défaut par elles d'avoir fourni à la cour les éléments nécessaires à cette fin, sans qu'il n'y ait lieu d'imputer encore l'indemnité contractuelle de rupture dont l'objet est distinct et qui sera assorti des intérêts légaux à compter du présent arrêt en application de l'article 1153 du Code civil.
Considérant que la procédure initiée et poursuivie par la société Schneider s'avérant en définitive justifiée au vu de l'issue du litige, la société BP sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts.
Considérant que l'équité commande d'accorder à la société Schneider une indemnité de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Que la société BP qui succombe en toutes ses prétentions et supportera les dépens des deux instances comprenant les frais d'expertise, n'est pas fondée en sa demande au même titre,
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et sur renvoi après cassation, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris au 22 février 1990, en toutes ses dispositions, Et y ajoutant au vu du rapport d'expertise de Madame Hénault du 24 juillet 1991, Condamne la SA BP France à payer à la SARL Schneider la somme de 209 436 F en application de l'article 2000 du Code civil avec intérêts légaux à compter du 9 septembre 1988 capitalisés depuis le 22 février 1996, La condamne encore à lui verser le montant des commissions nettes qu'elle aurait dû percevoir du 1er août 1988 jusqu'au 28 juin 1989, à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux à compter du présent arrêt, Déboute la SA BP France de sa demande en dommages et intérêts, La condamne à régler à la SARL Schneider une indemnité de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette sa prétention sur le même fondement, La condamne aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise et autorise Maître Bommart, Avoué, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.