CA Paris, 25e ch. A, 28 juin 2002, n° 2000-17664
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cipe France (SA)
Défendeur :
Domingues, Turboust
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picque
Avoués :
Me Bettinger, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Nizou Lesaffre, Guillain
La société SPE a conclu le 25 février 1997 avec Alvaro Moreira Domingues, locataire-gérant d'un fonds de commerce de café-restaurant à Aubervilliers appartenant à Martine Turboust, un contrat de maintenance concernant l'installation et la mise en service d'un publiphone moyennant une redevance mensuelle de 480 F ht, pour une durée de quatre ans. Les loyers ont été payés jusqu'en août 1997. La société SPE ayant été mise en liquidation le 29 janvier 1998, la société Cipe France qui a repris ses actifs a attrait Alvaro Moreira Domingues et Martine Turboust devant le Tribunal de commerce de Bobigny le 22 décembre 1999, demandant leur condamnation à lui payer les échéances impayées ainsi que celles restant à courir jusqu'au terme du contrat. Martine Turboust a conclu au débouté de la société Cipe France, faisant valoir que le contrat de location-gérance conclu le 30 octobre 1996 interdisait à Alvaro Moreira Domingues pendant les six premiers mois suivant la signature du contrat, de souscrire un engagement supérieur à une année sans l'autorisation expresse du propriétaire du fonds. Alvaro Moreira Domingues a fait état d'une proposition de transaction, à laquelle il n'a pas été donné suite.
Par jugement contradictoire rendu le 11 mai 2000, le Tribunal de commerce de Bobigny :
- a condamné Alvaro Moreira Domingues à payer à la société Cipe France 10 419,84 F en principal augmentés d'intérêts de retard au taux légal à compter du 7 juillet 1999 date de la mise en demeure, et 2 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- a ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,
- a débouté les parties de leurs autres demandes.
La société Cipe France a interjeté appel, et dans ses dernières conclusions déposées le 4 avril 2002, auxquelles il est renvoyé, expose que les premiers Juges ont écarté à tort sa demande en ce qu'elle était dirigée également contre Martine Turboust, dès lors que les dispositions de l'article 144-7 du Code de commerce (ancien article 8 de la loi du 20 mars 1956), selon lesquelles jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de huit mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds, sont des dispositions impératives auxquelles les parties au contrat de location-gérance ne peuvent échapper, les clauses contraires de ce contrat publié au BODAC le 21 février 1997 lui étant totalement inopposables.
Elle soutient, aussi, que la clause du contrat prévoyant le paiement de la totalité des loyers dans le cas d'une rupture anticipée de ce contrat ne saurait constituer une clause pénale, alors qu'il s'agit seulement d'un mécanisme de déchéance du terme, les sommes qu'elle réclame ne pouvant être réduites, et ajoute, subsidiairement, que la durée du contrat correspond à la période d'amortissement du matériel, une réduction des loyers restant à courir se traduisant par un préjudice financier incontestable à concurrence du montant de la réduction.
Elle demande à la cour
- de confirmer la décision entreprise, en ce qu'elle a condamné Alvaro Moreira Domingues à lui payer 1 588,49 euro, et a statué sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de l'infirmer pour le surplus et de condamner solidairement ou à défaut in solidum Alvaro Moreira Domingues et Martine Turboust à lui payer 2 373,23 euro à titre additionnel, augmentés d'intérêts à compter du 7 juillet 1999 eux-mêmes capitalisés,
- de condamner in solidum Alvaro Moreira Domingues et Martine Turboust à lui payer 1 800 euro pour ses frais irrépétibles.
Martine Turboust, intimée, réplique dans le dernier état de ses écritures déposées le 7 mai 2002, auxquelles il est renvoyé, que la clause litigieuse, qui a pour objet de prévoir une obligation spécifique et impérative à la charge du locataire-gérant, est parfaitement valable et donc opposable aux tiers, et ce d'autant plus qu'à la date de signature du contrat d'installation d'un publiphone, le contrat de location-gérance avait été publié et enregistré depuis de nombreux mois, l'information des tiers étant donc possible pour autant qu'ils soient diligents.
Elle s'estime fondée à opposer à la société Cipe France la fraude à laquelle s'est associée la société SPE dans la conclusion d'un contrat d'une durée de quatre ans alors que le contrat prévoyait l'intervention du loueur du fonds pour tout contrat supérieur à un an, ce que ne pouvait ignorer la société SPE.
Subsidiairement, elle déclare qu'elle est fondée à invoquer la faute délictuelle commise par la société SPE qui a conclu un contrat d'une durée de quatre ans sachant que le contrat de location-gérance n'avait qu'une durée d'un an, ce qui devait l'inciter à en vérifier les termes, cette faute justifiant sa propre demande de dommages intérêts.
Elle demande à la Cour :
- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a déchargée de toute obligation à l'égard de la société Cipe France et de condamner cette dernière à lui verser 762,25 euro de dommages intérêts,
- subsidiairement, de constater que le contrat de maintenance a été conclu postérieurement à la publication du contrat de location-gérance et de dire que la société SPE aux droits de laquelle vient la société Cipe France s'est associée à une fraude ou à tout le moins a engagé sa responsabilité délictuelle à son égard, et de la condamner à lui payer 4 573,47 euro de dommages intérêts,
- d'ordonner la compensation de cette somme et celles qui pourraient être mises à sa charge,
- en toute hypothèse, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la clause du contrat de maintenance prévoyant le paiement de la totalité des loyers en cas de rupture anticipée du contrat, constituait une clause pénale et a fixé le montant des sommes restant dues par Alvaro Moreira Domingues à 1 588,5 euro.
Alvaro Moreira Domingues, intimé assigné à comparaître par exploit du 14 septembre 2001 délivré dans les formes prévues par l'article 659 du nouveau Code de procédure civile, n'a pas comparu.
Il sera statué par arrêt réputé contradictoire.
Sur ce,
Sur l'opposabilité du contrat à Martine Turboust, loueur du fonds
Considérant que Alvaro Moreira Domingues, locataire-gérant d'un fonds de commerce de bar restaurant suivant contrat conclu avec Martine Turboust le 30 octobre 1996, a conclu le 25 février 1997 un contrat d'installation et de maintenance d'un publiphone avec la société SPE aux droits de laquelle vient la société Cipe France, pour quatre ans et moyennant un loyer mensuel de 480 F ht ; que Alvaro Moreira Domingues ayant cessé de payer les échéances à compter du mois d'août 1997, le contrat a été résilié après mise en demeure du 7 juillet 1999 ; que la société Cipe France réclame le paiement des loyers impayés et des échéances restant à courir jusqu'au terme du contrat à son cocontractant, ainsi qu'à Martine Turboust en sa qualité de loueur du fonds;
Considérant que selon l'article L. 144-7 du Code de commerce, jusqu'à la publication du contrat de location-gérance, et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds;
Mais considérant que ces dispositions, qui dérogent au principe de la relativité des contrats, sont d'interprétation stricte, seuls les tiers de bonne foi pouvant invoquer le bénéfice de la responsabilité solidaire du loueur ; qu'il est constant que le contrat de location-gérance conclu le 30 octobre 1996 entre Martine Turboust et les époux Domingues, a été publié au BODAC le 21 février 1997, avant la signature du contrat litigieux, les modifications apportées au mode d'exploitation du fonds ayant été également inscrites au registre du commerce le 6 février 1997; que le contrat de location-gérance, conclu pour une aunée selon les mentions portées au registre du commerce, stipule que "le locataire-gérant s'interdit, pendant les six premiers mois de la présente location-gérance, de passer sans l'accord express et écrit du loueur toute convention comportant des engagements financiers tels que notamment prêts, emprunts, contrat de crédit-bail sur une durée excédant une année";
Considérant que c'est ainsi par de justes motifs que la cour adopte, que les premiers Juges ont considéré que la société SPE, parfaitement informée du mode d'exploitation du fonds, devait s'assurer de la qualité et des pouvoirs de son cocontractant, et ce d'autant plus que le contrat proposé à Alvaro Moreira Domingues était d'une durée de quatre ans, bien supérieure à celle de la location-gérance consentie à leur cocontractant; qu'il suit que le contrat conclu entre la société SPE et les époux Domingues est inopposable au loueur du fonds, Martine Turboust devant être mise hors de cause;
Sur la nature de la clause relative au paiement de la totalité des loyers en cas de résiliation anticipée du contrat
Considérant que la société Cipe France fait valoir que les premiers Juges ont considéré à tort que les dispositions relatives au paiement de la totalité des loyers en cas de résiliation anticipée du contrat avaient la nature d'une clause pénale, et soutient qu'il n'y a pas lieu à réduction de l'indemnité contractuellement convenue ;
Mais considérant que selon l'article 5 du contrat, "A défaut de paiement exact à son échéance, de l'une des mensualités prévues au contrat, et huit jours après mise en demeure par courrier recommandé avec avis de réception, le contrat de maintenance sera ipso facto résilié. A titre d'indemnité contractuelle de résiliation, anticipée, et pour compensation du préjudice en résultant, le solde des mensualités de la période contractuelle en cours deviendra immédiatement et de plein droit exigible";
Considérant que la clause contractuelle assurant au loueur, dans un contrat de longue durée, le droit d'exiger immédiatement le paiement de la totalité des loyers à échoir sur toute la durée de la location résiliée, constitue une clause pénale en ce qu'elle excède la réparation de la simple privation des avantages attendus d'une exécution convenable du contrat
Que c'est par de justes motifs que la cour adopte, que les premiers Juges ont considéré que cette clause était manifestement excessive, observant que les intérêts moratoires alloués à la société Cipe France constituaient une indemnisation complémentaire du préjudice subi par la société, et ont fixé le montant de l'indemnité de résiliation due par Alvaro Moreira Domingues à 1 588,49 euro (10 419,84 F) augmentés d'intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1999 ;
Considérant que les conditions de la capitalisation sont réunies ; qu'elle a été sollicitée par la société Cipe dans son acte introductif d'instance 22 décembre 1999; que la mise en demeure ayant été adressée le 7 juillet 1999, il convient de l'ordonner à compter du 7 juillet 2000;
Sur la demande de dommages intérêts formée par Martine Turboust
Considérant que Martine Turboust, qui ne justifie pas avoir subi un préjudice quelconque du fait de l'action engagée à son encontre par la société Cipe France, sera déboutée de sa demande de dommages intérêts ; qu'elle ne demande aucune indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a mis hors de cause Martine Turboust, dit que la clause relative au paiement immédiat de la totalité des loyers en cas de résiliation anticipée du contrat constituait une clause pénale manifestement excessive, fixé à 1 588,49 euro le montant de l'indemnité de résiliation due par Alvaro Moreira Domingues, et statué sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que sur les dépens, Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 7 juillet 2000, jusqu'à parfait paiement, Déboute la société Cipe France de ses demandes plus amples ou contraires, et Martine Turboust de sa demande de dommages intérêts, Condamne la société Cipe France aux dépens d'appel, Dit qu'ils seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.