Conseil Conc., 16 janvier 2003, n° 03-D-04
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par le barreau d'Albertville en matière d'assurances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de Mme Bergaentzlé, par Mme Pasturel, vice-présidente, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, MM. Bidaud, Flichy, Gauron, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 19 janvier 1998, sous le numéro F 1009, par laquelle Maître Claude Vial, avocate, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques reprochées au barreau des avocats d'Albertville ; Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le barreau d'Albertville et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants du barreau des avocats d'Albertville entendus au cours de la séance du 19 novembre 2002, Maître Claude Vial ayant été régulièrement convoquée ; Les représentants du Conseil national des barreaux entendus conformément aux dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
A. - La profession d'avocat et sa réglementation en matière d'assurance
1. La profession d'avocat est régie par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat. La profession est constituée en barreaux établis auprès des tribunaux de grande instance. Chaque barreau est doté de la personnalité civile et est administré par un Conseil de l'Ordre. Les membres du Conseil de l'Ordre sont élus pour trois ans, au scrutin secret, par tous les avocats inscrits au tableau du barreau, par les avocats stagiaires ayant prêté serment avant le 1er janvier de l'année au cours de laquelle a lieu l'élection et par les avocats honoraires dudit barreau. A sa tête est élu pour deux ans un bâtonnier qui représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il lui revient de prévenir ou, le cas échéant, de concilier les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau et d'instruire toute réclamation formée par les tiers.
2. Les missions du Conseil de l'Ordre sont définies par l'article 17 de la loi précitée. Il a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Il est, en particulier, tenu "d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur, de statuer sur l'inscription au tableau des avocats (...) d'exercer la discipline (...) de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaires (...) de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice".
3. Selon les articles 22 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, le Conseil de l'Ordre, siégeant comme conseil de discipline, poursuit et réprime les infractions et fautes commises par les avocats inscrits au tableau ou sur la liste du stage. Il agit, soit d'office, soit à la demande du procureur général, soit à l'initiative du bâtonnier. Le Conseil de l'Ordre peut suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Dans les mêmes conditions ou à la requête de l'intéressé, il peut mettre fin à cette suspension. Les décisions du Conseil de l'Ordre en matière disciplinaire peuvent être déférées à la cour d'appel par l'avocat intéressé ou par le procureur général.
4. Aux termes de l'article 19 de la loi précitée, "toute délibération ou décision du Conseil de l'Ordre étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est annulée par la cour d'appel, sur les réquisitions du procureur général". Peuvent également être déférées à la cour d'appel, à la requête de l'intéressé, les délibérations ou décisions du Conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat. De la même façon, les décisions du Conseil de l'Ordre relatives à l'inscription au tableau ou sur la liste du stage, à l'omission ou au refus d'omission du tableau ou de la liste du stage peuvent, en vertu de l'article 20 de la même loi, être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.
5. En matière d'assurances professionnelles, l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 édicte deux obligations à la charge de l'avocat, celui-ci étant tenu, d'une part, de se garantir des négligences et des fautes qu'il peut commettre dans l'exercice de ses fonctions, d'autre part, de garantir les tiers contre les risques liés au maniement des fonds qu'il reçoit :
"Il doit être justifié, soit par le barreau, soit collectivement ou personnellement par les avocats, soit à la fois par le barreau et par les avocats, d'une assurance garantissant la responsabilité civile de chaque avocat, membre du barreau, en raison des négligences et fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Il doit également être justifié d'une assurance au profit de qui il appartiendra, contractée par le barreau ou d'une garantie affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus.
Le bâtonnier informe le procureur général des garanties constituées (...)"
6. L'article 205 du décret du 27 novembre 1991, pris en application de la loi précitée, fixe en son 2ème alinéa le montant minimum de la garantie de responsabilité civile professionnelle :
"Tout avocat doit être couvert contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle, définie au premier alinéa de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, par un contrat souscrit auprès d'une entreprise d'assurances régie par le Code des assurances, soit collectivement ou personnellement par les avocats, soit à la fois par le barreau et par les avocats.
Les contrats d'assurance ne doivent pas comporter une limite de garantie inférieure à 2 000 000 F, par année, pour un même assuré. Ils ne doivent pas prévoir de franchise à la charge de l'assuré supérieure à 10 pour 100 des indemnités dues, dans la limite de 20 000 F. La franchise n'est pas opposable aux victimes".
7. L'article 207 du même décret prévoit, en ce qui concerne l'assurance au profit de qui il appartiendra :
"L'assurance prévue au deuxième alinéa de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 précitée est contractée par le barreau auprès d'une entreprise d'assurances régie par le Code des assurances.
Elle garantit, au profit de qui il appartiendra, le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus à l'occasion de l'exercice de leur activité professionnelle par les avocats membres du barreau souscripteur".
8. Ainsi, en vertu de la réglementation applicable, la responsabilité civile professionnelle de l'avocat peut être garantie dans le cadre d'un contrat individuel d'assurance ou d'un contrat collectif d'assurance souscrit par le barreau. En revanche, l'assurance relative au maniement de fonds, effets ou valeurs est obligatoirement souscrite par le barreau dans le cadre d'un contrat collectif d'assurance.
B. Les faits
1. Les pratiques dénoncées par la saisine
9. Maître Vial est inscrite au barreau d'Albertville depuis les années 1986/1987. Le Conseil de l'Ordre a souscrit, pour le compte des membres du barreau, deux contrats collectifs d'assurance afin de garantir, d'une part, la responsabilité civile professionnelle des avocats, d'autre part, les risques liés au maniement de fonds.
10. Dans sa lettre de saisine, Maître Vial reproche au barreau d'Albertville d'avoir, en ce qui concerne le contrat collectif d'assurance de responsabilité civile professionnelle, imposé "un contrat collectif souscrit auprès d'un pool d'assurances en interdisant de pouvoir s'assurer ailleurs" et de "profiter en outre de sa position dominante pour faire contracter "à parts viriles" sur des garanties qui n'entrent pas dans les obligations légales, favorisant ainsi les cabinets à fort chiffre d'affaires au détriment des structures les plus petites qui sont ainsi amenées à prendre en charge les risques de leurs concurrents".
11. Elle signale que le Conseil de l'Ordre a refusé de prendre acte de sa volonté "de souscrire ailleurs", et de son refus d'adhésion au contrat collectif. Elle explique avoir entrepris des démarches pour s'assurer individuellement, sans avoir pu aboutir à aucun résultat "(...) compte tenu de la position de l'Ordre".
12. S'agissant du contrat collectif d'assurance de maniement de fonds, Maître Vial reproche au barreau de souscrire "un contrat qu'il reporte à parts viriles sous forme de contrat d'assurance individuel, faisant là encore reporter la pleine charge aux structures les plus petites qui potentiellement génèrent moins de risques, compte tenu du nombre moins important des sommes en transit".
13. Maître Vial signale en outre que le barreau impose le règlement de cotisations d'assurances qui n'apparaissent pas obligatoires : CNBF prévoyance de base, CNBF rente invalidité, APBF prévoyance complémentaire.
14. Ces pratiques sont, selon Maître Vial, constitutives d'entente et d'abus de position dominante prohibés par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.
2. Les démarches engagées par Maître Vial
15. Par lettre circulaire du 31 janvier 1997, adressée aux avocats du barreau d'Albertville, la Caisse de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) de ce barreau les a informés que la prime de responsabilité civile professionnelle de 1997 était fixée à 8 840 F par avocat inscrit et à 5 135 F par avocat stagiaire et que le montant de la garantie souscrite était de 14 500 000 F par sinistre.
16. A la suite de l'assemblée générale qui s'est tenue le 18 février 1997, la CARPA a appelé le montant des cotisations dues pour l'année 1997 et dont le total s'élevait à 13 646 F pour les avocats inscrits au tableau, suivant le détail ci-après :
EMPLACEMENT TABLEAU
17. Par lettre du 25 février 1997 adressée au bâtonnier de l'Ordre des avocats d'Albertville, Maître Vial s'est étonnée du montant réclamé au titre de la prime d'assurance de responsabilité civile ainsi que du montant de la garantie souscrite à ce titre, alors qu'elle n'avait jamais connu de sinistre, et a revendiqué le droit de souscrire une assurance individuelle :
"... Je reçois, comme tous les confrères, la demande en paiement concernant l'assurance responsabilité civile et suis surprise à plusieurs titres. Tout d'abord, le montant qui nous est réclamé est supérieur à celui préalablement annoncé.
Je découvre ensuite que je suis assurée à concurrence d'un montant que je n'obtiendrai jamais, même en additionnant tous les dossiers exécutés jusque là, et peut-être même jusqu'à la fin de ma carrière, alors que, comme bon nombre de mes confrères, je n'ai pas eu le moindre sinistre.
Mais tout cela ne serait rien, s'il y avait une obligation légale, ce que je me suis empressée de vérifier.
Là, je dois avouer que ce n'est plus de la surprise, mais un sentiment d'avoir été quelque part abusée depuis plusieurs années.
En effet, que ce soit dans le cadre de la loi de 1971 (article 27) ou dans le cadre de notre règlement intérieur, la liberté nous est laissée de contracter individuellement. Et si les Compagnies françaises ont cru pouvoir se réunir pour imposer un montant minimum et leur tarif, il y a d'une part la possibilité de saisir la Concurrence et les Prix et d'autre part de s'adresser à des Compagnies européennes (Directive 22 juin 1988)..."
18. Le 14 avril 1997, le bâtonnier de l'Ordre, Maître Bochet, lui a répondu :
"Je note vos récriminations, mais il m'aurait paru plus opportun que vous veniez les exposer lors de l'Assemblée générale qui s'est tenue pour mettre en place et adopter le budget provisionnel de l'année 1997.
Quoi qu'il en soit, la date d'échéance de la police ne permet pas de revenir sur le passé et aucune disposition n'ayant été prise avant le 30 septembre 1996, nous sommes tenus à exécution pour l'année 1997, dans les termes de la police générale souscrite par l'Ordre des Avocats du Barreau et à laquelle vous adhérez par votre adhésion au Barreau.
Cette police prévoit une cotisation per capita, selon l'effectif des avocats au 1er janvier de chaque année, sans distinction de leur compétence, de leurs spécialités, ni de l'importance de leur cabinet.
Je n'ignore pas que vous êtes spécialisée en droit de la famille, mais je dois vous indiquer à cet égard que les plus gros sinistres enregistrés sont précisément consécutifs à des procédures de divorce.
Je m'attache actuellement, avec le Conseil de l'Ordre et notre courtier, à étudier les possibilités d'une modulation des primes, et les résultats de cette étude seront soumis à l'Assemblée générale.
Quoi qu'il en soit, pour l'année 1997, vous êtes tenue, dans le cadre de l'obligation d'assurance prévue par la loi, à exécuter le contrat souscrit par l'Ordre pour l'ensemble du Barreau et, par conséquent, à vous acquitter de l'appel de prime 1997, dont je vous précise toutefois qu'elle a été ramenée à 8 000 F par avocat inscrit, suite aux négociations en cours avec SGAP".
19. Dans une nouvelle lettre adressée au bâtonnier le 21 avril 1997, Maître Vial écrit :
"(...) Enfin, concernant les assurances prises par l'Ordre, je suis quelque peu dubitative quant aux capacités de négociation. En effet, des renseignements que j'ai pu recueillir par mes propres moyens, puisque l'Ordre refusait de le faire, il résulte que vous voudriez que je sois garantie notamment :
pour des employés que je n'ai pas et leurs véhicules ;
à hauteur de 10 000 000 frs si j'intoxique alimentairement mes clients, alors que je n'en ai jamais nourris et n'ai pas l'intention de commencer ;
pour les archives déjà assurées par l'assurance locaux ;
pour les maniements de fonds déjà assurés par la CARPA.
Sans parler des chiffres d'affaires, sujet tabou, et pourtant base de la définition du risque (...)".
20. Ayant contacté un agent général d'assurances des Mutuelles du Mans aux fins de souscrire un contrat individuel d'assurance, Maître Vial s'est vu répondre, le 24 avril 1997, que "Les Mutuelles du Mans viennent de m'informer qu'elles ne pratiquent pas la souscription individuelle de contrat pour ce type d'activité (...). J'interroge une autre compagnie sur ce sujet et vous informerai de la réponse qui me sera communiquée".
21. En réponse à une convocation à l'assemblée générale de l'Ordre, Maître Vial a écrit au bâtonnier, le 18 juin 1997 :
"(...) Ayant obtenu un courrier de la MGFA (Mutuelle générale française d'assurance) précisant que le contrat souscrit par l'Ordre a un caractère obligatoire, j'ai dû en conséquence m'adresser à la direction départementale et de la répression des fraudes (...)".
22. La Direction départementale de la concurrence de la Savoie, saisie par la plaignante, a effectivement indiqué à cette dernière, par lettre du 22 mai 1997 :
"(...) comme le stipule clairement l'article 205 du Code de procédure civile, tout avocat peut souscrire un tel contrat auprès de l'entreprise d'assurances de son choix sans être tenu de passer obligatoirement par l'assurance de groupe souscrite par votre Ordre.
Sous réserve des dispositions du Code des assurances, l'affirmation selon laquelle il y a obligation d'assurance de tous les intervenants auprès du bâtonnier du barreau me paraît de nature à fausser le jeu de la concurrence (...)".
23. Maître Vial s'est également adressée à l'Assemblée plénière des sociétés d'assurances dommages (APSAD) qui lui a fourni les précisions suivantes, par courrier du 3 juillet 1997 :
"(...) vous nous demandez de vous indiquer quelles sont les sociétés d'assurances susceptibles de couvrir votre risque de responsabilité professionnelle ainsi que le risque "maniement de fonds".
Il est vrai qu'en général ces contrats sont souscrits collectivement par les Barreaux pour le compte de leurs membres.
La conclusion de tels contrats permet, en principe, une couverture minima et homogène des risques encourus et, par ailleurs, de sensibles économies d'échelle.
Toutefois, comme vous l'indique la Direction départementale de la concurrence, vous avez la faculté de vous tourner vers l'assureur de votre choix pour ce qui concerne le contrat d'assurance couvrant la responsabilité professionnelle. En revanche, le contrat "maniement de fonds" doit être souscrit par le Barreau.
Si vous optez pour une assurance personnelle de responsabilité civile, vous devrez vous adresser à un intermédiaire, agent ou courtier d'assurances. Dans l'acte d'intermédiation, l'agent représente une société d'assurances alors que le courtier est le mandataire du preneur d'assurance et non pas celui d'une compagnie particulière.
Dans votre recherche d'un assureur, l'intermédiaire d'assurance doit pouvoir vous indiquer quelles sont les sociétés susceptibles d'accueillir votre demande, étant précisé que chaque société d'assurances détermine librement sa politique de souscription".
24. Par lettre du 1er décembre 1997, le bâtonnier de l'Ordre, Maître Bochet, a demandé à Maître Vial de s'acquitter de ses cotisations pour l'année 1997 (13 646 F) au titre des assurances de responsabilité civile et des assurances CNBF et APBF.
25. Le 4 décembre 1997, Maître Vial a répondu en ces termes :
"(...) Je n'ai cessé de faire connaître ma position et n'ai jamais obtenu de réponse claire de la part du Conseil de l'Ordre, alors que j'ai résilié les contrats et me trouve dans l'impossibilité de souscrire un contrat ailleurs du fait de la position adoptée par l'Ordre semble-t-il pour cette année et les années futures.
Par ailleurs, en ce qui concerne les autres assurances (notamment APBF), je n'ai jamais eu le moindre élément permettant de savoir si ce sont des cotisations obligatoires ou pas. Tout permettant de croire qu'elles ne le sont pas, certains d'entre nous ayant contracté ce type d'assurances par ailleurs, pourquoi les maintenir ? (...).
C'est pourquoi après mûre réflexion, je laisse le soin à l'Assemblée générale de valider le système actuel avec notamment pour conséquence de me faire passer en Conseil de l'Ordre pour non paiement des cotisations, ce qui me donnera la possibilité de saisir le Conseil de la concurrence puisque là au moins la position de l'Ordre sera officielle et indiscutable (...)".
3. Les contrats collectifs d'assurance souscrits par le barreau d'Albertville
26. Selon les déclarations de Maître Fournier-Bidoz, bâtonnier en fonction au 1er janvier 1999, et de Maître Bochet, bâtonnier précédent, recueillies par procès-verbal du 17 mai 2000, le barreau d'Albertville comprend quarante neuf avocats inscrits dont trois avocats stagiaires.
27. S'agissant de la couverture des risques liés à l'exercice de la profession, Maître Fournier-Bidoz et Maître Bochet ont déclaré :
"(...) Le barreau d'Albertville dispose, en la personne de la SGAP, d'un courtier d'assurances chargé de démarcher les compagnies d'assurances en vue de trouver les meilleurs prix (à couverture identique)(...). A ma connaissance, aucun avocat en France ne bénéficie d'une assurance individuelle. S'agissant d'un risque difficile à gérer, peu de compagnies sont intéressées par cette activité. Le taux de garantie moyen en France par les barreaux d'importance équivalente à celui d'Albertville est compris entre 12 et 15 millions de francs. Ce taux à Albertville est de 15 millions de francs. Nous déplorons entre 2 et 5 sinistres par an. Les risques de sinistres sont totalement indépendants de l'activité du cabinet et de son importance en moyens humains ou financiers.
Une assurance collective par l'intermédiaire du barreau permet de s'assurer que les avocats sont effectivement assurés à un taux suffisant. Cela permet également d'être sûr que tout le monde est couvert, y compris l'avocat qui arrive en cours d'année alors qu'il ne cotisera pas cette année-là. L'Ordre paie les cotisations d'assurance par avance puis les répercute, par l'intermédiaire de la CARPA (Caisse de règlement pécuniaire des avocats), dont le Président est Maître Jean-Noël Chevassus et dont le siège se situe à l'Ordre des avocats d'Albertville (...)".
28. Maître Vial a joint à sa saisine les deux contrats collectifs d'assurance souscrits par le Conseil de l'Ordre auprès des Mutuelles du Mans. Le premier, conclu le 25 septembre 1992, à effet du 1er janvier 1992, garantit, notamment, la responsabilité civile professionnelle et la responsabilité civile d'exploitation des avocats. Le second, conclu le 17 juin 1993, à effet du 1er janvier 1993, garantit le maniement des fonds.
29. Le contrat de responsabilité civile est souscrit pour une durée de un an, reconductible à chaque date anniversaire, avec possibilité de résiliation moyennant un préavis de trois mois. Ce contrat comporte les garanties suivantes :
la responsabilité civile professionnelle et la responsabilité civile d'exploitation des avocats membres du barreau, du bâtonnier du Conseil de l'Ordre, des responsables, des salariés et des membres des associations et des sociétés professionnelles, du Conseil de l'Ordre, de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et du Centre de formation professionnelle ;
l'assurance des pertes, vols, disparitions, falsifications, destructions des fonds, titres ou valeurs (hors champ de l'obligation d'assurance prévue au deuxième alinéa de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971) ;
l'assurance des archives et des supports d'information ;
l'assurance des dommages par catastrophes naturelles.
30. Le second contrat assure le risque de maniement de fonds (membres du barreau, membres d'une association et des sociétés professionnelles, avocats exerçant au sein de bureaux secondaires, anciens avocats) dans le cadre de l'obligation d'assurance prévue au deuxième alinéa de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971. Le contrat est souscrit pour la durée de la société apéritrice, les Mutuelles du Mans, avec la possibilité de le résilier à chaque échéance annuelle moyennant préavis de trois mois au moins.
31. Pour l'année 1997, la prime de responsabilité civile a été fixée à 8 000 F par avocat inscrit et à 4 645 F par avocat stagiaire, pour un montant maximum garanti par sinistre et par avocat de 14 500 000 F. La prime de la garantie maniement de fonds a été fixée à 3 000 F par avocat inscrit et à 2 100 F par avocat stagiaire.
4. La mise en concurrence des sociétés d'assurance par le barreau d'Albertville
32. Il ressort des éléments figurant au dossier qu'en liaison avec la SGAP, son courtier, le barreau d'Albertville a cherché à assurer ses membres au meilleur coût contre les risques résultant de leur responsabilité civile. Il a, à cet effet, résilié le contrat collectif d'assurance souscrit auprès des Mutuelles du Mans, à compter du 31 décembre 1998 "résiliation (...) motivée par le fait qu'il a été mis en place un contrat de référence sur le plan national".
33. La SGAP, après avoir lancé un appel d'offres auprès de plusieurs sociétés d'assurance, a communiqué au bâtonnier d'Albertville la copie d'une lettre, en date du 29 septembre 1998, adressée par elle au président de la Conférence des barreaux Rhône-Alpes et à laquelle était joint le texte d'un contrat négocié auprès de l'assureur Commercial Union. Il était, notamment, indiqué dans cette correspondance :
"(...) Nous vous confirmons tout d'abord que les termes du contrat sont identiques pour tous les Barreaux.
Effectivement, nous avons adressé deux types de correspondances aux Barreaux. Concernant la lettre adressée aux Barreaux que nous avons en portefeuille, nous avons simplement précisé que le contenu du contrat négocié auprès de Commercial Union Assurances était identique à celui que nous avions négocié auprès des Mutuelles du Mans Assurances, ce contrat prévoyant bien entendu la garantie de l'Ordre, de ses services et de la Caisse de règlements pécuniaires.
En revanche, dans la lettre destinée aux Barreaux non assurés par notre intermédiaire, nous avons apporté quelques précisions concernant la définition des assurés.
A la faveur de la présente, nous vous précisons que nous recherchions depuis plusieurs années l'harmonisation des conditions de garanties et de primes pour répondre aux voeux exprimés par de nombreux Bâtonniers. Compte tenu de l'étroitesse du marché de la Responsabilité Civile Professionnelle, aucune compagnie n'avait jusqu'ici accepté d'étudier un tel schéma. Pour la première fois et après consultation auprès des compagnies susceptibles de s'intéresser à ce risque, nous avons reçu quatre propositions fermes (...). Nous avons donc, au terme de notre appel d'offres, répercuté la proposition qui nous semblait la meilleure, à savoir celle formulée par Commercial Union Assurance (...)".
34. Les trois autres propositions émanaient des sociétés AXA/UAP, Generali et Saint-Paul. C'est l'offre de Commercial Union qui a été retenue par le Conseil de l'Ordre du barreau d'Albertville.
35. Le nouveau contrat, qui a pris effet au 1er janvier 1999, prévoit l'assurance de la "responsabilité civile professionnelle", l'assurance de la "responsabilité civile exploitation", l'assurance des "espèces, titres et valeurs", l'assurance des "archives et supports d'information" et la garantie des "dommages par catastrophes naturelles".
5. Les règlements intérieurs du barreau d'Albertville
36. Dans leurs déclarations du 17 mai 2000, Maître Fournier-Bidoz, bâtonnier en fonction au 1er janvier 1999 et Maître Bochet, bâtonnier précédent, ont précisé que : "Le règlement intérieur du barreau d'Albertville a été modifié, la nouvelle version étant entrée en vigueur au 1er janvier 2000 (...). Dans l'édition 2000, nous avons ajouté l'article 5 bis relatif aux garanties et obligations de l'avocat en matière d'assurance responsabilité civile. De telles dispositions n'étaient pas prévues dans le corps de normes fourni par le Conseil national du barreau et dont je vous remets un exemplaire. Nous avons, par ailleurs, soumis notre projet de règlement intérieur à ce CNB qui n'a fait aucun commentaire (...)".
37. Le règlement intérieur en vigueur jusqu'au 31 décembre 1999 comporte un article 3.3.1. aux termes duquel : "L'avocat inscrit au Barreau d'Albertville et l'avocat, y ayant un établissement secondaire, doit pouvoir justifier à tout moment être régulièrement assuré au titre de sa responsabilité civile professionnelle".
38. L'article 5 bis du nouveau règlement intérieur mis en vigueur le 1er janvier 2000 prévoit que :
"Le barreau d'Albertville a souscrit pour le compte de ses membres une assurance responsabilité civile à laquelle chaque avocat adhère obligatoirement du seul fait de son inscription. La prime globale est réglée par le barreau.
Chaque avocat est tenu de rembourser sa quote-part de prime dans les conditions de délai et d'intérêts de retard déterminées par délibération du Conseil de l'Ordre.
L'avocat, dont la responsabilité civile professionnelle est ou paraît être recherchée, doit - avant de prendre position - faire par l'intermédiaire du Bâtonnier une déclaration à la compagnie qui assure collectivement le Barreau.
Chaque année, le barreau fait connaître à ses membres le plafond de la garantie prévue.
Lorsque l'intérêt du litige d'un dossier particulier dépasse le plafond de la garantie souscrite par le Barreau, l'Avocat doit souscrire une garantie complémentaire de responsabilité civile directement auprès de l'assureur.
Il en avise aussitôt le bâtonnier".
C.- le grief notifié
39. Au vu des éléments relevés ci-dessus, un grief a été notifié au barreau des avocats d'Albertville, pour avoir mis en œuvre une pratique consistant à obliger les membres du barreau à adhérer au contrat collectif d'assurance des risques professionnels des avocats souscrit par lui, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en tant qu'elle a pour objet et pour effet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence en empêchant les avocats de faire appel à l'assureur de leur choix pour assurer tant leur risque de responsabilité civile professionnelle pour satisfaire à l'obligation d'assurance que les risques propres à leur activité.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la procédure
Sur la recevabilité de l'intervention accessoire du Conseil national du barreau devant le Conseil de la concurrence
40. Considérant que, par lettre du 15 novembre 2002, le Conseil national des barreaux (CNB), établissement public chargé par l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 "de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics et de veiller à l'harmonisation des règles d'usage de la profession", a déclaré intervenir volontairement, à titre accessoire, au soutien des prétentions du barreau d'Albertville ; que dans le mémoire joint à cette lettre, le CNB se réfère, en ce qui concerne la recevabilité de son intervention, aux dispositions de l'article 330 du nouveau Code de procédure civile (NCPC), suivant lesquelles "L'intervention est accessoire, lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie" ; qu'il se prévaut, en outre, des termes d'un arrêt en date du 21 mai 1990, par lequel la Cour d'appel de Paris, statuant en matière de concurrence, a admis que le syndicat des écrivains de langue française était recevable à intervenir à titre accessoire devant elle dans un litige portant sur les conditions de diffusion des œuvres littéraires, dès lors que "située dans les limites et conditions fixées par les dispositions de l'article 330 du NCPC, son intervention se borne à soutenir les prétentions de la société requérante aux fins d'assurer la conservation de ses droits".
41. Mais considérant que la procédure devant le Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, n'est gouvernée ni par les dispositions du NCPC ni par les règles applicables devant les juridictions administratives et qu'elle obéit à ses règles propres, énoncées au titre VI du livre IV du Code de commerce; que la possibilité pour les tiers d'intervenir devant le Conseil n'est prévue par aucune disposition et qu'au surplus, les parties à la procédure n'expriment pas de "prétentions" que des tiers auraient "intérêt à soutenir", au sens de l'article 330 du NCPC, précité ; que l'application de ce texte doit, en conséquence être écartée;
42. Considérant, à l'inverse, que le décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, qui régit les recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, prévoit en son article 1er que, "par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du nouveau Code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions ci-après" ; qu'il résulte de cette rédaction que sont applicables les règles du NCPC auxquelles il n'est pas dérogé par les dispositions du décret, notamment l'article 554 de ce Code lequel œuvre aux personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance, la faculté d'intervenir devant la cour d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt ;
43. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'intervention du CNB devant le Conseil de la concurrence est irrecevable ; que toutefois, les dispositions de l'article L. 463-7, alinéa 2, du Code de commerce permettent à ce dernier d'entendre "toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information", et que les représentants du CNB ont été entendus à ce titre lors de la séance du 19 novembre 2002 ;
Sur le fond
En ce qui concerne l'adhésion obligatoire des membres du barreau au contrat collectif d'assurance de responsabilité civile professionnelle
44. Considérant qu'aux termes de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971, "il doit être justifié, soit par le barreau, soit collectivement ou personnellement par les avocats, soit à la fois par le barreau et par les avocats, d'une assurance garantissant la responsabilité civile de chaque avocat membre du barreau, en raison des négligences et fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions. (...)" ; qu'il s'agit d'une disposition de caractère impératif édictée dans l'intérêt de la protection des justiciables et dont le non-respect par l'avocat entraîne, en vertu de l'article 104 du décret du 27 novembre 1991, son omission du tableau ou de la liste du stage ;
45. Considérant qu'en application de l'article 27 précité, le barreau d'Albertville a souscrit, le 25 septembre 1992, un contrat collectif d'assurance de responsabilité civile professionnelle, reconductible chaque année et a inclus les primes afférentes à ce contrat dans la cotisation recouvrée auprès des avocats, en considérant que ceux-ci étaient tenus d'exécuter le contrat souscrit pour l'ensemble des membres du barreau et auquel ils adhéraient du fait même de leur inscription ; que le 15 décembre 1998, ce barreau a conclu avec la compagnie Commercial Union un nouveau contrat d'assurance responsabilité comportant les mêmes garanties ; qu'une disposition introduite dans l'article 5 bis du nouveau règlement intérieur de ce barreau, mis en vigueur le 1er janvier 2000 précise désormais de manière expresse que "Le Barreau d'Albertville a souscrit pour le compte de ses membres une assurance responsabilité civile à laquelle chaque avocat adhère obligatoirement du seul fait de son inscription. La prime globale est réglée par le Barreau.
Chaque avocat est tenu de rembourser sa quote-part de prime dans les conditions de délai et d'intérêts de retard déterminées par délibération du Conseil de l'Ordre."
46. Considérant que la Cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 12 octobre 1999, Compagnie nationale des experts et autres, que la pratique consistant, pour le syndicat français des experts professionnels en œuvres d'art et objets de collection, à imposer à ses membres, par des clauses de ses statuts et de son règlement intérieur, un contrat collectif d'assurance de responsabilité civile constitue, en ce qu'elle prive chacun d'eux de la possibilité de recourir à l'assureur de son choix et dans des conditions librement négociées, une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que toutefois, à la différence des experts d'art, dont la profession n'est pas réglementée, les avocats sont soumis, en application des dispositions de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 précité, à une obligation d'assurance garantissant leur responsabilité civile professionnelle, assurance qui, aux termes des mêmes dispositions, peut être souscrite à titre collectif par le barreau ; que dans ces circonstances, il convient d'examiner si la pratique relevée est susceptible de bénéficier de l'exemption prévue par les dispositions de l'article L. 420-4, I du Code de commerce ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 420-4, I du Code de commerce
47. Considérant qu'aux termes de cet article "Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques :
1) qui résultent de l'application d'un texte législatif ou réglementaire pris pour son application (...)"
48. Considérant que, selon une jurisprudence constante, les dispositions précitées ne trouvent à s'appliquer que pour autant que les pratiques constatées sont la conséquence directe et nécessaire de ces textes ; qu'il convient donc d'examiner si la souscription, par le barreau en cause, d'une assurance collective de responsabilité civile professionnelle obligatoire pour tous les avocats membres de ce barreau, résulte directement et nécessairement de l'application des dispositions de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 ;
49. Considérant, en premier lieu, que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a, dans deux arrêts respectivement en date des 5 octobre 1999 et 14 novembre 2001, jugé, (...) qu'il résulte des dispositions combinées des articles 17 et 27 de la loi du 31 décembre 1971 et 205 du décret du 27 novembre 1991, qu'un Conseil de l'Ordre peut, sans excéder ses pouvoirs, décider que l'obligation d'assurance de la responsabilité civile professionnelle devra être satisfaite par une assurance collective à laquelle chaque avocat membre du barreau sera tenu d'adhérer" ;
50. Considérant, en effet, que la loi du 31 décembre 1971, qui a organisé et réglementé la profession d'avocat, a donné mission, dans son article 17, au Conseil de l'Ordre de veiller à l'observation des devoirs des avocats et, notamment, "de vérifier la constitution des garanties imposées par l'article 27 (...)" ; que les manquements dans l'exercice de ce contrôle seraient susceptibles d'engager la responsabilité des conseils de l'Ordre vis-à-vis des tiers qui en seraient victimes ;
51. Considérant que la mission de contrôle qui est ainsi confiée aux conseils de l'Ordre ne pourrait, en pratique, être efficacement remplie et pourrait même, dans certains cas, s'avérer irréalisable s'il était loisible aux avocats qui peuvent, dans certains barreaux, être en nombre très important (17 000, environ, à Paris) de refuser d'adhérer au contrat collectif d'assurance souscrit par l'Ordre, pour s'assurer individuellement auprès du prestataire de leur choix ;
52. Considérant, tout d'abord, qu'en pareil cas, la simple production, par les avocats ayant choisi ce parti, d'attestations d'assurance ne pourrait constituer une justification adéquate et que seuls la communication et l'examen détaillé des contrats eux-mêmes permettraient de vérifier de manière concrète la conformité de chaque police aux exigences de la loi du 31 décembre 1971 et de son décret d'application, notamment en ce qui concerne le montant minimum de la garantie, fixé, par l'article 205 du décret, à 2 000 000 F par année et par assuré, ou encore, l'absence de clauses d'exclusion de garantie faisant échec à ces exigences ;
53. Considérant, ensuite, qu'en cas d'infraction constatée à l'obligation d'assurance, suivie de la mise en œuvre de la procédure d'omission du tableau ou de la liste du stage prévue aux articles 104 et suivants du décret du 27 novembre 1991, on ne saurait exclure que la poursuite par l'avocat contrevenant de son activité jusqu'à l'aboutissement de ladite procédure puisse donner lieu à la survenance d'un sinistre, non couvert par l'assurance et dont le justiciable supporterait le poids ;
54. Considérant, du reste, qu'en pratique, compte tenu de l'étroitesse du marché de l'assurance de responsabilité civile professionnelle et de la difficulté d'appréhender ce risque, les avocats qui désireraient souscrire une assurance à titre individuel se heurteraient à des fins de non-recevoir opposées par les compagnies d'assurance contactées, dans le cadre de leur liberté contractuelle ; que, dans sa lettre du 9 juillet 1997, citée au paragraphe 20, l'APSAD relève qu'"en général les contrats d'assurance de responsabilité professionnelle sont souscrits collectivement par les barreaux pour le compte de leurs membres" et que "la conclusion de tels contrats permet, en principe, une couverture minima et homogène des risques encourus et, par ailleurs, de sensibles économies d'échelle" ; que lors de son audition, le 9 mai 2000, par un enquêteur de la DGCCRF, Maître Vial a confirmé qu'elle avait fait des démarches en vue de contracter individuellement une assurance mais sans succès ;
55. Considérant, en second lieu et au surplus, que sur le plan économique, si des individus candidats à l'assurance ont le choix entre garantir leurs risques individuellement ou les garantir collectivement, ils se dirigeront vers la souscription individuelle ou vers la souscription collective en fonction de la nature et de l'importance de leurs risques ; que les individus qui présentent le plus faible niveau de risques choisiront la souscription individuelle, dans la mesure où ils ont des chances sérieuses de négocier une prime plus faible que celle qui leur serait demandée dans le cadre d'un contrat collectif ; qu'en effet, la prime du contrat collectif correspond au niveau moyen des risques des adhérents à ce contrat, alors que la prime du contrat individuel est librement débattue avec l'assureur et peut être moins élevée compte tenu de la faible sinistralité présentée par un individu ; que les bons candidats à l'assurance n'ont donc pas intérêt à adhérer au contrat collectif lequel, en revanche, recueillera les mauvais risques avec pour résultat de faire monter le niveau moyen du risque et, par voie de conséquence, d'entraîner une augmentation de prime, ce qui incitera à nouveau les adhérents à quitter le contrat collectif ; qu'ainsi, la liberté d'adhésion à un contrat collectif d'assurance implique que les meilleurs risques du groupe vont choisir de ne pas y adhérer, avec pour conséquence de déséquilibrer l'économie de ce contrat et d'en bloquer le fonctionnement ;
56. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 ne peut être interprété que comme excluant la faculté pour les avocats, lorsqu'une assurance collective de responsabilité civile professionnelle a été contractée par le barreau, de ne pas y adhérer et de s'assurer individuellement ; que dans ces conditions, la pratique incriminée, qui résulte directement et nécessairement de l'application de la loi précitée, bénéficie de l'exemption prévue au paragraphe 1 de l'article L. 420-4 du Code de commerce ;
En ce qui concerne les autres clauses du contrat d'assurance
57. Considérant que, outre la garantie de la responsabilité civile professionnelle visée au titre I de la police d'assurance, le contrat collectif souscrit par le barreau d'Albertville auprès des Mutuelles du Mans en 1992 et qui était en cours au jour de la saisine du Conseil de la concurrence, comporte des clauses garantissant également la responsabilité civile exploitation (titre II), les espèces titres et valeurs (titre III), les archives et supports d'informations appartenant à l'assuré et/ou qui lui sont confiés pour l'exercice de sa profession (titre IV) et les dommages par catastrophes naturelles (titre V) ;
58. Considérant qu'en application des dispositions de l'article 2276 du Code civil, les avocats doivent conserver les pièces ayant trait aux affaires pour lesquelles ils ont représenté ou assisté une partie et n'en sont déchargés que cinq ans après le jugement ou la cessation de leur concours ; que la garantie des archives et supports d'information, qui fait l'objet du titre IV, relève donc de l'obligation légale d'assurance de la responsabilité civile professionnelle des avocats ;
59. Considérant que l'assurance des espèces titres et valeurs, visée au titre III, a pour objet de garantir tous fonds, titres ou valeurs remis à un avocat "(...) à condition que la remise soit directement liée à l'exercice de son activité professionnelle (...)" ; que de même que la précédente, cette disposition relève de l'obligation légale d'assurance de la responsabilité civile professionnelle des avocats ;
60. Considérant, dès lors, que la pratique consistant à imposer l'assurance collective des risques visés aux titre III et IV du contrat aux avocats du barreau d'Albertville, bénéficie de l'exemption prévue au paragraphe I de l'article L. 420-4 du Code de commerce ;
61. Considérant, en revanche, que l'assurance de la responsabilité civile exploitation, qui fait l'objet du titre II, est définie comme "garantissant l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qui peut lui incomber en raison des dommages corporels, matériels ou immatériels consécutifs à des dommages corporels et matériels garantis subis par autrui, y compris les clients, causés par des évènements ne résultant pas de fautes professionnelles, mais imputables à l'exploitation des activités garanties" ; qu'une telle garantie, concernant des risques susceptibles d'être encourus dans l'exploitation d'une quelconque activité professionnelle, sans qu'ils soient propres à la profession d'avocat, ne peut se rattacher à l'obligation d'assurance de la responsabilité civile professionnelle qui pèse sur l'avocat au titre de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'il en va de même de l'assurance dommages par catastrophes naturelles, visée au titre V, qui n'a aucun lien avec la responsabilité pour négligences et fautes susceptible d'être encourue par un avocat dans le cadre de sa mission de représentation ou d'assistance ;
62. Considérant, en conséquence que la pratique consistant à imposer aux avocats du barreau d'Albertville une assurance collective de ces deux risques sans leur laisser le choix ni de l'assureur ni des conditions de cette assurance, ne résulte pas de l'application directe et nécessaire d'un texte et qu'elle constitue une pratique susceptible, à tout le moins, d'avoir un effet anticoncurrentiel, prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Sur les sanctions
63. Considérant qu'il convient de mettre fin à la pratique anticoncurrentielle relevée ci-dessus en enjoignant au Conseil de l'Ordre du barreau d'Albertville de cesser d'imposer aux avocats d'adhérer à l'assurance collective de responsabilité civile exploitation et de dommages par catastrophes naturelles et de faire retirer du contrat d'assurance collective en cours, qui constitue la perpétuation de la pratique résultant du précédant contrat, les clauses concernant ces deux risques et qui figurent aux titres II et V du contrat ;
64. Considérant qu'il résulte des éléments du dossier et des débats que, malgré le caractère prohibé des moyens utilisés, l'objectif poursuivi par le barreau au travers de l'obligation imposée aux avocats d'adhérer à l'assurance collective des deux risques susvisés résidait dans la recherche d'une protection toujours plus complète de l'intérêt du justiciable ; que compte tenu de cette circonstance et de l'absence, en l'espèce, d'éléments démontrant l'existence d'un effet sensible de la pratique sur le marché de l'assurance, aucune sanction ne sera prononcée à l'encontre du barreau d'Albertville ;
DÉCIDE
Article 1 : En application du 1 de l'article L. 420-4 du Code de commerce, la pratique consistant dans l'obligation imposée par le barreau d'Albertville aux avocats membres de ce barreau d'adhérer au contrat collectif d'assurance garantissant leur responsabilité civile professionnelle, n'est pas soumise aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Article 2 : Il est établi que le barreau d'Albertville a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en imposant aux avocats d'adhérer au contrat collectif d'assurance qu'il a souscrit au titre de la garantie de la responsabilité civile exploitation, d'une part, et pour la garantie des dommages par catastrophes naturelles, d'autre part ;
Article 3 : Il est enjoint au barreau d'Albertville de cesser d'imposer aux avocats d'adhérer au contrat collectif d'assurance qu'il a souscrit au titre de la garantie de responsabilité civile exploitation et la garantie des dommages par catastrophes naturelles et de faire retirer du contrat d'assurance collective souscrit par lui, les clauses relatives à ces garanties.