CA Paris, 5e ch. E, 14 novembre 2002, n° 2000-18025
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Daewoo Automobiles France SAS (SA)
Défendeur :
Garage Buire (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Main, Carre-Pierrat
Conseiller :
M. Faucher
Avoués :
SCP Monin, SCP Gaultter-Kistner-Gaultier
Avocats :
Mes Vigier, Henry
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Daewoo Automobiles France (société Daewoo) contre le jugement rendu le 22 juin 2000 par le Tribunal de commerce de Bobigny, qui l'a condamnée à payer à la société Garage Buire (société Buire), qui était son concessionnaire, la somme de 57 888 F au titre de la participation contractuelle au salaire du vendeur du 1er janvier 1998 au 30 septembre 1998, celle de 200 000 F au titre de dommages intérêts pour la rupture abusive du contrat de concession, ce avec exécution provisoire, et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge, déboutant les parties de toutes demandes incompatibles avec les motifs et le dispositif du jugement.
La société Daewoo Automobiles France, importateur exclusif en France des véhicules de la marque Daewoo, a conclu avec la société Buire, le 13 janvier 1995, un contrat de concession exclusive à durée indéterminée pour la distribution desdits véhicules dans les départements de l'Allier et du Puy de Dôme. Pour se mettre en conformité avec le règlement CE n° 1475-95, les parties ont conclu un nouveau contrat à durée indéterminée le 27 septembre 1996.
Reprochant à la société Daewoo d'avoir refusé pour l'année 1998, de payer la facture correspondant à sa participation contractuelle au salaire du vendeur "outdoor" et, plus généralement, de n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles, notamment en modifiant unilatéralement les conditions d'exécution du contrat, la société Buire a, le 23 avril 1999, assigné sa co-contractante en paiement de l'arriéré de factures, résolution du contrat et paiement de dommages intérêts. Postérieurement à cette assignation la société Daewoo a, par lettre du 3 mai 1999, notifié à Buire la résiliation "extraordinaire" du contrat en invoquant de graves manquements du concessionnaire à ses obligations essentielles. La société Buire a en réponse réclamé des dommages intérêts pour rupture abusive et sans préavis.
Vu les dernières conclusions , signifiées le 4 juin 2002, par lesquelles la société Daewoo, appelante, soutenant qu'elle n'était pas tenue de verser une participation au salaire du vendeur pour 1998, cette participation étant subordonnée à un accord qui n'a pas été donné pour l'année considérée, et qu'elle était fondée à résilier le contrat de concession, comme elle l'a fait en raison des fautes du concessionnaire, demande à la cour de :
- débouter la société Buire de ses demandes et de la condamner à restituer la somme de 257 888 F, soit 39 314,77 euro perçue en exécution du jugement, avec les intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2000, date du prononcé du jugement,
à titre subsidiaire
- rejeter l'appel incident de la société Buire sur le préjudice en constatant que ladite société avait elle-même évalué son préjudice à 100 000 F, soit 15 244,90 euro, dans l'exploit introductif d'instance tendant à la résolution judiciaire du contrat,
en tout état de cause,
de condamner la société Buire à lui payer 4 600 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures, signifiées le 2 août 2002, par lesquelles la société Buire, intimée et incidemment appelante, prie la cour de confirmer le jugement attaqué, sauf sur le montant des dommages intérêts alloués, dont elle demande qu'il soit porté à 100 616 euro, condamnation à prononcer en deniers ou quittances compte tenu de l'exécution du jugement, sollicitant subsidiairement une expertise ayant pour objet de vérifier la perte d'exploitation par elle subie, et réclame en outre 4 574 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel ;
Sur la participation de Daewoo au salaire du vendeur "outdoor" pour 1998
Considérant que le contrat de concession exclusive à durée indéterminée conclu entre les parties le 13 janvier 1995 comportait une annexe B 2 intitulée "vendeur additionnel pour la période du 20 février 1995 au 31 décembre 1995", prévoyant que le concessionnaire devait engager "un vendeur ou une vendeuse spécialisée dans les ventes extérieures" ayant pour mission " de prospecter, sur des cibles prédéterminées, la clientèle potentielle en véhicules neufs de la marque Daewoo", et que " le coût du vendeur additionnel (serait) pris en charge par Daewoo Automobiles France pour un salaire de base allant jusqu'à 6 000 F français charges sociales comprises " ;
Qu'il est vrai que cette annexe n'a pas été reprise expressément par le nouveau contrat que les parties ont conclu le 27 septembre 1996 pour se conformer au règlement CE n° 1475-95 mais qu'elle n'est pas moins demeurée dans le champ contractuel, puisqu'elle a reçu exécution encore en 1996 et 1997, Daewoo payant de ce chef les sommes réclamées par Buire, ce qui implique une reconduction au-delà de la période de validité initialement convenue (20 février 1995 au 31 décembre 1995) et au delà de la prise d'effet du contrat du 27 septembre 1996, qui était celle de sa signature ;
Considérant toutefois que l'annexe B2, invoquée par la société Buire, subordonne expressément la participation de Daewoo au salaire du vendeur additionnel à deux conditions :
"- le hall d'exposition de la concession doit être physiquement séparé et exclusivement réservé aux véhicules Daewoo,
- le concessionnaire doit avoir un vendeur exclusif des produits Daewoo" ;
Que, contrairement à ce que soutient la société Buire, la circonstance qu'aucune modification ne serait survenue dans les conditions d'exploitation de la concession et la mission du vendeur additionnel dit " outdoor " depuis la date de prise d'effet du contrat du 13 janvier 1995, alors que la société Daewoo s'est reconnue débitrice sur le fondement de la clause précitée en 1995, 1996 et 1997, ne suffit pas à établir sa créance du même chef pour 1998, alors qu'elle ne peut prétendre à la participation qu'elle réclame qu'autant que les conditions en sont réunies pour l'année considérée ; que tel n'est pas le cas, dès lors qu'il n'est pas contesté que la société Buire ne disposait pas d'un bail d'exposition séparé et réservé aux véhicules Daewoo en 1998, puisqu'elle exposait des véhicules de toutes marques, sans pouvoir se prévaloir de l'autorisation résultant de l'annexe A 3 du contrat, qui ne visait que les véhicules de la marque Lancia, alors que le contrat de concession qui liait Buire à Lancia avait été résilié à effet du 22 août 1997 sans que le concédant en soit informé, non plus que de la décision de Buire d'exercer désormais une activité de vente multimarques ; que, par ailleurs, la société Buire ne justifie pas qu'elle disposait d'un" vendeur exclusif des produits Daewoo", alors qu'elle indiquait à Ludovic Buire, vendeur pour lequel la participation au salaire est réclamée, par lettre du 22 février 1995 : "Nous vous confirmons qu'à compter de ce jour, et dans la mesure où nous bénéficions de la concession exclusive des véhicules Daewoo... vous êtes attaché à la promotion et au développement de cette marque et ce en priorité sur toute autre activité. Ceci n'entraîne pas de modification du contrat de travail qui voue lie à notre société", et qu'il n'est pas établi que Daewoo a eu connaissance et a approuvé, fût-ce implicitement, cette lettre de mission dont il résulte que Monsieur Buire n'a pas été engagé spécialement pour la prospection de la clientèle au profit de la marque Daewoo, puisqu'il était déjà salarié de la société Buire et que sa mission en faveur du développement de la vente de véhicules de la marque Daewoo n'est que prioritaire, non exclusive ; qu'il n'importe donc que la société Buire ait employé en 1998 le même "vendeur additionnel" qu'au cours des années précédentes et que Daewoo ait accepté de payer, jusqu'en 1997, une participation à son salaire, sans connaissance prouvée de la consistance réelle de son activité et des directives données par la société Buire, ces paiements dans de telles conditions n'ayant créé aucun droit au profit de la société Buire pour l'année 1998 ; qu'enfin le défaut de protestation immédiate à réception des factures portant sur la participation litigieuse ne peut valoir reconnaissance par Daewoo de sa dette de ce chef et du bien fondé de la réclamation, alors au surplus que Daewoo a répondu le 2 février 1999 négativement à la lettre de Buire du 22 janvier 1999 qui demandait le paiement des factures litigieuses, en des termes qui ne donnent d'ailleurs pas à ce courrier le caractère d'une mise en demeure;
Considérant qu'il s'ensuit que la demande de la société Buire tendant au paiement de la somme de 8 824,97 euro (57 888 F) ne peut être accueillie;
Sur la résiliation
Considérant que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 février 1999, reçue au plus tard par la société Buire le 19 février 1999, date à laquelle celle-ci y a répondu par son conseil, la société Daewoo a mis sa co-contractante en demeure de se conformer aux obligations du contrat de concession lui imposant de séparer physiquement la vente de véhicules toutes marques de la vente de véhicules Daewoo, en particulier en disposant d'un hall d'exposition réservé à ces derniers, et d'installer des enseignes Daewoo de manière plus apparente et à proximité des emplacements où sont exposés les véhicules Daewoo ; qu'au motif que cette mise en demeure était restée sans effet et invoquant un constat établi le 12 avril 1999 par l'huissier de justice Aupetit, la société Daewoo a, par lettre recommandée du 3 mai 1999, dont l'avis de réception a été signé le 7 mai 1999, notifié à la société Buire qu'elle procédait à la résiliation extraordinaire du contrat de concession avec effet à la date de réception de ladite lettre ;
Considérant que le contrat de concession prévoit, en son article XII, que, si l'une des parties manque à l'une de ses obligations essentielles et n'a pas remédié à ce manquement dans le délai d'un mois suivant la mise en demeure faite par l'autre partie, celle ci "pourra résilier de plein droit le contrat par une notification par lettre recommandée, avec effet immédiat, sans préjudice d'éventuels dommages et intérêts";
Considérant qu'il n'est pas contesté que, après qu'eut pris fin, le 22 août 1997, le contrat de concession qu'elle avait conclu avec Lancia, la société Buire a développé, à une date que les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer avec précision mais dont il est certain qu'elle se situe au plus tard fin janvier 1999, date de parution d'une publicité dans la presse locale, une activité de vente de véhicules de toutes marques, dans les mêmes locaux utilisés pour la vente des véhicules Daewoo, ceux- ci se trouvant en pratique mélangés aux autres sans être spécialement mis en valeur alors au surplus qu'ils ne représentaient qu'une très faible proportion de l'ensemble des véhicules exposés, ainsi qu'il résulte des procès verbaux de constat établis les 12 mars et 12 avril 1999 par l'huissier de justice Aupetit;
Que la société Buire, qui se borne sur ce point à des affirmations, n'établit pas qu'elle a porté à la connaissance du concédant la résiliation du contrat de concession conclu avec Lancia ni son intention de vendre dorénavant des véhicules de toutes marques, la seule circonstance que son chiffre d'affaires sur la marque Daewoo s'est développé entre 1997 et 1998 ne pouvant évidement constituer la preuve de la connaissance par Daewoo des changements ainsi intervenus ; Que ce double défaut d'information, alors que l'existence du contrat de concession liant Buire à Lancia avait été expressément porté à la connaissance du concédant par l'annexe A 3 du contrat, constitue une violation tant de son obligation de loyauté envers le concédant que de la clause de l'article IV -I, selon laquelle " le concessionnaire s'engage à informer le concédant un mois avant l'arrivée de toute nouvelle marque dans la concession"; que, par ailleurs, si le concédant avait accepté, aux tenues de l'annexe A 3 précitée que, par dérogation à l'article VII-A du contrat, le concessionnaire expose les véhicules Daewoo dans un hall d'exposition commun aux véhicules Lancia, cet accord dérogatoire ne pouvait valoir pour des véhicules de toutes autres marques, alors que la stipulation de l'article VII-A, selon laquelle " le concessionnaire devra avoir toujours à la disposition de sa clientèle, dans un hall d'exposition réservé à la marque Daewoo un assortiment de véhicules correspondant aux derniers modèles..." n'est nullement contraire aux dispositions du règlement CE n° 1475-95, quand bien même l'activité de vente multimarques de la société Buire n'était pas en elle- même interdite par le contrat de concession conclu avec Daewoo;
que cette société était dès lors fondée à exiger, comme elle l'a fait par sa mise en demeure du 2 février 1999, que les véhicules de sa marque soient exposés dans un hall réservé et non mélangés avec d'autres, la dérogation admise pour les véhicules Lancia étant devenue sans objet et l'accord de Daewoo pour son extension de la dérogation à toutes autres marques de véhicules, qui aurait au demeurant vidé de toute substance l'obligation précitée du concessionnaire, ne pouvant être présumé; Que l'obligation à laquelle la société Buire a ainsi manqué, en dépit de la mise en demeure adressée par le concédant conformément à la procédure prévue au contrat, était une obligation essentielle du contrat de concession, étant la condition de la mise en valeur optimale des différents modèles des véhicules de la marque Daewoo et le meilleur moyen d'exclure tout risque dc confusion de marques pour les clients de la société Garage Buire;
Que dès lors, même si les griefs de Daewoo relatifs à l'enseigne ne sont pas fondés, dès lors qu'il résulte du procès verbal de constat du 11 mai 1999 produit par la société Buire et des photographies qui y sont annexées que le "totem" et l'enseigne posés en 1995 selon les instructions de Daewoo n'ont subi aucune modification de quelque importance par la suite, les photographies annexées aux procès verbaux de constat produits par Daewoo ne présentant qu'une vue partielle des bâtiments où est exploité le fonds de la société Buire, la société Daewoo était en droit de résilier le contrat avec effet immédiat, ainsi qu'elle l'a fait le 3 mai 1999;
Considérant que la demande en paiement de dommages intérêts formée par la société Buire sera en conséquence rejetée ; que ladite société devra restituer la somme perçue en exécution du jugement, dont il n'est pas contesté qu'elle s'élève à 39 314,77 euro, avec les intérêts au taux légal à compter seulement de la notification, valant mise en demeure, du présent arrêt ouvrant droit à la restitution, s'agissant d'une somme détenue en vertu d'une décision de justice exécutoire ;
Considérant que la société Buire, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que l'équité ne commande pas de faire application de ce texte en faveur de la société Daewoo ;
Par ces motifs, LA COUR : - Infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, - Déboute la société Garage Buire de toutes ses demandes, - La condamne à restituer à la société Daewoo Automobiles France la somme de 39 314,77 euro (257 888 F) perçue en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement, avec les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, - Déboute la société Daewoo Automobiles France de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Condamne la société Garage Buire aux dépens de première instance et aux dépens d'appel et, pour le recouvrement de ceux ci, admet la SCP Monin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.