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Décisions

CA Rennes, 8e ch., 7 mars 2002, n° 00-5306

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arragon

Défendeur :

Lionel Dufour (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme L'Henoret, M. Patte

Avocats :

Mes Lalanne, Prêtre, SCP Michel-Frey-Michel-Riou-Bauer.

Cons. prud'h. Nantes, du 19 juin 2000

19 juin 2000

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Loïc Arragon a été engagé le 30 août 1994 par la SARL Lionel Dufour.

Deux contrats de travail étaient signés à cette date, l'un stipulant qu'il était embauché en qualité de VRP carte unique à temps partiel, l'autre qu'il était recruté comme attaché commercial aux conditions générales du statut professionnel de VRP.

Le 1er juillet 1995 un contrat de chef d'agence était régularisé entre les parties excluant l'application du statut professionnel des VRP.

Le 11 juin 1998 il était convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement qui lui était notifié le 1er juillet 1998 pour les motifs suivants :

- incapacité à assumer son rôle de chef d'agence (déficit au niveau du chiffre d'affaires par rapport aux objectifs),

- incapacité à fidéliser les vendeurs de l'Agence.

Contestant le bien fondé de son licenciement et estimant qu'il avait continué à exercer des fonctions de VRP Monsieur Arragon a saisi le Conseil des Prud'hommes de Nantes pour obtenir des dommages intérêts, une indemnité de clientèle, un complément de préavis et des commissions de retour sur échantillonnages.

Par jugement en date du 19 juin 2000 le Conseil des Prud'hommes de Nantes a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'en revanche Monsieur Arragon ne pouvait prétendre au bénéfice du statut de VRP, a alloué au salarié une somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts et a rejeté ses autres demandes.

Monsieur Arragon a interjeté appel de ce jugement.

La société Lionel Dufour a formé appel incident.

OBJET DES APPELS ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur Arragon conclut à la réformation du moins partielle de la décision déférée et demande à la cour :

- de lui reconnaître le bénéfice du statut de VRP,

- de lui allouer une indemnité de clientèle de 300 000 F, un complément de préavis de 16 506 F et un retour sur échantillonnage de 14 664 F,

- de porter à la somme de 183.126 F le montant des dommages intérêts que le Conseil des Prud'hommes lui a accordés,

- de lui allouer une indemnité de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir :

- que le juge n'est pas lié par la qualification donnée par les parties au contrat et doit rechercher si en pratique l'activité qu'il exerçait relevait du statut de VRP,

- qu'au-delà de l'appellation de 'chef d'agence" il a continué à prospecter une clientèle sur un secteur déterminé et qu'il était d'ailleurs rémunéré sur sa production personnelle et sur le développement de sa clientèle,

- qu'il est fondé à percevoir une indemnité de clientèle d'un montant équivalent à 2 années de commissions,

- qu'il n'est pas responsable du déficit allégué qui n'est d'ailleurs aucunement justifié, que la société Lionel Dufour a muté deux de ses très bons vendeurs ce qui ne pouvait avoir pour conséquence que de faire diminuer le chiffre d'affaires de l'Agence, qu'à compter de janvier 1998 celle ci était en réalité dirigée par mademoiselle Hibon, présentée par la Direction comme inspectrice et que son licenciement est abusif,

- qu'il n'a retrouvé un emploi qu'en mars 2001 et que le préjudice qu'il a subi est important,

- que tout travail pendant l'exécution du préavis a été rendu impossible puisqu'il a été privé de son fichier.

La société Lionel Dufour conclut également à la réformation partielle du jugement, au rejet de l'intégralité des prétentions du salarié et sollicite une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient :

- qu'à compter du 1er juillet 1995 Monsieur Arragon a exercé à titre principal des fonctions de chef d'Agence et qu'il ne peut revendiquer le statut de VRP,

- qu'en tout état de cause la majorité de la clientèle appartenait à la société et qu'il a perçu une commission supplémentaire sur les clients qu'il a apportés,

- que les griefs invoqués sont établis, que l'intéressé n'a pas atteint les objectifs contractuellement fixés et que ses explications sont inopérantes,

- que les autres demandes ne sont pas justifiées.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.

DISCUSSION

Sur l'application du statut de VRP

Considérant que la référence dans un contrat de travail à une convention collective et la qualification donnée par les parties à un emploi ne peuvent exclure l'application du statut des VRP qui est un statut d'ordre public si les conditions de fait d'exercice de l'activité de représentant statutaire sont remplies ;

Qu'il importe peu dès lors que le contrat de chef d'agence que Monsieur Arragon a signé le 1er juillet 1995 fasse référence à la convention vollective des vins, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France et exclut l'application du statut professionnel des VRP ;

Considérant qu'en vertu des articles L. 751-1 et 751-2 du Code du travail le représentant statutaire est celui qui prospecte et démarche une clientèle sur un secteur déterminé dans le but de prendre ou de provoquer des ordres même si à cette activité s'ajoutent d'autres activités pour le compte des mêmes employeurs ;

Considérant qu'il résulte des termes mêmes du contrat de travail :

- que les fonctions de chef d'agence confiées au salarié impliquaient à la fois une activité d'administration, de promotion des ventes, de contrôle et d'animation des autres vendeurs mais également des prises de commande personnelles,

- que sa rémunération était composée d'un fixe, d'une prime sur le chiffre d'affaires de l'Agence mais également de commissions d'un taux de 11 % sur le chiffre d'affaires HT qu'il réalisait personnellement sur son secteur,

- qu'il avait des objectifs personnels à atteindre ;

Que par ailleurs les recommandations concernant l'organisation de la semaine de travail du responsable invitaient ce dernier à effectuer la planification des rendez-vous et les entretiens avec les représentants le lundi et à réaliser son propre chiffre d'affaires sur 2 jours 1/2 et insistaient sur la nécessité d'être apte à produire soi même avant de faire produire ;

Qu'au vu des éléments versés aux débats il est constant que Monsieur Arragon prospectait lui même sa clientèle, prenait des commandes et réalisait son propre chiffre d'affaires sur lequel il a régulièrement perçu des commissions;

Que cette activité était permanente, effective, habituelle et loin d'être accessoire même si l'intéressé consacrait une partie de son temps à ses fonctions propres de chef d'agence lesquelles sont parfaitement compatibles avec le statut de VRPet ce d'autant plus qu'à compter de janvier 1998 il est manifeste que l'inspectrice envoyée par l'employeur a largement empiété sur les prérogatives de Monsieur Arragon dont l'activité se cantonnait principalement à la représentation ;

Qu'en outre il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de relever que dans l'attestation ASSEDIC l'employeur mentionne expressément que Monsieur Arragon percevra son solde de tout compte courant janvier 1999 en référence à l'article L. 751-12 du Code du travail et reprenne également cette formule dans le courrier adressé au salarié le 16 octobre 1998 ;

Que c'est en conséquence à bon droit que Monsieur Arragon revendique l'application du statut de VRP et le bénéfice d'une indemnité de clientèle;

Considérant que compte tenu de la clientèle apportée, créée et développée, des commissions perçues sur le chiffre d'affaires réalisé personnellement et du préjudice subi par le salarié du fait de cette perte de clientèle il convient de fixer le montant de cette indemnité à la somme de 110 000 F (la rémunération fixe étant exclue de même que la " super commission " et les frais professionnels déduits selon un abattement de 30 %) ;

Considérant que la demande de commissions pour retour sur échantillonnages n'est étayée par aucun document justificatif et ne peut être accueillie.

Sur le licenciement

Considérant que Monsieur Loïc Arragon a été licencié le 1er juillet 1998 pour les motifs suivants :

Pour l'essentiel, nous vous reprochons votre incapacité à assumer votre rôle de Chef d'Agence.

Cela se caractérise tout d'abord par un déficit au niveau du chiffre d'affaires de l'agence de Nantes, à la semaine 26, de 1 076 512 F TTC par rapport aux objectifs. Et déjà l'an passé voire agence avez réalisé un déficit de 813 178 F TTC sur l'exercice.

Ensuite, cela s'est confirmé par votre incapacité à fidéliser les vendeurs de votre agence.

Considérant que force est de constater :

- que la société Lionel Dufour ne verse aux débats ni documents comptables ni tableaux permettant de comparer les résultats obtenus par les différentes agences,

- qu'en août 1996 et en janvier 1998 la société Lionel Dufour a muté deux vendeurs respectivement au sein de l'une de ses filiales, la société Delatour (avec apport du fichier de l'intéressé) et à La Martinique ce qui à l'évidence avait des incidences sur les chiffres d'affaires réalisés ultérieurement,

- que parallèlement les objectifs de Monsieur Arragon étaient augmentés,

- que ce dernier n'avait pas qualité pour recruter des vendeurs,

- qu'à compter de janvier 1998 Mademoiselle Hibon s'est immiscée dans la Direction de l'Agence ;

Qu'il s'ensuit que non seulement la société Lionel Dufour n'établit pas la réalité des griefs qu'elle invoque mais que Monsieur Arragon ne peut être tenu pour responsable d'une situation qui lui a été imposée et dont il n'avait pas la maîtrise ;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu l'absence de cause réelle et sérieuse et ont alloué à Monsieur Arragon des dommages intérêts dont le montant a fait l'objet d'une exacte appréciation eu égard au préjudice subi par l'intéressé qui avait 4 ans d'ancienneté ;

Considérant en dernier lieu que le complément de préavis réclamé par le salarié n'est pas justifié dès lors que l'on ignore le montant des ventes que l'intéressé aurait été susceptible de faire ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Arragon les frais irrépétibles non inclus dans les dépens ; qu'il lui sera alloué une indemnité de 1 220 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que la société Lionel Dufour qui succombe pour l'essentiel supportera ses propres frais irrépétibles et les dépens.

DECISION

Par ces motifs : LA COUR, Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 00-5306 et 00-5307 ; Réforme partiellement le jugement entrepris ; Dit que Monsieur Arragon est fondé à revendiquer le bénéfice du statut de VRP ; Condamne la société Lionel Dufour à lui verser la somme de 16 769.40 euro (110 000 F) à titre d'indemnité de clientèle ; Confirme ledit jugement pour le surplus ; Y additant ; Ordonne en tant que de besoin le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois d' indemnités ; Condamne la société Lionel Dufour à verser à Monsieur Arragon la somme de 1.220 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens ; Déboute les parties de leurs demandes.