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Décisions

CJCE, 26 novembre 1975, n° 73-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique, SC Usines Peters-Lacroix (SA), Papeteries de Genval (SA), Etablissements Vanderborght Frères (SA), Papiers Peints Brepols (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Pex

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Avocat général :

M. Trabuccchi

Avocats :

Mes Grégoire, Schrans, Van Brunnen

CJCE n° 73-74

26 novembre 1975

LA COUR,

1. Attendu que, par requête déposée au greffe de la Cour le 30 septembre 1974, le groupement des papiers peints de Belgique ainsi que ses membres ont demandé l'annulation de la décision du 23 juillet 1974 (JO 1974, n° L. 237, p. 3) par laquelle la Commission a constaté l'incompatibilité d'un ensemble d'accords et de décisions du groupement avec l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE, rejeté la demande d'exemption, enjoint aux membres du groupement de mettre fin immédiatement aux infractions constatées et imposé aux membres du groupement des amendes pour leur décision collective de suspendre les livraisons au Sieur Pex ;

Sur l'objet du recours

2. Attendu que, lors de l'audience publique, les membres du groupement ont déclaré renoncer à contester " à dater du jour où elle a été rendue et pour l'avenir la décision de la Commission en tant qu'elle a interdit les accords portant obligation de respecter des prix imposés et de les afficher et les accords interdisant d'afficher des prix inférieurs ou des remises par rapport aux prix imposés ou conseillés " ;

3. Que le groupement a précisé qu'il continue à contester la légalité de la décision pour le passé, non pas pour demander son entière annulation, mais pour démontrer que la suspension des livraisons au sieur Pex ne tombait pas sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, et qu'en conséquence la décision de la Commission infligeant des amendes pour cette suspension devait être annulée ;

4. Qu'à titre subsidiaire, les membres du groupement soutiennent que les amendes ont été excessives, de sorte que la Cour, ayant compétence de pleine juridiction, devrait les réduire ;

5. Que les requérantes ont invoqué des moyens relatifs à la violation des dispositions du traité et le défaut de motivation ;

Sur le fond

atteinte au jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun

6. Attendu que les requérantes soutiennent que c'est à tort que la décision a constaté au point ii, c 3), qu'elles ont imposé les prix de revente aux négociants en papiers peints ;

7. Attendu, cependant, qu'elles ne nient pas que les détaillants, s'ils ont obtenu leurs fournitures directement du groupement ou par l'intermédiaire de négociants, sont tenus d'afficher les barèmes des prix fixés en commun par les membres du groupement et ne doivent pas annoncer publiquement des rabais sur ces prix;

8. Que les requérantes soutiennent qu'il ne s'agit que d'une interdiction d'annoncer des rabais, les détaillants étant libres d'accorder dans des cas particuliers, même d'une manière régulière, des rabais, pourvu qu'ils ne les annoncent pas publiquement ;

9. Attendu que l'article 85, paragraphe 1, du traité désigne expressément comme incompatibles avec le Marché commun les ententes qui consistent " à fixer de façon directe ou indirecte les prix... de vente ou d'autres conditions de transaction ";

10. Attendu que, si un régime de prix de vente imposés est manifestement contraire à cette disposition, le régime des prix de barème avec l'interdiction d'annoncer des rabais sur ces prix l'est tout autant;

11. Qu'il importe peu, dès lors, de savoir si la décision a retenu à tort contre les membres du groupement d'avoir pratiqué un système de prix imposés à la revente;

12. Qu'en outre, il n'est pas contesté que l'accord entre les membres du groupement, qui regroupe quatre des cinq producteurs belges de papiers peints, exclut toute concurrence sur les prix de vente en Belgique pour les papiers qu'ils vendent sous une marque collective " Decorgroup " ;

13. Attendu qu'en dehors de la fixation directe ou indirecte des prix, l'entente visée par la décision litigieuse comporte encore un ensemble de clauses restrictives concernant d'autres conditions de transactions énumérées au point ii A2 (a)-(u) de la décision litigieuse ;

14. Que, si certaines clauses du règlement d'ordre intérieur étaient déjà tombées en désuétude au moment de la décision litigieuse, il n'a pas été contesté que l'essentiel de l'accord portant sur tous les aspects de la vente et de la commercialisation des papiers du groupement restait en vigueur jusqu'à ce que la décision les interdise ;

15. Attendu que les requérantes soutiennent que la décision de ne pas fournir le sieur Pex aurait été prise individuellement par chaque fabricant auquel celui-ci s'est adressé en raison de la violation par le sieur Pex de ses contrats ;

16. Attendu que le pouvoir réservé au groupement de décider de suspendre les fournitures à un acheteur qui ne respecte pas les conditions générales de vente figurait expressément dans les circulaires adressées par les membres du groupement à la clientèle ;

17. Que, dans la circulaire du 29 octobre 1971, envoyée par le groupement à toute la clientèle, il est dit que :

" dans les circonstances présentes, il nous parait indispensable d'attirer votre attention sur les " conditions générales de vente " en particulier sur la stricte observance des trois paragraphes suivants :

par le seul fait de passer commande, le client s'engage à respecter toutes les obligations qui découlent des conditions générales de vente et accepte les conséquences d'éventuelles infractions... " ;

18. Qu'il est manifeste au vu de ces termes et du moment de sa publication que cette circulaire avait pour but de rassurer les détaillants que le groupement veillait à l'application de ces conditions générales de vente et que des mesures appropriées seraient prises à l'encontre d'un concurrent bradeur, d'autant plus que les conditions rappelées à la clientèle étaient précisément celles que le sieur Pex avait violées :

19. Qu'il y a, dès lors, lieu de constater que la Commission disposait de suffisamment d'éléments de nature à prouver que la décision de suspendre les livraisons au sieur Pex a été prise collectivement par les membres du groupement ;

20. Attendu que, dès lors, le fait que le sieur Pex n'ait pas cherché à placer commande chez un des membres du groupement et qu'un autre membre du groupement ait continué à livrer pendant un certain temps ne sont pas de nature à invalider la constatation de la Commission qu'il y avait une décision collective de refus de livraison au sieur Pex ;

21. Attendu qu'en conséquence, la réglementation du marché pratiquée par le groupement, caractérisée par sa politique de prix et de rabais et assortie de sanctions en vue de la stricte observation des conditions générales de vente, avait pour objet et pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en Belgique et, dès lors, à l'intérieur du Marché commun;

Affectation du commerce entre Etats membres

22. Attendu que les requérantes soutiennent qu'en premier lieu les accords et décisions du groupement n'étaient pas susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres ;

23. Qu'en deuxième lieu, même si les accords et les décisions étaient en réalité susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, la décision litigieuse n'aurait pas précisé comment ce commerce pourrait être affecté ;

24. Qu'en troisième lieu, les membres du groupement auraient été de parfaite bonne foi en considérant que les accords et décisions n'affectaient pas le commerce entre Etats membres de sorte que des amendes, pour la décision qui n'a fait que sanctionner les accords, ne se justifient pas ;

25. Attendu que le fait qu'une entente de prix du type litigieux n'ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul Etat membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre Etats membres peut être affecté;

26. Qu'en effet, une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un Etat membre est susceptible d'avoir, par sa nature même, l'effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité et assurant une protection à la production nationale;

27. Qu'à cet égard, il importe de rechercher à la fois les moyens dont disposent les membres d'une entente pour assurer que la clientèle reste fidèle, l'importance relative de l'entente dans le marché en cause et le contexte économique dans lequel l'entente se situe ;

28. Attendu que la décision du groupement relative au barème de la prime de coopération, dont le pourcentage est déterminé par la somme totale de l'ensemble des achats effectués auprès des membres dans le courant d'une année, pouvait avoir l'effet de concentrer des commandes auprès des membres du groupement, de sorte que le client qui a déjà couvert une partie de ses besoins auprès des membres du groupement soit incité à concentrer ses achats auprès de ceux-ci afin d'obtenir la remise la plus élevée possible ;

29. Attendu que la décision n'explique pas comment le fait que 10 % des importations belges, représentant 5 % du marché total belge, qui sont vendus par le groupement à ses prix et conditions soit, en l'absence des liens d'exclusivité entre les membres du groupement et les producteurs étrangers, susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres ;

30. Attendu qu'en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision ;

31. Que, si celle-ci, se plaçant dans la ligne d'une pratique décisionnelle constante peut être motivée d'une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, lorsqu'elle va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d'une manière explicite ;

32. Qu'en ce qui concerne la protection territoriale de l'entente et l'isolement du marché national constatés dans la décision, celle-ci n'expose pas de façon claire les motifs pour lesquels la Commission les a constatés, le simple renvoi à une affaire précédente ne suffisant pas à l'éclaircir ;

33. Que, sans exclure qu'une entente de prix du type litigieux pouvait en réalité affecter le commerce entre Etats membres, il n'en demeure pas moins que la défenderesse, en prenant une décision allant sensiblement plus loin que ses décisions précédentes, aurait dû exposer ses motifs d'une manière plus explicite ;

34. Attendu que, à cet égard, les simples affirmations figurant à la rubrique e de la décision litigieuse intitulée " atteinte au commerce entre Etats membres " ne remplissent pas l'obligation de motiver les décisions qui incombe à la Commission en vertu de l'article 190 du Traité CEE ;

35. Attendu que, dès lors, conformément à la demande de la requérante, l'article 4 de la décision de la Commission 74-431-CEE doit être annulé.

Sur les dépens

36. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens ;

37. Qu'en l'espèce, la partie défenderesse a succombé en ses moyens ;

38. Qu'il convient donc, conformément aux conclusions de la partie requérante, de condamner la partie défenderesse aux dépens ;

Par ces motifs

LA COUR

Déclare et arrête :

1) l'article 4 de la décision de la Commission 74-431-CEE est annulé ;

2) la Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.