CA Amiens, ch. solennelle, 24 juin 2002, n° 01-01989
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Thiers
Défendeur :
Selecta France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
Mme Sant
Président :
Mme Darchy
Conseillers :
Mmes Robitaille, Zauberman Seichel
Avocats :
Mes Perdu, Fabing
Décision :
Employé par la société Selecta, en qualité de VRP exclusif, depuis le 28 octobre 1991, M. Thiers a cessé de travailler en décembre 1994. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 7 juin 1995.
Il a saisi le Conseil de prud'hommes de Cambrai de diverses demandes en paiement de commissions et d'indemnités relatives à la rupture de son contrat de travail.
Le conseil de prud'hommes par jugement du 21 mars 1996 a reconnu à M. Thiers le principe d'un droit à des commissions indirectes et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure, par jugement rendu le 12 septembre 1996 a condamné la société Selecta à payer au salarié 1 236 F à titre de commissions sur ordres indirects et a débouté M. Thiers du surplus de sa demande et la société Selecta de sa demande reconventionnelle puis sur requête en rectification d'erreur matérielle présentée par le salarié, par jugement du 19 décembre 1996 a porté le montant des commissions indirectes dues à l'intéressé à 61 809 F.
Sur l'appel formé par le salarié, la Cour d'appel de Douai, par arrêt rendu le 30 septembre 1998, a infirmé le jugement, dit le licenciement non fondé sur une faute grave mais pour une cause réelle et sérieuse, débouté le salarié de toutes ses demandes, la société Selecta de sa demande de dommages et intérêts et les deux parties de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Thiers ayant formé un pourvoi, la Cour de cassation par arrêt du 7 février 2001 a cassé et annulé la décision de la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de M. Thiers en paiement d'une indemnité de clientèle et d'une indemnité de non-concurrence aux motifs que la cour d'appel, d'une part, a violé l'article L. 751-9 du Code du travail dont il résulte que l'indemnité légale de licenciement constitue le minimum auquel le représentant à droit et que déboutant le salarié de sa demande d'indemnité de clientèle, la cour d'appel devait statuer sur son droit à une indemnité de licenciement nécessairement incluse dans la demande d'indemnité de clientèle ; d'autre part, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile en rejetant sans aucune motivation la demande d'indemnité de non-concurrence.
La Cour d'appel d'Amiens désignée comme cour d'appel de renvoi a été saisie dans le délai légal.
Par conclusions reçues au greffe le 18 juillet 2001 soutenues à l'audience, M. Thiers sollicite la condamnation de la société Selecta à lui payer :
- 125 765 F à titre d'indemnité de non-concurrence,
- 490 375,28 F à titre d'indemnité de clientèle,
- 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Selecta, par conclusions reçues au greffe le 30 novembre 2001 soutenues à l'audience, demande à la cour de :
- débouter M. Thiers de ses prétentions,
- condamner M. Thiers à lui payer :
sur une somme de 8 198,12 F les intérêts y afférents de 1 078,34 F sous astreinte de 100 F par jour de retard jusqu'à complet paiement,
si l'applicabilité de la clause de non-concurrence était retenue, 337 569,41 F à titre de clause pénale,
10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Sur l'indémnité de non-concurrence :
Attendu que M. Thiers soutient que l'employeur ne peut renoncer unilatéralement à l'exécution de la clause de non-concurrence dès lors que cette possibilité n'est pas prévue dans le contrat de travail ; que la société Selecta France n'a d'ailleurs pas satisfait au formalisme prévu par la convention collective et qu'elle a dénoncé la clause antérieurement au licenciement dans son premier courrier ;
Attendu qu'en l'absence de dispositions du contrat de travail en ce qui concerne la dénonciation de la clause de non-concurrence, comme d'ailleurs de l'indemnisation de l'interdiction que réclame M. Thiers, les dispositions de la convention collective sont applicables;
Qu'aux termes de l'article 17 de l'accord interprofessionnel des VRP, sous condition de prévenir, par lettre recommandée avec accusé réception, dans les quinze jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence ou en réduire la durée ;
Que si la dénonciation à titre conservatoire de la clause par la société Selecta France par lettre du 10 mai 1995 en réponse à un courrier de M. Thiers, antérieurement à la rupture est sans effet, la société Selecta France a réitéré cette dénonciation dans la lettre du 7 juin 1995 notifiant au salarié son licenciement; que la circonstance que la dénonciation ait été faite dans un post-scriptum est sans incidence sur sa validité;
Que M. Thiers ne précise pas, outre la dénonciation antérieure à la rupture contrat, en quoi le formalisme conventionnel n'a pas été respecté ; qu'il ne prétend pas que la lettre du 7 juin lui a été adressée par courrier simple ; qu'en tout cas, la formalité de l'envoi en recommandé avec demande d'avis de réception de la lettre de dénonciation de la clause de non-concurrence ne constitue pas une formalité substantielle mais un mode de preuve du respect du délai de quinze jours dont le point de départ est la réception par le salarié de la lettre de dénonciation;
Que M. Thiers est dès lors mal fondée en sa demande ;
Sur la demande d'indémnité de clientèle :
Attendu que la Cour d'appel de Douai a débouté M. Thiers de sa demande d'indemnité de clientèle dont elle était saisie ; que la cassation qui atteint ce chef du dispositif de l'arrêt de la cour d'appel ne laisse rien subsister ;
Qu'il convient donc de se prononcer sur la demande d'indemnité de clientèle ;
Attendu que M. Thiers soutient que les relevés des factures clients produits établissent que les clients démarchés continuaient à commander leurs profils en PVC auprès de la société Selecta France, ce qui lui permettait de toucher des commissions indirectes de 2 % ; que les entreprises achetant les machines de la société Selecta France devaient par la suite acheter et continuer à acheter auprès de la société Selecta France les profils en PVC qui leur permettaient de fabriquer les fenêtres à l'aide de ces machines ; que les chiffres d'affaires qu'il a réalisés et le fichier clients résultant de son intervention démontrent qu'il y avait nécessairement création d'une clientèle importante pour la société Selecta France, le chiffre d'affaire de cette dernière étant essentiellement généré par la vente ultérieure des profils ; que la société devait également intervenir pour l'entretien et la réparation des machines, secteur dans lequel il ne peut plus désormais intervenir ;
Attendu que le droit à l'indemnité de clientèle suppose une augmentation de la clientèle en nombre et en valeur, impliquant un renouvellement des commandes et une stabilité de la clientèle;
Que M. Thiers ne conteste pas que les commandes de machines ne se renouvellent pas; que les bons de commandes qu'il produit concernant des machines mentionnent pour un montant variable des profils PVC gratuits ;
Qu'il n'est pas établi que pour fabriquer les fenêtres avec les machines seuls les profils PVC vendus par la société Selecta France pouvaient être utilisés, ni l'existence d'une clientèle stable ;
Attendu qu'en l'absence de preuve d'une augmentation de la clientèle en nombre et en valeur, M. Thiers ne peut prétendre à l'indemnité de clientèle;
Attendu qu'en application de l'article L. 751-9, dernier alinéa, du Code du travail et l'article 13 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, M. Thiers qui a été licencié, sans qu'une faute grave puisse lui être reprochée, après deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et alors qu'il avait moins de 65 ans a droit à l'indemnité conventionnelle de rupture fixée par l'article 13 précité et que les éléments versés aux débats permettent de fixer à 8 353,18 F, soit 1 273,43 euro ;
Sur la demande de la société selecta France relative aux commissions :
Attendu que la société Selecta France soutient que la somme de 61 809,11 F à laquelle elle a été condamnée par le jugement au titre des commissions sur ordres indirects et qui a été versée sur la fiche de paie de février 1997 aurait dû lui être remboursée après l'arrêt de la Cour d'appel de Douai infirmant le jugement ; que 56 105,45 F sur cette somme ont été saisis par l'administration fiscale et seule une somme de 8 198,12 F a été effectivement versée à M. Thiers qui ne lui a pas été restituée, ce qui justifie sa condamnation aux intérêts légaux sur ce montant, soit 1 078,34 F arrêtés au 30 octobre 2001 et à une astreinte de 100 F par jour de retard jusqu'à complet paiement du principal et des intérêts au total de 9 276,46 F ;
Attendu que la cassation n'a pas atteint l'arrêt de la Cour d'appel de Douai qu'en ce qu'il a infirmé le jugement rectifié du 12 septembre 1996 du chef de la condamnation de la société Selecta France à payer à M. Thiers des commissions ;
Que M. Thiers ne conteste pas avoir perçu, sur cette condamnation, ladite somme de 8 198,12 F, et ne pas l'avoir restituée ni après l'arrêt de la Cour d'appel de Douai ni après l'arrêt de la Cour de cassation ;
Qu'il sera en conséquence condamné à la rembourser avec intérêts au taux légal à compter de la date de notification de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai ;
Qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte ;
Attendu que chaque partie succombant pour partie en ses prétentions, chacune conservera à sa charge ses dépens ;
Que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. Thiers de sa demande d'indemnité de clientèle, Y ajoutant, Condamne la société Selecta France à payer à M. Thiers 1 273,43 euro à titre d'indemnité conventionnelle de rupture, Déboute M. Thiers de sa demande de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, Le condamne à rembourser à la société Selecta France, avec intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, la somme de 1 250,48 euro perçue en exécution du jugement infirmé, Dit que chaque partie conservera à sa charge ses dépens, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.