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Décisions

CA Nouméa, ch. soc., 26 avril 1989, n° 236-88

NOUMÉA

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Livre et Culture (SARL)

Défendeur :

Kromer

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Montocchio

Conseillers :

M. Langlet, Mme Laurent

Avocats :

Mes Louzier, Lergenmuller

T. trav. Nouméa, du 20 juill. 1988

20 juillet 1988

La société Livres et Culture Caledonie a régulièrement relevé appel d'un jugement du Tribunal du travail de Nouméa en date du 20 juillet 1988, qui, après avoir décidé qu'il existait entre elle-même et Nicolas Kromer un contrat de travail, s'est déclaré compétent ratione matériae pour connaître du litige et a renvoyé à une date ultérieure la cause à l'effet de permettre à l'employeur de s'expliquer sur les diverses indemnités revendiquées par le salarié.

Devant la cour, la société appelante, soulève derechef, avant toute défense au fond, l'incompétence de la juridiction saisie.

Elle motive, comme suit, son exception de procédure :

C'est à tort que le tribunal du travail a cru devoir s'inspirer de l'article L. 751-1, du Code du travail métropolitain relatif au statut de VRP inapplicable sur le territoire et alors que l'ordonnance du 13 novembre 1985 demeure muette sur ce point.

Au surplus, font défaut en l'occurrence certains éléments constitutifs du texte incriminé, lequel en exclut en outre les mandataires.

C'est à tort également que le premier juge a estimé devoir retenir comme l'équivalent d'un salaire le montant forfaitaire fixe de commission auquel s'ajoute une commission proportionnelle.

D'ailleurs, la convention du 11 novembre 1981 signée entre Kromer et la société Diffusion Tahitienne du Livre, tierce société distincte de la société Livres et Culture révèle la nature ducroire de l'activité du mandataire exclusive tout à la fois et du statut de VRP et du statut de salarié.

La société appelante considère en revanche qu'elle prouve que Kromer exerçait à la manière d'un véritable entrepreneur, ayant autorité sur des sous-commissionnaires, telle Mademoiselle Delhommelle, desquels il percevait ou prélevait une part de commission, situation de nature à écarter toute référence à un contrat de travail.

Après avoir excipé d'une jurisprudence récente de la Cour de Céans en vertu de laquelle aurait été reconnue en des cas similaires la compétence de la juridiction consulaire, la société Livres et Culture tient à préciser qu'à l'exception du mois de juillet 1987, c'est par excès de pouvoir que Kromer a fait parade de gestionnaire au sein de la société où il n'était que mandataire indépendant

C'est pourquoi, la société appelante conclut, par voie d'incompétence, à infirmation de la décision déférée.

De son côté, Kromer reprend l'intégralité de ses écritures de première instance et rétorque :

D'une part, que les deux arrêts cités par son adversaire et tranchant la situation de simples démarcheur, travailleurs indépendants sans lien de subordination, ne sauraient le concerner, lui Kromer, cadre commercial étroitement subordonné à son employeur, à telle enseigne qu'il disposait notamment d'une procuration sur les comptes bancaires de la société et se préoccupait même de faire procéder au transfert des lignes téléphoniques ;

D'une autre part, que les deux reçus de commission par lui signés à Josette Delhommelle constituent des opérations purement ponctuelles à l'effet d'aider celle-ci dont les ventes ont d'ailleurs été enregistrées dans les livres de l'employeur et l'intimé d'ajouter qu'en écrivant le 31 décembre 1987 au gérant Jean Thion qu'il ne voulait pas être considéré comme employé, il entendait lui signifier, non point qu'il se prît pour une personne indépendante mais qu'on lui donnât les responsabilité d'un cadre.

En conséquence, Kromer sollicite non seulement confirmation du jugement querellé quant à la compétence mais encore, par voie d'évocation, condamnation de son employeur à lui payer la somme globale initialement réclamée de 6 200 000 F CFP au titre de salaire et d'indemnités de préavis et de licenciement abusif.

Cela étant exposé, LA COUR,

Vu les pièces produites aux débats et soumises à discussion contradictoire des parties ;

Attendu en droit qu'il est en premier lieu constant que l'article L. 751-1 du Code métropolitain du travail n'a point été promulgué en Nouvelle-Caledonie qu'il y est donc inapplicable en vertu de la règle fondamentale de la spécialisation des lois ;

Que rien n'interdit cependant de se référer juridiquement et par voie d'analogie, à un tel texte dès lors, que la législation locale, muette et lacunaire en la matière ne contient aucune disposition contraire aux principes généraux y définis ;

Qu'encore faut-il, aux termes mêmes de l'article L. 751-1 précité, que la convention dont l'objet est la représentation, intervenue entre un voyageur ou placier d'une part, et son employeur, soit un véritable contrat de louage de services caractérisé, quant au voyageur-représentant-placier, par un travail pour le compte d'un ou plusieurs employeurs par l'exercice d'une façon exclusive et constante de sa profession, par l'absence de toute opération commerciale pour son compte personnel, et par divers engagements relatifs plus particulièrement à la nature des prestations (dee services, et au taux des rémunérations.

Attendu qu'il est en deuxième lieu constant que c'est dans le cadre du contrat par lui conclu à Papeete à la date du 31 décembre 1981 avec la société Diffusion Tahitienne du Livre que Kromer est venu exercer ses fonctions de représentant mandataire auprès de la société Livre et Culture, filiale à Noumea de sa co-contractante.

Qu'il importe donc d'analyser la substance de ce contrat à l'effet de déterminer si, comme il le soutient, Kromer y a qualité de représentant statutaire salarié, ou, si, au contraire, il ne serait ainsi, que l'allègue la société appelante, qu'un mandataire indépendant ne relevant point de la juridiction prud'hommale.

Attendu qu'en faveur, semble-t-il de la thèse de Kromer le contrat en litige stipule que celui a droit, à titre de rémunération, à une commission calculé sur le montant des ventes ;

Qu'il rendra compte de sa gestion en remettant chaque semaine le lundi ses bons de commande ;

Qu'il s'engage à respecter et à appliquer l'ensemble des circulaires et directives à lui remises et faisant office de règlement intérieur ;

Qu'il s'interdit, pendant la durée du contrat de représenter ou de s'intéresser directement ou indirectement à des maisons vendant des articles similaires ;

Qu'il bénéficiera d'une période d'essai d'un mois ;

Que le même contrat prévoit en cas de résiliation, un préavis d'un mois ;

La suppression de tout préavis en cas de faute grave ou de force majeure ;

Une clause de non-concurrence pendant une durée de 6 mois suivant la cessation des services de Kromer ;

Attendu que le premier juge a déduit de ces diverses clauses la preuve du lien de subordination et de l'existence d'un contrat de travail ;

Attendu qu'il est, nonobstant, constant que de telles clauses sont en elles-mêmes insuffisantes pour établir la réalité d'uni lien de subordination et caractériser le salariat ; dans la mesure où elles s'appliquent tant aux représentants statutaires ou aux représentants salariés ne relevant point du statut du voyageur représentant placier qu'aux agents commerciaux, soit aux professionnels de la représentation mandataire, dont l'activité indépendante est incompatible avec la qualité de salarié ;

Attendu qu'en l'espèce, et en vertu du contrat du 31 décembre 1987 le liant à la société Livre et Culture, Kromer, qualifié de représentant mandataire, disposait d'un champ d'activités géographiques très étendu sans exclusivité particulière, en vue de la vente par courtage de collections de livre ;

Qu'il exerçait son activité en toute indépendance quant à ses horaires et aux clients visités ;

Qu'il s'engageait à se mettre en règle avec l'administration et la législation du commerce notamment quant à la déclaration et au règlement de la patente de représentant de commerce ;

Qu'il devait fournir casier judiciaire et photographies d'identité pour l'établissement de sa carte de courtier ;

Qu'une convention de consignation de 10 000 F CFP, garantissait la livraison par la société du matériel de spécimen d'ouvrages et de tous documents et tarifs faisant l'objet de la représentation ;

Qu'enfin et surtout, Kromer bénéficiait de la clause ducroire, par laquelle moyennant rénumération particulière, il se portait garant en tout, du payement par les clients des ordres qu'il avait pris;

Qu'en effet, le contrat de représentation mandataire du 31 décembre 1987, prévoit expressément en son article 6 "qu'une retenue de 5 % du montant total des commissions jusqu'à concurrence de 50 000 F CFP sera effectuée par la société en garantie sur les retraits éventuels de commissions occasionnés par des impayés, les commissions versées ne seront définitivement acquises que lorsque les clients auront payés la totalité du montant de leurs commandes ; le représentant s'engage au surplus à effectuer toute démarche utile auprès des clients défaillants et ceci à partir du premier mois impayé ;

Attendu qu'il appert des dispositions particulièrement précises et claires de la convention litigieuses ci-dessus évoquées, que Kromer n'était ni représentant statutaire au sens de l'article L. 751-1 du Code métropolitain du travail, ni représentant salarié non statutaire mais un véritable représentant mandataire, un agent commercial avec toutes les conséquences de droit en découlant;

Qu'il est notamment constant que la cause ducroire constitue une opération distincte qui n'est point le prolongement normal de l'activité salariale du représentant; qu'il s'agit bien d'une opération commerciale, exécutée à titre personnel, incompatible avec le statut professionnel;

Attendu enfin qu'il est constant que la procuration bancaire donnée à Kromer, pour le seul mois de juillet 1987 durant l'absence du gérant Racine ne saurait valoir acte de gestion et conférer audit Kromer la qualité de cadre commercial salarié ; qu'en exerçant d'ailleurs, à titre provisoire et précaire une telle activité, aux lieux et place du gérant de la société Livre et Culture, l'intimé se comportait en mandataire social et non point en salarié ;

Que d'autre part, Kromer ne justifie pas qu'il ait reçu régulièrement autorisation d'accomplir les autres actes de gestion desquels il excipe, que bien au contraire, la société appelante lui fait grief d'avoir opéré en l'espèce par excès de pouvoir ;

Que de surcroît, les commissions par lui prélevées auprès de mademoiselle Delhommelle, apparaissent être des opérations commerciales à titre personnel exclusive de tout lien de subordination ;

Attendu qu'en tout état de cause, il est constant que ces éléments de fait de quelque manière qu'ils se puissent interpréter, ne sauraient ôter à Kromer la qualité d'agent commercial, telle qu'elle ressort des clauses essentielles du contrat incriminé que c'est donc à tort que le premier juge s'est déclaré compétent pour statuer sur un différend opposant un mandant, la société Livre et Culture, à son représentant mandataire Kromer ;

Qu'il y a lieu de relever que la juridiction civile à l'exclusion du tribunal du travail ou du tribunal de commerce, est seule compétente en l'espèce pour connaître du présent litige ;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable et fondé l'appel de la société Livre et Culture, Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Se déclare incompétente ratione matériae, Renvoie l'affaire devant le Tribunal civil de Nouméa, compétent pour en connaître, Condamne, si besoin est, Nicolas Kromer aux dépens d'appel.