CJCE, 4e ch., 25 février 1986, n° 193-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Windsurfing international Inc.
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bahlmann
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Bosco, Koopmans
Avocat :
Me Hoyng
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 septembre 1983, la société Windsurfing International Inc. (ci-après WSI), ayant son siège à Torrance, Californie, Etats-unis, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 11 juillet 1983, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (JO L 229, p. 1), dans la mesure où cette décision dispose que de nombreuses clauses des accords de licence conclus entre la requérante et un certain nombre de firmes allemandes sont incompatibles avec les règles de concurrence du traité. Subsidiairement, le recours vise à l'annulation de l'amende qui a été infligée à WSI par la décision susmentionnée ou, à tout le moins, à une réduction du montant de cette amende.
I - LES FAITS
2. WSI est une société fondée par M. Hoyle Schweitzer, une figure clé dans le développement de la planche à voile, l'engin composé d'un " flotteur " (coque en matière plastique équipée d'une dérive) et d'un " gréement " (installation comportant essentiellement un mat, une articulation pour le mat, une voile et des espars) qui permet de combiner l'art du surf et le sport de la voile. Elle tire son chiffre d'affaires tant des résultats de la vente des planches à voile qu'elle fabrique que des revenus provenant de licences qu'elle accorde à d'autres entreprises. Dans les années 70, WSI a étendu ses activités à l'Europe, où elle a tout d'abord revendiqué un brevet d'invention dans certains pays de la Communauté, à savoir le Royaume-Uni et la république fédérale d'Allemagne.
3. La portée du brevet d'invention octroyé à WSI en république fédérale d'Allemagne en 1978, à l'issue d'une procédure de revendication entamée en 1969, a toujours été controversée. Elle l'est également dans le cadre de la présent e affaire, où WSI fait valoir que les clauses litigieuses de ses accords de licence sont liées à l'exercice de son droit de brevet et doivent donc bénéficier de la protection que le traité accorde aux droits de propriété industrielle, ce qui est contesté par la Commission.
4. Alors que sa demande de brevet était examinée par l'office allemand des brevets, WSI a accordé, le 1er janvier 1973, une licence exclusive et temporaire à la société néerlandaise Ten Cate pour la fabrication et la vente en Europe de planches à voile fabriquées selon son savoir-faire. Cette société a reçu également le droit d'utiliser les marques verbales " Windsurfer " et " Windsurfing ", ainsi qu'une marque figurative (" logo ") représentant une voile stylisée.
5. En 1976 et en 1977, Ten Cate a délivré des sous-licences respectivement aux firmes allemandes Ostermann et Shark, en vue de l'exploitation du brevet allemand déjà déposé, et, en ce qui concerne Ostermann, des brevets qui seraient déposés ultérieurement en Europe. Ces deux accords - que, selon WSI, Ten Cate n'avait pas le droit de stipuler - ont été repris, en 1978, par WSI, qui a ensuite conclu des contrats de licences avec d'autres firmes allemandes, à savoir le 1er juillet 1978 avec la société Akutec, le 1er janvier 1979 avec les sociétés San et Klepper et le 21 août 1980 avec la société Marker.
6. Diverses entreprises concurrentes des firmes licenciées dans la fabrication et la vente de planches à voile ont adressé à la Commission, au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17-62, des plaintes mettant en cause, entre autres, la compatibilité de ces accords avec les règles communautaires en matière de concurrence.
7. Suite aux démarches entreprises par la Commission en 1981, WSI à conclu une série de nouveaux accords de licence qui tiennent compte des exigences du droit communautaire, telles que précisées par la Commission, et qui ne sont pas contestés par celle-ci : il s'agit notamment des accords stipulés avec Akutec en septembre 1981, avec Klepper en novembre 1981, avec San en janvier 1982, avec Ostermann en septembre 1982 et avec Shark en mars 1983.
8. La Commission a toutefois estimé nécessaire, compte tenu de la gravité et de la durée de l'infraction antérieure aux nouveaux accords de licence qu'elle reprochait à WSI, d'engager à l'égard de celle-ci une procédure en infraction des règles de concurrence, qui a abouti à la décision du 11 juillet 1983 par laquelle la Commission à constaté que certaines des clauses des accords de licence initialement passés par WSI avec Ostermann, Shark, Akutec, San, Klepper et Marker n'étaient pas conformes à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE et a infligé à WSI une amende de 50 000 écus.
9. Dans son article 1er, ayant trait aux accords de licence conclus entre WSI et les firmes susmentionnées, la décision attaquée constate qu'ont constitué, dans les accords de licence existant jusqu'en 1981-1982, des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, notamment :
a) dans les accords passés avec Ostermann, Shark, Akutec, San, Klepper et Marker :
1) l'obligation imposée aux titulaires de licence de n'exploiter les brevets sous licence que pour fabriquer des planches à voile dont WSI aurait approuvé au préalable les flotteurs,
2) l'obligation imposée aux titulaires de licence de ne pas offrir les gréements fabriqués au titre du brevet allemand séparément et sans les flotteurs approuvés par WSI,
3) l'obligation imposée aux titulaires de licence de payer les redevances pour les gréements fabriqués au titre du brevet allemand uniquement sur la base du prix de vente d'une planche à voile complète,
4) l'obligation imposée aux titulaires de licence d'apposer sur les flotteurs des planches à voile offertes par eux la mention "sous licence Hoyle Schweitzer" ou "sous licence WSI",
5) l'obligation imposée aux titulaires de licence de reconnaître comme marques de fabrique valables les marques verbales " Windsurfer " et " Windsurfing ", ainsi qu'une marque figurative dite " logo " représentant une voile stylisée ;
b) dans les accords passés avec Akutec, San, Klepper et Marker :
-la possibilité pour WSI de résilier les contrats de licence au cas où les titulaires de licence commenceraient la fabrication dans des territoires non couverts par le brevet ;
c) dans les accords passés avec Ostermann et Shark :
- l'obligation imposée aux titulaires de licence de ne pas contester la validité des brevets sous licence.
10. WSI a formé recours contre cette décision en contestant tant la réalité des faits tels qu'établis par la Commission que l'appréciation juridique des clauses que la Commission a estimées incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1.
II - L'EXISTENCE D'UN MARCHE DES COMPOSANTS ISOLES ET D'UN COMMERCE INTRACOMMUNAUTAIRE DE PLANCHES A VOILE
11. WSI affirme tout d'abord que, contrairement aux allégations de la Commission, il n'a existé, pendant presque toute la période prise en considération par la décision, c'est-à-dire de 1974 à 1981 compris, aucun marché, tant soit peu important, des composants de planches à voile, distinct du marché des planches entières, la seule demande de composants isoles étant pratiquement celle relative à la livraison de pièces de rechange.
12. A l'égard de cet argument, il y à lieu de remarquer que la question de savoir si un tel marché a existé ou non n'est pas sans importance en vue d'établir si les clauses litigieuses sont compatibles avec l'article 85, paragraphe 1. En effet, dans la mesure où il serait prouvé qu'il n'existait pratiquement pas de commerce de composants isolés, on ne saurait affirmer que les clauses des accords de licence passés par WSI pouvaient empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun en ce qui concerne lesdits composants.
13. Selon WSI, il n'y aurait eu pendant très longtemps en Europe qu'un marché de planches à voile complètes, c'est-à-dire de l'ensemble du flotteur et du gréement. Ce ne serait que vers la fin de 1981 que des surfers déjà expérimentés auraient commencé à combiner les gréements avec des flotteurs conçus pour des utilisations bien déterminées, ou même à assembler personnellement leur planche à voile à partir de pièces isolées. Cela aurait donné origine à un marché distinct qui n'aurait toutefois pas dépassé, à l'époque, 1 % de la demande totale. Une demande tout à fait artificielle, et qui ne devrait donc pas être prise en considération, se serait développée dès 1978 en république fédérale d'Allemagne en conséquence du brevet octroyé à WSI dans ce pays, brevet qui couvrait sans aucun doute au moins le gréement, ce qui aurait obligé les producteurs non licenciés à essayer de se procurer des gréements brevetés afin de les monter sur leurs flotteurs et de pouvoir ainsi continuer à commercialiser leurs planches à voile sur le marché allemand.
14. La Commission soutient par contre que, déjà dans la période allant de 1978 à 1981, il existait non seulement en Allemagne, mais également dans d'autres pays de la CEE, par exemple en France, une demande de composants isolés qui dépassait largement la simple demande de pièces de rechange. Le fait que, pour ce qui est du marché allemand, une telle demande a été en grande partie le résultat de la situation du brevet sur ce marché ne permettrait pas pour autant de la négliger, étant donné que les conditions résultant de l'existence d'un brevet ne sauraient être appréciées d'une manière différente des autres conditions qui influencent l'attitude des opérateurs sur un marché déterminé.
15. L'existence d'un marché de composants isolés doit être établie à la lumière des données indiquées par les parties dans leurs mémoires et des renseignements complémentaires qu'elles ont fournis à la demande de la Cour.
16. A cet égard, il ressort des catalogues, des publicités, ainsi que des renseignements recueillis par la Commission auprès des entreprises, que des composants de planches à voile (flotteurs, gréements, éléments du gréement) ont été offerts et vendus séparément dès 1978, et cela également dans les pays où il n'y avait pas de brevet protégeant une partie de la planche à voile. Les comptes des redevances des licenciés de WSI, qui ont été produits, à la demande de la Cour, par la requérante elle-même, font eux aussi apparaître que des livraisons de gréements et d'éléments de gréement ont été effectuées dès 1978.
17. En ce qui concerne les dimensions de ce marché des composants, il est toutefois difficile de chiffrer dans quelle mesure la commercialisation de pièces isolées dépassait la simple livraison de pièces de rechange. Les comptes des redevances de certains licenciés de WSI en Europe, tels Ten Cate et Ostermann, montrent que les livraisons de composants de planches à voile ont représenté jusqu'à 1981 moins de 10 % du chiffre d'affaires total de ces sociétés, mais il faut tenir compte de ce que les titulaires de licence évitaient, dans la mesure du possible, de fournir des pièces isolées qui ne seraient pas utilisées comme pièces de rechange. Des données fournies par la Commission indiquent, pour une importante entreprise belge, 8 % du chiffre d'affaires relatif à des appareils complets en 1979, et 17 % en 1980, donc des pourcentages quelque peu moins élevés si on les calcule sur le chiffre d'affaires total.
18. Si l'on considèré que l'expansion du marché entraîne une demande toujours croissante de pièces de rechange et que les licenciés estimaient en 1980, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'une réunion qu'ils ont tenue à Munich le 9 octobre 1980 avec M. Schweitzer, à 10-15 % la demande normale de pièces détachées, les pourcentages ci-dessus indiqués, qui comprennent les ventes séparées tant de flotteurs que de gréements et d'éléments de gréement, ne permettent pas d'affirmer que la demande de pièces séparées dépassait très largement la demande de pièces de rechange.
19. Au vu de ces considérations, il y à lieu de conclure qu'un marché des composants isolés existait déjà à l'époque dont il est question dans la décision, mais qu'il n'était pas très important.
20. WSI affirme ensuite qu'il n'y avait pas, à l'époque en question, d'échanges importants de planches à voile entre les Etats membres, compte tenu de ce que les producteurs de planches à voile opèrent surtout sur leur marché interne et que les importations n'ont représenté en moyenne dans chaque Etat que 20 à 30 % de la production nationale.
21. La Commission relève de son coté que, déjà pendant la période considérée, des firmes telles que Mistral et Dufour opéraient au niveau communautaire et sur une large échelle.
22. Il ressort de ce qui précède que, comme WSI elle-même l'admet, les importations ont toujours constitué un pourcentage non négligeable des planches à voile offertes dans les différents Etats membres. Cela est d'autant plus vrai que l'importance des échanges intracommunautaires de planches à voile doit être appréciée par rapport à l'ensemble du Marché commun et non par rapport à chaque marché national.
III - LA PORTEE DU BREVET ALLEMAND
23. Un autre point controversé entre les parties est celui de la portée du brevet octroyé à WSI dans la république fédérale d'Allemagne.
24. A cet égard, WSI conteste tout d'abord que la Commission puisse apprécier de façon autonome la portée d'un brevet délivré dans un Etat membre. Elle estime, en effet, que, s'il existe pour le moins un doute raisonnable sur la portée du brevet, il n'appartient pas à la Commission de se substituer aux juridictions nationales, seules compétentes pour se prononcer d'une manière définitive sur une telle question. En l'espèce, des procédures judiciaires visant justement à obtenir une décision sur la portée du brevet auraient été en Cours et la Commission n'aurait eu aucun droit d'anticiper cette décision.
25. La Commission répond qu'il n'était en l'espèce ni nécessaire ni opportun d'attendre une décision judiciaire finale dans les procédures pendantes à l'égard de la portée du brevet. En effet, le point de vue défendu par la Commission correspondrait à une situation juridique qui avait déjà été confirmée, à maintes reprises, par les autorités allemandes compétentes. En outre, le fait d'attendre l'achèvement des procédures en Cours aurait signifié accepter les restrictions de la concurrence mises en œuvre par WSI, pour une période encore plus longue, probablement jusqu'à l'expiration du brevet.
26. S'il n'appartient pas à la Commission de définir la portée d'un brevet, il n'en reste pas moins que cette institution ne saurait s'abstenir de toute initiative lorsque la portée du brevet est pertinente pour l'appréciation d'une violation des articles 85 et 86 du traité. En effet, même dans le cas où la portée effective d'un brevet fait l'objet d'un litige devant des juridictions nationales, la Commission doit pouvoir exercer ses compétences conformément aux dispositions du règlement n° 17-62.
27. La position de l'entreprise faisant l'objet d'une procédure au sens de ce règlement n'est d'ailleurs pas compromise par les constatations que la Commission peut faire. D'une part, celles-ci ne préjugent en rien les appréciations que les juridictions nationales porteront sur les différends relatifs aux droits de brevet dont elles sont saisies ; d'autre part, la décision de la Commission est soumise au contrôle de la Cour.
28. Le contrôle exercé par la Cour doit se limiter à établir si, à la lumière de la situation juridique existante dans l'Etat où un brevet a été octroyé, la Commission a apprécié de manière raisonnable la portée de ce brevet. En l'espèce, il convient donc de vérifier si la Commission était fondée à estimer que le brevet allemand octroyé à WSI couvrait seulement le gréement d'une planche à voile, et non pas le flotteur.
29. A cet égard, il y à lieu de constater qu'aucune des procédures judiciaires expressément engagées en vue d'éclaircir ce point n'a, jusqu'à présent, donné lieu à une décision définitive. La procédure test entamée en 1980 par WSI contre une entreprise qui vendait en république fédérale d'Allemagne des flotteurs seuls a, en effet, pris fin en 1983, WSI ayant retiré son recours après avoir conclu un accord de licence avec la partie défenderesse. Deux autres actions engagées par des entreprises concurrentes des licenciés de WSI, afin d'obtenir une constatation que l'offre de flotteurs et de voiles et respectivement de mats ne constitue pas une contrefaçon, ont entre-temps été suspendues en raison de négociations visant a un compromis.
30. Dans ces conditions, la portée du brevet allemand ne peut ressortir que de la teneur de la revendication acceptée par l'office allemand des brevets ainsi que des décisions d'interprétation rendues jusqu'à présent par les autorités et les juridictions allemandes compétentes.
31. La décision d'octroi du brevet prise par l'office allemand des brevets le 31 mars 1978 indique que le brevet est octroyé pour " un gréement de planche à voile " pouvant être " utilisé non seulement pour des planches à voile, mais aussi pour des dériveurs sur glace, des dériveurs de plage, des planches de surf, des canoës, des bateaux à rames ou de petits voiliers ". Il y à lieu également de remarquer, d'une part, que ce texte mentionne l'existence d'autres types de gréements brevetés et situe la nouveauté de l'invention dans la possibilité, grâce au gréement considéré, d'affronter également le vent contraire et, d'autre part, que la description de l'invention ne mentionne que des éléments du gréement.
32. Compte tenu de ce que toute mention de " planche à voile " figurant dans la revendication initiale de WSI a été remplacée par " gréement de planche à voile " et que la phrase de la revendication initiale indiquant que l'invention comprenait la planche à voile a été supprimée, on ne saurait estimer, comme le fait la requérante, que les modifications apportées à la revendication au Cours de la procédure d'octroi du brevet étaient purement rédactionnelles et n'avaient aucunement pour but de limiter l'étendue du brevet. En effet, même à supposer que l'office des brevets n'ait pas indiqué clairement les raisons pour lesquelles il avait rejeté la revendication initiale et proposé une nouvelle rédaction, il n'en reste pas moins que WSI a expressément accepté la revendication modifiée. Il ressort d'ailleurs d'une lettre de l'office des brevets du 21 janvier 1974 que, si WSI n'avait pas accepté les modifications proposées, la revendication aurait du être rejetée.
33. Aucune conclusion différente ne semble pouvoir être tirée des décisions rendues jusqu'à présent par plusieurs juridictions et autorités allemandes dans des litiges qui exigeaient une appréciation de la portée du brevet. Par jugement du 9 août 1979, le Landgericht Munchen a dit qu'un fabricant non licencié pouvait acheter des gréements sous licence et les monter sur ses flotteurs, ce qui implique que le brevet n'a pas été censé couvrir la planche entière. Par décision du 28 novembre 1979, la Cour fédérale des brevets a rejeté de nombreuses oppositions au brevet, fondées sur l'état de la technique connue, en remplaçant toutefois la revendication principale par une revendication secondaire, où il est aussi question d'un gréement de planche à voile. L'office fédéral des ententes a également fondé sa décision du 30 septembre 1981, relative à la compatibilité des accords de licence de WSI avec le droit allemand de la concurrence, sur la constatation, motivée de manière détaillée, que le brevet octroyé à WSI visait uniquement le gréement, et non une planche à voile complète. Le 10 décembre 1981, le Bundesgerichtshof, se prononçant dans le cadre d'une action en contrefaçon engagée par WSI contre un fabricant de voiles expressément conçues pour les gréements de planches à voile, a mentionné, en tant qu'éléments de la combinaison brevetée, le mât orientable et pivotable librement en tous sens, la voile et les espars connexes (wishbones). Enfin, dans la procédure test engagée par WSI, les juridictions de première et de deuxième instance ont rejeté les moyens de la requérante concernant la portée du brevet allemand.
34. Dans ces conditions, il y à lieu d'estimer, conformément au point de vue de la Commission, qu'à l'époque où elle a entamé l'enquête à l'égard de WSI et a adopté la décision attaquée, rien dans le texte du brevet ni dans l'interprétation qui en a été donnée par les autorités et les juridictions allemandes ne permettait d'affirmer que le brevet se référait à une planche à voile complète. Cette situation n'a nullement changé par la suite.
35. L'argument de WSI selon lequel les éléments de la planche à voile autres que le gréement seraient couverts automatiquement par le brevet, en tant qu'éléments indispensables au fonctionnement de l'invention, ne saurait non plus être retenu, si l'on considèré que la jurisprudence allemande citée par la requérante montre que seuls les éléments qui relèvent du principe de l'invention sont protégés, alors qu'en l'espèce aucun élément de nouveauté par rapport à l'état de la technique n'a jamais été reconnu au flotteur.
36. Les clauses figurant dans les accords de licence ne peuvent donc trouver, dans la mesure où elles concernent des parties de la planche à voile non couvertes par le brevet allemand ou prennent en considération la planche à voile complète, aucune justification dans la protection d'un droit de propriété industrielle.
IV - L'APPRECIATION DES ACCORDS DE LICENCE A LA LUMIERE DE L'ARTICLE 85, PARAGRAPHE 1, DU TRAITE CEE
A - la limitation de la concurrence
37. Il convient, dès lors, d'examiner si les clauses mentionnées dans la décision attaquée sont compatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité. A cette fin, il importe, en premier lieu, de vérifier si ces clauses ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
38. La première des clauses contestées comporte - selon la Commission - l'obligation pour les titulaires d'une licence de n'exploiter l'invention que pour monter le gréement breveté sur certains types de flotteurs définis par le contrat, ainsi que l'obligation de présenter au donneur de licence pour agrément, avant la mise sur le marché, tout nouveau type de flotteur prévu pour le montage des gréements brevetés.
39. WSI nie tout d'abord que le produit fut défini dans les accords de licence comme une planche à voile complète composée du gréement et d'" type de flotteur bien précis fabriqué par le titulaire de la licence " et donc soumis à l'approbation du donneur de licence, en ce que, d'après les accords, toute modification du produit était soumise à cette approbation.
40. Il ressorttoutefois du texte des accords que le produit sous licence y était défini comme une planche à voile complète, dont les caractéristiques bien précises étaient spécifiées dans les annexes. Il s'ensuit qu'aux termes de ces accords toute modification d'un flotteur était soumise à l'approbation du donneur de licence.Seul l'accord entre Ten Cate et Shark prévoit expressément à son paragraphe 2 que la licence porte sur " un gréement de planche à voile ", qui ne peut être fabriqué et vendu qu'avec une planche à voile fabriquée en plusieurs parties, mais ne mentionne pas le flotteur. Le fait que WSI, après avoir repris l'accord en question, s'est déclarée prête à accorder une licence également pour une planche à voile non démontable ne saurait rien changer à cette situation, laquelle impose d'exclure, contrairement à ce que dispose la décision, l'accord passé avec Shark du nombre de ceux qui contiennent une obligation de faire approuver le flotteur par le donneur de licence.
41. WSI fait ensuite valoir que, même si elle était exigée également pour les flotteurs, l'approbation du donneur de licence ne visait pas à limiter les modèles de planches à voile qui pouvaient être fabriqués par les licenciés, mais tendait uniquement à vérifier que la planche ne soit pas de qualité inférieure et qu'elle ne porte pas atteinte aux droits d'un autre licencié. Il n'y aurait pas eu, dans le même champ d'application technique, d'autres restrictions que les deux précitées, qui relèveraient néanmoins de l'objet spécifique des droits de brevet sous licence.
42. La Commission répond qu'un droit de propriété industrielle ne donne pas au titulaire qui a accordé une licence à d'autres firmes la faculté d'organiser le marché des produits sous licence. Des restrictions du domaine d'application de la licence pourraient être acceptables à la seule condition qu'elles concernent des produits différents, appartenant à des marchés différents. Le modèle et la qualité du produit seraient l'affaire du seul titulaire de la licence.
43. Selon la Commission, les normes de qualité et de sécurité ne pourraient échapper à l'article 85, paragraphe 1, que dans la mesure où elles portent effectivement sur un produit couvert par le brevet, se bornent à assurer la mise en œuvre effective de l'instruction technique donnée dans le brevet et sont fixées dès le début et selon des critères objectivement vérifiables.
44. En ce qui concerne l'affirmation de WSI que l'approbation est nécessaire pour empêcher l'imitation servile, la Commission observe, tout d'abord, que la protection contre l'imitation servile ne fait pas partie de l'objet spécifique d'un droit de brevet quelconque, mais est un moyen de défense accordé par les tribunaux de nombreux pays contre l'imitation déloyale des produits par les concurrents. Or, si, par une clause contractuelle appropriée, le donneur de licence s'érigeait en arbitre unique à la place du tribunal pour statuer sur tout cas douteux futur, il serait à craindre qu'il n'exploite ce pouvoir discrétionnaire uniquement en sa faveur et ne restreigne la liberté de concurrence des titulaires de licence au-dela du domaine proprement dit de la concurrence déloyale.
45. Il importe, pour ce qui est du contrôle de qualité de la planche à voile, d'établir si un tel contrôle peut relever de l'objet spécifique du brevet. Or, ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre, un tel contrôle ne peut entrer dans l'objet spécifique du brevet que s'il porte sur un produit couvert par celui-ci, car il se justifie seulement pour garantir " la mise en œuvre effective de l'instruction technique donnée par le brevet et appliquée par le titulaire de licence ". En l'espèce, il a toutefois été établi qu'on peut raisonnablement estimer que le brevet allemand ne couvre pas le flotteur.
46. Mais, même à supposer que le brevet allemand couvrait toute la planche à voile, et donc également le flotteur, on ne saurait admettre sans plus que le contrôle, tel que prévu dans les accords de licence, était compatible avec l'article 85. En effet, ce contrôle doit s'effectuer selon des exigences de qualité et de sécurité fixées dès le début et selon des critères objectivement vérifiables. S'il en était autrement, le caractère discrétionnaire de ce contrôle reviendrait à permettre au donneur de licence d'exercer une sélection sur les modèles des licenciés, ce qui est contraire à l'article 85.
47. WSI n'a pas réussi à prouver qu'il existait des critères objectifs et préfixés, vu qu'aucune indication des contrôles techniques à effectuer ne figurait dans les accords.
48. L'affirmation de la requérante selon laquelle elle s'était engagée à ne pas refuser son agrément de manière déraisonnable ainsi que le fait qu'elle n'a pratiquement jamais refusé cet agrément ne font que confirmer cette conclusion. En effet, WSI n'aurait eu aucun besoin de promettre que son refus ne serait pas déraisonnable si un refus éventuel avait été lié non pas à une attitude discrétionnaire de sa part, mais au respect de normes de qualité bien définies nécessaires pour la mise en œuvre effective de l'instruction technique.
49. Il y a donc lieu de constater que l'intérêt de WSI était, en réalité, de vérifier qu'il y ait dans les flotteurs de ses licenciés des différences assez poussées pour couvrir un éventail le plus large possible de la demande du marché.
50. Dans la mesure où WSI invoque également, pour justifier le contrôle, une prétendue responsabilité, au sens du droit californien, du donneur de licence pour des accidents provoqués par la mauvaise qualité des produits sous licence, il importe de souligner que la compatibilité avec le droit communautaire d'un contrôle de ce type n'est pas affectée par une telle responsabilité éventuelle.
51. Pour ce qui est de la justification que WSI essaie de tirer de la nécessité d'empêcher une imitation frauduleuse, il convient tout d'abord de souligner que les flotteurs ne pourraient être considérés comme couverts par le brevet et que donc, déjà de ce fait, le titulaire du brevet n'avait pas de raisons pour arbitrer des conflits entre ses licenciés pour l'exploitation des flotteurs.
52. La protection découlant du brevet ne saurait, en effet, être invoquée que par rapport à une imitation concernant les produits fabriqués par le donneur de licence lui-même. Dans la mesure où, pour ce qui est des flotteurs, WSI disposait, par le biais de la clause contestée, d'une possibilité de déceler et d'empêcher une prétendue imitation servile entre les licenciés, il ne fait pas de doute qu'une telle clause constituait une restriction au libre jeu de la concurrence. Elle substituait, en effet, l'appréciation discrétionnaire de WSI aux décisions des juges nationaux, auxquels les licenciés auraient du s'adresser en vue de faire constater l'existence d'une imitation servile.
53. Au vu des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de constater que la clause mentionnée à l'article 1er, paragraphe 1, point 1, de la décision attaquée entraîne une restriction de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
54. La deuxième des clauses contestées porte sur l'obligation des titulaires de licence de vendre les éléments couverts par le brevet allemand, donc spécialement les gréements, uniquement ensemble avec les flotteurs approuvés par le donneur de licence, c'est-à-dire uniquement en tant que planches à voile complètes.
55. WSI estime qu'en tout état de cause une disposition contractuelle interdisant la vente de gréements à des fabricants non licenciés aurait été entièrement justifiée en raison du fait que de telles ventes auraient permis aux fabricants non licenciés de combiner les gréements avec les flotteurs, ce qui constituerait une contrefaçon. Elle fait, en outre, valoir que cette restriction serait couverte par l'objet spécifique du brevet allemand.
56. La Commission observe que le risque de contrefaçon par des tiers ne saurait en aucun cas justifier l'interdiction de la vente de gréements, qui ne peut, en soi, constituer une contrefaçon, d'autant plus que le risque d'une contrefaçon ne serait nullement exclu lorsque les licenciés vendent des planches à voile complètes.
57. A cet égard, il importe de considérer, ainsi qu'on l'a déjà vu à propos de la portée attribuable au brevet allemand, que ce brevet doit être censé ne couvrir que le gréement. Dans ces conditions, on ne saurait donc admettre que l'obligation faite arbitrairement au licencié de ne vendre le produit breveté qu'associé à un produit étranger au brevet soit indispensable à l'exploitation du brevet.
58. Enfin, il convient d'observer que l'argument de WSI, selon lequel l'interdiction de la vente séparée de gréements ne pourrait pas avoir d'effets sur la concurrence, en ce que le refus de vente découlerait déjà de l'intérêt des licenciés, ne saurait être admis, compte tenu, d'une part, de ce qu'il est prouvé que certains licenciés ont déjà vendu des éléments séparés, et, d'autre part, de ce que, même si à une certaine époque les licenciés n'ont montré en général aucun intérêt à des ventes séparées, la situation pourrait se modifier à l'avenir.
59. Sur la base des considérations qui précèdent, la clause figurant à l'article 1er, paragraphe 1, point 2, de la décision doit donc être considérée, elle aussi, comme étant de nature à restreindre la concurrence.
60. La troisième des clauses contestées porte sur l'obligation des titulaires de licence de payer pour la vente de composants des redevances calculées sur la base du prix de vente net du produit.
61. WSI soutient qu'on ne saurait déduire de cette clause que la redevance sur la vente d'un composant doit être calculée à partir du prix de vente net de la planche à voile complète. En réalité, la définition du produit au sens des accords litigieux couvrirait également les composants.
62. La Commission remarque que la définition du produit figurant dans les accords ne considérait pas le gréement comme un élément à vendre séparément et qu'il n'existait donc aucune méthode pour calculer des redevances séparées à l'occasion de la vente d'un gréement. Pour ce qui est de l'obligation de payer une redevance sur les flotteurs, c'est-à-dire sur un produit non protégé par le brevet, la Commission observe que cette obligation ne saurait être justifiée par référence à l'avantage que les licenciés ont sur les gréements. Là charge pesant sur les flotteurs aurait, en effet, affecté négativement la compétitivité des licenciés et les aurait amenés à essayer de compenser ce désavantage en restreignant les ventes de leurs concurrents non licenciés par le biais du refus de leur fournir des gréements.
63. Il importe, en l'espèce, de vérifier tout d'abord si la définition du produit figurant aux accords de licence couvrait également les composants. A cet égard, il y à lieu de constater que tel était le cas pour les accords conclus par WSI avec San, Klepper et Marker, alors que l'accord passé avec Shark prévoyait expressément que le titulaire de licence s'engageait à payer la redevance sur le prix de vente net d'une planche à voile équipée du gréement breveté, et que l'accord passe avec Akutec ne mentionne pas les composants. Pour ce qui est de l'accord conclu avec Ostermann, il convient d'observer que cet accord, tel qu'il avait été conclu entre Ten Cate et Ostermann, prévoyait expressément une redevance sur les composants, à calculer sur le prix départ usine, mais qu'à l'occasion de sa reprise par WSI les parties contractantes sont convenues de prévoir un seul taux de redevance à payer sur le produit.
64. Dans la mesure où les accords conclus par WSI avec San, Klepper et Marker font rentrer dans la définition du produit également les composants, il y à lieu d'estimer que c'est à tort que la décision attaquée établit que ces accords contiennent une clause obligeant les titulaires de licence à payer pour les composants une redevance calculée sur le prix d'une planche à voile complète. Les mêmes considérations s'appliquent a fortiori à l'accord conclu entre Ten Cate et Ostermann, tel qu'il était en vigueur avant sa reprise par WSI, qui distinguait expressément entre les redevances à payer sur le produit et celles à payer sur les composants.
65. Quant aux accords qui prévoient que la redevance doit être calculée en tout cas sur la base du prix de la planche à voile complète, il importe tout d'abord d'observer qu'en l'espèce on ne se trouve pas en présence des hypothèses qui, selon la Commission, pourraient justifier ce système de calcul, qui serait admissible lorsque " les unités produites ou utilisées, vu leur valeur, sont difficiles à saisir séparément dans le cadre d'un processus de production complexe, ou qu'il n'existe pas pour l'objet breveté lui-même une demande que le preneur de licence serait empêché de satisfaire en raison de ce mode de calcul ". En effet, le gréement n'est pas incorporé dans le flotteur et il existait, ainsi qu'on l'a déjà vu, une demande de gréements isolés. Ces considérations s'appliquent aussi au flotteur, dont la valeur est d'ailleurs beaucoup plus élevée que celle du gréement.
66. Il convient, toutefois, de remarquer que la redevance perçue sur la vente des gréements sur la base de ce calcul ne s'avère pas être plus élevée que celle prévue pour la vente de gréements isolés dans les nouveaux accords, alors que les licenciés ont reconnu que, la rémunération du donneur de licence devant désormais être calculée sur le prix du seul gréement, il était équitable d'accepter un taux de redevance plus élevé. Il s'ensuit que ce système de calcul n'avait pas pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence sur la vente de gréements isolés.
67. Au vu de ces considérations, il y à lieu de constater que le système de calcul des redevances basé sur le prix de vente net d'une planche à voile complète était de nature à restreindre la concurrence en ce qui concerne la vente isolée des flotteurs, qui n'étaient pas couverts par le brevet allemand, mais non celle des gréements.
68. La quatrième des clauses contestées porte sur l'obligation pour les titulaires de licence d'apposer sur leurs flotteurs, fabriqués et vendus en Allemagne, la mention "sous licence Hoyle Schweitzer" ou "sous licence WSI".
69. WSI estime qu'une telle clause n'est pas de nature à fausser la concurrence, étant donné qu'aucun consommateur ne pourrait déduire de cette mention que le flotteur a été fabriqué avec le savoir-faire de WSI, mais en déduirait simplement que WSI a délivré une licence permettant de vendre une planche à voile complète. Rien n'empêcherait d'ailleurs les licenciés de se présenter comme techniquement indépendants.
70. La Commission soutient de son côté que seuls les éléments couverts par le brevet constitueraient des endroits où cette mention peut légitimement être apposée, alors que la mention apposée sur le flotteur créerait l'impression erronée que la planche à voile complète fait l'objet du brevet. Les licenciés n'auraient ainsi pas eu la possibilité de manifester leur indépendance technique en ce qui concerne le flotteur et d'asseoir leur renommée, ce qui aurait affecté leur position sur le marché.
71. A propos de cette clause, il faut d'abord observer que, contrairement à ce qui est dit dans la décision, elle ne figure pas dans les accords passés avec Ostermann et Shark .
72. Il convient, ensuite, de remarquer qu'une telle clause peut relever de l'objet spécifique du brevet à la condition que la mention figure seulement sur des éléments couverts par le brevet. S'il en est autrement, la question se pose de savoir si elle a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
73. Même si WSI soutient que l'objet de cette clause n'était pas de fausser la concurrence, mais seulement de mettre en évidence, par l'apposition d'une telle mention à un endroit où elle était facilement visible, que la production et la vente des planches à voile étant rendues possibles par une licence de WSI, il n'en reste pas moins que, de cette manière, WSI entretenait des doutes sur la question de savoir si également le flotteur était couvert ou non par le brevet et réduisait ainsi la confiance des consommateurs envers les licenciés en vue d'en tirer elle-même un avantage concurrentiel.
74. A la lumière de ce qui précède, il y a donc lieu d'estimer que la clause mentionnée à l'article 1er, paragraphe 1, point 4, de la décision attaquée était incompatible avec l'article 85, paragraphe 1.
75. Là cinquième des clauses contestées porte sur l'obligation des licenciés de reconnaître comme marques valables les marques verbales " Windsurfer " et " Windsurfing ", ainsi qu'une marque figurative du type " logo ".
76. WSI soutient que, lors de la conclusion des accords de licence, il existait déjà des marques enregistrées dans la plupart des pays et des noms génériques pour indiquer le sport et le produit. Il aurait été parfaitement loisible au donneur de licence de demander à ses licenciés d'utiliser ces noms génériques et non pas ses marques, que les contrefacteurs auraient, par contre, essayé d'utiliser de manière générique. Rien dans les accords n'aurait toutefois interdit aux licenciés de demander aux tribunaux de déclarer les marques invalides.
77. La Commission observe que la clause de non-contestation est différente de la clause qui interdit l'utilisation de la marque de fabrique de la requérante. La reconnaissance de la validité d'une marque impliquerait nécessairement qu'on s'abstiendrà d'en faire valoir l'invalidité, ce qui serait contraire à l'article 85. Un tel engagement n'aurait, de plus, aucun lien avec l'accord de licence.
78. Si la Commission n'a pas mis en cause l'interdiction d'utiliser comme noms génériques les marques de fabrique de WSI et de Ten Cate, il convient alors d'exclure du nombre des clauses litigieuses celles qui figurent dans les accords passés avec Shark et Ostermann et qui ne comportent, en dehors de l'interdiction d'utilisation, aucune obligation de ne pas contester la validité des marques.
79. L'allégation de WSI selon laquelle l'obligation litigieuse avait uniquement pour but d'assurer la reconnaissance des marques tant qu'elles n'auraient pas été déclarées invalides, en vue d'empêcher qu'elles ne deviennent des noms génériques, ne saurait être retenue, si l'on considèré que le représentant de la requérante a reconnu lui-même, au Cours d'un entretien avec les représentants de la Commission en janvier 1981, que la clause, figurant à l'article 12 de l'accord passé avec San, dont le contenu est d'ailleurs identique à celui d'autres clauses figurant dans les accords conclus avec Akutec, Klepper et Marker, doit être considérée comme une clause de non-contestation sur le plan du droit des marques.
80. L'intérêt de WSI à empêcher l'évolution qui était en train de transformer les marques en nom générique du produit ne pouvait, en tout état de cause, être sauvegardé au moyen d'une clause qui ne relève manifestement pas de l'objet spécifique du brevet et qui a été imposée aux cocontractants à l'occasion de la conclusion des accords portant sur l'exploitation du brevet, même si elle concerne une matière tout à fait différente.
81. Sur la base des considérations qui précèdent, il y à lieu de conclure que la clause concernant la reconnaissance des marques de WSI par les licenciés était de nature à restreindre la compétitivité de ceux-ci et remplissait donc la première des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1.
82. La sixième des clauses contestées porte sur l'obligation des titulaires de licence de limiter la fabrication du produit sous licence à un lieu de production déterminé dans la république fédérale d'Allemagne, combinée avec le droit de WSI de résilier immédiatement le contrat au cas où les titulaires de licence changeraient leur lieu de fabrication.
83. WSI soutient qu'une telle interdiction relève de l'objet spécifique du brevet en ce qu'elle visait à conserver au donneur de licence le contrôle de qualité sur la fabrication des produits destinés à la république fédérale d'Allemagne. D'ailleurs, même à supposer qu'une telle interdiction soit incompatible avec l'article 85, elle n'aurait pas affecté la concurrence, du fait que les investissements pour la fabrication de planches à voile sont considérables et qu'il est donc improbable qu'un fabricant de planches à voile opère dans différents pays.
84. La Commission répond qu'on ne saurait parler de contrôle de qualité quand les éléments des planches à voile vendues par un grand nombre de licenciés sont fabriqués en république fédérale d'Allemagne par des sous-traitants sur lesquels WSI n'aurait aucun contrôle. D'ailleurs, lorsque la fabrication des éléments est assurée par des sous-traitants, les investissements seraient très faibles, ce qui faciliterait la production à l'étranger.
85. En ce qui concerne l'objet spécifique du brevet, il est évident que WSI ne peut pas l'invoquer afin d'obtenir la protection fournie par le brevet dans un pays où cette protection n'existe pas. Dans la mesure où WSI empêche les licenciés de fabriquer le produit également dans un pays où il n'est pas protégé par un brevet et de commercialiser ce produit sans payer de redevance, elle limite en effet le jeu de la concurrence par le biais d'une clause qui n'a rien à voir avec le brevet.
86. L'argument que WSI tire de la nécessité d'assurer un contrôle de qualité sur les produits des licenciés ne saurait rien changer à cette conclusion. Il faut, en effet, rappeler que, comme on l'a déjà vu, un contrôle de qualité ne saurait être admis que pour le seul produit breveté et sur la base de critères objectifs et préfixés, conditions qui ne sont pas remplies en l'espèce. Il y à lieu, en outre, de constater que le changement du lieu de fabrication ne semble pas avoir beaucoup d'importance aux fins du contrôle de qualité dans une situation où, même en république fédérale d'Allemagne, la fabrication des composants est fréquemment confiée à des sous-traitants.
87. Enfin, pour ce qui est du problème de l'implantation à l'étranger, celle-ci n'implique pas, notamment lorsque la fabrication est assurée par la sous-traitance, des frais très élevés.
88. Il faut donc conclure que les clauses des accords interdisant aux licenciés de WSI d'envisager de commencer une production dans un Etat membre autre que la république fédérale d'Allemagne remplissaient, pour ce qui est de leur effet sur la concurrence, les conditions prévues à l'article 85, paragraphe 1.
89. La septième des clauses que la Commission considèré comme incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, porte sur l'obligation imposée aux licenciés de ne pas contester la validité des brevets sous licence.
90. WSI fait valoir, à cet égard, que l'intérêt public à une concurrence fondamentalement libre, déjà garanti grâce à la procédure minutieuse et exhaustive de la demande de brevet prévue par la loi allemande, serait mieux servi par une clause de non-contestation qui rendrait plus facile l'octroi d'une licence par le titulaire d'un brevet.
91. La Commission estime, par contre, que, même lorsqu'un titulaire de licence n'est en mesure de contester le brevet qu'à travers les informations qu'il a reçues en raison de sa relation privilégiée avec le donneur de licence, l'intérêt public de veiller à une concurrence en principe libre et ainsi de détruire un monopole accordé éventuellement à tort au donneur de licence l'emporte sur toute autre considération.
92. Il convient de constater qu'une telle clause ne relève manifestement pas de l'objet spécifique du brevet, qui ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d'un brevet, compte tenu de ce qu'il est de l'intérêt public d'éliminer tout obstacle à l'activité économique, qui pourrait découler d'un brevet délivré à tort.
93. Il faut donc constater que l'obligation mentionnée à l'article 1er, paragraphe 3, de la décision restreint de manière illicite la concurrence entre les fabricants.
94. A l'issue de l'examen effectué en vue de vérifier si les clauses en question ont pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence dans le Marché commun, il y a ainsi lieu de constater que tel est le cas pour toutes ces clauses, sauf pour celle mentionnée à l'article 1er, paragraphe 1, point 3, de la décision attaquée (obligation de payer les redevances pour les composants sur le prix de vente net du produit), dans la mesure où elle s'applique aux gréements.
B - L'entrave au commerce intracommunautaire
95. WSI fait encore valoir que, même si certaines clauses des accords de licence pouvaient être de nature à restreindre la concurrence, elles n'étaient cependant pas susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres.
96. Cet argument doit être rejeté. L'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige nullement que toute clause d'un accord, prise en elle-même, puisse affecter le commerce intracommunautaire. Le droit communautaire de la concurrence s'applique aux accords entre entreprises, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres ; c'est seulement lorsque l'accord, pris dans son ensemble, peut affecter le commerce qu'il y à lieu d'examiner quelles sont les clauses de l'accord qui ont pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
97. Dans un cas comme celui de l'espèce, où l'importance de l'accord litigieux pour le commerce entre Etats membres ne fait pas de doute, il n'y a donc pas lieu d'examiner si toute clause restreignant la concurrence, prise isolement, pourrait affecter le commerce intracommunautaire.
V - L'APPLICABILITE OU NON DE L'ARTICLE 85, PARAGRAPHE 3, DU TRAITE CEE
98. WSI fait encore valoir que les clauses litigieuses peuvent, en tout état de cause, bénéficier de l'application de l'article 85, paragraphe 3, en ce qu'elles auraient causé, malgré les restrictions qu'elles prévoient, une croissance du marché allemand plus forte que celle de n'importe quel autre marché. L'absence de notification de ces clauses serait dépourvue d'importance. Elles tomberaient, en effet, sous l'emprise de l'article 4, paragraphe 2, alinéa 2, sous b), du règlement n° 17-62, d'après lequel il n'existe pas d'obligation de notification pour les accords entre deux entreprises ayant, entre autres, pour effet d'imposer à l'acquéreur ou à l'utilisateur de droits de propriété industrielle des limitations dans l'exercice de ces droits.
99. La Commission répond que la requérante n'a pas indiqué les raisons pour lesquelles elle estime que les restrictions imposées concernent uniquement l'utilisation de la technique sous licence, mais s'est limitée à reprendre les arguments généraux invoqués contre l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1. Or, du moins pour la république fédérale d'Allemagne, ces restrictions dépasseraient l'objet couvert par le brevet et ne seraient donc pas exonérées de l'obligation de notification. Pour ce qui est des avantages qui découleraient de ces clauses, la Commission observe qu'il n'a pas été prouvé que la variété, le niveau très élevé de technicité et la qualité des produits des licenciés sont des conséquences de la politique suivie par WSI. On n'aurait d'ailleurs pas remarqué de différences significatives de qualité et de sécurité entre les produits des licenciés et ceux des non-licenciés.
100. En ce qui concerne l'applicabilité en l'espèce de l'article 4, paragraphe 2, alinéa 2, sous b), du règlement n° 17-62, il y à lieu de constater que les restrictions imposées par les clauses contestées vont au-dela du droit conféré par le brevet, en ce qu'elles touchent également au flotteur, qui n'est pas couvert par le brevet, et en ce qu'elles comprennent une obligation de non-contestation des marques et du brevet de WSI.
101. Au vu de cette constatation, il y a donc lieu de conclure que ces clauses, ne pouvant pas bénéficier de l'exemption de l'obligation de notification prévue par la disposition précitée, ne pouvaient pas non plus, faute de notification, bénéficier de la disposition de l'article 85, paragraphe 3, et il devient donc superflu de vérifier si elles pourraient correspondre aux exigences posées par cet article, ce qui est en tout cas contesté par la Commission.
VI - LES INFRACTIONS RETENUES
102. Il s'ensuit que toutes les clauses des accords de licence mentionnées par la Commission à l'article 1er de la décision attaquée doivent être considérées comme des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, sauf celle mentionnée au paragraphe 1, point 3 (obligation de payer les redevances pour les composants sur le prix de vente net du produit), dans la mesure où elle s'applique aux gréements.
103. Il y a donc lieu d'annuler l'article 1er de la décision de la Commission du 11 juillet 1983 seulement pour autant qu'il constate :
- que l'accord de licence passé avec Shark comprenait l'obligation du licencié de n'exploiter les brevets sous licence que pour fabriquer des planches à voile dont WSI aurait approuvé au préalable les flotteurs ;
- que les accords de licence passés par WSI avec San, Klepper et Marker et l'accord passé entre Ten Cate et Ostermann, avant sa reprise par WSI, contenaient l'obligation des licenciés de payer les redevances pour les composants sur le prix de vente net d'une planche à voile entière ;
- que les accords de licence passés avec Ostermann et Shark contenaient l'obligation d'apposer sur les flotteurs de leurs planches à voile la mention "sous licence Hoyle Schweitzer" ou "sous licence WSI" ;
- que les accords de licence passés avec Ostermann et Shark contenaient l'obligation des licenciés de reconnaître comme marques de fabrique valables les marques de WSI et de Ten Cate ;
- que constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE l'obligation imposée aux titulaires de licence de payer les redevances pour les gréements fabriqués au titre du brevet allemand uniquement sur la base du prix de vente net d'une planche à voile complète.
VII - L'AMENDE
104. WSI invoque ensuite l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17-62 pour affirmer qu'on ne peut lui reprocher d'avoir commis une infraction de propos délibéré ou par négligence et que les conditions pour lui infliger une amende n'étaient donc pas remplies. En particulier, elle aurait pu croire de bonne foi que le brevet allemand couvrait, à l'instar des brevets délivrés dans d'autres pays, par exemple du brevet britannique tel qu'il a existé jusqu'à sa révocation définitive en 1984, la planche à voile entière.
105. La Commission estime que le titulaire d'un brevet qui bénéficie constamment, comme la requérante, des Conseils d'un agent de brevet allemand ne peut nier qu'il connaît la portée de son brevet et le contenu des accords de licence, même si ces accords ont été conclus par un tiers, comme dans le cas d'Ostermann et Shark, et ont été cédés ultérieurement au titulaire du brevet.
106. Il convient de constater que WSI n'a avancé aucun élément susceptible de prouver qu'elle n'a pas agi par négligence. Elle ne peut, en effet, tirer de l'existence d'un brevet dans un autre pays des conséquences sur ce qu'elle pouvait croire être la portée du brevet allemand, et elle ne saurait pas non plus soutenir, notamment après les modifications apportées à sa revendication initiale, qu'elle pouvait se méprendre sur la portée attribuable au brevet allemand.
107. Au regard de ces considérations, il y a donc lieu d'écarter l'argument de WSI selon lequel aucune amende ne saurait lui être infligée, en ce que les infractions retenues à sà charge ne sauraient être imputées ni à un propos délibéré ni à une attitude négligente de sa part.
108. Une réduction de l'amende est demandée, à titre subsidiaire, par WSI du fait que la Commission aurait apprécié de manière erronée la gravité et la durée de l'infraction. En particulier, WSI fait valoir :
- que l'absence de ventes de gréements séparés a été le fait des licenciés eux-mêmes, qui n'avaient pas d'intérêt à ces ventes ;
- que les non-licenciés auraient utilisé la contrefaçon ou trouvé d'autres moyens pour contourner le brevet.
109. La Commission répond qu'elle a tenu compte de tous les facteurs pertinents en vue de fixer une amende.
110. Au sens de l'article 172 du traité CEE, la Cour dispose, en ce qui concerne les sanctions prévues par le règlement n° 17-62, d'une compétence de pleine juridiction.
111. Aux fins de la fixation de l'amende, il convient tout d'abord d'observer que certaines des infractions constatées par la Commission dans sa décision n'ont finalement pas été retenues par la Cour dans leur intégralité.
112. La gravite des infractions dont l'existence a été établie est, en outre, diminuée de manière sensible du fait que, ainsi qu'on l'a vu, le marché des composants n'était pas très important par rapport au marché des planches à voile complètes, à tout le moins jusqu'à 1981.
113. Enfin, pour ce qui est de l'interdiction de la vente séparée de gréements, il y à lieu de constater, d'une part, qu'il n'a pas été prouvé avec certitude que tous les licenciés avaient un intérêt à la vente de gréements seuls et, d'autre part, que lorsqu'il y a effectivement eu une demande de gréements seuls, cette interdiction n'a pas été strictement appliquée.
114. En considération de ce qui précède, la Cour estime qu'il convient de fixer l'amende à 25 000 écus.
Sur les dépens
115. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du Règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3 du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission ayant succombé dans certains chefs de sa défense, il y a donc lieu de compenser les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (quatrième chambre)
Déclare et arrête :
1) l'article 1er de la décision de la Commission, du 11 juillet 1983, est annulé pour autant qu'il constate :
- que l'accord de licence passé avec Shark comprenait l'obligation du licencié de n'exploiter les brevets sous licence que pour fabriquer des planches à voile dont WSI aurait approuvé au préalable les flotteurs ;
- que les accords de licence passés par WSI avec San, Klepper et Marker et l'accord passé entre Ten Cate et Ostermann, avant sa reprise par WSI, contenaient l'obligation des licenciés de payer les redevances pour les composants sur le prix de vente net d'une planche à voile entière ;
- que les accords de licence passés avec Ostermann et Shark contenaient l'obligation d'apposer sur les flotteurs de leurs planches à voile la mention " sous licence Hoyle Schweitzer " ou " sous licence WSI ";
- que les accords de licence passés avec Ostermann et Shark contenaient l'obligation des licenciés de reconnaître comme marques de fabrique valables les marques de WSI et de Ten Cate ;
- que constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE l'obligation imposée aux titulaires de licence de payer les redevances pour les gréements fabriqués au titre du brevet allemand uniquement sur la base du prix de vente net d'une planche à voile complète.
2) l'amende infligée à Windsurfing international est fixée à 25 000 écus, soit à 56 896,50 DM.
3) le recours est rejeté pour le surplus.
4) chacune des parties supporterà ses propres dépens.