CA Orléans, ch. soc., 16 mai 2002, n° 01-02400
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Doublet
Défendeur :
VM Distribution (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chollet
Conseillers :
M. Lebrun, Mlle Desous
Avocat :
Me Khedaier.
Monsieur Pierre Doublet a saisi le Conseil de prud'hommes de Tours de diverses demandes à l'encontre de la SARL VM Distribution, pour le détail desquelles il est renvoyé au jugement du 13 juillet 2001, lequel lui a alloué :
- 1 255,28 euro de rappel de salaire au 31 décembre 2000
- 370,12 euro de rappel de salaire du 22 au 31 mars 1999
- 914,69 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cette décision lui a été notifiée le 17 août 2001. Il en a interjeté appel le 10 septembre 2001.
Il demande la confirmation sur les sommes allouées, et en outre :
- la résolution judiciaire du contrat aux torts de la société
- 4 758,66 euro de préavis
- 475,86 euro de congés payés afférents
- 38 069,28 euro d'indemnité de clientèle
- 19 034,64 euro de dommages et intérêts pour rupture abusive
- 25 379,52 euro de contrepartie financière à la clause de non concurrence
- 152,45 euro de dommages et intérêts pour rétention abusive de salaire
- 914,69 euro supplémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il expose qu'engagé comme attaché commercial le 1er avril 1999, les diverses clauses de son contrat et les conditions d'exercice de son activité font qu'il était dans les faits un VRP, bénéficiant du statut qui s'y attache.
II ajoute qu'en ne lui reconnaissant pas ce statut, la société a méconnu ses obligations légales, conventionnelles et contractuelles, notamment en ne lui payant pas le salaire minimum conventionnel, ce qui suffit pour lui rendre la rupture imputable, laquelle produit les effets d'un licenciement abusif.
Il demande une indemnité de clientèle égale à deux ans de commissions, puisqu'il a créé et développé une importante clientèle, tant au nombre qu'en valeur.
Il sollicite douze mois de dommages et intérêts, alors qu'il a subi un harcèlement continuel et ne retrouvera pas de travail, puisqu'il a 55 ans.
Il précise enfin que le non paiement du salaire en temps et en heure lui a causé un préjudice distinct.
La société demande l'infirmation du jugement, sauf sur les 370,12 euro de rappel de salaire, et sollicite 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle reproche au Conseil de prud'hommes d'avoir reconnu à Monsieur Doublet le statut de VRP, qu'il ne revendiquait pas, sans avoir recueilli les observations des parties.
Elle affirme que les fonctions d'attaché commercial de l'appelant correspondent à celles de vendeur prévues par la convention collective du négoce de fournitures dentaires, qui impliquent un déplacement au cabinet des praticiens. Elle ajoute qu'un VRP doit être autonome dans l'organisation du travail, ce qui n'était pas le cas.
Elle précise que, même si la Cour reconnaissait ce statut, Monsieur Doublet a toujours perçu la rémunération conventionnelle, du fait qu'il était remboursé de ses frais au réel, en sus des commissions, et qu'ainsi elle n'aurait pas commis le manquement permettant de prononcer la rupture du contrat à ses torts, les demandes qui en découlent étant particulièrement exagérées et non fondées.
Elle conteste enfin avoir harcelé Monsieur Doublet, argumentant sur chaque élément invoqué sur ce point.
Sur ce, LA COUR
Attendu que le jugement a été notifié à Monsieur Doublet le 17 août 2001 ; que son appel, interjeté le 10 septembre 2001, est recevable, de même que l'appel incident ;
Que l'article 751-1 du Code du travail dispose que : " Les conventions dont l'objet est la représentation, intervenues entre les voyageurs, représentants ou placiers, d'une part, et leurs employeurs, d'autre part, sont, nonobstant toute stipulation expresse du contrat ou en son silence, des contrats de louage de services lorsque les voyageurs, représentants ou placiers :
1° Travaillent pour le compte d'un ou plusieurs employeurs ;
2° Exercent en fait d'une façon exclusive et constante leur profession de représentant ;
3° Ne font effectivement aucune opération commerciale pour leur compte personnel ;
4° Sont liés à leurs employeurs par des engagements déterminant la nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat, la région dans laquelle ils doivent exercer leur activité ou les catégories de clients qu'ils sont chargés de visiter, le taux des rémunérations " ;
Que, par contrat écrit du 22 mars 1999, la société VM Distribution a engagé Monsieur Doublet comme attaché commercial à compter du 1er avril 1999 ;
Qu'il devait assurer la représentation de la société, à savoir la commercialisation des produits distribués par l'employeur sur les départements 37, 86 et 87 (le 36 a été ajouté ultérieurement), l'intéressé devant prendre des ordres auprès de la clientèle de son secteur conformément aux prix et conditions générales de vente établies par la société ;
Que son salaire était égal à 10 % du chiffre d'affaires hors taxe facturé, sans pouvoir être inférieur au SMIC, ses frais de déplacement lui étant par ailleurs remboursés ; qu'il était donc lié à la société par des engagements déterminant le taux des rémunérations, peu important que, faute pour l'intéressé d'atteindre un chiffre d'affaires suffisant, il ait été payé d'abord comme un vendeur débutant, puis comme un vendeur, tel que ces emplois sont prévus par la convention collective nationale du négoce en fournitures dentaires ;
Que, conformément aux clauses du contrat, Monsieur Doublet a effectivement visité les dentistes de son secteur, afin d'obtenir des commandes ;
Que remplissant, contractuellement et dans les faits, les conditions posées par le texte précité pour bénéficier du statut de VRP, c'est à bon droit que celui-ci lui a été reconnu par le Conseil de prud'hommes, même si celui-ci aurait dû recueillir les observations des parties sur son application, qu'il avait relevée d'office ;
Que, si la convention collective nationale du négoce des fournitures dentaires, applicable à la société, prévoit, au sein de sa classification " Services vente, après vente, livraison, " les emplois de vendeur débutant, vendeur, vendeur qualifié ou hautement qualifié, cette classification conventionnelle ne peut exclure l'application du statut légal du VRP, d'ordre public, dès lors que l'appelant remplit les conditions posées par l'article L. 751-1 du Code du travail ;
Que par ailleurs si, dans deux lettres des 16 août et 4 octobre 1999, Monsieur Doublet indiquait à la société que, désormais, il ne travaillera que 7 heures 80 par jour, et si, dans un courrier du 22 septembre 2000, l'employeur lui indiquait qu'il devait être en clientèle de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures, soit 35 heures (hors les heures de déplacement), et effectuer en sus 4 heures de travail administratif, cet accord des parties pour limiter et définir l'horaire pendant lequel Monsieur Doublet devait exercer son activité de représentation n'est pas davantage un obstacle à l'application du statut;
Que le jugement sera confirmé en son principe ;
Que, selon l'article 5 de la convention collective nationale des VRP, la ressource minimale forfaitaire garantie est fixée â 520 fois le taux horaire du SMIC par trimestre, " déduction faite des frais professionnels " ; que Monsieur Doublet devait donc recevoir ce minimum, et, en sus, le remboursement de ses frais professionnels, soit réels, soit calculés forfaitairement par rapport à la ressource minimale ;
Qu'en l'espèce Monsieur Doublet bénéficiait, sur justifications, du remboursement des frais de déplacement qu'il engageait réellement (utilisant dans un premier temps son propre véhicule, avant qu'une voiture de société soit mise à sa disposition) ; qu'en conséquence, il convient de comparer le minimum conventionnel avec le salaire réellement perçu, sans le majorer de 30 % ;
Que par ailleurs, selon la convention, le complément ainsi défini est à valoir sur le salaire contractuel échu au cours des trois trimestres suivants ;
Qu'en application de ces règles, Monsieur Doublet a toujours perçu la ressource minimale, en sorte que la demande de rappel sera rejetée, de même que celle pour " rétention abusive de salaire " ;
Qu'en imposant à l'appelant, VRP statutaire, un contrat d'attaché commercial afin notamment d'éluder ses obligations conventionnelles (le contrat ne fait pas état de l'indemnité de clientèle, et impose à Monsieur Doublet une clause de non concurrence d'une durée de deux ans dans son secteur, sans contrepartie financière), la société a commis un manquement à ses obligations assez grave pour justifier une résiliation du contrat à ses torts, dont la date sera fixée à celle du présent arrêt, et qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et sans respect de la procédure;
Que l'intéressé, ayant plus de deux ans d'ancienneté, a droit à un préavis de trois mois, d'un montant de 43,72 F x 520 = 22 734,40 F soit 3 465,84 euro, les congés payés étant de 346,58 euro ;
Qu'en l'absence d'institutions représentatives du personnel, les dispositions sur le conseiller du salarié étaient applicables et ont été méconnues, en sorte qu'en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail les dommages et intérêts ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois ; qu'eu égard â l'ancienneté, assez faible, de l'appelant, et au fait qu'il est impossible de déterminer s'il retrouvera rapidement un emploi, le préjudice subi par lui n'excède pas le minimum légal, et sera fixé à 6 932 euro ; qu'il convient d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage, dans la limite d'un mois ;
Que les éléments chiffrés produits par Monsieur Doublet, dont l'authenticité est au demeurant contestée, n'établissent pas qu'il ait augmenté la clientèle en nombre et en valeur ; que sa demande d'indemnité de clientèle sera ainsi rejetée ;
Que le contrat prévoyait une clause de non concurrence de deux ans sur son ancien secteur, devant être indemnisée sur la base des 2/3 du salaire en application de la convention collective des VRP ; que la société ne peut se dispenser du paiement de cette contrepartie en renonçant au bénéfice de la clause, dès lors que le contrat ne lui en donne pas la possibilité; que cette indemnité devra donc être réglée, mois par mois, sur la base de 3.465.84 euro x 1 x 2 / 3 x 3 = 770,19 euro pendant deux ans ;
Que les intérêts courront à compter :
- du 26 mars 2002, date de l'audience, sur le préavis et les congés payés ;
- de l'arrêt sur les dommages et intérêts ;
- de la date de chaque échéance mensuelle sur la contrepartie financière à la clause de non concurrence ;
Qu'ils produiront aux mêmes intérêts lorsqu'ils seront dûs pour une année entière ;
Que plusieurs demandes étant fondées, il est inéquitable que Monsieur Doublet supporte la totalité de ses frais irrépétibles, et qu'il convient de lui allouer une somme globale de 1 200 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'enfin la société supportera les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare recevables les appels, principal et incident ; Constate que l'allocation de 370,12 euro de rappel de salaire pour la période allant du 22 au 31 mars 1999 n'est pas contestée en cause d'appel ; Confirme le jugement en ce qu'il a décidé que Monsieur Pierre Doublet était VRP statutaire ; l'Infirmant pour le surplus, le déboute de sa demande en rappel de salaire au 31 décembre 2000 ; Prononce la résiliation judiciaire du contrat aux torts de la SARL VM Distribution, et la condamne à lui payer : 3 465,84 euro d'indemnité de préavis, 346,58 euro de congés payés afférents, 6 932 euro de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mois par mois, une indemnité pécuniaire compensant la clause de non concurrence d'un montant de 770,19 euro par mois pendant deux ans, une somme globale de 1.200 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les intérêts au taux légal courront du 26 mars 2002 sur le préavis et les congés payés, de ce jour sur les dommages et intérêts, et de la date de chaque échéance mensuelle sur la contrepartie financière à la clause de non concurrence, et produiront eux mêmes des intérêts lorsqu'ils seront dus pour une année entière ; Ordonne le remboursement par la SARL VM Distribution des indemnités de chômage versées à Monsieur Pierre Doublet à compter du présent arrêt, dans la limite d'un mois d'indemnité ; Déboute Monsieur Pierre Doublet de sa demande d'indemnité de clientèle ; Déboute la SARL VM Distribution de sa demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamne aux dépens de première instance et d'appel.