CA Bordeaux, ch. soc. B, 27 juin 2002, n° 98-05108
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Deproma (Sté)
Défendeur :
Seys
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Castagnede
Conseillers :
Mmes de Malafosse, Larsabal
Avocats :
Mes Tanton, Rœuvreau
EXPOSÉ DU LITIGE
André Seys a été engagé le 15 mai 1978 par la SA Deproma, qui fabrique et commercialise des produits chimiques pour le bâtiment et des revêtements de protection, en qualité de VRP Multicartes.
Il a été licencié pour faute lourde le 19 février 1997 au motif qu'il aurait détourné des marchandises pour 70 220 F.
Il a alors saisi le Conseil de prud'hommes d'Angoulême pour contester ce licenciement et obtenir le paiement de Commissions et de congés payés sur Commissions, ainsi qu'une indemnité de clientèle.
Par jugement du 7 septembre 1998, cette juridiction :
- a dit que le licenciement était dépourvu de cause, la preuve des détournements n'étant pas rapportée ;
- a condamné la SA Deproma à payer à André Seys :
- des dommages intérêts au titre du licenciement de 40 000 F,
- des Commissions à hauteur de 7 308,12 F et des congés payés sur Commissions de 1 030,81 F.
- l'a débouté de sa demande d'indemnité de clientèle.
La SA Deproma a interjeté appel de cette décision par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 septembre 1998.
Dans ses écritures déposées le 25 février 2000 et développées à l'audience par son Conseil, elle demande à la Cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté André Seys de sa demande d'indemnité de clientèle ;
- de le réformer pour le surplus, de dire que le licenciement était fondé sur une faute lourde privative de congés payés, que les Commissions dues qui avaient été initialement retenues puis remboursées, doivent venir en déduction de sa créance ;
- de condamner André Seys au paiement d'une somme de 9 183,58 euro (60 240,36 F) représentant la valeur des marchandises détournées, le Tribunal de grande instance d'Angoulême saisi à cette fin s'étant déclaré incompétent au profit du Conseil de Prud'hommes par jugement du 1er juillet 1998, de sorte que cette demande est présentée pour la première fois en appel.
Elle sollicite une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses écritures déposées et développées à l'audience par son Conseil, André Seys demande à la Cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement était dépourvu de cause et lui a accordé des congés payés sur Commissions et des dommages intérêts ;
- de le réformer pour le surplus et de condamner la SA Deproma à lui verser :
- 1 618,25 euro (10 615 F) au titre des Commissions de décembre 1996, janvier 1997 et février 1997,
- 13 720,41 euro (90 000 F) au titre de l'indemnité de clientèle ;
- de débouter la SA Deproma de sa demande nouvelle en paiement de la facture de produits, ceux-ci n'ayant pas été détournés ;
- et sollicite une indemnité de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de orocédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'appel est recevable comme régulier en la forme.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement pour faute lourde du 19 février 1997 est ainsi libellée :
" Lors de l'inventaire de fin d'année, nous vous avons demandé la restitution de votre stock.
Par la suite, vous nous avez appris que vous aviez vendu pour votre compte personnel 1 606 kilos de différents produits qui vous avaient été confiés dans le cadre de votre mission de représentant.
Vous avez conservé l'argent de ces ventes personnelles, et la facture, toutes remises déduites, s'élève à 70 220,17 F.
Malgré les engagements que vous avez faits concernant le remboursement de cette dette, vous n'avez pas tenu vos promesses et nous n'avons reçu aucun règlement ".
Le montant des marchandises dont le détournement est allégué équivaut à six mois de chiffre d'affaires d'André Seys.
S'il est exact que lui étaient fournis des échantillons destinés à la clientèle, André Seys ne saurait sérieusement soutenir que la totalité des marchandises détournées, qui représente un poids de 1,6 tonne, est constituée d'échantillons ou de produits remis gracieusement à titre de geste commercial pour fidéliser la clientèledans le secteur en crise du bâtiment, même si quelques clients attestent de ces dons. En effet, les échantillons sont présentés en pots de 25 centilitres alors que les produits sont commercialisés en pots de un à plusieurs kilos et la quantité relevée est incompatible avec des cadeaux ou gestes commerciaux.
Par ailleurs, André Seys a reconnu, par lettre du 7 janvier 1997 répondant à l'envoi de la facture des produits par la, société le 20 décembre 1996 avec proposition de paiement échelonné, être redevable de cette somme puisqu'il a fait des propositions de paiement par mensualités, sans contester le bien fondé ni le montant de la facture, admettant de la sorte n'être pas en mesure de représenter en nature ou en argent l'importante quantité de marchandises réclamées. Vainement expose-t-il que cette reconnaissance de dette aurait été obtenue par chantage, dès lors qu'il a attendu plus de deux semaines pour y répondre, que la lettre du 20 décembre 1996 ne le menaçait pas d'un licenciement mais se contentait de lui demander un paiement, et qu'il n'a jamais donné à l'employeur d'explications sur la non représentation des marchandises qu'il n'a jamais restituées à l'exception de 37 kilos. Il apparaît par ailleurs que l'employeur n'a envisagé le licenciement que faute par André Seys d'avoir honoré la première échéance de paiement au 10 février 1997.
A défaut d'explication plausible et compte tenu de l'importance de la disparition, cet état de choses résulte soit d'un détournement, soit d'une incurie du salarié constituant une faute grave, la préservation des intérêts de l'entreprise rendant impossible le maintien du contrat de travail pendant la durée limitée du préavis.
Il n'y a pas lieu en revanche de retenir la faute lourde, l'intention de nuire n'apparaissant pas établie, et l'employeur n' ayant licencié que faute de paiement par André Seys des marchandises non représentées.
Le jugement sera en conséquence réformé en ce qui concerne le licenciement et l'octroi de dommages intérêts à ce titre.
Sur les Commissions
André Seys demande une somme de 10 615 F.
L'employeur admet que des Commissions étaient dues à hauteur de cette somme mais expose :
- que 3 000 F ont été retenus en quatre fois 750 F en janvier, février, mars et avril 1997 en remboursement d'une avance de 3 000 F ;
- que les 7 308,12 F retenus, en tout sur décembre 1996, janvier à mai 1997 au titre du paiement de la facture, ont été remboursés en décembre 1998 en exécution du jugement.
A l'appui de cette argumentation, l'employeur produit :
- une lettre de la SA Deproma du 26 novembre 1996 adressant à André Seys à sa demande un acompte de 3 000 F par chèque à déduire en quatre fois 750 F en janvier, février, mars et avril 1997 ;
- le bulletin de salaire de novembre 1998 où figure le remboursement de la somme de 7 308,12 F précédemment retenue en paiement de la facture.
Il apparaît en conséquence :
- que la somme de 3 000 F n'est pas due puisque les retenues correspondent au remboursement d'avances,
- que la somme de 7 308,12 F retenue pour le paiement de la facture des produits non représentés était due par l'employeur au salarié faute de titre autorisant cette compensation.
Cette somme de 7 308,12 F a été remboursée par l'employeur en décembre 1998. Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le paiement de ces Commissions pour partie de la demande.
Sur l'indemnité de contés payés
Le paiement des congés payés est effectivement dû, en cas de licenciement pour faute grave et non pour faute lourde.
II y a lieu en conséquence de confirmer le jugement à ce titre.
Sur l'indemnité de clientèle
Celle-ci n'est pas due en cas de licenciement pour faute grave, étant surabondamment observé que c'est au VRP qu'il appartient d'apporter la preuve qu'il a développé la clientèle à lui initialement confiée et que cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce.
Sur le paiement de la facture
Il convient de faire droit à la demande de l'employeur, dès lors que la non représentation des marchandises est établie et que le montant de cette demande n'est pas contesté, mais non sur le fondement de la faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité pécuniaire du salarié à l'égard de l'employeur ; en revanche, l'article 22 du contrat de travail prévoyant la facturation des produits fournis au salarié, c'est en application de cette clause contractuelle qu'André Seys sera condamné au paiement de la somme de 60 240,36 F soit 9 183,58 euro.
Sur les dépens
Les dépens d'appel seront mis à la charge d'André Seys, la société Deproma obtenant satisfaction en son appel principal relatif au licenciement.
Il n'y a pas lieu de faire application à celle-ci de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile, au regard de la disparité économique entre le salarié, bénéficiaire d'une aide juridictionnelle totale, et l'employeur.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale ; Déclare l'appel recevable en la forme ; Confirme le jugement en ce qu'il a débouté André Seys de sa demande au titre de l'indemnité de clientèle et en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de Commissions à hauteur de 7 308,12 F, d'une indemnité de congés payés sur Commissions de 1 030,81 F, d'une indemnité au titre de l'article 700 et des dépens ; Réforme pour le surplus le jugement entrepris ; Dit que le licenciement d'André Seys est fondé sur une faute grave ; Y ajoutant, condamne André Seys à payer à la SA Deproma la somme de 9 183,58 euro en paiement des marchandises objets de la facture du 20 décembre 1996 ; dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la SA Deproma ; Condamne André Seys aux dépens d'appel.