CJCE, 6 mai 1971, n° 1-71
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cadillon (SA)
Défendeur :
Firma Höss Maschinenbau KG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lecourt
Présidents de chambre :
MM. Donner, Trabucchi (rapporteur)
Avocat général :
M. Dutheillet de Lamothe.
Juges :
MM. Monaco, Mertens de Wilmars, Pescatore, Kutscher
1. Attendu que, par jugement du 24 septembre 1970, parvenu au greffe de la Cour le 6 janvier 1971, le Tribunal de commerce de Lyon a demandé l'interprétation de l'article 85 du traité CEE et de ses règlements d'application dans le litige pendant devant ce tribunal entre la société Cadillon et la société Höss ;
2. Qu'il ressort de ce jugement que la société Cadillon a assigné devant ce tribunal la société Höss en paiement de 533.000 FF de dommages-intérêts à la suite de la rupture unilatérale des contrats de concession de vente exclusive des 19 mars 1967 et 30 janvier 1968 ;
3. Que, s'opposant à cette demande, la société Höss a invoqué, entre autres, la nullité du contrat du 30 janvier 1968, motif pris de ce que l'article 85 prohiberait les contrats d'exclusivité ;
4. Attendu que, bien que la demande d'interprétation n'ait pas été posée sous forme de question précise, il est possible de dégager du libellé du jugement que le tribunal veut être éclairé sur la question de savoir si des contrats d'exclusivité de vente non notifiés à la Commission, passés entre deux entreprises situées dans des Etats membres différents et concernant des opérations à effectuer dans le Marché commun, tombent sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE ;
5. Attendu que, pour l'application de l'article 85 du traité à un accord, il faut tout d'abord que celui-ci soit susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres ;
6. Que cette condition est remplie si l'accord, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permet d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échange entre Etats membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats;
7. Qu'en outre, la prohibition de l'article 85, paragraphe 1, ne peut s'appliquer qu'à la condition que l'accord ait pour objet ou pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le Marché commun ;
8. Que ces conditions doivent être entendues par référence au cadre réel où se place l'accord ;
9. Qu'un accord d'exclusivité peut échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, parce que, compte tenu de la faible position des intéressés sur le marché des produits en cause dans la zone faisant l'objet de l'exclusivité, il n'est pas susceptible de nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats, même lorsqu'il établit une protection territoriale absolue;
10. Qu'à plus forte raison il en est ainsi lorsqu'un tel accord ne s'oppose ni à ce que des tiers puissent effectuer des importations parallèles sur le territoire concédé, ni à ce que le concessionnaire réexporte les produits qui en font l'objet;
11. Qu'il appartient toutefois à la juridiction nationale d'examiner si ces conditions sont remplies en l'espèce ;
12. Attendu que, pour le cas où l'accord tomberait sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, il y a lieu d'examiner également la portée éventuelle, à l'égard des accords de ce type non notifiés, du règlement de la Commission n° 67-67, prévoyant l'exemption par catégories d'accords d'exclusivité ;
13. Qu'il ressort du jugement de renvoi que l'exception d'illégalité tirée de l'article 85 du traité ne concerne que le contrat portant la date du 30 janvier 1968 ;
14. Qu'il suffit dès lors d'examiner le règlement n° 67-67 à l'égard des seuls accords conclus après son entrée en vigueur ;
15. Qu'il ressort de l'article 7, paragraphe 2, dudit règlement que de tels accords au cas où ils tomberaient sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, pourraient bénéficier de l'exemption par catégories, malgré l'absence de leur notification à la Commission, pourvu qu'ils répondent aux conditions spécifiques prévues par les articles 1 à 3 du même règlement ;
16. Attendu que les frais exposés par la Commission, qui a soumis ses observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de commerce de Lyon, conformément au jugement rendu par cette juridiction le 24 septembre 1970, dit pour droit :
1) Un accord d'exclusivité, conclu entre parties occupant une faible position sur le marché des produits visés par le contrat, peut échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, surtout lorsqu'il n'établit pas une protection territoriale absolue ;
2) Un accord d'exclusivité tombant sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, conclu après l'entrée en vigueur du règlement n° 67-67, peut, même en l'absence de notification à la Commission, bénéficier de l'exemption par catégories prévue à l'article 1 de celui-ci s'il remplit les conditions posées par les articles 1 à 3 du même règlement.