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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 6 juin 2002, n° 02-00892

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Danone (SA)

Défendeur :

Nestlé Produits Laitiers Frais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Avoués :

SCP Keime & Guttin, SCP Jullien Lecharny Rol

Avocats :

Mes Escande, Hiltgen-Lebouvier

T. com. Nanterre, du 10 janv. 2002

10 janvier 2002

FAITS ET PROCEDURE

La société anonyme Danone a lancé sur le marché en 1997 un produit, dénommé " crème de yaourt ", constitué de yoghourt au lait entier avec adjonction de crème dans la proportion de 5 %. Ce produit est contenu dans des pots de 125 grammes, en matière plastique translucide thermoformée. Les pots ont la forme d'une boule, aplatie au sommet et à la base. Ils sont conditionnés par quatre, superposés deux sur deux (structure dite bi-pont), dans un sur-emballage carton ; des échancrures situées à chaque angle laissent partiellement apparaître les pots.

Au début du mois de septembre 2001, la société anonyme Nestle Produits Laitiers Frais a lancé un produit similaire, dénommé " douceur de lait ", contenu dans des pots en verre de même capacité. Ces pots présentent eux-mêmes une forme arrondie, mais leur partie centrale est cylindrique et leur taille supérieure. Ils sont également conditionnés par quatre, en structure bi-pont, dans un sur-emballage carton sans échancrures, mais ne s'étendant pas aux faces latérales.

La société Danone y a vu la reprise d'éléments caractéristiques de son produit, constitutive de concurrence déloyale. Le 5 septembre 2001, elle a écrit à sa concurrente :

"Vous connaissez les efforts et investissements que nous avons réalisés pour créer ce segment de marché et soutenir notre gamme en la différenciant nettement des yaourts au lait entier préexistants. Nous avons ainsi innové, notamment en travaillant la composition du produit (ajout d'une " pointe de crème "), en créant un nouveau pot, bas et arrondi, tranchant radicalement jusqu'à ce jour avec les pots présents sur le marché, en choisissant de mettre cette forme novatrice fortement en avant (cf. : pick-up, promotions, publicités ...) ou encore en choisissant de présenter nos produits en bi-pont.

Pour lancer vos nouveaux produits " douceur de lait ", nous constatons et déplorons que votre société s'approprie les éléments caractéristiques de notre gamme..."

La société Nestlé Produits Laitiers Frais a contesté les griefs invoqués, rejetant tout risque de confusion en l'état de différences entre les conditionnements.

Après avoir vainement saisi le juge des référés, la société Danone a fait assigner sa concurrente qui a formé une demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.

C'est dans ces conditions que par jugement du 10 janvier 2002, le Tribunal de commerce de Nanterre, après des considérations générales sur " concurrence déloyale et parasitaire, la seconde n'étant qu'une des formes que peut revêtir la première ", a écarté un à un les arguments développés par la société Danone :

- forme des pots : " outre leur différences de matériaux et de formes géométriques les deux pots différent par leur hauteur, celle du pot Nestlé étant supérieure à celle du pot Danone et, inversement, celui-ci est plus large... rien ne permet de dire que le pot de Nestlé ait bénéficié des études et dessins de celui de Danone, dont il est à noter que cette société n'invoque pas la protection due à son dépôt à l'INPI" ;

- disposition des pots dans l'emballage ; forme d'ensemble de ce dernier : " rien que de très banal dans un cas comme dans l'autre. Mais Nestlé s'en est tenue à la forme déjà existante sans s'inspirer de la pointe d'originalité introduite par Danone en découpant la face de l'emballage pour faite apparaître partiellement les pots... Cet examen ne révèle aucune appropriation illicite des travaux... en matière de " pakaging " ;

- pastille bleue (" juste 5% Mat. Gr " pour l'une ; " 6% mat. gr - à la crème fraîche " pour l'autre) figurant sur les emballages : " rien d'original en elles-mêmes et elles sont la conséquence logique de la caractéristique majeure du produit... Tout au plus peut-on regretter que les textes qui y figurent ne pouvant être que semblables, la couleur des pastilles soit la même, à ceci près qu'elle se détache moins bien sur l'emballage Danone " ;

- représentation du pot sur l'emballage : " elle n'est apparue chez Danone qu'au début de 2001 " ... " ce qui figure tant sur les emballages de Nestlé que sur ses affiches " stop rayon " ou bons de remise en caisse utilisés lors du lancement de septembre 2001, ne correspond dans sa forme et ses proportions, ni au pot de Danone, ni au pot de Nestlé...

Estimant non démontré " le parasitisme dont Nestlé se serait rendu coupable au détriment de Danone " et établi en revanche le caractère abusif de l'action engagée " en ce qu'elle tendait à faire obstruction à l'entrée sur le marché d'un produit concurrent ", le tribunal a débouté la société Danone et l'a condamnée au paiement d'un euro symbolique à titre de dommages-intérêts.

Appelante de ce jugement, la société Danone (conclusions du 5 avril 2002) insiste sur l'importance de ses investissements pour l'élaboration et la mise en œuvre d'une stratégie de lancement et d'affirmation sur le marché de son produit " crème de yaourt ... positionné à la fois comme un yaourt gourmand et déculpabilisant ", comme comportant " juste une pointe de crème ".

Tout aurait été axé sur le symbole de la rondeur : pot boule tranchant avec ceux utilisés sur le marché et apparaissant " en majesté " ; sur-emballage carton avec découpes arrondies, laissant partiellement apparaître les pots, vus de face ; inscription du nom en lettres rouges à l'intérieur du pot, dans une typographie tournante en épousant l'arrondi ; petit cartouche rond de couleur bleue, indiquant le taux de matière grasse.

Par l'usage fait et le succès commercial rencontré, le pot boule serait devenu un signe de rattachement très fort pour la clientèle. Participeraient également à l'identification du produit, les divers autres éléments précités ne correspondant à aucun Code du marché. La société Nestlé les aurait repris, rompant pour ce qui concerne la forme du pot, avec les autres pots de sa gamme de produits laitiers commercialisés sous la marque La Laitiere.

Elle aurait ainsi entendu détourner à son profit la notoriété acquise par le produit concurrent, au prix d'investissements humains et financiers élevés. Elle en aurait en même temps dilué l'image. Ce serait à tort que le tribunal a tenté de justifier un à un chacun des éléments repris, sans tenir compte de l'état du marché, là où il devait s'engager dans une appréciation globale des éléments litigieux, tels qu'ils sont perçus par la clientèle.

La conjonction des éléments de ressemblance, sans aucune nécessité technique, portant sur des éléments identifiant le produit, ne pourrait être le fruit du hasard. Ils traduiraient un rattachement indiscret constitutif de parasitisme, pour bénéficier indûment du succès de " crème de yaourt ", le consommateur étant incité à acquérir le produit " douceur de lait " en raison, non pas de ses qualités et caractéristiques, mais des similitudes avec le produit concurrent.

S'y serait ajoutée une offre promotionnelle de 2 F de réduction immédiate annoncée par une affichette constitutive d'un trouble commercial supplémentaire, les produits étant côte à côte dans les linéaires et la mention " nouveau ", portée sur l'affichette, renforçant le détournement recherché.

La cour devrait donc réformer la décision entreprise et :

Dire et juger que la société Nestlé... s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire... au sens des articles 1382 et suivants du Code civil... [et] que la publicité effectuée... sur les lieux de vente constitue une faute supplémentaire et distincte qui doit elle-même être sanctionnée...

En conséquence :

Ordonner la cessation immédiate des faits incriminés sous astreinte définitive de 1.500 euro par infraction constatée...

Condamner la société Nestlé à verser... la somme de 1 000 000 d'euro, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir...

Condamner la société Nestlé à payer... la somme de 16 000 euro ... sur le fondement de l'article 700 du NCPC...

Pour la société Nestlé Produits Laitiers Frais (conclusions du 26 mars 2002), l'appelante n'aurait de cesse de confondre concurrence déloyale d'une part et parasitisme d'autre part, notions distinctes même si elles procèdent toutes deux de l'article 1382 du Code civil.

Ni l'une, ni l'autre ne seraient constitués :

- la concurrence déloyale par imitation de la présentation d'un produit supposerait en effet que les éléments communs ne soient pas fonctionnels, nécessaires, usuels et généralisés et que soit établie l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public ; ces conditions ne seraient pas remplies, que l'on s'attache à chacun des éléments critiqués ou à une appréciation globale des conditionnements litigieux ; suit une analyse détaillée de chacun de ces points.

- il serait aujourd'hui admis que le parasitisme, issu d'une théorie conçue à la fin des années 50 et ayant donné lieu à des dérapages, implique des distinctions, à peine de vider de toute substance le principe de la liberté du commerce et de l'industrie : le simple fait de se placer dans le sillage d'un autre producteur serait inhérent à l'activité commerciale et en rien répréhensible ; le parasitisme ne serait illicite que lorsque la reprise de la prestation d'autrui s'accompagne de manœuvres fautives, c'est à dire d'agissements contraires aux usages normaux du commerce.

Ce serait à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu de tels agissements.

En réalité, leur décision ne serait contestable qu'en ce qu'ils n'ont pas tiré toutes les conséquences du caractère abusif de la procédure engagée par la société Danone, au mépris du principe essentiel de la liberté du commerce et de l'industrie, avec pour objectif, sous couvert d'une application dénaturée et dévoyée de la théorie du parasitisme, de se voir conférer un monopole sur la vente d'une catégorie de produits que personne ne peut s'approprier.

Il appartiendrait en conséquence à la Cour de :

Confirmer le jugement... sauf sur le quantum des sommes allouées... à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau,

Condamner la société Danone... à payer la somme complémentaire de 30.500 euro pour procédure abusive ... [outre] 12 000 euro... en application de l'article 700 du NCPC

Il est renvoyé au jugement entrepris et aux conclusions précitées, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

Sur ce, LA COUR,

Sur le principe des frabrications litigieuses

Considérant que la liberté du commerce et de l'industrie, consacrée par la loi du 2-17 mars 1791 (dite " décret d'Allarde "), demeure la règle ; que la fabrication et la commercialisation d'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droit de propriété intellectuelle - ce qui est en l'espèce le cas - sont en principe licites, peu important qu'elles procèdent de la reprise d'un produit existant sur le marché ;

Que la liberté du commerce et de l'industrie - qui a pour corollaire la libre concurrence et la licéité du préjudice que se causent les concurrents en s'efforçant d'attraire, l'un, la clientèle de l'autre - ne doit cependant pas dégénérer en abus ; qu'un tel abus est constitutif de concurrence déloyale et engage la responsabilité civile de son auteur sur le terrain des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Qu'il en va notamment ainsi lorsque la reprise d'un produit préexistant sur le marché, exempt de droit de propriété intellectuelle, s'accompagne, sans nécessité ni motif légitime, d'emprunts à sa présentation ou à son conditionnement, dans des conditions ayant pour objet ou pour effet d'engendrer un risque de confusion dans l'esprit du public voire, en l'absence même d'un tel risque, un rattachement indélicat audit produit ou un détournement de sa notoriété ;

Considérant que le présent contentieux oppose les sociétés Danone et Nestlé Produits Laitiers Frais, occupant toutes deux une place prépondérante sur le marché des produits laitiers frais, marqué dans la période contemporaine par un tassement voire une baisse de la vente des yaourts ;

Que la société Danone a réagi en lançant en 1997 un produit dit " crème de yaourt ", se proposant de repositionner le yaourt dans l'univers des desserts par l'adjonction de crème, mais dessert " à la fois ... gourmand et déculpabilisant " compte tenu de sa faible teneur en matière grasse (5%), soulignée par l'emploi de l'expression " juste une pointe de crème " ;

Qu'à cet égard, elle invoque, pour la période 1997/2001, des investissements industriels de 56,3 millions de F (8.580 000 euro) et publicitaires de 182 millions de F (27.757 000 euro), ainsi que, pour l'année 2000, un chiffre d'affaires 354 millions de F (54.010 000 euro) et, pour l'année 2001, un chiffre d'affaires estimé de 550 millions de F (83.833 000 euro) ;

Que, quels que soient sa conviction sur la notoriété de son produit, ainsi que les investissements consacrés à ce dernier, - la société Danone ne saurait, sur le principe, contester le droit qui était celui de la société Nestlé Produits Laitiers Frais de s'engager dans le même segment de marché et d'y valoriser son savoir faire en étendant la gamme de ses propres produits, commercialisés sous la marque " La Laitiere ", au yaourt enrichi d'une pointe de crème, dit " douceur de lait ", lancé quatre ans plus tard en septembre 2001 ;

Sur le risque de confusion invoqué

Considérant qu'aucune réclamation n'est élevée du chef de l'aspect (au demeurant directement lié à leur composition) des produits respectifs des deux parties, considérés en eux-mêmes ; qu'il apparaît que les conditionnements, envisagés dans leur structure, présentent de sensibles différences ou sont des plus usuels dans le secteur considéré;

- matériau et forme des pots : les pots du produit " crème de yaourt " sont en matière plastique translucide thermoformé ; ils sont bas, en forme de boule aplatie au sommet et à la base ; ceux du produit litigieux " douceur de lait " sont en verre transparent, constante de la gamme " La Laitière " ; pour être également de forme arrondie, ils sont cependant plus hauts et plus étroits, leur partie centrale étant cylindrique et non bombée, de taille intermédiaire entre celle des pots employés pour les yaourts traditionnels, et des pots contenant les crèmes dessert, de ladite gamme ;

Dès 1920, la société Nestlé avait d'ailleurs commercialisé un yaourt à la crème dans des pots de forme arrondie, abandonnée il est vrai depuis plusieurs années à la date des fait litigieux ;

- positionnement en bi-pont dans un sur-emballage carton : un tel positionnement est d'une grande banalité en matière de présentation de produits laitiers ; elle était déjà utilisée pour des produits de la gamme " La Laitière ", bien avant le lancement du produit litigieux " crème de yaourt " ;

est de même banal, l'emploi d'un sur-emballage cartonné ; seules les échancrures figurant sur les côtés du sur-emballage du produit " crème de yaourt " sont susceptibles de présenter quelque spécificité ; mais, il n'en existe précisément pas dans le sur-emballage du produit critiqué " douceur de lait " ;

Considérant sans doute que la société Danone dénonce un risque de confusion qui, au delà de la structure des conditionnements, résulterait de points communs dans leur décor voire les textes qui y figurent: représentation de son pot boule sur la face avant de l'emballage ; inscription du nom du produit en lettres rouges tournantes, à l'intérieur du pot ; présence d'un cartouche bleu au bas de la partie droite de la face avant ; emploi du terme " juste une pointe de crème " ;

Qu'un tel risque doit cependant s'apprécier par référence à un consommateur d'attention moyenne qui ne dispose pas en même temps des deux produits litigieux; qu'il implique une comparaison d'ensemble, globale et synthétique entre les deux présentations ; qu'il apparaît que le risque allégué n'est en rien établi, alors surtout que :

- la représentation du pot boule, " en majesté " sur la face avant du sur-emballage carton du produit " crème de yaourt ", n'est apparue qu'en février 2001 ; trois mois auparavant, la société Nestlé Produits Laitiers Frais avait - ainsi qu'elle en justifie - procédé à des tests de lancement du produit critiqué " douceur de lait ", dont le sur-emballage carton comportait déjà une représentation du pot ; seule une sorte halo, dans lequel s'inscrivait le nom du produit sur deux lignes globalement horizontales, avait jusqu'alors figuré " en majesté " sur l'emballage de la société Danone ;

- même après le changement, les points communs correspondent à des éléments d'inégale importance et dont la mise en œuvre est différente dans le sur-emballage du produit critiqué (représentation du pot situé au quart gauche de la face avant, par exemple) ; ces éléments se fondent dans une présentation où dominent les constantes de tous les produits de la gamme "La Laitière" (fond jaune ; personnage de La Laitière du tableau de Vermeer, tenant à la main un pot de lait de forme arrondie ; marque Nestle en lettres bleues ; représentation du pot...) ;

- le consommateur n'en retient que lappartenance du produit critiqué à cette même gamme, dune notoriété équivalente à celle des produits de la société Danone ; il en va dautant plus ainsi quil est rompu, en présence dune profusion de produits très concurrentiels, à distinguer ceux de la marque de son choix ; à cet égard, aucune conséquence ne saurait être tirée des sondages que les parties versent aux débats, établis dans des conditions indéterminées et ne portant pas sur les produits, tels que présentés au consommateur dans les linéaires où ils sont offerts à la vente ;

Sur le rattachement indélicat

Considérant qu'ayant licitement étendu sa gamme de produits laitiers à un yaourt enrichi dune pointe de crème (intermédiaire entre les yaourts et crèmes dessert auxquels celle-ci sétait jusqualors limitée), la société Nestlé Produits Laitiers Frais était en droit den présenter les caractéristiques et avantages à la clientèle ; quétait à cet effet incontournable le recours au thème - au demeurant banal - de la gourmandise alliée à une faible teneur en matière grasse ;

Qu'en décider autrement aboutirait à placer la société Danone dans une situation de quasi-monopole ; que la société Nestlé Produits Laitiers Frais devait tout au plus sabstenir demprunts aux formulations et mes propres à sa concurrente que de tels manquements ne sauraient notamment résulter du recours à :

- la formule "lait entier marié à une pointe de crème fraîche", énoncée en petits caractères au verso de ses emballages et au détour dun texte de présentation du produit ; cest celle qui vient naturellement sous la plume ; peu importe que la société Danone ait de son côté mis en exergue une formule voisine ("au lait entier avec une pointe de crème fraîche") ;

- la mention du faible taux de matière grasse sur la face avant du produit, à l'instar d'une pratique des plus courante en pareille matière (cf. notamment : produits " Sveltesse ", " Petits Frais de Càlin ", " Saint Amour "...) ;

Considérant qu'en réalité, seul mérite de retenir l'attention le moyen de la société Danone selon lequel, même en l'absence de risque de confusion, les points communs dénoncés - à commencer par la forme ronde du pot - traduiraient en tout cas une volonté de rattachement indélicat à son produit, afin de permettre à sa concurrente d'en bénéficier indûment du succès;

Que sans doute doit-il être à cet égard admis que le pot représenté sur la face avant de l'emballage du produit critiqué " douceur de lait ", ainsi que sur les affichettes dites " stop rayon " utilisées lors de son lancement, n'est pas une reproduction absolument fidèle de celui utilisé pour le conditionnement ; qu'il procède d'une photographie retouchée ou du choix d'un angle de vue ayant pour résultat d'en accentuer la rondeur ;

Que pour autant, le rattachement indélicat allégué n'apparaît pas constitué; qu'en effet, le pot boule de la société Danone correspond à une forme des plus banales en matière de récipient; qu'en outre :

- la société Danone ne justifie nullement qu'en lançant son produit en 1997, elle a " pris le parti de [le] symboliser aux yeux des consommateurs... par la rondeur " et que son pot boule constitue un " élément d'identification très fort de ce produit auprès du public "; si tel était le cas, elle n'aurait pas attendu le mois de février 2001 pour faire apparaître ledit pot " en majesté " sur la face avant de l'emballage, en lieu et place du halo blanc initialement adopté ;

- les scripts de films publicitaires, versés aux débats, ne font nullement état de la forme du pot; l'image de ce dernier, lorsqu'elle apparaît, est surtout destinée à illustrer l'onctuosité et le fondant du produit, célébrés dans les dialogues en même temps que sa légèreté ; ce n'est d'évidence qu'après avoir eu connaissance du produit de sa concurrente, à la suite des tests de vente auxquels elle a procédé en septembre 2000, que la société Danone s'est avisée de modifier son emballage ;

- les différences entre le pot du produit critiqué et celui reproduit sur son emballage, sont légères et restent dans la limite des correctifs d'ordre esthétique traditionnels en pareille matière ; elles laissent subsister une forme qui, pour être ronde - à l'instar d'ailleurs du pot de La Laitière du tableau de Vermeer - ne se confond pas avec celle du produit de la société Danone ; elles ne peuvent être retenues comme traduisant une volonté de rattachement indélicat à ce qui serait l'image du produit concurrent ;

- les autres points communs invoqués, considérés isolément ou en combinaison, sont à cet égard sans incidence, en l'état de leur banalité, des différences de mise en œuvre, et de la présentation d'ensemble dans laquelle ils se fondent;

Sur les demandes des parties

Considérant que la société Danone sera donc déboutée de son appel et le jugement entrepris confirmé, sauf en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, n'étant pas démontré qu'elle ait fait dégénérer en abus son droit d'ester en justice ;

Que succombant pour l'essentiel, elle doit en revanche supporter les dépens ; que ni l'équité, ni la situation économique des parties ne justifient qu'il soit fait exception à l'application de l'article 700 du NCPC, afférent à la charge des frais non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Danone au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, déboute la société Nestlé Produits Laitiers Frais de sa demande de ce chef, déboute les parties du surplus de leurs demandes, condamne la société Danone à payer à la société Nestlé Produits Laitiers Frais une indemnité de 5 000 euro au titre de l'articlé 700 du NCPC, la condamne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Jullien Lecharny et Rol, avoués, dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.