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Décisions

Conseil Conc., 14 février 2003, n° 03-D-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société Tuxedo relative à des pratiques constatées sur le marché de la diffusion de la presse sur le domaine public aéroportuaire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Guillot, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mme Perrot, MM. Bidaud, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 03-D-09

14 février 2003

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre du 16 juin 1996 enregistrée sous le numéro francs 1055, par laquelle la société Tuxedo a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Nouvelles messageries de la presse parisienne et Relais H ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Nouvelles messageries de la presse parisienne, Tuxedo et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Nouvelles messageries de la presse parisienne et la société Weitnauer (anciennement Tuxedo), entendus lors de la séance du 10 décembre 2002 ; Adopte la décision suivante ;

I. - CONSTATATIONS

A. - Les secteurs d'activité concernés

Le régime juridique de la presse et l'organisation de la distribution de la presse

1. La loi n° 47-535 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques dite "loi Bichet" organise le cadre du groupage et de la distribution de la presse autour du principe coopératif : soit l'éditeur assure directement le groupage et la distribution de ses titres, soit il se regroupe avec d'autres éditeurs au sein d'une coopérative de distribution, dite messagerie de presse. Ces sociétés coopératives constituées par les éditeurs peuvent remplir elles-mêmes la fonction de messagerie, en assurant par leurs propres moyens le groupage et la distribution de la presse éditées par leurs adhérents. Mais les coopératives peuvent également confier à des sociétés commerciales l'exécution des opérations de groupage et de distribution des titres de leurs adhérents.

2. Lorsque les opérations commerciales sont assurées par les sociétés commerciales une clause d'exclusivité de la distribution est accordée à la société commerciale par les éditeurs adhérant aux coopératives concernées. Elle précise également que les ventes confiées à la société commerciale sont effectuées exclusivement par ses dépositaires et agents.

Trois sociétés se partagent le marché national de la messagerie :

- la société Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) qui est une SARL créée en 1947. Cette société est née du regroupement de cinq coopératives parisiennes qui s'associèrent à Hachette et qui représentent au total 51 % du capital social (parts A), 49 % de celui-ci étant détenu par Hachette (parts B) qui a la qualité d'opérateur. L'administration de la société est assurée par "un conseil de Gérance" composé de 8 gérants, personnes physiques nommés par décision collective des associés (5 pour les parts A et 3 pour les parts B) ;

- la société auxiliaire pour l'exploitation des messageries parisiennes Transports Presse (TP), née du regroupement de trois coopératives qui s'associèrent à une filiale d'Hachette ;

- les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP), société anonyme coopérative à capital et personnel variables, qui assurent elles-mêmes toutes les étapes de groupage et de distribution. Elles sont actuellement la seule coopérative à vocation nationale remplissant directement le rôle de messagerie pour le compte de ses éditeurs adhérents.

3. Le réseau de distribution est constitué, d'une part, des dépositaires centraux qui assurent la répartition des journaux auprès des diffuseurs et, d'autre part, des diffuseurs de presse qui vendent la presse au public et constituent l'ultime maillon de la chaîne de distribution. Certains diffuseurs de presse gèrent des points de vente situés dans l'emprise de concessions du domaine public et de ses dépendances. Ces concessionnaires exercent, notamment, dans les gares (SNCfrancs et RATP), les hôpitaux, les aires de repos des autoroutes et les enceintes aéroportuaires.

4. La distribution de la presse repose sur le principe selon lequel l'éditeur demeure propriétaire de ses publications jusqu'à leur acquisition par le lecteur, d'où la particularité du système selon lequel les exemplaires invendus sont repris aux agents de la vente suivant des conditions prévues contractuellement. L'ensemble des intermédiaires est donc lié par une succession de mandats ainsi que l'a relevé le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 87-D-08 du 28 avril 1987 "Le Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) a avalisé le cadre contractuel définissant les relations entre les sociétés coopératives de messagerie de presse et les sociétés commerciales de messageries de presse (contrats de groupage et de distribution) et entre les sociétés commerciales de presse et les dépositaires centraux et les diffuseurs. Il a analysé ces contrats comme des contrats de mandats".

5. Les modalités de rémunération des agents de la vente de la presse sont prévues par le décret n° 88-136 du 9 février 1988 qui contient des dispositions spécifiques pour les agents de la vente ayant le statut de concessionnaires. L'article 6 dispose que "les commissions, perçues par les entreprises concessionnaires gérant l'ensemble des points de vente situés dans l'emprise de leur concession et acquittant à ce titre une redevance au concédant chargé d'un service public, ne peuvent excéder 30 % du montant des ventes exprimées au prix public". Le taux fixé par la réglementation est un taux maximum.

Le régime juridique d'occupation du domaine public

6. Quelles que soient les personnes publiques dont elle relève, l'occupation du domaine public est subordonnée à l'obtention d'une autorisation qui, d'une part, et sauf clause de tacite reconduction, doit être expresse et qui, d'autre part, a un caractère personnel.

7. Le second principe régissant les utilisations privatives du domaine public subordonne l'occupation de la dépendance domaniale à une redevance. Imposée au bénéficiaire de l'autorisation, en principe au profit de la personne publique propriétaire, elle est perçue, en cas d'occupation de longue durée, annuellement. Pour les redevances plus importantes, relatives aux occupations qui permettent l'exercice d'une activité lucrative sur le domaine public, l'assiette est normalement constituée non seulement par la valeur locative de l'emplacement occupé mais aussi par la valeur des "avantages de toute nature" que l'occupation du domaine public peut procurer au bénéficiaire de l'autorisation, ce qui justifie la prise en compte du chiffre d'affaires et des bénéfices dont l'occupation du domaine public permet la réalisation.

8. Le troisième principe régissant l'occupation du domaine public est celui de la précarité. La jurisprudence énonce qu'il résulte "des principes généraux de la domanialité publique" que les titulaires d'autorisations n'ont pas de "droit acquis" à leur renouvellement, affirme "le caractère précaire et révocable,... commun à toutes les occupations du domaine public" (CE 14 octobre 1991, Helie, CE 4 février 1983, Ville de Charleville-Mézières, et CE 23 juin 1976, Commune de Plubennec).

9. La jurisprudence a reconnu le droit pour l'administration de se déterminer, en matière d'octroi ou de maintien des autorisations d'occupation, par des considérations proprement financières. Le Conseil d'État a considéré que des motifs financiers sont de nature à justifier le comportement des gestionnaires du domaine public et a expressément consacré le fait que le domaine public peut et doit être considéré comme "une richesse collective" et être l'objet d'une exploitation patrimoniale propre à en assurer la "valorisation".

B. - Le marché de la distribution de la presse

Les modes de distribution de la presse

10. La presse connaît plusieurs modes de distribution : la vente dite au numéro passant par le canal des messageries de presse, la vente au numéro assurée directement par les éditeurs, la vente par abonnement postal et la vente par portage à domicile. L'affaire faisant l'objet de cette décision concerne la vente au numéro.

11. La vente au numéro représente 70 % de la distribution de la presse et a été reconnue comme un marché distinct de la vente par abonnement par le Conseil de la concurrence, dans sa décision n° 87-D-08 du 28 avril 1987 relative à des pratiques mises en œuvre par la société des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) et sa filiale Société d'agences et de diffusion, ainsi que dans la décision n° 00-D-54 relative à des pratiques de l'Institut national de la consommation.

12. Parmi les trois messageries qui se partagent le marché de la distribution de la presse au numéro auprès des dépositaires, la société Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) est la seule société de messagerie à distribuer la presse quotidienne nationale. Transport presse, ne disposant pas de moyens logistiques et informatiques suffisants, a progressivement confié aux NMPP les opérations de distribution de ses titres pour une part substantielle du marché national. Les messageries lyonnaises de presse (MLP) ne distribue que des publications périodiques à rythme de diffusion mensuel et au-delà. Ainsi, les titres de presse quotidienne et de magazines distribués par les NMPP ne sont pas nécessairement substituables à ceux des autres messageries de presse de sorte que, sur une part substantielle du marché national, les autres messageries ne peuvent être considérées comme des sources d'approvisionnement alternatives mais comme des sources complémentaires ainsi que l'a reconnu le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 87-D-08 précitée.

13. Les chiffres d'affaires exprimés en milliards de francs par messagerie nationale, les parts totales de chaque messagerie et leurs parts par vente au numéro sont les suivants :

EMPLACEMENT TABLEAU

14. La position dominante des NMPP sur le marché de la diffusion de la presse ne fait aucun doute et celles-ci ne le contestent d'ailleurs pas. Dans sa décision n° 87-D-08, le Conseil de la concurrence avait considéré, à l'époque, que cette société détenait bien une position dominante sur le marché en cause.

15. Au regard de la part de chaque messagerie dans la distribution de la presse pour la vente au numéro, la situation demeure inchangée et les Nouvelles messageries de la presse parisienne sont bien en position dominante d'autant qu'elles distribuent également les titres de la société Transport presse.

16. La société Tuxedo a des activités variées telles que tabacs, librairie, jouets, papeterie, photo, son, électronique et presse dans le cadre de points de vente situés sur le domaine public aéroportuaire. Sur les terminaux A, B, C et D de l'aérogare de Roissy 2, les activités les plus importantes portaient sur les jouets et la papeterie pour 30 % environ, la photo, le son et l'électronique pour 25 % environ, mais l'activité presse n'était pas négligeable pour autant et représentait, sur les terminaux concernés, entre 20 % et 30 % du chiffre d'affaires.

Les pourcentages de chiffres d'affaires de l'activité presse réalisés par la société Tuxedo sur l'aérogare de Roissy 2 étaient les suivants :

EMPLACEMENT TABLEAU

17. La société Relais H est une société en nom collectif, filiale de la société Hachette distributions services depuis 1993, et était auparavant une branche d'activité de la société Hachette. Première chaîne de diffusion de la presse en France, elle détient environ 900 points de vente répartis sur des concessions du domaine public situées sur l'ensemble du territoire. Relais H bénéficie d'un contrat de concession exclusif avec la SNCfrancs pour l'ensemble du réseau national de la SNCfrancs (pour environ 500 points de ventes), conclu pour une durée de 9 ans renouvelable, ainsi qu'avec la RATP pour l'ensemble du réseau de transport RATP (environ 140 points de ventes pour métro et RER). Les concessions SNCfrancs et RATP sont des concessions dites globales, c'est à dire valables pour l'ensemble du territoire national. Dans les hôpitaux, les concessions sont accordées individuellement par chaque établissement et les emplacements dans les aéroports font l'objet de contrats avec les Chambres de commerce et d'industrie concernées, à l'exception de ceux placés dans les aéroports parisiens qui relèvent d'Aéroport de Paris.

C. - Les pratiques dénoncées

18. La société Tuxedo, présente sur le marché des concessions aéroportuaires notamment pour l'exploitation de points de vente presse-librairie et tabacs depuis 1982, se plaint d'avoir été éliminée du marché de la distribution de la presse dans les aérogares à l'occasion du renouvellement des concessions par Aéroport de Paris, au profit de la société Relais H. Cette élimination résulte à la fois des conditions financières imposées par le concessionnaire du domaine public et des pratiques des NMPP concernant les modalités de rémunération des diffuseurs de presse exerçant leurs activités sur des concessions du domaine public et les conditions d'organisation du réseau de distribution de la presse sur ces concessions.

Le non renouvellement des concessions d'occupation du domaine public de Tuxedo par Aéroport de Paris (ADP)

19. De 1994 à 1997, ADP a renouvelé les concessions d'occupation du domaine public relatives à la distribution de la presse situées dans les aérogares et en a attribué de nouvelles sur d'autres terminaux.

20. Avant 1994, ces renouvellements se faisaient de gré à gré. A partir de cette date, ils ont eu lieu dans le cadre d'un appel à candidatures dans la presse économique, et la société Relais H a été déclarée attributaire, dans tous les cas, des concessions de points de vente de presse situés dans les aérogares d'Orly et de Charles-de-Gaulle.

21. Pour la consultation de septembre 1994 qui concernait l'aéroport Charles-de-Gaulle, aérogare 1, terminal 9 et fret 2 ainsi que l'aéroport d'Orly sud, le dossier de consultation prévoyait que les candidats devaient faire une proposition de redevance dont le montant devait être réparti au maximum entre quatre familles de produits dont la presse-librairie et le tabac. Relais H a été attributaire des deux concessions sur les aérogares de Roissy (CDG aérogare 1 et Terminal 9) et de Orly sud. Avant cette consultation, la société Relais H était déjà concessionnaire sur CDG 1 et Orly sud.

22. Pour la consultation de juin 1995 concernant l'aéroport CDG, aérogare 2, terminaux B et D, les candidats devaient proposer un taux unique et fixe de redevance sur les trois familles de produits suivantes : presse-librairie, tabacs et autres produits. La convention a été signée avec Relais H aux conditions suivantes : 13 % sur la presse, les livres, la photo, le son et les éditions numériques, 1 % sur le tabac et 20 % sur les autres produits. La société Tuxedo était la précédente bénéficiaire d'une convention de 1988 couvrant les aérogares A, B et D de CDG 2. Les taux de redevances pratiqués étaient de 13 % sur la presse et la librairie, 1 % sur les tabacs et 14 % sur les articles divers, 13, 20 et 22 % selon les tranches croissantes de chiffres d'affaires sur la papeterie, les cadeaux, gadgets et jouets et 8, 16 et 18 % selon des tranches croissantes de chiffres d'affaires sur la photo, y compris les pellicules et le son.

23. Pour les trois consultations de 1997, le taux de redevance sur la presse était imposé puisque les dossiers indiquaient qu'il était fixé par ADP, les sociétés candidates devant fournir une proposition pour les autres produits.

24. La consultation d'avril 1997 concernait l'aéroport d'Orly ouest et la zone d'Orly-Tech. Les taux de redevance commerciale fixés par ADP étaient de 14 % sur le chiffre d'affaires HT pour la presse et la librairie, 1 % pour les tabacs, le taux de redevance des autres produits étant à proposer par les candidats. Relais H a été déclaré attributaire de la concession.

25. La consultation de mai 1997 portait sur l'aéroport de CDG 2, terminal francs. Le taux de redevance pour la presse et la librairie était de 13 % (sur le CA HT), de 1 % sur les tabacs et à proposer par les candidats pour les autres produits. La société Relais H a été choisie moyennant une redevance de 13 % sur la presse et la librairie, lors de la phase d'ouverture du terminal T9 et de 14 % à l'issue de la phase 2 d'ouverture du même terminal. Pour les tabacs et les autres produits, cette redevance a été respectivement de 1 % et de 17,5 %.

26. La consultation d'octobre 1997 portait sur l'aéroport CDG aérogare 2, terminaux A et C. Les taux de redevance avaient été fixés par ADP à 13 % pour la presse et la librairie et 1 % sur les tabacs. Relais H a, une nouvelle fois, été déclarée attributaire des deux concessions correspondant à cette consultation. La première convention concerne les terminaux A et C de l'aérogare 2 de l'aéroport CDG et la deuxième, le Multistore de la zone de boutiques. Les taux de redevance sont conformes aux taux imposés par ADP.

27. La société Tuxedo n'a pas présenté de dossiers pour ces consultations, considérant que le montant de la rémunération qui lui était versée par les NMPP, était incompatible avec les nouvelles conditions financières imposées par l'autorité concédante et qu'elle n'était plus en mesure de se maintenir sur le marché concerné dans des conditions d'exploitation normales car ces conditions la conduisaient à réduire sa marge bénéficiaire à un niveau trop faible, 2 à 3 %, incompatible avec la rentabilité de l'entreprise.

28. Alors qu'elle était titulaire des conventions régissant les terminaux A, B, C de l'aérogare 2 de CDG, ainsi que celle du terminal D lors de son ouverture, la société Tuxedo n'a plus aucune concession sur les aéroports de Roissy et d'Orly gérés par ADP.

29. La situation après renouvellement des concessions se résume ainsi :

EMPLACEMENT TABLEAU

La mise en place d'un barème de rémunération des agents de vente ayant le statut de concessionnaire par les NMPP

30. La société "Téléservices santé" est une filiale de la société Générale de Santé ; elle exploite des points de vente de presse sur les concessions du domaine public hospitalier. En octobre 1993, elle a demandé aux NMPP de bénéficier d'une rémunération supérieure à celle octroyée jusque là, lui permettant de concourir de manière jugée par elle plus équitable lors des consultations pour l'attribution de concessions dans les établissements de santé. Cette demande n'a pas abouti, les NMPP lui ayant opposé les dispositions d'un "barème général de rémunération" qu'elles avaient établi à l'occasion de cette demande. Le président de la société Téléservices et son conseiller ont indiqué, concernant le traitement et la rémunération par les NMPP de l'activité vente de la presse : "Il faut savoir que nos points de vente - de l'ordre d'une vingtaine aujourd'hui - sont traités par les NMPP comme des points de vente diffuseurs ; nous sommes approvisionnés par les dépositaires pour les zones de distribution concernées ratione loci. Les publications, titres livrés par NMPP représentent l'essentiel des fournitures de presse de nos points de vente... la rémunération moyenne pour la distribution de la presse accordée à Téléservices santé est de 14 % (moyenne pondérée) alors que Relais H par exemple bénéficie d'un taux de 30 %.".

31. Afin d'éviter une multiplication de demandes de revalorisation de leur rémunération de la part de sociétés souhaitant installer des points de vente de presse sur des concessions du domaine public, les NMPP ont établi leur "barème général de rémunération" des agents de vente qui exercent leurs activités sur le domaine public, lequel comporte deux séries de "remises" cumulables :

- une remise prépondérante est basée sur le nombre de points de vente ; elle comprend 7 tranches correspondant à des taux progressifs de remise allant de 15 % pour 1 à 50 points de vente jusqu'à 28 % de remise pour plus de 700 points de vente.

- une remise, dite remise complémentaire, est basée sur le chiffre d'affaires total annuel (des ventes au prix facial) ; elle comprend 16 tranches correspondant à des taux progressifs allant de 0,5 % pour un chiffre d'affaires compris entre 20 et 100 millions de francs jusqu'à 4,5 % pour un chiffre d'affaires supérieur à 1 500 millions de francs.

32. Les raisons de la mise en place du barème, telles qu'elles apparaissent dans une note de la direction financière des NMPP du 14 mars 1994, rédigée à la suite de la démarche effectuée par la société Générale de santé "pour tenter d'obtenir une amélioration de sa rémunération dans le cadre de l'article 6 du décret du 9 février 1988", sont ainsi présentées :

"Le niveau du chiffre d'affaires de chacun des points de vente, le nombre de titres mis en vente dans chacun d'eux inférieur à la moyenne d'un diffuseur ordinaire, leur mode de desserte, l'absence d'une politique spécifique, nous ont permis de ne pas donner suite pour l'instant à la demande de la Générale de santé.

Cette argumentation, pleinement justifiée sur le plan économique, est juridiquement très fragile, en l'absence d'un barème officiel fixant la rémunération des points de vente sous concession.

Pour permettre aux NMPP de se mettre à l'abri de nouvelles revendications de cet ordre, soit de la Générale de santé qui reviendra probablement à la charge, soit du groupe anglais Trust House francsorte qui prend actuellement des positions sur des aires d'autoroutes, il nous paraît indispensable d'officialiser un barème de rémunération des concessionnaires, établi sur la base de données objectives et incontestables".

Après avoir proposé les deux critères cumulatifs rappelés ci-dessus, la note poursuit :

"Cette double grille qui répond à la nécessité légale d'un barème permettra d'apporter en toute transparence une réponse cohérente et identique à toute société souhaitant répondre à des appels d'offres lancés par tout concédant et enfin d'éviter, par un renchérissement de la rémunération d'une partie du réseau, d'alourdir le coût de distribution".

33. La société Tuxedo, qui était concessionnaire de points de vente de presse sur les aéroports d'Orly et de Roissy depuis 1982, avait le statut de dépositaire de presse vis à vis des NMPP avec qui elle avait signé un contrat de dépositaire en novembre 1981. Le taux de rémunération de la société était celui prévu pour les dépositaires par la réglementation en vigueur, à savoir l'arrêté du 18 avril 1952 modifié par les arrêtés des 28 décembre 1957, 22 janvier et 3 juin 1959, fixant les remises des revendeurs de journaux quotidiens et de publications périodiques. A compter de l'entrée en vigueur du décret de 1988, la rémunération de la société Tuxedo a été de 23,5 %, taux maximum prévu par le décret de 1988 pour les dépositaires de presse.

34. En 1995, la société Tuxedo, ayant eu connaissance de la rémunération servie aux Relais H opérant sous le statut de diffuseur, soit un pourcentage du produit des ventes atteignant le taux maximum de 30 %, a envisagé de quitter son statut de dépositaire pour adopter celui de diffuseur. Elle s'est adressée aux NMPP afin que celles-ci lui communiquent leurs conditions de rémunération détaillées, telles qu'appliquées aux diffuseurs opérant sous le régime de la concession publique. En réponse à ce courrier, les NMPP ont transmis le barème général de rémunération qu'elles avaient élaboré à l'occasion de la demande de la société Téléservices santé. En application de ce barème, la rémunération servie à l'entreprise Tuxedo aurait été de 15 % en fonction des deux séries de tranches de remise contenues dans le barème. En conséquence, Tuxedo a préféré conserver son statut de dépositaire et sa rémunération de 23,5 %.

35. Selon Tuxedo, les critères choisis par les NMPP, relatifs au nombre de points de vente et au chiffre d'affaires et les montants délimitant les tranches visent à éliminer toute société autre que les Relais H souhaitant distribuer la presse sur des concessions du domaine public et à conforter la position des Relais H dans ce secteur, cette société étant la seule pour laquelle l'application du barème des NMPP conduit au taux maximum légal de rémunération de 30 %. En effet, la société Tuxedo fait valoir que sa rémunération brute de 23,5 %, obtenue grâce à son statut de dépositaire, correspond à une rémunération nette, avant charges d'exploitation, de 17,8 à 14, 8 %, une fois prises en compte les charges directes liées au statut de dépositaire (évaluées à 6 à 9 %) et à une marge de 4,8 à 1,8 % après paiement de la redevance à ADP, marge qu'elle estime insuffisante pour faire face à ses charges d'exploitation. francsaute de rentabilité, Tuxedo a perdu les concessions dont elle bénéficiait sur le domaine public aéroportuaire, le chiffre d'affaires correspondant a diminué et elle n'a plus été en mesure de concurrencer Relais H qui, compte tenu du barème mis en place par les NMPP, bénéficie d'une rémunération supérieure à celle des autres concessionnaires. En 1998, Relais H exploite 59 boutiques sur les aéroports contre 39 en 1994 et les recettes annuelles sont passées de 424 Mfrancs en 1994 à 657 Mfrancs en 1998. Dans le même temps, Tuxedo a vu son chiffre d'affaires presse décroître de 38,7 Mfrancs à 6,5 Mfrancs.

L'organisation par les Nouvelles messageries de la presse parisienne d'un réseau de vente spécifique aux Relais H

36. Afin de réaliser des économies d'échelle, les Nouvelles messageries de la presse parisienne ont mis en place des plates-formes de distribution, dites "PRH", au nombre de 18, pour approvisionner les Relais H non desservis par le réseau de dépositaires ou par Paris Diffusion Presse, entité autonome au sein des NMPP, qui joue le rôle de dépositaire à Paris et en région parisienne. Ces plates-formes "PRH" sont, en fait, physiquement rattachées à des dépôts qui sont soit des agences SAD, filiales des NMPP, soit des dépôts centraux contrôlés par les NMPP. Ces "PRH" ont été mises en place progressivement dans le courant de l'année 1996 et au début de l'année 1997. Elles n'assurent que la distribution des publications, les Nouvelles messageries de la presse parisienne continuant à assurer la livraison des journaux. La création des "PRH" a eu pour objet, selon les NMPP, "d'éviter par un surenchérissement de la rémunération d'alourdir le coût de distribution et leur coût d'approvisionnement est inférieur à celui des dépositaires :

- Coût d'approvisionnement via dépositaires : 9 %

- Coût d'approvisionnement Relais H via PRH : 6,5 %".

37. L'approvisionnement des "PRH" se fait sur la base de contrats de prestations spécifiques passés avec les dépôts concernés. Les frais afférents au transport des publications, à l'acheminement et à l'enlèvement des invendus sont à la charge des NMPP ainsi que la rémunération des "PRH".

38. Les contrats, passés avec les "PRH" chargés d'approvisionner les Relais H situés sur les aéroports de Roissy et d'Orly, à savoir Roissy diffusion presse et Orly diffusion presse, diffèrent des autres contrats "PRH" en ce qu'ils comportent des prestations complémentaires. Il s'agit de "... l'acheminement des paquets vers les points de vente... ; ramassage, reconnaissance et conditionnent des invendus restitués... en vue de leur enlèvement par les NMPP ;... suivi et instructions des réclamations faites par les points de vente ; gestion et acheminement des demandes de réassort faites par ces points de vente".

39. Dans les contrats "PRH" ordinaires, la clause financière prévoit que "la société facturera aux NMPP, en rémunération de ses prestations, une somme annuelle correspondant aux frais de personnel spécifiquement engagés pour l'exécution de cette prestation assortie d'un coefficient multiplicateur forfaitaire de 12,5 % pour tenir compte des autres charges", et le contrat prévoit une facturation trimestrielle à terme échu. Mais les contrats conclus avec Roissy diffusion presse et Orly diffusion presse énoncent, plus largement, que "la société facturera aux NMPP, en rémunération de ses prestations, une somme correspondant aux charges d'exploitation effectivement engagées et supportées spécifiquement par elle pour l'exécution des prestations objet du présent contrat : ces charges comprennent les frais de personnel chargés, les frais de maintenance informatique, les amortissements liés aux investissements réalisés, la quote-part des frais de fonctionnement liés à cette activité (loyer, assurance, taxe professionnelle, télécoms, fournitures... etc.". Le contrat prévoit également que la facturation de cette somme sera opérée moyennant une marge égale à 5 % et que la société émettra douze factures mensuelles à titre d'à-valoir, la régularisation ayant lieu à la date du 31 mars de l'année suivant.

40. L'enquête administrative a fait apparaître que les deux sociétés sont des structures ad hoc exclusivement destinées aux prestations "PRH". Les NMPP sont actionnaires des ces sociétés qui ont pour unique client ces mêmes NMPP, qui leur assurent ainsi la totalité de leurs ressources. Le directeur de la société Roissy diffusion presse déclare, en effet, que "les ressources de notre société proviennent exclusivement de la rémunération versée par Nouvelles messageries de la presse parisienne au titre de l'article 2 du contrat. Nous n'avons pas le statut de dépositaire mais celui d'une plate-forme 'Relais H' (PRH) dédiée exclusivement à la desserte des points de vente à l'enseigne Relais H". Pour les sociétés jouant à la fois le rôle de dépositaire et de "PRH", selon les indications de la société Yvelines Presse, qui entre dans cette catégorie, la situation juridique diffère selon qu'elles s'adressent au réseau de diffuseurs ou à Relais H. Cette société "a un contrat passé avec Nouvelles messageries de la presse parisienne pour une activité spécifique relative à l'activité des 'Relais H' ('PRH' : prestations Relais H). Dans le cadre de ce contrat, nous sommes amenés à réceptionner et à préparer les colis destinés à être livrés aux 43 magasins 'Relais H' qui nous ont été affectés, ainsi qu'à reconnaître les invendus - magazines et quotidiens Nouvelles messageries de la presse parisienne. Nous facturons cette activité à Nouvelles messageries de la presse parisienne selon les modalités indiquées au contrat. Les livraisons des produits presse destinés aux 'Relais H' sont effectuées par des transporteurs extérieurs aussi bien pour les flux aller que pour les flux retour (invendus)...".

41. Ainsi, la distribution de la presse auprès de "Relais H" engendre un surcoût notable pour les Nouvelles messageries de la presse parisienne dans la mesure où les frais occasionnés sont supportés par les NMPP, notamment par rapport à la situation classique de l'approvisionnement des autres points de vente des diffuseurs par le réseau des dépositaires. Ce coût supplémentaire induit par le système des PRH est à la charge des Nouvelles messageries de la presse parisienne.

42. Au total, la société Relais H bénéficie, en sa qualité de diffuseur concessionnaire, d'une rémunération de 30 %. La société Tuxedo ne bénéficie que d'une rémunération de 23,5 % en tant que dépositaire. En outre, elle supporte les charges de dépositaire, alors que les NMPP prennent à leur compte celles de Relais H. Quant à la société Téléservices santé, elle perçoit une rémunération de 14 % en tant que diffuseur.

43. Sur la base de ces constatations, il a été fait grief à la société NMPP "d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la distribution de la presse, par des pratiques discriminatoires qui ont favorisé la société Relais H, filiale de son actionnaire minoritaire Hachette. Ces pratiques discriminatoires ont consisté, d'une part, à élaborer un barème de rémunération des distributeurs de presse ayant le statut de concessionnaire du domaine public, fondé sur des critères non justifiés qui ont favorisé la société Relais H, et, d'autre part, à mettre en place un réseau de distribution spécifique dont le surcoût, supporté par les NMPP, qui a procuré un avantage concurrentiel à cette même société dans le renouvellement des concessions d'aéroports".

II. - DISCUSSION

A. - Sur la procédure

44. Dans leurs observations, les NMPP font valoir que l'approvisionnement des Relais H à partir des plates-formes "PRH" a eu lieu postérieurement aux faits dénoncés par Tuxedo et à la notification de griefs et qu'il est sans influence sur le non-renouvellement de certaines concessions aéroportuaires de cette société. Ces arguments sont infondés. Le rapport d'enquête (cote 410 des annexes du rapport) indique que la mise en place des "PRH" a commencé dès le début de l'année 1996 et s'est poursuivi dans le courant de la même année et jusqu'au début de l'année 1997. Or, le renouvellement des concessions a eu lieu en octobre 1997 pour les terminaux A et C de l'aéroport CDG 2 sur lesquels Tuxedo était concessionnaire depuis 1982 (terminal A) et depuis 1992 (terminal C).

45. Dès lors, il est inexact de soutenir que les pratiques ont été mises en œuvre pendant une période où la société Tuxedo n'était déjà plus concessionnaire du domaine public. En effet, jusqu'en octobre 1997, la société Tuxedo était concessionnaire sur le domaine public aéroportuaire et a eu des activités de distribution de la presse sur les terminaux A et C de l'aéroport CDG 2. A cette période, les plates-formes "PRH" étaient opérationnelles.

B. - Sur les pratiques relevées

46. Aux termes de l'article L. 420-2 du Code de commerce :

"Est prohibée dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées".

"Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires."

Sur la position dominante des NMPP sur le marché de la diffusion de la presse

47. Dans sa décision n° 87-D-08 du 28 avril 1987 précitée, le Conseil de la concurrence avait considéré que les NMPP détenait une position dominante sur le marché de la diffusion de la presse, considérant "que pour établir la position dominante sur le marché en cause, il y a lieu de prendre en compte divers éléments dont la part de l'entreprise considérée sur le marché et celle de ses différents concurrents, les éléments quantitatifs qui lui sont propres, tels qu'une supériorité dans la gestion, l'innovation technique ou l'action commerciale ou encore les conditions dans lesquelles elle met en œuvre ses moyens vis à vis de ses concurrents".

48. Ces "éléments" n'avaient pas significativement changé à l'époque des faits de l'espèce. En disposant de plus de 80 % du marché de la vente au numéro, selon l'état au 28 novembre 2000 du site Internet des Nouvelles messageries de la presse parisienne, et en disposant d'un contrôle direct et indirect sur l'ensemble des échelons constituant le réseau commercial de distribution de la presse, les NMPP détiennent toujours une position dominante sur le marché de la distribution de la presse par messagerie, ainsi que sur le marché de la distribution de la presse pour la vente au numéro. En effet, comme l'a indiqué le Conseil de la concurrence dans plusieurs décisions ainsi que dans son rapport de 1998, si l'entreprise détient la totalité ou la quasi-totalité du marché, "ce seul fait suffit bien sûr à établir que l'entreprise détient une position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance" (devenue l'article L. 420-2 du Code de commerce) (Cons. conc, déc. n° 94-D-21, 21 mars 1994, ODA ; Cons. conc, déc. n° 95-D-06, 11 janvier 1995, Société Espace Discothèque ; Cons. conc, déc. n° 98-D-31, 13 mai 1998, Secteur de l'escrime ; Cons. conc, déc. n° 98-D-60, 2 septembre 1998, Société France Télécom).

49. La jurisprudence communautaire considère que si la détention d'une position dominante n'est pas critiquable en elle-même, il incombe à la société détentrice de cette position la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le Marché commun (arrêt Michelin c/ Commission). Mais la détention d'une position dominante ne prive pas l'entreprise concernée du droit de préserver au plan commercial ses intérêts, lorsque ceux-ci sont menacés. Toutefois, si cette entreprise peut accomplir des actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser (arrêts United Bradsz c/ Commission, point 189, Tetra Pak c/ Commission, point 147, Compagnie Maritime Belge des Transports c/ Commission, point 107).

50. De même, la Commission de la concurrence a considéré que "certaines pratiques commerciales largement tolérées, voire parfaitement admissibles du point de vue de la concurrence, lorsqu'elles émanent d'entreprises qui n'ont qu'une faible part du marché et sont soumises à une concurrence effective, peuvent être tenues pour anticoncurrentielles lorsqu'elles sont le fait d'entreprises qui ont une position dominante" (Rapp.Comm. conc. pour 1978). Une entreprise disposant d'une position dominante est en droit de défendre ou de développer sa part de marché lorsqu'elle est confrontée à l'arrivée d'un concurrent mais elle doit le faire dans les limites d'un comportement loyal et légitime (Paris, 19 mai 1993 et Cass. Com., 14 mai 1995). Ce n'est pas le cas "si elle tente de limiter l'accès du marché à son concurrent en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites" (Paris, 18 février 1997).

Sur le marché des concessions du domaine public pour la presse

51. L'installation et la gestion des points de diffusion de la presse sur le domaine public obéit à des règles particulières : le gestionnaire du domaine public fixe les conditions d'installation des concessionnaires et les modalités de rémunération de l'occupation ainsi concédée, le concessionnaire a un droit d'occupation précaire et doit soumissionner périodiquement aux consultations organisées par le gestionnaire du domaine public pour pouvoir exercer son activité. Cette activité est soumise à des obligations de service public, notamment en matière d'horaire d'ouverture et de continuité d'exploitation tout au long de l'année.

52. Il existe donc un marché spécifique des concessions du domaine public pour la diffusion de la presse. Ce marché est connexe à celui de la diffusion de la presse sur lequel les NMPP sont en position dominante. Sur ce marché, les offreurs sont les gestionnaires du domaine public, notamment pour les domaines ferroviaires, aéroportuaires ou hospitaliers, et les demandeurs sont des entreprises de diffusion de presse candidates à la gestion de ce type de point de vente ; c'est sur ce marché que l'entreprise Tuxedo estime avoir été victime des pratiques des NMPP.

Sur la mise en place d'un barème de rémunération des diffuseurs de presse ayant le statut de concessionnaires du domaine public

53. Le marché de la diffusion de la presse est un marché réglementé. Le prix de vente du produit "presse" est fixé par l'éditeur qui en demeure propriétaire jusqu'à son achat par le lecteur. Quant à la rémunération des agents de la vente, elle repose sur un système qui vise à garantir l'impartialité de la mise en vente de la presse en assurant, par l'application de taux uniformes de commission, la neutralité des vendeurs.

54. Le décret n° 88-136 du 9 février 1988 fixe les taux maximum de rémunération de chaque catégorie d'agents de la vente de la presse tels qu'ils sont définis par l'article 11 de la loi n°87-39 du 27 janvier 1987. Ces taux varient selon la nature de la publication (quotidien ou périodique) et selon que le dépositaire ou le diffuseur est implanté à Paris, dans une ville de plus de 500 000 habitants ou dans une localité de taille inférieure. Pour les entreprises concessionnaires qui gèrent des points de vente situés sur le domaine public et acquittent à ce titre une redevance, ce montant maximum a été fixé à 30 %, alors qu'antérieurement au décret de 1988, ces commissions pouvaient être librement débattues.

55. La mise en place, par une entreprise en situation dominante, d'un barème général fixant tarifs et remises est licite, dès lors que ce barème s'appuie sur des caractéristiques transparentes, objectives et non discriminatoires.

56. Le barème général de rémunération mis en place par les NMPP, entreprise en situation dominante sur le marché de la diffusion de presse, fixe des taux de remise calculés en fonction de 16 tranches de chiffre d'affaires, exprimées en francs, et de 7 tranches de nombre de points de ventes, soit au total 16 fois 7 = 112 cas possibles de remise, allant de 15,5 % pour la plus basse à 32,5 %, écrêtée à 30 % pour la plus haute, soit une rémunération de l'ordre du double pour la tranche la plus favorable par rapport à la moins favorable. Ces caractéristiques sont transparentes et objectives. Il convient donc de vérifier leur caractère non discriminatoire.

57. Les deux critères retenus pour pouvoir bénéficier d'une majoration de rémunération, à savoir le nombre de points de vente et le chiffre d'affaires, sont calculés, par tranche, sur l'ensemble des points de vente détenus, pour la France entière, par l'entreprise considérée, et l'ensemble du chiffre d'affaires qu'elle réalise. Or, les seuils de ces tranches sont très élevés : il est nécessaire de dépasser le nombre de 50 points de vente pour atteindre la deuxième tranche de remise liée au nombre et de dépasser 100 millions de francs. de chiffre d'affaires pour atteindre la seconde tranche de la remise complémentaire. Comme il y a 38 points de vente sur les plate-formes aéroportuaires parisiennes (cote 362 des annexes du rapport), objet du litige, et que Tuxedo réalisait 38,7 millions de francs. de chiffre d'affaires en 1994, même cette société qui est la principale concurrente de Relais H, ne peut bénéficier que de la remise la plus basse, sans possibilité réelle de quitter cette position. A l'opposé, il faut dépasser 700 points de vente et 1,5 milliard de francs de chiffre d'affaires pour atteindre la tranche la plus haute : seul Relais H peut y prétendre. Relais H ne parvient à ce résultat que grâce à sa situation de monopole sur les concessions de la SNCfrancs et de la RATP, ce qui signifie ipso facto qu'aucun autre concessionnaire ne pourra y parvenir tant que la totalité des concessions de la SCNfrancs et de la RATP restera attribuée à Relais H. Sur les 112 cas de rémunération possibles prévus au barème, seules les deux extrêmes sont représentés.

58. La jurisprudence considère que la fixation par une entreprise dominante des prix de ses produits et de ses services peut révéler une exploitation abusive de sa domination. Il en a été ainsi pour des augmentations de tarif décidées dans le but avoué de porter atteinte au libre jeu de la concurrence au profit d'une entreprise et au détriment d'une autre (Cass. com., 19 février 1991, n° 89-14517) ou encore pour l'application de nouvelles modalités de commissionnement conduisant à supprimer toute rémunération en cas de réduction du chiffre d'affaires (Cons conc., déc. n° 94-D-21, 22 mars 1994, ODA).

59. La Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt en date du 29 mars 2001 C-163-99, République portugaise c/ Commission, a considéré que la détermination des seuils des barèmes d'écarts peut être condamnable. La Cour énonce : "Lorsque les seuils de déclenchement des différentes tranches de rabais, liés aux taux pratiqués, conduisent à réserver le bénéfice de rabais ou de rabais supplémentaires, à certains partenaires commerciaux tout en leur donnant un avantage économique non justifié par le volume d'activité qu'ils apportent et par les éventuelles économies d'échelle qu'ils permettent au fournisseur de réaliser par rapport à leurs concurrents, un système de rabais de quantité entraîne l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes", et elle précise que "peuvent constituer, à défaut de justifications objectives, des indices d'un tel traitement discriminatoire, un seuil de déclenchement du système élevé, ne pouvant concerner que quelques partenaires particulièrement importants de l'entreprise en position dominante, ou l'absence de linéarité de l'augmentation des taux de rabais avec les quantités". Dans cette affaire, il convient de noter que le taux de rabais le plus élevé ne bénéficiait qu'aux compagnies aériennes portugaises et que la progression des taux était sensiblement plus importante pour la dernière tranche que pour les précédentes, ce qui, selon la Cour, à défaut de justification objective spécifique, conduit à conclure que le rabais octroyé pour cette dernière tranche est excessif par rapport aux rabais octroyés dans les tranches précédentes.

60. Dans le barème des NMPP, le nombre de points de vente et le chiffre d'affaires pris en compte pour la définition des tranches sont calculés par raison sociale, sans considération du caractère nécessairement local des circuits économiques et logistiques mis en œuvre pour la distribution de la presse. Dans le cas de Relais H, on ne peut soutenir que le barème prend en compte les économies d'échelle dus aux volumes écoulés car l'approche globale du barème ignore, par construction, les multiples circuits particuliers mis en place par les NMPP pour alimenter ces points de vente. La note de la direction financière des NMPP, citée au § 32 ci-dessus, ne fait d'ailleurs pas mention d'économies d'échelle qui seraient dues aux volumes écoulés pour justifier la différence de traitement entre les diffuseurs.

61. Pour justifier la différence de traitement entre les Relais H et la société Tuxedo, les Nouvelles messageries de la presse parisienne font valoir, en premier lieu, les contraintes particulières des concessionnaires globaux, telles que le niveau élevé de redevance versée au concédant, une large amplitude d'ouverture, les difficultés particulières d'exploitation en raison des contraintes de leur implantation et, souvent, de l'exiguïté des emplacements, une restriction des activités autres que la presse, des frais de fonctionnement plus élevés, le respect de contraintes techniques et de sécurité imposées par les concédants, la précarité des contrats de concession. Tous ces arguments sont légitimes pour justifier que les concessionnaires bénéficient d'une rémunération supérieure à celle des autres agents de la vente, ce qui est le cas. Ils ne justifient pas, en revanche, d'établir des différences entre concessionnaires : ils sont dès lors également valables pour la société Tuxedo ainsi que pour toute autre société exerçant son activité de diffuseur de presse sur une concession du domaine public.

62. Les NMPP soutiennent, en deuxième lieu, qu'une rémunération plus importante des concessionnaires tels que Relais H serait justifiée par "la charge des points de vente déficitaires dont le maintien en exploitation est imposé par le concédant au nom du service public, ce qui est le cas des points de vente dans le réseau SNCfrancs". Mais cet argument ne peut davantage être retenu dans la mesure où la charge alléguée concerne les relations contractuelles entre Hachette et la SNCfrancs pour ce qui concerne l'occupation du domaine public ferroviaire et non les relations entre les NMPP et Hachette.

63. Les NMPP considèrent, en troisième lieu, que la différence des taux de commission appliqués à Tuxedo et Relais H "s'explique également" par les différences qui existent entre leur savoir-faire et la qualité de service qu'elles offrent en matière de presse. Mais ces critères ne font pas partie de ceux retenus pour la constitution du barème : dans la note de la direction financière des NMPP, citée au § 32, expliquant les raisons de la mise en place d'un barème général de rémunération des concessionnaires, il n'est, à aucun moment, fait référence à la notion de qualité ou de savoir-faire comme critère de rémunération. En outre, la qualité du service rendu par les diffuseurs de presse fait l'objet de modalités de contrôle et de sanction prévues dans le contrat qui lie les diffuseurs et les NMPP.

64. Les NMPP font, enfin, état de la rémunération de 30 % accordée par les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) à Hachette ; mais le directeur général des MLP a indiqué que "Pour la rémunération de Relais H en sa qualité de concessionnaire, nous appliquons une commission nette de 30 % prévue au contrat par application du taux maximum de 30 % prévu par le décret n° 88-136 du 9 février 1988.... Il n'y a pas de barème fondé sur des quantités d'exemplaires et sur le nombre de points de vente à servir destiné à établir la rémunération de ce type de point de vente en ce qui concerne MLP".

65. Au total, le barème mis en place par les NMPP comporte, sans que les NMPP ne le justifient, des tranches de remise dont les seuils sont calculés de telle sorte que tous les concurrents existants et, a fortiori, tout entrant potentiel, ne peuvent espérer qu'une rémunération inférieure de moitié environ à celle attribuée à Relais H, filiale de l'actionnaire à 49 % des NMPP et opérateur de celles-ci. Ce barème est discriminatoire à l'égard des concurrents de Relais H, notamment de Tuxedo.

Les conditions d'approvisionnement des Relais H

66. Les Relais H, diffuseurs de presse, sont approvisionnés par les "Plates-formes Relais H", (ci-après "PRH"). Les modalités de fonctionnement des "PRH" chargées de livrer les publications aux Relais H présentent des spécificités : l'approvisionnement des "PRH" se fait sur la base de contrats spécifiques passés entre les NMPP et les "PRH", dont les charges sont assumées par les NMPP. En outre, les contrats passés avec les "PRH" chargées d'approvisionner les Relais H situés sur les aéroports de Roissy et d'Orly, à savoir Roissy diffusion presse et Orly diffusion presse, diffèrent des contrats passés avec les autres "PRH" pour approvisionner les autres Relais H en ce que les contrats passés avec ces deux "PRH" comportent des prestations à effectuer plus importantes que celles contenues dans les autres contrats, prestations dont les coûts sont supportés par les NMPP.

67. Les conditions financières s'appliquant à l'ensemble des contrats "PRH" présentent, également, une exception pour les deux "PRH" desservant les aéroports de Roissy et d'Orly. L'enquête administrative a mis en évidence que les sociétés "Roissy diffusion presse" et "Orly diffusion presse" sont des structures ad hoc exclusivement destinées aux prestations "PRH" des points de vente de ces deux aéroports, à la charge exclusive de la société NMPP, actionnaire des ces sociétés. Les NMPP sont l'unique client de ces deux "PRH" ; elles leur assurent la totalité de leurs ressources. Enfin, le transport des publications vers les deux "PRH" est assuré par des transporteurs affrétés par les NMPP et payés par elles.

68. La société Tuxedo, quant à elle, ne peut bénéficier d'un système d'approvisionnement équivalent à celui des "PRH". En tant que dépositaire, elle doit supporter les charges de fonctionnement du dépôt et assurer, de plus, les livraisons auprès de ses points de vente alors que ces charges sont assurées par les Nouvelles messageries de la presse parisienne, pour les "Relais H".

69. Les NMPP font valoir que ces conditions d'approvisionnement font partie du plan général de rationalisation de la "fonction dépositaire", et qu'elles répondent "à des impératifs techniques et leur coût d'approvisionnement est inférieur à celui des dépositaires".

70. La rationalisation de la "fonction dépositaire" n'est pas, par elle-même, critiquable. Mais sa mise en œuvre n'a bénéficié qu'aux Relais H, spécialement à ceux opérant sur les aéroports parisiens. En effet, les NMPP assument les frais relatifs à ces plates-formes, favorisant ainsi la société Relais H, filiale de leur actionnaire de référence, au détriment de la société Tuxedo, mais également de toute société souhaitant vendre la presse sur des concessions du domaine public.

Sur le rôle d'Aéroport de Paris (ADP), gestionnaire du domaine public

71. Par ailleurs, la société NMPP soutient que c'est la modification de la stratégie commerciale d'ADP, passant d'une attribution de ses points de vente de la presse, au terme d'un marché négocié, à une attribution par enchères, qui est à l'origine des difficultés de la société Tuxedo, celle-ci s'étant volontairement retirée de la compétition du fait de l'augmentation de la redevance d'occupation du domaine public occasionnée par ce changement. Mais il convient de constater que le changement de stratégie commerciale d'ADP n'a fait que mettre en évidence l'inégalité dans les capacités des deux entreprises à satisfaire les exigences d'ADP, du fait du caractère discriminatoire du barème de rémunération appliqué aux deux entreprises Relais H et Tuxedo.

72. Il résulte des éléments de droit et de fait précédemment exposés que la société NMPP a abusé, sur le marché connexe de l'attribution des concessions de diffusion de presse, de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la distribution de la presse, par des pratiques discriminatoires, d'une part, en élaborant un barème de rémunération des distributeurs de presse ayant le statut de concessionnaire du domaine public, fondé sur des critères non justifiés qui ont favorisé la société Relais H, filiale de son actionnaire à 49 %, au détriment de ses concurrentes, et, d'autre part, en mettant en place, au sein du réseau de distribution spécifique aux Relais H, un dispositif particulier à l'approvisionnement des aéroports parisiens, dont le surcoût est supporté par les NMPP, procurant ainsi un avantage concurrentiel à Relais H dans le renouvellement des concessions d'aéroports. Cette pratique a eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché connexe de l'attribution des concessions de la distribution de la presse pour la vente au numéro et constitue une pratique prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.

C. - Sur les sanctions

73. La société Nouvelles messageries de la presse parisienne, société en position dominante sur le marché de la distribution de la presse, a abusé de cette position à l'égard des entreprises exerçant une activité d'agent de presse sur le domaine public aéroportuaire. Compte tenu des contraintes imposées par la réglementation dans ce secteur et de la position très largement dominante des NMPP sur le marché de la presse vendue au numéro, le comportement anticoncurrentiel de cette société porte une atteinte grave au fonctionnement du marché. Par ailleurs, les NMPP ont déjà fait l'objet d'une injonction de la part du Conseil de la concurrence non assortie de sanction (Décision n° 87-D-07 relative à des pratiques mises en œuvre par les NMPP et sa filiale la Société d'agences et de diffusion).

74. Cependant, la distribution des quotidiens est assurée par les seules NMPP et est une activité déficitaire. En effet, ceux-ci, compte tenu de leur caractère éphémère, ne supportent aucun retard de livraison et exigent une logistique très lourde qui contribue à l'augmentation des coûts de distribution. Par ailleurs, la presse quotidienne nationale connaît une crise importante qui se traduit par une baisse de la vente au numéro alors que les coûts de distribution sont en constante augmentation, notamment en raison des charges sociales. Les NMPP déclarent une perte de 200 Mfrancs annuelle dans la distribution des quotidiens et un surcoût de la masse salariale de 400 Mfrancs dû au monopole du syndicat du livre.

75. En 2001, dernier exercice clos disponible, la société Nouvelles messageries de la presse parisienne a réalisé un chiffre d'affaires de 363,5 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 0,6 million d'euro.

76. Les pratiques discriminatoires trouvent leur origine principale dans le format particulier du barème général de rémunération adopté par les NMPP pour rétribuer les diffuseurs concessionnaires : il y a donc lieu d'enjoindre aux NMPP de réformer le barème pour en supprimer les éléments de nature discriminatoire tels qu'il ont été identifiés ci-dessus.

77. Dans la mesure où les pratiques discriminatoires retenues sont de nature à éliminer du marché les concurrents de Relais H dans les points de vente situés sur le domaine public et où ces derniers sont concédés à l'occasion de procédures de mise en concurrence, il convient de porter à la connaissance des acteurs concernés la décision du conseil qui sera publiée aux frais des NMPP dans un quotidien d'information générale.

DÉCIDE

Article 1er :

Il est établi que la société Nouvelles messageries de la presse parisienne a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 :

Une sanction pécuniaire de 600 000 euro est infligée à la société Les Nouvelles messageries de la presse parisienne.

Article 3 :

Il est enjoint à la société Les Nouvelles messageries de la presse parisienne de supprimer, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, les éléments discriminatoires de son barème général de rémunération des diffuseurs concessionnaires.

Article 4 :

Dans un délai maximum de trois mois à compter de sa notification, les partie B et C du II de la présente décision seront publiées aux frais de la société Nouvelles messageries de la presse parisienne, dans le quotidien La Tribune. Cette décision sera précédée de la mention : "Décision n° 03-D-09 du Conseil de la concurrence en date du 14 février 2003 relative à la situation de la diffusion de la presse sur le domaine public aéroportuaire".