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Décisions

TPICE, 3e ch., 11 mars 2002, n° T-3/02

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Schlüsselverlag J. S. Moser GmbH, J. Wimmer Medien GmbH & Co.KG, Styria Medien AG, Zeitungs-und Verlags-Gesellschaft GmbH, Eugen Ruß Vorarlberger Zeitungsverlag und Druckerei GmbH, "Die Presse" Verlags-Gesellschaft mbH, "Salzburger Nachrichten" Verlags-Gesellschaft mbH et Co. KG

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

MM. Lenaerts, Azizi

Avocat :

Me Krüger

TPICE n° T-3/02

11 mars 2002

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige, procédure et conclusions des parties requérantes

1. Par lettre du 25 mai 2001, les parties requérantes, qui sont toutes des sociétés actives dans le secteur de la presse autrichienne, ont déposé une plainte devant la Commission visant l'acquisition par Verlagsgruppe News GmbH de Kurier-Magazine Verlags GmbH, appartenant à la société Zeitschriften Verlagsbeteiligungs-Aktiengesellschaft. News GmbH serait contrôlée par le groupe Bertelsmann.

2. Dans leur plainte, les parties requérantes ont soutenu que la concentration, qui a été approuvée par l'arrêt de l'Oberlandesgericht Wien (Autriche) du 26 janvier 2001, avait une dimension communautaire au sens du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO 1990, L 257, p. 13; modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1)]. Selon elles, la concentration aurait donc dû être notifiée à la Commission et cette dernière aurait été tenue de prendre une décision sur la compatibilité de cette concentration avec le Marché commun.

3. Par lettre du 12 juillet 2001, le directeur de la task-force de la Commission "Contrôle des opérations de concentration entre entreprises" relevant de la direction générale de la concurrence (ci-après la "task-force 'Contrôle des concentrations") a informé les parties requérantes du fait que les seuils prévus à l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 4064-89 n'étaient pas atteints. Une des deux entreprises concernées par la concentration, à savoir Kurier-Magazine Verlags GmbH, ne réaliserait en effet pas un chiffre d'affaires dans la Communauté de 250 millions d'euro par an.

4. Par lettre du 7 août 2001, les parties requérantes se sont opposées à ce point de vue.

5. Le directeur de la task-force "Contrôle des concentrations" a ensuite déclaré dans une lettre du 3 septembre 2001 que sa direction ne se rangeait pas à la thèse des parties requérantes et a confirmé que la concentration ne présentait pas de dimension communautaire.

6. Par lettre du 11 septembre 2001, les parties requérantes ont invité la Commission, conformément à l'article 232, deuxième alinéa, CE, à prendre formellement position "sur l'ouverture ou non d'une procédure de vérification en application du règlement n° 4064-89".

7. Le 7 novembre 2001, le directeur de la task-force "Contrôle des concentrations" a envoyé aux parties requérantes la lettre suivante:

"Concerne: concentration ZVB-News-Bertelsmann

J'accuse réception de votre lettre du 11 septembre 2001 [...]

Par la présente, je confirme que, pour les raisons exposées dans ma lettre du 12 juillet 2001, mes services n'envisagent pas un réexamen de l'affaire sous objet.

Par ailleurs, je constate que, à défaut d'une compétence en vertu du règlement relatif au contrôle des concentrations, la Commission ne peut pas adopter une décision dans ce dossier juridique."

8. C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 janvier 2002, les parties requérantes ont introduit le présent recours en carence.

9. Par acte séparé déposé le même jour au greffe du Tribunal, les parties requérantes ont introduit une demande de procédure accélérée conformément à l'article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

10. Les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- constater que la Commission a méconnu les obligations qui lui incombent en vertu du traité CE dans la mesure où, face à la plainte qu'elles ont déposée à propos de la réalisation d'une concentration de dimension communautaire, notifiée au niveau national et autorisée par arrêt du 26 janvier 2001 de l'Oberlandesgericht Wien, en tant que juridiction compétente en matière d'ententes, elle n'a pris aucune décision;

- à titre subsidiaire, constater que la Commission a négligé d'inviter les sociétés participant à la concentration à la lui notifier;

- condamner la Commission aux dépens.

Sur la recevabilité

11. En vertu de l'article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu'un recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.

12. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

Arguments des parties requérantes

13. Les parties requérantes font d'abord valoir que le recours a été déposé dans le délai de deux mois prévu à l'article 232, deuxième alinéa, CE.

14. Ensuite, elles se réfèrent à l'arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France-Commission (T-3-93, Rec. p. II-121). Elles soulignent que, dans cette affaire, le Tribunal a déclaré recevable un recours en annulation introduit à l'encontre d'une déclaration du porte-parole de la Commission selon laquelle un projet de concentration ne relevait pas du règlement n° 4064-89 dès lors que la concentration n'avait pas de dimension communautaire. La seule distinction entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l'arrêt Air France-Commission, précité, résiderait dans le fait que, dans la présente espèce, la Commission n'a pas pris de décision. Un traitement différent dans les deux affaires aurait pour conséquence que la possibilité d'accorder aux concurrents une protection juridictionnelle, par le biais de la saisine du Tribunal, ou de les en priver, relèverait du seul choix discrétionnaire de la Commission. En effet, si le présent recours était irrecevable, la carence de la Commission lui permettrait d'écarter le risque d'un contrôle juridictionnel d'une décision attaquable.

15. Les parties requérantes soulignent que la Commission elle-même a défendu, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Air France-Commission, cité au point 14 ci-dessus, que la requérante dans cette affaire aurait pu, après avoir mis en demeure la Commission de prendre une décision sur la concentration concernée, introduire un recours en carence en cas d'inaction de l'institution. La Commission elle-même partirait donc de l'idée que le recours en carence serait recevable.

16. Les parties requérantes font encore observer que, dans la présente espèce, la direction générale de la concurrence a toujours insisté sur le fait que sa position ne liait pas la Commission. Or, en l'absence de décision imputable à la Commission, il ne serait pas possible d'introduire un recours en annulation devant le Tribunal. Il serait inacceptable qu'un service de la Commission se retranche derrière le caractère non contraignant de sa position juridique, d'une part, et que la Commission refuse de prendre une décision attaquable, d'autre part.

17. Enfin, les parties requérantes font valoir qu'elles auraient été directement et individuellement concernées par la décision que la Commission a omis d'adopter dès lors qu'elles sont des concurrentes directes des entreprises faisant l'objet de la concentration (arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T-Port, C-68-95, Rec. p. I-6065, point 59; arrêt du Tribunal du 3 juin 1999, TF1-Commission, T-17-96, Rec. p. II-1757, point 27).

Appréciation du Tribunal

18. L'article 232, deuxième alinéa, CE dispose:

"[L]e recours [en carence] n'est recevable que si l'institution en cause a été préalablement invitée à agir. Si, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de cette invitation, l'institution n'a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois."

19. Par lettre du 11 septembre 2001, les parties requérantes, se référant à la concentration litigieuse, ont invité la Commission, conformément à l'article 232, deuxième alinéa, CE, à prendre formellement position "sur l'ouverture ou non d'une procédure de vérification en application du règlement n° 4064-89".

20. Force est de constater que la lettre du 7 novembre 2001 du directeur de la task-force "Contrôle des concentrations" constitue la réponse de la Commission à la mise en demeure du 11 septembre 2001. La lettre du 7 novembre 2001 se réfère en effet explicitement à la lettre du 11 septembre 2001.

21. Il convient d'examiner encore si la lettre de la Commission du 7 novembre 2001 constitue une prise de position au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE mettant fin à la prétendue inaction de la Commission.

22. À cet égard, il doit être constaté que, dans cette lettre, la Commission explique, d'une part, qu'elle n'envisage pas le réexamen de la concentration litigieuse. Elle se réfère à cet effet aux motifs de sa lettre du 12 juillet 2001. Or, dans cette lettre, la Commission avait exposé que la concentration n'avait pas une dimension communautaire au regard du fait que les seuils prévus à l'article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 4064-89 n'étaient pas atteints.

23. D'autre part, la Commission confirme, dans la lettre du 7 novembre 2001, que, à défaut de dimension communautaire, elle n'a pas compétence, en vertu du règlement n° 4064-89, pour adopter une décision dans ce dossier.

24. Il s'ensuit que la lettre du 7 novembre 2001 constitue une prise de position claire à la suite de la mise en demeure du 11 septembre 2001.

25. Il ressort par ailleurs de l'arrêt Air France-Commission, cité au point 14 ci-dessus, qu'une telle prise de position constitue un acte attaquable au sens de l'article 230 CE. En effet, il a été jugé dans cet arrêt qu'une déclaration faite au nom de la Commission selon laquelle une opération de concentration échappe à l'application du règlement n° 4064-89, faute de revêtir une dimension communautaire, est susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.

26. Les parties requérantes ne sauraient prétendre que la lettre du 7 novembre 2001 exprime uniquement la position de la task-force "Contrôle des concentrations", et non celle de la Commission. En effet, alors que, certes, les lettres des 12 juillet et 3 septembre 2001 indiquaient qu'elles "expose[nt] le point de vue de la Direction Contrôle des concentrations et ne lie[nt] pas la Commission européenne", une telle déclaration ne figure plus dans la lettre du 7 novembre 2001, qui doit donc être considérée comme contenant la prise de position de la Commission.

27. Enfin, le fait que la lettre du 7 novembre 2001 ne donne pas satisfaction aux parties requérantes est, eu égard à la question de savoir si la Commission a pris position au sens de l'article 232, deuxième alinéa, CE, dépourvu de pertinence. Il résulte, en effet, de la jurisprudence que l'article 232 CE vise la carence par l'abstention de statuer ou de prendre position et non l'adoption d'un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire (arrêts de la Cour du 24 novembre 1992, Buckl e.a.-Commission, C-15-91 et C-108-91, Rec. p. I-6061, points 16 et 17, et du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar-Commission, C-25-91, Rec. p. I-1719, point 12; ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, Sodima-Commission, C-44-00 P, Rec. p. I-11231, point 83).

28. Il résulte de tout ce qui précède que les parties requérantes ont introduit leur recours en carence le 10 janvier 2002, après avoir reçu la lettre de la Commissiondu 7 novembre 2001 devant être considérée comme une prise de position au sens de l'article 232 CE. Dès lors, les parties requérantes n'avaient plus d'intérêt à faire constater une carence, puisque celle-ci avait cessé d'exister. En effet, un arrêt du Tribunal qui, dans un tel cas de figure, constaterait la carence de l'institution ne pourrait pas donner lieu aux mesures d'exécution visées à l'article 233, premier alinéa, CE (arrêt du Tribunal du 27 janvier 2000, Branco-Commission, T-194-97 et T-83-98, Rec. p. II-69, point 57).

29. Le recours en carence est donc manifestement irrecevable sans qu'il soit besoin de statuer encore sur la demande de procédure accélérée.

Sur les dépens

30. En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

31. Toutefois, dans la présente espèce, l'ordonnance en vertu de l'article 111 du règlement de procédure est rendue avant que la Commission ait pu conclure sur les dépens. Il y a donc lieu de faire application de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, selon lequel le Tribunal peut répartir les dépens pour des motifs exceptionnels.

32. Les parties requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL, ordonne :

1) Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

2) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens.