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Décisions

CCE, 7 février 2001, n° M.1853

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

EDF/EnBW

CCE n° M.1853

7 février 2001

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 57, paragraphe 2, point a), vu le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (1), modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 (2), et notamment son article 8, paragraphe 2, vu la décision prise par la Commission le 2 octobre 2000 d'engager la procédure dans la présente affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion d'exprimer leur point de vue sur les griefs formulés par la Commission, après avoir entendu le comité consultatif en matière de concentrations (3),

considérant ce qui suit:

(1) Le 31 août 2000, la Commission a reçu notification, conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 (ci-après dénommé ´règlement sur les concentrationsª), d'un projet de concentration en vertu duquel l'entreprise française Electricité de France (EDF) et le Zweckverband Oberschwäbische Elektrizitätswerke (OEW) acquièrent, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point a), du règlement sur les concentrations, le contrôle commun de l'entreprise Energie BadenWürttemberg AG (EnBW).

(2) Le 2 octobre 2000, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue à l'article 6, paragraphe 1, point c), du règlement sur les concentrations et à l'article 57 de l'accord EEE.

(3) L'audition a eu lieu les 20 et 21 décembre 2000.

(4) Le comité consultatif a examiné le projet de la présente décision le 31 janvier 2001.

I. PARTIES ET OPERATION

(5) EDF est une entreprise publique présente dans tous les domaines de la fourniture et du transport d'électricité en France. Elle est le gestionnaire du réseau de transport national. Par le biais de sa filiale EDF International (EDFI), une société holding, EDF détient des participations dans des entreprises d'électricité de nombreux pays d'Europe, dont l'Autriche, la Belgique, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. Les participations les plus importantes sont indiquées au considérant 85. Hors de France, EDF est également présente dans le négoce d'électricité par le biais de la société EDF Trading Ltd (EDFT) dont EDF et SA Louis-Dreyfus & Cie (France) ont le contrôle commun. En outre, EDF est présente dans la construction, l'exploitation et l'entretien de centrales électriques et de réseaux électriques et fournit des services de recyclage de déchets et d'éclairage urbain.

(6) OEW est une association qui regroupe neuf districts publics dans le sudouest de l'Allemagne et a pour objet principal de détenir des participations dans des entreprises présentes dans les secteurs énergétiques. Par le biais de sa filiale à 100 % OEW Beteiligungsgesellschaft mbH, OEW détient 34,5 % du capital d'EnBW.

(7) EnBW est une entreprise d'électricité verticalement intégrée qui est présente dans tous les domaines de la fourniture et du transport d'électricité, principalement dans le sud-ouest de l'Allemagne. En outre, EnBW exerce des activités de négoce d'électricité. Ses autres secteurs d'activité comprennent la fourniture de gaz et de chauffage urbain, les télécommunications, le recyclage des déchets et les services financiers.

(8) Avant la concentration envisagée, Landestiftung Baden Württemberg GmbH, une filiale à 100 % du Land de Bade-Wurtemberg, détenait 25,005 % du capital d'EnBW. Les autres associés d'EnBW étaient et sont toujours OEW, avec une participation de 34,5 %, Landeselektrizitätsverband Württemberg (12,04 %), Gemeindeelektrizitätsverband Schwarzwald Donau (8,82 %), Technische Werke der Stadt Stuttgart GmbH (9 %) et Badischer Elektrizitätsverband (5,40 %).

(9) En 1999, le Land de Bade-Wurtemberg a lancé un appel d'offres en vue de la cession de sa participation dans EnBW. Ayant remporté

l'adjudication, EDFI a acquis 25,005 % du capital d'EnBW. Depuis, elle a augmenté sa participation dans EnBW à hauteur de 34,5 % et se trouve donc désormais à égalité avec OEW en vertu du pacte d'actionnaires.

II. CONCENTRATION

(10) Avec la concentration envisagée, EnBW deviendra une entreprise commune sous contrôle commun d'EDFI et d'OEW. Ensemble, EDFI et OEW détiennent la majorité des droits de vote dans EnBW. Le pacte d'actionnaires fixe des règles impératives concernant l'exercice des droits de vote et l'influence sur EnBW en ce qui concerne sa stratégie de marché et sa politique commerciale, et prévoit un processus décisionnel commun sous forme de regroupement des voix. Ce dernier assurera l'exercice homogène des droits de vote d'EDFI et d'OEW à l'assemblée générale et son bon fonctionnement sera assuré par un comité des actionnaires. EDFI et OEW nomment chacune un maximum de quatre membres du comité des actionnaires. Avant l'adoption d'une résolution par le conseil de surveillance ou par l'assemblée générale d'EnBW, le comité des actionnaires en examine l'objet. Faute d'unanimité au comité des actionnaires, EDFI et OEW doivent voter contre la résolution proposée au niveau du conseil de surveillance ou de l'assemblée générale.

(11) C'est pourquoi l'opération envisagée constitue une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement sur les concentrations.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

(12) Le chiffre d'affaires réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées, c'est-à-dire EDF, OEW et EnBW, représente un montant supérieur à 5 000 millions d'euro en 1999 (32 057 millions d'euro pour EDF, 57 millions d'euro pour OEW et environ 4 111 millions d'euro pour EnBW). Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement sur le plan communautaire par EDF et EnBW représente un montant supérieur à 250 millions d'euro en 1999 (30 484 millions d'euro pour EDF et 4 040 millions d'euro pour EnBW). Ni EDF ni EnBW ne réalisent à l'intérieur d'un seul et même Etat membre plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires total respectif réalisé sur le plan communautaire. Par conséquent, l'opération notifiée a une dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations.

IV. APPRECIATION AU TITRE DES REGLES DE CONCURRENCE

A. MARCHES DE PRODUITS EN CAUSE

(13) La concentration envisagée doit être considérée dans le contexte de la situation de la libéralisation des marchés de l'électricité en France. La loi française sur l'électricité du 10 février 2000 (4) (loi sur l'électricité) constitue la transposition de la directive 96-92-CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité (5).

(14) En vertu de l'article 22 de la loi sur l'électricité, les clients éligibles définis par décret conformément à l'article 19 de la directive 96-92-CE comprennent tous les grands clients industriels français dont la consommation par site est égale ou supérieure à 16 GWh/an, ce qui représente environ 30 % de la consommation en France. Depuis le 20 mai 2000, les clients ayant une consommation par site de 16 GWh/an sont éligibles. Le 31 août 2000, une liste de 1 206 entreprises a été publiée, ce qui a permis à celles-ci de faire connaître leur éligibilité.

(15) Un autre décret, qui donnera à un plus grand nombre de consommateurs industriels la qualité de clients éligibles en abaissant le seuil de 16 à 9 GWh/an, est en cours d'élaboration. A la suite de cette augmentation du nombre des clients éligibles, le marché concernant ces clients représentera environ 34 % de la consommation en France, soit une progression de 4 % par rapport à la situation actuelle.

(16) En outre, l'article 22 II de la loi sur l'électricité prévoit que les producteurs d'électricité indépendants autorisés, qui exercent l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles, sont eux aussi reconnus clients éligibles. La même règle s'applique aux distributeurs non nationalisés (DNN) s'ils fournissent de l'électricité aux clients éligibles dans leur zone de desserte.

(17) Les articles 12 à 16 de la loi sur l'électricité concernent le transport d'électricité. EDF est le gestionnaire du réseau de transport haute tension français (GRT) chargé de l'exploitation, de l'entretien et du développement de ce réseau en France. Une division spéciale, RTE, a été créée chez EDF à cet effet. Son directeur a été nommé par arrêté ministériel. EDF et quelque 150 DNN sont les gestionnaires français responsables du réseau de distribution (GRD). Les DNN comprennent les entités de distribution municipales et régionales.

(18) La loi sur l'électricité prévoit un droit d'accès au réseau de transport et de distribution (distribution régionale d'électricité). La France a opté pour un régime d'accès réglementé. Le décret relatif aux conditions d'accès aux réseaux de transport et de distribution et à leur utilisation, y compris notamment les tarifs d'utilisation de ces réseaux, est en cours d'élaboration. Les tarifs d'utilisation des réseaux de transport et de distribution seront proposés par la commission de réglementation de l'électricité (CRE) et approuvés par le ministre de tutelle.

(19) La définition du marché de produit en cause aux fins de l'appréciation de la concentration envisagée doit tenir compte de la situation actuelle de la libéralisation en France. Il faut établir une distinction entre la fourniture aux clients éligibles qui sont libres de choisir leur fournisseur et la fourniture aux clients non éligibles qui n'ont pas encore le choix de leur fournisseur [voir également la décision de la Commission dans l'affaire IV-M.1557 - EDF/Louis-Dreyfus (6)]. L'appréciation portera sur la fourniture aux clients éligibles.

B. MARCHE GEOGRAPHIQUE EN CAUSE

(20) Dans sa décision dans l'affaire EDF/Louis Dreyfus, la Commission a considéré que la dimension du marché français de la fourniture itait manifestement nationale en raison de restrictions réglementaires et de contraintes techniques.

(21) L'enquête de la Commission dans la présente affaire montre que le marché de la fourniture d'électricité aux clients éligibles n'est pas plus que national. Avant la libéralisation récente du marché français, aucune importation significative d'électricité ne pouvait avoir lieu.

(22) De plus, dans une certaine mesure, les importations sont restreintes (et continueront à l'être pendant un certain temps au moins) par la capacité d'interconnexion limitée. En effet, d'après les informations disponibles dans le domaine public, la capacité d'interconnexion entre la France et les pays voisins est d'environ 20 à 25 GW, mais en raison de contraintes techniques, la capacité d'interconnexion utilisable est d'environ 10 GW. En France, par rapport à la capacité de production installée qui est de l'ordre de 110 GW, la capacité d'importation est inférieure à 10 %.

(23) Dans ce contexte, les parties affirment que la capacité d'importation disponible est, en réalité, beaucoup plus élevée. Compte tenu des exportations relativement importantes de la France vers les pays voisins, une quantité analogue d'importations excéderait le flux d'électricité exportée, et la totalité de la capacité installée redeviendrait alors disponible pour des importations d'électricité supplémentaires. Toutefois, cet effet de superposition des flux d'importations et d'exportations ne peut avoir lieu que dans la mesure où les flux d'électricité dans les deux sens ont lieu exactement au même moment. C'est pourquoi l'augmentation de la capacité disponible grâce à la superposition est, en réalité, incertaine.

(24) En 1999, environ 4 TWh d'électricité ont été importées en France (7). Par rapport à la consommation totale du marché français, soit 430 TWh (8), la proportion des importations s'est située juste audessous de 1 %. Avec la consommation d'électricité des clients éligibles, laquelle représente 130 TWh, cette proportion aurait été de 3 %. (25) En conséquence, la France est le marché géographique de l'approvisionnement des clients éligibles.

C. APPRECIATION AU TITRE DES RE`GLES DE CONCURRENCE

1. POSITION DOMINANTE D'EDF

1.1. EDF détient des parts extrêmement élevées du marché des clients éligibles et est le principal producteur et fournisseur d'électricité en France

(26) En ce qui concerne l'approvisionnement des clients éligibles, EDF occupe une position dominante en France. Dans leur notification, les parties déclarent qu'EDF représente plus de 80 % du marché de l'approvisionnement des clients éligibles, autoproduction comprise. Selon elles, en 1999, les autoproducteurs et les producteurs indépendants ont produit 31 TWh. Toujours en 1999, la production indépendante a représenté 24,8 TWh et l'autoproduction qui, en fait, ne fait pas partie du marché, a représenté environ 6,2 TWh. A l'heure actuelle, la consommation des clients éligibles représente environ 130 TWh. En supposant que la totalité de l'autoproduction de 6,2 TWh provenait de clients éligibles, la quantité fournie par le marché aurait été de 123,8 TWh. Sur cette quantité, au moins 117 TWh, soit environ 95 %, doivent avoir été fournies par EDF. En effet, en 1999, seulement 6,8 TWh produites par les producteurs indépendants (à l'exclusion d'EDF et des autoproducteurs) ont été fournies à d'autres clients qu'EDF. Pour 2000, il se peut que la part de marché d'EDF soit légèrement inférieure, car certains fournisseurs étrangers, et notamment des entreprises d'électricité allemandes, ont pu conclure des contrats de fourniture avec certains clients éligibles.

(27) La position dominante d'EDF sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles doit être examinée à la lumière de l'importance d'EDF comme producteur en France. EDF est le principal producteur d'électricité en France où sa capacité de production installée de 103,5 GW comprend des centrales nucléaires (63 GW), à combustibles fossiles (17,2 GW) et hydroélectriques (23,3 GW). En 1999, sur les 500 TWh de production totale d'électricité, la production d'EDF a été de 469 TWh, ce qui correspond à une part de 93,8 %. Sur la production totale d'EDF, 80 % provenaient de centrales nucléaires, 15 % de centrales hydroélectriques et 5 % de centrales à combustibles fossiles (9).

(28) En France, en 1999, la consommation totale s'est élevée à 430 TWh et la fourniture totale d'électricité par EDF à 417,6 TWh, soit une part de 97 %.

1.2. Les autres producteurs d'électricité n'ont eu qu'une part minime de production et de fourniture, principalement à EDF

(29) Outre EDF, trois autres producteurs d'électricité sont présents en France (10). La Compagnie nationale du Rhône (CNR) a une capacité de production installée de 2,785 GW et produit de l'électricité sur le Rhône, mais la vend à EDF (18 TWh en 1999). EDF détient un sixième du capital de CNR et nomme l'un de ses trente administrateurs. EDF gère CNR depuis 1946, mais négocie actuellement les conditions de son retrait de cette société sur la base de l'article 50 de la loi sur l'électricité. La Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), dans laquelle EDF détient une participation de 19 %, a une capacité installée de 2,6 GW et a produit 6,8 TWh en 1999, dont une certaine quantité a été fournie à des clients éligibles. Harpen AG, qui fait partie du groupe RWE, produit de l'électricité dans sept petites centrales hydroélectriques (capacité installée: 0,57 GW). Toutefois, l'intégralité de la production de ces centrales en 1999, soit 0,2 TWh (159,4 GWh), a été fournie à EDF.

(30) Par rapport à la position écrasante d'EDF en termes de production, le rôle que les trois fournisseurs indépendants potentiels pourraient jouer pour la fourniture aux clients éligibles est insignifiant.Même si la CNR et la SNET étaient déjà en mesure de fournir l'intégralité de leur production à des clients éligibles, leur production conjuguée ne couvrirait que 19 % du marché français total de l'approvisionnement des clients éligibles, lequel représente près de 130 TWh. Du reste, la CRE l'a reconnu dans son rapport annuel où l'on peut lire que dans les toutes prochaines années, la concurrence avec EDF proviendra beaucoup plus de l'intervention d'opérateurs étrangers que de la présence de producteurs importants installés sur le territoire nationalª (11).

(31) Par ailleurs, la loi sur l'électricité contient des restrictions importantes qui limitent un peu plus la marge de manœuvre des producteurs indépendants d'électricité pour l'approvisionnement des clients éligibles.Les dispositions combinées de l'article 22 IV de la loi sur l'électricité et de l'article 2 du décret n° 2000-1069 du 30 octobre 2000 prévoient que les producteurs d'électricité autorisés ne peuvent acheter de l'électricité pour revente aux clients éligibles qu'à hauteur de 20 % de leur capacité de production installée respective, ce qui limite considérablement la capacité des producteurs indépendants à jouer un rôle plus actif sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles. La position des producteurs indépendants est déjà marginale en termes de production globale, puisqu'ils représentent moins de 5 % de la production française totale, mais avec la limitation à 20 % de leur capacité de production respective des volumes qu'ils peuvent acheter pour revente aux clients éligibles, il est exclu que ces entreprises puissent un jour devenir une solution de rechange significative pour l'approvisionnement des clients éligibles. En appréciant les conséquences de la limitation à 20 %, un groupe expert d'inspecteurs des finances est parvenu à la conclusion suivante dans un rapport destiné au CRE: "Pour autant, la clause susmentionnée peut paraître, en soi, constituer une barrière au commerce de l'électricité (par rapport aux marchés financiers et aux échanges bilatéraux) ... Dans ce cadre, elle semble défavorable aux producteurs français qui sont indépendants d'EDF, dans la mesure où elle a pour effet de figer la hiérarchie existante des parts de marché, tout en empêchant les concurrents d'EDF d'être en concurrence avec EDF en complétant leurs offres d'achat qui leur permettraient, à juste titre, de compenser leur modeste capacité de production" (12).

1.3. Situation concernant la possibilité de pénétrer sur le marché français

1.3.1. Généralités

(32) L'enquête de la Commission montre qu'il n'est pas impossible pour des nouveaux venus de pénétrer sur le marché français. Ainsi, dans certains cas, des fournisseurs étrangers ont remporté des appels d'offres organisés par des clients éligibles pour la fourniture d'électricité. Il n'en demeure pas moins qu'il reste difficile pour les nouveaux venus, et notamment pour les fournisseurs étrangers, de se lancer dans des activités de fourniture en France.

(33) Pour pénétrer sur un marché étranger, un fournisseur d'électricité peut se procurer de l'électricité en utilisant la capacité de production située en France, en l'achetant à un autre producteur dans le cadre d'activités de négoce ou en important de l'électricité produite dans ses propres centrales à l'étranger.

1.3.2. Difficultés de pénétration sur le marché français

1.3.2.1. Les nouveaux venus n'ont que très peu de chances d'avoir accès à la capacité de production en France

(34) L'accès à la capacité de production en France ne serait effectivement possible que si EDF accordait cet accès, puisqu'elle est le principal producteur de ce pays.Actuellement, les trois producteurs indépendants potentiels fournissent de l'électricité principalement à EDF ou la produisent pour un usage captif. Un certain nombre de grands clients industriels produisent de l'électricité pour leurs propres besoins, mais sont liés à EDF par des contrats de longue durée (douze ans) pour leur production excédentaire, dans le cadre du programme de cogénération (13).

(35) A cet égard, les parties affirment que la procédure d'agrément pour les nouvelles installations de production de plus de 4,5 MW(14) par unité, qui est définie par la loi sur l'électricité et le décret 2000-877 du 7 septembre 2000, permet à tous les opérateurs de la Communauté de créer des installations de production en France. Toutefois, la constitution d'une capacité de production est une opération de longue haleine qui implique des investissements très importants, c'est à dire des coûts irréversibles élevés, qui ne peuvent servir à autre chose qu'à la production d'électricité. De plus, il faudrait que les clients soient disposés à signer des contrats de fourniture de longue durée (dix à quinze ans) pour garantir, dans une certaine mesure, l'investissement de départ qui est élevé. Par ailleurs, comme il n'existe pas de marché spot en France, la production excédentaire serait perdue ou devrait être vendue à EDF. En outre, les coûts d'exploitation varient fortement en fonction de l'énergie primaire utilisée pour l'exploitation de la centrale. Les combustibles fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz, entraînent des coûts d'exploitation beaucoup plus élevés que l'énergie hydroélectrique ou les combustibles nucléaires. Une centrale électrique utilisant des combustibles fossiles ne serait pas en mesure de rivaliser avec les prix bas qu'EDF peut proposer grâce à sa capacité de production nucléaire.

(36) Par ailleurs, la capacité de production existante est loin d'être utilisée pleinement.Sur la base de la capacité de production installée d'EDF, la production maximale théorique serait de 906,6 TWh (103,5 GW x 24 heures x 365 jours) par an, ce qui ferait près du double de la production totale d'EDF en 1999, qui était de 469 TWh. Dans le passé, le développement de la capacité de production était tiré par des prévisions fondées sur des hypothèses très optimistes quant à la progression future de la demande, qui ne se sont pas vérifiées. Du reste, la CRE le confirme dans son rapport annuel où l'on peut lire que "conformément à la tendance observée en Europe, mais de façon beaucoup plus marquée en France, le parc de production paraît en mesure de satisfaire à l'évolution prévisible de la demande sans nécessiter d'investissements de capacités supplémentaires ... La compétitivité acquise par des centrales désormais largement amorties rend, en règle générale, économiquement non justifiable l'installation de nouvelles capacités significatives dans les quelques années qui viennent. Cette situation, à laquelle s'ajoutent les conséquences du monopole historique d'EDF qui produit environ 97 % de la consommation totale, explique que le développement de la concurrence, en France, au seuil d'éligibilité aujourd'hui atteint, ne passera sans doute pas par l'installation de capacités nouvelles concurrentes de celles de l'opérateur historique" (15).

1.3.2.2. Les nouveaux venus n'ont que très peu de chances d'acheter de l'électricité dans le cadre du négoce en France

(37) Le négoce d'électricité en gros exige de la liquidité, c'estàdire un cadre dans lequel les producteurs sont en mesure de vendre des quantités suffisantes aux grossistes.En France, la structure de la concurrence n'est pas propice à la liquidité, laquelle a donc peu de chances de se développer. En effet, EDF est le principal producteur en France et les trois producteurs indépendants potentiels ne représentent que 5 % de la production totale. En outre, EDF continue à dominer le marché de l'approvisionnement des clients éligibles. Tant qu'il n'y aura pas de concurrence significative sur ce marché, il n'y a aucune incitation au développement des activités de négoce.

(38) De plus, les trois producteurs indépendants potentiels sont limités dans leurs activités d'achat en qualité de grossistes/fournisseurs. Comme on l'a vu au considérant 31, les volumes qu'ils peuvent acheter sont limités à 20 % de leur capacité de production respective, ce qui ne fait que renforcer la probabilité que les activités de négoce resteront minimes. A cet égard, dans son rapport annuel, la CRE a déclaré en ce qui concerne la fourniture aux clients éligibles que ´les modalités de création et de fonctionnement de ce marché devront ultérieurement être analysées au regard des dispositions législatives ou réglementaires applicables, notamment celles visant à plafonner la quantité d'électricité que les producteurs sont autorisés à acheter en vue d'une revente à des clients éligibles. Selon le niveau auquel il sera fixé, ce plafond peut conduire à limiter le trading ou négoce d'électricité, donc la capacité des clients éligibles à diversifier leurs fournisseurs (16). Par conséquent, l'achat d'électricité auprès d'un autre producteur dans le cadre d'activités de négoce ne constitue pas actuellement une solution viable d'approvisionnement en France.

(39) ParisBourse souhaite créer un marché spot pour le négoce de tranches horaires et journalières d'électricité. Toutefois, son projet n'a pas encore été mis en place et n'a donc aucune incidence concrète.

1.3.2.3. Les nouveaux venus se heurtent à des difficultés lorsqu'ils pénètrent sur le marché français par le biais d'importations

(40) Compte tenu de l'état actuel du marché français, les fournisseurs étrangers désireux de fournir de l'électricité aux clients éligibles français ont, jusqu'ici, choisi la solution d'importer de l'électricité de l'étranger et d'utiliser le réseau français pour le transport de cette électricité vers le site du client. Toutefois, les conditions actuelles du transport font qu'il est difficile pour les fournisseurs étrangers d'approvisionner des clients éligibles en électricité importée par les interconnexions.

(41) Les clients tiennent à avoir un seul fournisseur chargé de l'intégralité de la fourniture d'électricité. Un contrat de service complet prévoit la fourniture d'énergie et de courant d'équilibrage. Pour ce dernier, toutefois, EDF est le seul fournisseur en France tant directement qu'indirectement par le biais du gestionnaire du réseau, RTE. E tant donné qu'il est généralement peu intéressant pour les clients éligibles de conclure un contrat séparé avec le fournisseur de courant d'équilibrage en raison des surcoûts entraînés par la gestion de ce contrat, les fournisseurs étrangers ont eux aussi besoin d'acheter du courant d'équilibrage. A cet égard, il faut noter que RTE vient d'organiser une vente aux enchères concernant la fourniture de l'énergie requise pour compenser les pertes intervenant sur le réseau de transport. RTE a annoncé qu'elle allait organiser une vente aux enchères analogue pour du courant d'équilibrage dans un proche avenir, mais sans en préciser la date.

(42) En France, les fournisseurs autres qu'EDF étaient contraints initialement d'acheter du courant d'équilibrage pour chacun de leurs clients et ne pouvaient donc tirer parti de l'avantage qu'offre normalement le regroupement des clients en groupes d'équilibrage d'énergie, à savoir la possibilité de limiter le besoin d'acheter du courant d'équilibrage. Compte tenu du fait que la quantité de courant d'équilibrage nécessaire ne pouvait être estimée que de manière approximative, le fournisseur étranger devait acheter une quantité suffisante pour être à l'abri. Toutefois, si ce courant se révélait inutile, il ne lui était pas possible de le réutiliser ailleurs. Par conséquent, le prix du courant d'équilibrage pouvait faire monter le prix final de l'électricité jusqu'à des niveaux non compétitifs. En outre, aucun remboursement n'est prévu en cas d'injection excédentaire d'électricité dans le réseau français.

(43) Le 1er novembre 2000, RTE a mis en place un système qui permet à tous les fournisseurs de regrouper la consommation de différents clients. Désormais, les fournisseurs étrangers sont théoriquement en mesure d'équilibrer les fluctuations de la consommation de leurs clients, mais tant qu'ils n'auront pas surmonté les autres obstacles à l'entrée et qu'ils n'auront pas une clientèle suffisante pour compenser efficacement les fluctuations de consommation existantes, la possibilité de constituer des groupes d'équilibrage d'énergie ne se traduira probablement pas par des avantages notables.

1.3.2.4. Sa position de domination écrasante dans la production d'électricité en France permet à EDF d'évincer les concurrents qui tentent de pénétrer sur le marché français

(44) La Commission a demandé à EDF de lui communiquer le nombre d'appels d'offres lancés par des clients éligibles, où EDF était en concurrence avec des fournisseurs étrangers, et ce depuis le mois de mai 2000, c'est-à-dire depuis l'entrée en vigueur de la libéralisation en France. Le tableau 1 donne le résultat de ces appels d'offres sur la base des chiffres communiqués par EDF. Dans sa réponse à la communication des griefs, EDF a déclaré que ces chiffres pouvaient ne pas être exhaustifs, car il y avait peut-être eu d'autres appels d'offres également avec participation de fournisseurs étrangers.

EMPLACEMENT TABLEAU

(45) Le tableau 2 donne les chiffres que la Commission a calculés durant son enquête à partir des réponses des fournisseurs d'électricité étrangers.

EMPLACEMENT TABLEAU

(46) Le tableau 1 montre qu'EDF est à même de remporter une part importante des offres faites à des clients éligibles. En fait, EDF a remporté près de la moitié des appels d'offres(47 %) et en a perdu moins de 25 %. La situation est encore plus évidente si l'on prend en considération les chiffres que la Commission a obtenus durant l'enquête, puisque les fournisseurs étrangers qui ont soumis des offres à des clients éligibles du marché français n'ont remporté qu'environ 9 % du total des appels d'offres.

(47) Aux dires d'EDF, on ne dispose que de peu de renseignements sur le nombre d'offres soumises à des clients éligibles. Ces renseignements figurent dans le tableau 1. En revanche, tous les fournisseurs étrangers ont communiqué l'ensemble des renseignements disponibles sur les appels d'offres. Ces renseignements figurent dans le tableau 2 et EDF ne les a pas contestés dans sa réponse à la communication des griefs. La Commission estime donc qu'il s'agit d'une base valable pour son appréciation. De plus, en l'absence de fournisseur français de quelque importance autre qu'EDF, on peut supposer que les appels d'offres qui ont été perdus par les fournisseurs étrangers, ou au moins la grande majorité d'entre eux, ont été remportés par EDF. Du reste, les listes d'appels d'offres communiquées par les fournisseurs étrangers confirment largement cette supposition.

(48) La capacité d'EDF à évincer systématiquement les fournisseurs étrangers est encore renforcée par le fait qu'il n'y a pas, en France, de prix moyen du marché qui soit transparent. En fait, EDF peut influer de manière significative sur le prix de la fourniture d'électricité aux clients éligibles.En sa qualité d'entreprise intégrée titulaire d'un monopole, EDF est en mesure de relever les défis de la concurrence sur le marché des clients éligibles en déplaçant les marges provenant des clients éligibles vers le secteur des clients qui n'ont pas la liberté de choisir leur fournisseur. A cet égard, EDF a affirmé lors de l'audition que les péréquations tarifaires étaient interdites par la loi et par le cadre réglementaire. Le ministre approuve les tarifs après consultation du CRE et les tarifs sont plafonnés à un niveau couvrant intégralement les coûts de fourniture. Or, un prix plafond n'exclut nullement des marges bénéficiaires pour le fournisseur. En outre, l'existence de péréquations tarifaires n'est pas facile à prouver. Le fait que les péréquations soient un réel danger a également été reconnu par la CRE dans son rapport annuel, où l'on peut lire que "la régulation d'un double marché est un exercice difficile puisqu'il s'agit d'éviter que les consommateurs captifs ne subventionnent les consommateurs éligibles et de prévenir les distorsions de concurrence sur le marché des consommateurs éligibles" (17).

(49) Durant l'enquête approfondie, EDF a fourni des éléments concernant son prix moyen pour les clients éligibles ainsi que les prix soumis aux clients éligibles dans le cadre d'appels d'offres qui ont eu lieu en 2000. Ces chiffres sont indiqués dans le tableau 3.

EMPLACEMENT TABLEAU

(50) Les chiffres du tableau 3 prouvent que le prix moyen d'EDF pour les clients éligibles est supérieur au prix offert aux clients éligibles afin d'évincer un fournisseur étranger. En outre, les réponses des concurrents qui ont participé à des procédures d'appel d'offres confirment que, pour garder ses clients, EDF a aligné ses prix sur ceux que proposaient les fournisseurs étrangers. Dans le droit fil de ces conclusions, la CRE écrit dans son rapport annuel: ´A la date du 1er juin 2000, le nombre des clients éligibles ayant changé de fournisseur est faible, mais un certain nombre d'entre eux a obtenu d'EDF des baisses de prix significatives après avoir consulté différents fournisseurs concurrentsª (18).

2. RENFORCEMENT DE LA POSITION DOMINANTE D'EDF

(51) La concentration envisagée renforcera la position dominante d'EDF sur le marché des clients éligibles français, puisqu'elle éliminera EnBW comme concurrent potentiel sur le marché français, accroîtra le potentiel de représailles d'EDF en Allemagne, augmentera le taux de pénétration d'EDF en Suisse et éliminera Watt comme concurrent potentiel, et renforcera la position d'EDF comme fournisseur paneuropéen.

2.1. Il existe des incitations pour les fournisseurs étrangers à pénétrer sur le marché français

(52) Il existe une forte incitation pour les fournisseurs étrangers à être présents en France, comme l'illustre leur participation à de nombreux appels d'offres pour la fourniture aux clients éligibles. En ce qui concerne les fournisseurs allemands, il faut noter que, en raison de la libéralisation en Allemagne, le prix de l'électricité pour les clients industriels n'y est généralement pas plus élevé qu'en France. En fait, il apparaît que, pour certains clients, les prix sont plus élevés en France qu'en Allemagne (19). C'est pourquoi les producteurs d'électricité allemands peuvent soumettre des offres compétitives aux clients éligibles français et ont une forte incitation à être présents en France, d'autant plus que la France est le deuxième marché de la Communauté par la taille.

(53) Cette incitation est renforcée par la tendance aux contrats de fourniture paneuropéens, c'est-à dire pour la fourniture aux gros clients industriels dans plus d'un Etat membre. L'enquête de la Commission confirme qu'il existe une demande croissante de contrats de cette nature. Bien entendu, il existe toujours des limitations importantes qui empêchent un client d'avoir un seul et même fournisseur dans l'ensemble de la Communauté, en raison des niveaux différents de libéralisation. Toutefois, les gros clients industriels sont de plus en plus désireux d'être approvisionnés par un seul et même fournisseur dans plus d'un Etat membre, et c'est particulièrement le cas des clients dont les sites répondent aux diverses exigences nationales pour pouvoir choisir leur fournisseur. Il va de soi que ces contrats comprennent également la fourniture à des entreprises ou à des sites implantés en France. Pour pouvoir faire des offres à des clients à sites multiples qui ont des filiales en France, il est indispensable d'être présent sur ce marché.

2.2. EnBW est l'un des concurrents potentiels particulièrement bien placés pour pénétrer sur le marché français

(54) EnBW est l'un des six fournisseurs d'électricité au niveau interconnecté en Allemagne qui produisent et fournissent de l'énergie et entretiennent les réseaux haute tension. Elle se situe en quatrième position derrière E.ON (20), RWE/VEW et VEAG pour la fourniture d'électricité au niveau interconnecté et en troisième position pour la fourniture d'électricité dans son ensemble en Allemagne.

(55) La zone de desserte d'EnBW est située dans le sud-ouest de l'Allemagne et a une longue frontière commune avec la France, c'est-àdire la zone de desserte d'EDF. EnBW est propriétaire du réseau de transport à haute tension 380/220 kV de sa zone de desserte, d'une longueur de 3 500 kilomètres (21). A part RWE, EnBW est la seule entreprise d'électricité allemande interconnectée à avoir des interconnexions entre la France et l'Allemagne, et deux des quatre (22) interconnexions franco-allemandes se trouvent dans sa zone de desserte. EnBW a une capacité d'interconnexion de l'ordre de 1,2 GW. Avec une telle capacité, elle pourrait exporter jusqu'à 10,5 TWh vers la France. Avec les [< 10]* TWh qu'elle reçoit, entre autres, de ses participations dans le parc de production d'EDF, elle pourrait fournir [10 à 20]* TWh aux clients éligibles français, soit environ [5 à 15]* % de la consommation de ces clients.

(56) Aux dires des parties, le fait qu'EnBW soit géographiquement proche d'EDF ne lui confère aucun avantage concurrentiel. Les parties affirment que le coût et les prix de l'électricité fournie

à un client en France ne sont guère différents, que l'électricité provienne d'EnBW ou d'un opérateur comme E.ON, même si ce dernier est obligé de traverser la zone d'EnBW ou celle de RWE/VEW pour transporter son électricité vers la France.

(57) Cette assertion est inexacte. En Allemagne, en effet, des droits doivent être acquittés pour le transport par des réseaux qui sont la propriété d'autres entreprises d'électricité au niveau interconnecté. Les producteurs d'électricité dont les réseaux de transport ne sont pas dans le voisinage direct du marché français sont désavantagés par rapport à ceux dont les réseaux bordent la frontière française, comme EnBW ou REW/VEW. Comme l'expose la décision dans l'affaire COMP/M. 1673 - VEBA/VIAG (23), les propriétaires de réseaux sont à même d'appliquer à leurs concurrents des tarifs qui ne sont pas totalement transparents, et il n'est donc pas toujours possible de déceler une discrimination réelle au détriment de ces concurrents.

(58) En ce qui concerne les exportateurs d'électricité situés dans des pays qui n'ont pas de frontière avec la France, il leur faudrait payer des frais supplémentaires, notamment au franchissement des frontières de pays tiers vers la France via l'Allemagne ou la Belgique. C'est pourquoi le fait qu'EnBW soit géographiquement proche d'EDF lui confère un avantage de coût par rapport auxdites catégories de fournisseurs. A cet égard, un document stratégique élaboré par EDF sur l'acquisition d'EnBW (24) cite, comme premier point des avantages commerciaux que le contrôle commun d'EnBW conférerait à EDF, le fait que "EnBW apportera l'accès direct à la frontière". Si EDF estimait que la situation géographique de la zone de desserte d'EnBW à la frontière francoallemande était avantageuse sur le plan de la concurrence pour son expansion stratégique sur le marché allemand, cette situation devrait également conférer des avantages analogues à EnBW par rapport au marché français d'une participation de 25,01 % dans le cadre d'une offre portant sur 34,01 %, p. 11.

(59) En outre, dans le cadre d'un certain nombre de contrats de longue durée conclus avec EDF, EnBW a accès à une capacité de production située en France, comprenant une certaine capacité réservée des centrales nucléaires de Fessenheim [...]* et de Cattenom [...]*; en outre, un contrat prévoit la fourniture d'EDF à EnBW d'une charge de base et d'une charge de pointe ponctuelle. C'est ainsi que, en 1999, EnBW a reçu [...]* TWh de Fessenheim et [...]* TWh de Cattenom et [...]* TWh de charge de base d'EDF.

(60) Aux dires des parties, dans le cadre de tous les contrats existant entre EDF et EnBW, EnBW reçoit en moyenne un total de [< 10]* TWh par an. En règle générale, ces quantités sont mises à la disposition d'EnBW à l'interconnexion franco-allemande de Sierentz/Kuhmoos. D'après la notification, EnBW utilise ces importations pour approvisionner ses clients allemands, mais en fait aucun texte législatif ou contractuel ne l'empêcherait de fournir les quantités reçues d'EDF à des clients éligibles français. Du reste, les représentants d'EDF et d'EnBW l'ont explicitement confirmé lors d'une réunion avec la Commission le 17 novembre 2000.

(61) Les parties affirment que RWE/VEW, E.ON, Electrabel et d'autres entreprises d'électricité situées dans la Communauté sont infiniment plus grandes qu'EnBW et ont donc plus de chances d'avoir la surface financière, les moyens et la capacité de planification nécessaires pour soutenir leur pénétration sur le marché français des clients éligibles. Selon elles, même après avoir optimisé sa capacité de production, EnBW disposerait d'une capacité insuffisante pour son propre marché. EnBW produit quelque 40,5 TWh et vend quelque 55 TWh en se procurant la différence auprès de diverses sources, dont EDF.

(62) Toutefois, au vu des réponses reçues des producteurs d'électricité situés dans la Communauté, ni la capacité de production existante ni l'excédent de production ne constituent un élément décisif du point de vue de la pénétration sur le marché français. En Allemagne notamment, les producteurs peuvent vendre leur capacité de production excédentaire aux bourses d'électricité ou à d'autres producteurs d'électricité au niveau interconnecté sur une base bilatérale. Si une entreprise d'électricité décide de fournir de l'électricité au marché français, elle peut donc le faire en achetant la quantité requise, soit sur le marché de gros soit auprès d'autres producteurs. On peut donc en conclure que la production excédentaire des grandes entreprises d'électricité ne leur confère pas nécessairement un avantage décisif par rapport à EnBW.

(63) D'autres candidats à l'entrée potentielle en France sont situés en Allemagne, en Belgique et en Espagne. En ce qui concerne les fournisseurs espagnols, la grande difficulté à laquelle ils se heurtent pour pénétrer sur le marché français réside dans la capacité d'interconnexion limitée, de l'ordre de 1 GW. Les fournisseurs allemands autres que RWE/VEW n'ont pas d'accès direct en France. C'est pourquoi il apparaît que seuls RWE/VEW et Electrabel sont aussi bien placés qu'EnBW. Toutefois, ni RWE/VEW ni Electrabel n'ont un accès à une capacité de production en France comparable à celui d'EnBW. RWE/VEW a certes accès à une capacité de production en France via Harpen AG, mais la production de cette dernière est minime (0,2 TWh) et, de surcroît, fournie dans son intégralité à EDF. Electrabel détient une participation dans les centrales nucléaires françaises de Chooz B et de Tricastin, qui datent respectivement de 1984 et de 1975. E tant donné que ces contrats sont fondés sur une participation équivalente d'EDF dans la centrale nucléaire belge de Tihange, la production des centrales françaises n'est pas disponible pour la fourniture en France.

(64) On peut donc conclure qu'EnBW serait l'une des entreprises les mieux placées sur le plan stratégique pour pénétrer sur le marché français afin d'approvisionner les clients éligibles. Etant donné qu'un tiers de la fourniture potentielle d'EnBW aux clients éligibles (considérant 55) est issu de la production française, EnBW n'a pas à acquitter de droits de transport transfrontalier pour ces quantités. Sur ce point, EnBW détient donc une position unique par rapport à tous les autres concurrents.

2.3. Sans la présente opération, EnBW devrait avoir une forte incitation à pénétrer sur le marché français

(65) Pour pénétrer sur le marché français, EnBW profiterait non seulement de son potentiel concurrentiel et de sa situation géographique qui en font l'un des candidats les mieux placés, mais aussi de la tendance à la fourniture paneuropéenne. Les clients industriels de la zone de desserte d'EnBW comprennent d'importantes entreprises allemandes présentes dans des industries électriques et utilisatrices de métaux ainsi que des entreprises de l'industrie mécanique ayant d'autres sites de production dans la Communauté.

(66) EnBW a créé des filiales en Autriche, aux PaysBas, en Italie, en Pologne et en Espagne (25). Elle approvisionne déjà [...]* de ses grands clients industriels dans le cadre de ´contrats de fourniture paneuropéenneª dans plus d'un E tat membre. Les plus importants de ces contrats sont [...]*. EnBW estime que les contrats de fourniture paneuropéenne sont indiqués pour les gros clients industriels possédant plusieurs sites de production ou établissements dans au moins deux pays d'Europe, et la consommation minimale par site pour ce type de contrat doit être de 5 à 10 GWh. [...]* des clients actuels d'EnBW répondraient d'ores et déjà aux critères concernant les contrats de fourniture paneuropéenne.

(67) Traditionnellement, EDF et EnBW collaborentétroitement en raison de leurs implantations voisines dans un certain nombre de domaines touchant à l'électricité, y compris l'exploitation commune d'entreprises de production et le transport sur le réseau d'EnBW d'électricité produite par EDF et exportée vers la Suisse, l'Italie et l'Autriche.

(68) Les parties affirment que, compte tenu des liens qui existent de longue date entre les deux entreprises, il n'est pas réaliste d'attendre d'EnBW qu'elle tente sérieusement de remettre en question la position d'EDF sur le marché français. Toutefois, ces liens ne sont pas suffisants pour écarter l'éventualité qu'EnBW prenne pied en France et entre en concurrence avec EDF, si elle n'est pas contrôlée par cette dernière. Ce point de vue est renforcé par le fait qu'EnBW a déjà participé à des appels d'offres lancés par des clients éligibles français.

2.4. Avec l'acquisition d'EnBW, EDF serait globalement moins exposée à la concurrence en France

(69) La concentration envisagée augmentera le potentiel de représailles d'EDF en Allemagne. En effet, si EDF jouit d'une position très forte sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles français, l'acquisition d'EnBW lui donne la possibilité d'être présente sur le marché allemand totalement libéralisé, par le biais d'un concurrent existant très agressif, alors que sa position sur son marché "national" qu'est la France continue à être parfaitement protégée par sa position très forte sur ce marché en termes de capacité et de clients captifs (non éligibles).

(70) L'importance d'EnBW en Allemagne est également illustrée par le fait que, au mois de juin 1999, EnBW est devenue la première entreprise allemande de services collectifs à proposer à ses clients relevant du tarif standard un choix de prix différents pour l'électricité. EnBW, par sa filiale Yello Strom GmbH (Yello Strom), a largement contribué à l'ouverture à la concurrence du marché allemand de la fourniture aux petits clients. Yello Strom va lancer une initiative concurrentielle analogue pour les gros et les petits clients industriels.

(71) Avant l'opération, EDF était moins à même de contrer la pénétration sur le marché français d'entreprises d'interconnexion allemandes par le lancement de campagnes de représailles en Allemagne, car elle n'était pas présente dans ce pays. En revanche, après l'opération, EDF pourra se servir de sa présence en Allemagne, dans unecertaine mesure du moins, pour dissuader les concurrents réels, comme RWE, E.ON et HEW, de se livrer à une concurrence agressive sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles français. Etant donné que ces concurrents n'ont pas le même potentiel de représailles en France, ils seraient encore moins tentés de s'attaquer de manière agressive à la position d'EDF en France.

(72) Dans ce contexte, les parties affirment qu'EDF n'a pas, et n'aura pas à l'avenir, de politique consistant à lancer des campagnes de représailles en Allemagne. Or, durant l'enquête de la Commission, plusieurs concurrents ont déclaré que l'une des grandes conséquences de la concentration envisagée serait l'accroissement du potentiel dereprésailles d'EDF. En outre, EnBW elle-même a indiqué, lors d'une réunion qui a eu lieu le 17 novembre 2000 avec la Commission et desreprésentants d'EDF, que, même dans la situation actuelle, elle devrait prendre en considération l'éventualité qu'EDF exerce des représailles en Allemagne si EnBW pénétrait sur le marché français dans une mesure significative. Il est évident qu'une telle stratégie, qu'EnBW prévoit d'ores et déjà, serait beaucoup plus facile à appliquer et aurait des effets beaucoup plus forts si EDF prenait solidement pied en Allemagne à la suite de la concentration envisagée.

(73) Lors de l'audition, OEW a déclaré que,avec la concentration, EnBW ne sera pas sous le contrôle unique d'EDF,mais sous le contrôle commun d'EDFI et d'OEW et que la participation qu'OEW détient dans EnBW constituerait un bouclier suffisant contre d'éventuelles représailles d'EDF en Allemagne après l'opération.

(74) S'il est vrai que, à la suite de la concentration, EnBW sera sous le contrôle commun d'EDF et d'OEW, il n'en demeure pas moins que, aux termes du pacte d'actionnaires,EDF est l'unique partenaire industriel, alors qu'OEW sera le partenaire régional. [...]*. Il semble fort peu probable que, tant que ses intérêts régionaux et ses intérêts en termes de bénéfices seront suffisamment respectés, OEW ait des raisons de s'opposer sérieusement à la stratégie commerciale qu'EDF adopte au sein d'EnBW. [...]*. En outre, les stratégies de représailles n'affectent pas obligatoirement l'un ou l'autre de ces intérêts. C'est pourquoi la concentration envisagée aboutirait également sous l'aspect d'un potentiel de représaillesaccru à un renforcement significatif de la position dominante d'EDF en France.

2.5. Grâce à la participation majoritaire qu'EnBW détient dans WATT, EDF renforcerait considérablement sa présence en Suisse

(75) En Suisse, il existe sept Überlandwerke verticalementintégrés: Atel (Aare-Tessin AG für Elektrizität, Olten), BKW (BKW FMB Energie AG, Berne), CKW (Centralschweizerische Kraftwerke AG, Lucerne), EGL (Elektrizitätsgesellschaft Laufenburg AG, Laufenburg),EOS/EnergieOuest Suisse, Lausanne), EWZ (Elektrizitätswerk der Stadt Zürich, Zürich) et NOK (Nordostschweizerische Kraftwerke AG, Baden). Ces entreprises sont les gestionnaires du réseau de transport suisse dont la longueur decircuit totale est de 6 633 km, et ETRANS AG est le coordonnateur de ce réseau. Les sept Überlandwerke détiennent les participations suivantes dans le capital d'ETRANS AG, en fonction de leurs parts respectives du réseau de transport suisse: Atel (18,8 %), BKW (11,5 %), CKW (5,0 %), EGL (13,2 %), EOS (14,5 %), EWZ (12,9 %)et NOK (24,1 %). détiennent une participation de 24,5 % chacune et NOK une participation de 34,5 %, les 16,5 % restants étant détenus par Crédit Suisse SA. WATT contrôle deux des sept U¨berlandwerke, à savoir EGL et CKW, ainsi que deux autres entreprises d'électricité, KWL (Kraftwerk Laufenburg) et KWR (Kraftübertragungswerke Rheinfelden).

(76) Les parties déclarent qu'EDF ne contrôle pasAtel (26). Pourtant, EDF entretient depuis longtemps d'étroites relations commerciales avec Atel. Ces relations reposent notamment sur divers contrats de fourniture de longue durée conclus entre les deux entreprises. En1999, Atel a produit 7,6 TWh et vendu 29 TWh, dont 80 % ont étéexportés (55 % à destination de l'Europe du Sud,et notamment de l'Italie). Atel représente 40 % des exportations suisses et 32 % des importations. En 1999, 22 TWh ont été importées en Suisse depuis la France. Le gros des exportations d'électricité d'EDF vers la Suisse n'a pas été vendu à des clients suisses, mais réexporté.

(77) EnBW, Bayernwerk AG (E.ON) et NOK ont le contrôle commun de Watt AG (27) (WATT). EnBW et E.ON détiennent une participation de 24,5 % chacune et NOK une participation de 34,5 %, les 16,5 % restants étant détenus par Crédit Suisse SA. WATT contrôle deux des sept Überlandwerke, à savoir EGL et GKW, ains que deux autres enreprises d'électricité, KWL (Kraftwerk Laufenburg) et KWR (Kraftübertragungswerk Rhein-felden).

(78) En 1999, EGL et CKW ont vendu respectivement quelque 21 TWh et 4 TWh, ce qui correspond à plusd'un tiers du chiffre d'affaires total des Überlandwerke suisses. NOK, qui n'est pas en concurrence avec WATT et ses filiales, a vendu près de 21 TWh en 1999.

(79) Du fait de la concentration envisagée, EDF renforcerait considérablement sa présence en Suisse en obtenant le contrôle de WATT (et, indirectement, des filiales de WATT). En outre, cette nouvelle acquisition permettrait à EDF de contrôler près de la moitié des interconnexions suisses en termes de chiffres totaux et plus de la moitié de la capacité d'interconnexion totale.

(80) Il existe 36 interconnexions entre la Suisse et les pays voisins. Le tableau 4 indique lapropriété des interconnexions en Suisse et la capacité d'interconnexion correspondante.

(81)

EMPLACEMENT TABLEAU

(82) En raison de sa situation géographique, desesconnexions à haute tension avec la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche et de la souplesse de son énergie hydroélectrique, la Suisse est une plaque tournante pour la charge de pointe pour ses propres besoins saisonniers et journaliers et ceux et d'autres entreprises européennes de services collectifs. A cet égard, la Suisse est particulièrement importante pour la fourniture d'électricité française en charge de pointe. En 1999, 80 % de la production totale d'EDF a été produite dans des centrales nucléaires. La production de ces centrales est régulière et, par conséquent, appropriée à la charge de base. En revanche, la production des centrales nucléaires manque de souplesse et ne convient donc pas pour répondre à la demande de charge de pointe. Les exportations d'électricité de la Suisse vers la France sontsurtout destinées à la charge de pointe, tandis que les exportations de la France vers la Suisse sont principalement destinées à la charge de base.

(83) Avec la concentration envisagée, EDF serait à même de contrôler une part importante de la production et de la fourniture suisse de charge de pointe. Les concurrents désireux d'approvisionner des clients éligibles français doivent assurer aussi bien la charge de base que la charge de pointe. Lorsque ces concurrents sont dans l'incapacité de satisfaire eux-mêmes la demande de pointe, il leur faut passer des accords avec d'autres fournisseurs pour la charge de pointe, et notamment des fournisseurs suisses. Pour ces fournisseurs, la concentration envisagée va restreindre considérablement le choix de l'approvisionnement en charge de pointe suisse.

(84) En outre, la concentration envisagée aboutirait également àl'élimination d'EGL comme concurrent potentiel sur le marché français. EGL prend contact actuellement avec les clients éligibles français. A cet égard, EGL seraiten mesure de fournir toute la gamme des produits d'électricité directement aux clients éligibles français ainsi qu'à d'autres fournisseurs de ces clients. En revanche, après la concentration, cette concurrence seraitexclue de manière durable. La position dominante d'EDFen France s'en trouverait donc renforcée.

2.6. L'acquisition du contrôle commun d'EnBW favoriserait nettement la position exceptionnelle d'EDF comme fournisseur paneuropéen

(85) Tout au long des dernières années, EDF, par le biais d'EDFI, a systématiquement acquis des participations, directement ou dans le cadre de consortiums d'investissement, dans les domaines de la production, du transportet de la distribution d'électricité dans toute l'Europe. Le tableau 5 montre qu'EDF est déjà présente dans uncertain nombre d'Etats membres.

EMPLACEMENT TABLEAU

(86) Le tableau 5 montre qu'EDF a déjà accès à un certain nombre de marchés différents à l'intérieur de la Communautéet cela vaut au moins pour les cas où EDF a soit le contrôle unique, soit le contrôle commun de fournisseurs d'électricité nationaux. Cependant,EDF n'est pas présente sur le marché allemand,lequel est le plus important d'Europe. A la suite de la concentrationenvisagée, EDF prendrait pied solidement enAllemagneet occuperait une position unique pour proposer des services réellement paneuropéens à la clientèle industrielle et commerciale.

(87) En raison de la position dominante d'EDF en France, il est très difficile pour tout autre fournisseur européen d'assurer ce service au même niveau qu'EDF serait enmesure de le faire. En premier lieu, les fournisseurs étrangers ne peuvent fournir de l'électricité à leurs clients français que si ces derniers ont une consommation par site égale ou supérieure à 16 GWh/an. Si des clients ontune consommation par site inférieure à 16 GWh/an, Journal officiel des Communautés européennesils ne peuvent décider d'être approvisionnés par des fournisseurs itrangers, puisqu'ils continuent à l'être par EDF exclusivement. Si, par exemple, ces clients ont différents sites de production en France avec une consommation qui varie selon le site-parfois inférieure et parfois supérieure à 16 GWh/an -, seule EDF serait àmême de proposer une véritable fourniture multisite à ces clients, ce qui restreint très nettement les possibilités des fournisseurs étrangers de proposer une fourniture multisite à leurs clients situés en France. En second lieu, comme on l'a vu à la section 1.3, les fournisseurs étrangers se heurtent à de grosses difficultés lorsqu'ils approvisionnent les clients éligibles français et c'est la raison pour laquelle ils sont toujours nettement désavantagés lorsqu'ils veulent proposer une fourniture multisite à leurs clients français.

(88) En raison de ses interconnexions avec l'Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique, l'Allemagne, la Suisse et 25 % par le biais de SIA, une entreprise commune créée par EDFI (80 %) et Gaz de France (20 %) (IV-M. 1107) 29,13 %, les autres actionnaires principauxétant Endesa (30,53 %) et Iberdrola(11,1 %)75 % par le biais de Finel, une entreprisecommune créée par EDFI (40 %) etEdison (60 %) (IV-M. 568)Tejo Energia; Pegop 10 %. Carbopego,un tiers dans le cadre d'un consortiumavec National Power et Endesa 34,2 % avec sa filiale Skandrenkraft(IV-M. 1169)100 % (IV-M. 1345, IV-M. 1606) l'Italie, la France occupe une position stratégique en Europe. Si, par exemple, des clients demandaient à leurs fournisseurs allemands d'approvisionner des sites au Royaume-Uni ou en Espagne, lesdits fournisseursdevraient faire transiter leur électricité par la France. L'enquête de la Commission révèle que les difficultés liées à ces transits sont telles que les concurrents nepeuvent pas approvisionner ces clients s'ils ne parviennent pas à acheter de l'électricité au niveau local.

(89) EDF, en revanche, se trouve d'ores et déjà dans une situation fort différente. Elle continue non seulement à être l'opérateur dominant en France, mais enappliquant une politique d'acquisitions stratégiques systématiques, elle a également réussi à être présente dans la quasitotalité des Etats membres, et notamment sur les marchés entièrement libéralisés comme le Royaume-Uni, àunmoment où les concurrents étrangers ne pouvaient pas, eux, pénétrer sur le marché français. Toutefois, avant la concentration envisagée, la présence d'EDF hors de France comportait une lacune importante, puisque EDF n'avait pas pris pied en Allemagne. L'acquisition du contrôle commun d'EnBW et de sa marque Yello Strom qui est forte en Allemagne comblerait cette lacune.Elle renforcerait un peu plus la position d'EDF comme fournisseur paneuropéen, et donc indirectement sa position dominante sur le marché français de l'approvisionnement des clients éligibles.

V. ENGAGEMENTS PRESENTES PAR LES PARTIES NOTIFIANTES ET MODIFICATIONS DE L'OPERATION ENGAGEMENTS

(90) Les parties notifiantes ont présenté des engagements destinés à lever les réserves exprimées par la Commission sur le plan de la concurrence. En résumé, ces engagements comportent les éléments suivants.

Rapports avec CNR

(91) Apartir du 1er avril 2001, CNR sera mise en mesure d'assurer elle-même l'exploitation de ses centrales électriques et la commercialisation de l'électricité produite.EDF et CNR ont signé des déclarations communes qui définissent le cadre contractuel permettant de faire de CNR un producteur d'électricité totalement indépendant. EDFs'engage à conclure avec CNR, le 31 mars 2001 au plus tard, des accords contraignants de mise en application de ces déclarations. En ce qui concerne la commercialisation de l'électricité produite, EDF s'engage à ne pas revendiquer, à partir du 31 mars 2001, l'électricité produite par CNR, que ce soit en totalité ou en partie. En revanche, pour permettre à CNR de développer progressivement la commercialisation de l'intégralité de sa production, EDF s'engage à acheter, 28.2.2002 entre le 1er avril 2001 et 1er avril 2006, une partie de la production de CNR, sur demande de celle-ci. Les quantités à acheter et le prix d'achat feront l'objet d'un contrat qui devra être conclu entre EDF et CNR avant le 31 mars 2001, conformément aux déclarations communes du 15 janvier 2001.

(92) EDF s'engage à renoncer à l'exercice de ses droits de vote afférents aux actions CNR et à retirer son représentantdu conseil d'administration de CNR. Un mandataire agira en qualité de dépositaire des actions CNR d'EDF.

Accès aux capacités de production en France

(93) EDF s'engage à donner à ses concurrents accès à des capacités de production totales de 6 000 MW situées en France, de 5 000 MW sous forme de centrales électriques virtuelles (CEV) et de 1 000 MW sous forme de contrats subsidiaires de contrats d'achat d'énergie de cogénération existants.

Centrales électriques virtuelles

(94) Les CEV auront 4 000 MW de capacité de charge debase et 1 000 MW de capacité de charge de pointe. Les CEV de charge de base et de charge de pointe seront proposées simultanément, mais séparément. Les contrats concernant les CEV auront une durée de trois mois, six mois, un an, deux ans et trois ans.

(95) Ces contrats seront attribués au moyen d'une vente aux enchères publique ouverte et non discriminatoire. La vente aux enchères sera ouverte aux entreprises de services collectifs d'énergie et aux négociants en énergie. Les participants feront des offres pour un nombre entier de MW de capacité, 1 MW étant le minimum. Les offres seront regroupées par type de centrale, quelle que soit la durée du contrat. Dans chaque groupe, les offres seront classées par ordre décroissant en fonction de leur écart par rapport à la valeur de référence fixée par EDF.La valeur de référence reflétera les estimations d'EDF concernant le marché de gros français établies par EDF.Il ne s'agit pas d'un prix de réserve et les écarts peuvent être négatifs. Les valeurs seront communiquées au mandataire avant le lancement des appels d'offres.

(96) Les soumissionnaires se verront attribuer une capacité en fonction de leur classement, à concurrence de la capacité mise aux enchères. Les soumissionnaires quifont une offre pour un panachage de centrales de charge de base et de centrales de charge de pointe auront la faculté de retirer leur offre s'ils ne se voient pas attribuer la combinaison de leur choix. Si des offres sont retirées,la capacité correspondante sera attribuée à des soumissionnaires non sélectionnés, selon leur classement.

(97) Les adjudicataires achèteront à EDF x MW decapacité de production pour y euro par MW/an (prix de la capacité). Pendant la durée du contrat, l'acheteur a le droit de s'adresser à EDF à tout moment pour demander la livraison d'un maximum de x MW. La courbe de charge demandée doit être notifiée la veille à 12 heures.

(98) L'acheteur paiera à EDF z euro par MWh pour l'électricité consommée (prix de l'énergie). Dans le cas descentrales virtuelles de charge de base, le prix de l'énergie reflète les coûts variables d'une centrale nucléaire exploitée par EDF en France. Le prix de l'énergie des centrales électriques virtuelles de charge de pointe reflète les coûts variables d'une centrale de charge de pointe exploitée par EDF en France. Pour l'heure, le prix de l'énergie est de [...]* euro par MWh dans le cas d'une centrale de charge de base et de [...]* euro par MWh dans le cas d'une centrale de charge de pointe. EDF fixe les prix de l'énergie après avoir donné au mandataire l'occasion d'en vérifier le niveau (28).

(99) EDF lancera des ventes aux enchères tous les trois mois, en proposant des centrales de charge de base et descentrales de charge de pointe. La première de ces ventes, qui portera sur 1 000 MW, sera menée par tranches de250 MW. Les principes régissant la première venteaux enchères de centrales électriques virtuelles seront communiquésau mois de mai 2001. La mise en vente de la première tranche aura lieu au début de septembre 2001, les autres suivant à intervalles de dix jours.

(100) Si le mandataire atteste que les prix des ventes aux enchères sont anormalement bas par rapport aux prix du marché ou que les enchères finales se situent à des niveaux très nettement inférieurs aux coûts d'EDF,la Commission, sur demande motivée d'EDF ou du mandataire, se prononcera sur la fixation d'un prix de réserve pour les ventes aux enchères. En accord avec le mandataire, les ventes suivantes pourront être suspendues jusqu'à ce que la Commission ait pris une décision. Aucune demande de fixation d'un prix plancher nedevra être déposée avant l'achèvement de la première vente aux enchères des quatre tranches de 250 MW.

Vente aux enchères d'énergie de cogénération

(101) EDF a signé avec des entreprises françaises de cogénération des contrats d'achat d'électricité aux termes desquels elle promet d'acheter la totalité de leur production d'électricitésur une durée de douze ans. Pour tous cescontrats, la durée restant à courir est de dix ans en moyenne. EDF s'engage à vendre aux enchères un totalde 1 000 MW de la capacité de production dont elle dispose en vertu de ces contrats. Cette capacitéserait proposée dans le cadre de contrats subsidiaires regroupant un certain nombre de contrats de cogénération existants. Les premiers contrats subsidiaires auront une durée de douze mois. Des contrats d'une durée de deux et trois ans seront envisagés si la demande pour ce typede contrat se développe.

Durée

(102) EDF s'engage à donner accès aux capacités de production pendant une durée de cinq ans à compter de la date dela présente décision. Cette durée repose sur l'espéranceque, dans les cinq années à venir, le marchéfrançais de l'électricité aura évolué de manière à offrir un nombre suffisant d'autres sources d'approvisionnement pour les quantités offertes par EDF dans les ventes aux enchères, afin d'accroître la liquidité du marché.

(103) Al'issue de ces cinq ans, la Commission, sur demande motivée d'EDF, décidera si ces conditions sont remplies ou non et, selon le cas, mettra un terme à l'obligation d'EDF de donner accès aux capacités de production ou prolongera cette obligation.

(104) EDF et/ou le mandataire peuvent déposer à tout moment, mais pas avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant l'adoption de la présente décision, une demande motivée de mettre un terme à cet engagement.

Participation d'EnBW dans WATT

(105) Les parties prennent l'engagement qu'EnBW se défera de la participation qu'elle détient dans WATT, et EnBW accepte cet engagement.

APPRECIATION

(106) Les engagements concernant les rapports entre EDF et CNR assurent que, à compter du 1er avril 2001, CNR sera en mesure de devenir une force concurrentielle active dans le secteur français de l'électricité. Etant donnéqu'EDF renoncera à l'exercice de ses droits de vote attachés aux actions CNR et retirera son représentant du conseil d'administration de CNR, elle ne sera plus impliquée dans la politique commerciale de CNR ni dans son comportement sur le marché.En vertu du contrat d'exploitation technique et du contrat de commercialisation devant être conclus entre EDF et CNR, CNR sera progressivement en mesure de développer la commercialisation de la totalité de sa production sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles.

(107) L'accès à 6 000 MW de capacité de production par le biais de ventes aux enchères correspond à environ 39 à41 TWh, soit 30 % ou 32 % du marché des clients éligibles qui est actuellement de 130 TWh. L'accès àcette capacité de production permettra aux fournisseurs étrangers d'avoir une présence significative sur le marché de l'approvisionnement des clients éligibles.Après la réduction envisagée du seuil pour les clients éligibles à 9 GWh/an, le marché des clients éligibles français s'élèvera à quelque 150 TWh. D'un autre côté, on peut s'attendre à ce que CNR et SNET contribuent directementà la liquidité de ce marché avec quelque 10 TWh dans les années àvenir. Par conséquent, avec les quelque 40 TWh mises à disposition par EDF au moyen des ventes aux enchères, environ un tiers du marché éligible pourra être approvisionné par des concurrents avec de l'électricité produite en France.

(108) En outre, les fournisseurs allemands pourront prendre pied en France et donc y devenir suffisamment fortspour faire face au potentiel de représailles d'EDF résultant de la présence de celle-ci en Allemagne.

(109) Enfin, grâce à l'accès à la capacité de production en France, les fournisseurs étrangers seront mieux placéspour les contrats de fourniture paneuropéenne, car ils seront à même d'approvisionner les clientsayant des sites de production éligibles en France par le biais d'uncontrat de CEV avec EDF.

(110) Etant donné que, à l'heure actuelle, l'évolution du marché français est entourée d'incertitude, aucune dispositionn'est prise pour l'expiration automatique de cet engagement à une date donnée. Un délai de cinq ans a étéconsidéré comme la durée minimale nécessaire pour permettre le développement d'autres sources d'approvisionnement suffisantes pour atteindre une liquidité suffisanteen France. Al'issue de ce délai, la Commission décidera si ces conditions sont remplies ou non. Si la Commission conclut que les conditions sont remplies, elle mettra fin à l'engagement. Al'expiration d'une duréede trois ans suivant l'adoption de la présente décision, EDF et/ou le mandataire peuvent remettre à la Commission une demande motivée de mettre fin à cet engagement, auquel cas la Commission décidera si les conditions exposées ci-dessus sont déjà remplies.

(111) La cession de la participation détenue parEnBW dans WATT rétablira le statu quo qui existait en Suisse.

(112) Par conséquent, les engagements proposés par EDF sont propres à éliminer le renforcement de la positiondominante d'EDF sur le marché des clients éligibles français, puisqu'ils l'emportent sur la perte d'EnBW comme concurrent potentiel, le potentiel de représaillesen Allemagne, la présence accrue en Suisse et l'élimination de WATT comme concurrent potentiel, ainsi que sur le renforcement de la position d'EDF comme fournisseur paneuropéen.

VI. RESUME

(113) La Commission peut conclure de ce qui précède que, sous sa forme modifiée, la concentration envisagée n'aboutirait pas à la création ou au renforcement de positions dominantes qui auraient pour effet d'empêcherune concurrence effective dans une partie substantielle du Marché commun, à condition que les engagementsénoncés à l'annexe soit pleinement respectés. L'opération doit donc être déclarée compatible avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'EEE, en vertu de l'article 8,paragraphe 2, du règlement sur les concentrations,

A ARRETE LA PRESENTE DECISION:

Article premier :

Sous réserve du respect intégral des engagements énoncés dans les annexes, l'opération notifiée, par laquelle Electricité deFrance et Zweckverband Oberschwäbische Elektrizitätswerke acquièrent le contrôle commun d'Energie Baden-Württemberg AG, est déclarée compatible avec le Marché commun et avecle fonctionnement de l'accord EEE.

Article 2 :

Les parties notifiantes sont destinataires de la présente décision.

ANNEXE

Le texte complet en anglais des engagements dont il est fait référence à l'article 1er peut être consulté sur le site Internet de la Commission suivant: http://europa.eu.int/comm/competition/index- en.html. L 59/17

Notes

(1) JO L 395 du 30.12.1989, p. 1. JO L 257 du 21.9.1990, p. 13 (version rectifiée).

(2) JO L 180 du 9.7.1997, p. 1.

(3) JO C 53 du 28.2.2002.

(4) loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

(5) JO L 27 du 30.1.1997, p. 20.

(6) JO C 323 du 11.11.1999, p. 11.

(7) Source: Unipede; Eurostat; VDEW.

(8) EDF, rapport annuel 1999, p. 9.

(9) EDF, rapport annuel 1999, p. 8.

(10) La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) produit 1,5 à 2 TWh, mais qui sont destinées à son propre usage.

(11) CRE, rapport d'activité, 30 juin 2000, page 7.

(12) Rapport sur le mécanisme d'ajustement des flux électriques par le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité (GRT)

et sur la création en France d'un marché de l'électricitéª, septembre 2000, p. 38.

(13) Dans ce contexte, le CNR critique dans son rapport d'activité (page 6) le fait que les obligations d'achat d'EDF - et à des prix subventionnés, de surcroît - concernant la cogénération, décidées bien avant la loi du 10 février 2000, permettent à ce système de continuer à approvisionner EDF exclusivement, alors qu'il s'agit de l'un des rares systèmes nationaux capables d'être compétitifs sur le marché des clients éligiblesª.

(14) L'installation d'une nouvelle capacité de production est subordonnée à l'agrément du ministre de l'énergie, si la capacité installée est supérieure à 4,5 MW. Au-dessous de ce seuil, une simple déclaration suffit.

(15) CRE, rapport d'activité, 30 juin 2000, p. 9

(16) CRE, rapport d'activité, 30 juin 2000, p. 21.

(17) CRE, rapport d'activité, 30 juin 2000, p. 4.

(18) CRE, rapport d'activité, 30 juin 2000, p. 9.

(19) Prix du gaz et de l'électricité en Europe, édition octobre 2000, p. 8.

(20) E.ON est issue de la fusion VEBA/VIAG.

(21) Estimations d'EnBW.

(22) Il existe une cinquième interconnexion dans la zone de desserte de RWE, mais elle est, en principe, hors service.

(23) VEBA/VIAG, décision du 13 juin 2000.

(24) EnBW Energie Baden-Württemberg (Allemagne) - Acquisition

(25) EnBW, rapport annuel 1999, p. 28.

(26) EDF, par le biais d'EDFI, et RWE possèdent chacune une participation de 20 % dans Motor Columbus, une société holding qui détient la majorité (56,6 %) du capital d'Atel. De plus, EDF a une participation directe de 1,2 % dans Atel. Les autres actionnaires de Motor Columbus sont la banque suisse UBS avec une participation de 37,2 % et d'autres investisseurs institutionnels qui, ensemble, détiennent 22,8 %. C'est pourquoi EDF et RWE sont les seuls actionnaires de Motor Columbus à avoir un intérêt commercial stratégique. Toutes deux sont représentées au conseil d'administration de Motor Columbus et d'Atel.

(27) Voir décision de la Commission du 4 décembre 1997, dans l'affaire IV-M.958 WATT AG II, JO C 116 du 16.4.1998, p. 2.

(28) Alors que le prix de la capacité est déterminé par l'offre individuelle, le prix de l'énergie qui désigne le prix de l'électricité prise sur la capacité acquise est fixé par EDF sur la base de ses coûts variables. En revanche, la valeur de référence n'est pas un prix fixé, mais seulement un instrument technique pour la réalisation de la vente aux enchères.