CA Douai, 2e ch. sect. 1, 14 novembre 2002, n° 00-05727
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Socios (SARL)
Défendeur :
Interbrew France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Geerssen
Conseillers :
MM. Testut, Rossi
Avoués :
Mes Levasseur-Castille-Lambert, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Mes Billet, Nowak
Vu le jugement contradictoire prononcé le 12 septembre 2000 par le Tribunal de commerce de Lille et qui a :
- écarté au fond l'exception d'incompétence territoriale opposée par la SARL Socios,
- débouté cette dernière de ses demandes, en la condamnant à payer à la SA Interbrew France (ci-après la société Interbrew) les sommes suivantes :
- 48 809,52 F au titre des sommes non amorties de la subvention,
- 92 250 F au titre de l'indemnité contractuelle de rupture, ces sommes produisant intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 décembre 1999,
- 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- 15 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sur le principal,
- condamné la SARL Socios au paiement des frais et dépens en ce compris le coût du procès-verbal d'huissier du 30 août 1999 ;
Vu l'appel formé le 4 octobre 2000 par la SARL Socios ;
Vu l'ordonnance de référé rendue par la présente cour le 15 février arrêtant l'exécution provisoire ordonnée ;
Vu les conclusions déposées le 17 juin 2002 pour la SARL Socios ;
Vu les conclusions déposées le 14 mars 2001 pour la société Interbrew et celles de reprise d'instance de son avoué du 9 septembre 2002 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 6 septembre 2002 ;
Attendu que, par conclusions tendant, pour l'essentiel, à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la société Interbrew à lui payer les sommes de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de 2 286,74 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la SARL Socios soutient que :
- la clause attributive de compétence est nulle parce qu'elle n'a pas été rédigée de façon très apparente, de sorte qu'il convient, en application de l'article 79 du nouveau Code de procédure civile de renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel de Nîmes,
- la société Interbrew n'a pas exigé la remise par la SARL Café de la Nerthe, co-contractante initiale et cédante du fonds de commerce, du programme d'investissement prévu au contrat d'approvisionnement exclusif litigieux,
- les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 (art. L. 330-3 du Code de commerce) n'ont pas été respectées,
- l'engagement d'achat exclusif n'a pas été méconnu, puisque les termes de la convention, qui confondent marques et types de bière, sont d'une imprécision telle qu'aucun manquement ne peut être établi ;
Qu'elle demande à la cour, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnité procédurale allouée par les premiers juges à la société Interbrew et de faire application des dispositions de l'article 1152 du Code civil ;
Attendu que la société Interbrew, au soutien de sa demande de confirmation du jugement, fait essentiellement valoir que, conformément à une convention conclue avec la SARL Café de la Nerthe, elle a versé une subvention de 50 000 F en contrepartie d'un engagement d'achat exclusif de bières déterminées contractuellement pour une durée de 7 ans, cet engagement ayant été transmis au cessionnaire du fonds de commerce, la SARL Socios, qui ne l'a pas respecté ;
1° Sur la compétence
Attendu, en l'absence de moyens nouveaux, qu'il convient sur ce point de confirmer la décision des premiers juges dont les motifs, exacts et pertinents, sont adoptés expressément par la Cour ;
2° Sur l'application des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
Attendu qu'aux termes du premier alinéa de ce texte toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause;
Attendu, en l'espèce, que la convention invoquée, conclue le 15 février 1999 entre la SARL Café de la Nerthe et la société Interbrew, intitulée " subvention ", prévoit que cette dernière, apparaissant comme la brasserie, s'engage à remettre à la première une subvention de 50 000 F en contrepartie d'engagements d'achat exclusif et de celui de réserver aux publicités de la brasserie ses emplacements publicitaires ;
Attendu, dès lors, et contrairement à ce que soutient la SARL Socios, qui n'apporte aucunement la preuve d'un vice du consentement de la SARL Café de la Nerthe, que cette convention n'entre pas dans le champ d'application du texte ci-dessus, le fonds de commerce restant par ailleurs identifié comme étant le " Café de la Nerthe " ;
3° Sur le respect des engagements contractuels
Attendu qu'il ressort des éléments non contestés de la procédure que la convention conclue par la SARL Café de la Nerthe avait pour objet le versement d'une subvention destinée à financer un programme d'investissement préalablement communiqué à la brasserie par le bénéficiaire ;
Que ce dernier a cédé son fonds de commerce à la SARL Socios par acte authentique des 14 et 16 avril 1999 précisant de manière apparente que le vendeur déclarait avoir souscrit un contrat de fourniture auprès de la société Interbrew, dont les principales stipulations étaient reprises, alors que l'acquéreur déclarait en accepter les charges et conditions dont il disait entendre " poursuivre scrupuleusement l'exécution en lieu et place du vendeur " ;
Attendu que la SARL Socios fait valoir, à l'appui de sa demande en résolution pour inexécution du contrat d'exclusivité, que la société Interbrew a manqué à ses obligations en n'exigeant pas le programme d'investissement ;
Mais attendu que l'inexécution par le débiteur de l'une de ses obligations ne peut être invoquée par celui-ci, ou par son ayant-cause, à l'appui d'une demande de résolution du contrat aux torts de son créancier, s'agissant, de plus, d'un contrat comportant des obligations à exécution successive;
Attendu que la SARL Socios fait par ailleurs valoir que la société Socios crée une confusion entre la marque et le type de bière ;
Attendu que la convention produite expose que le client s'engage à se fournir uniquement en produits des types actuellement vendus par la brasserie sous les marques énumérées, en réalisant un minimum d'achat de bières de 90 hectolitres par an, et ne prévoit l'autorisation de débiter d'autres bières qu'à la double condition qu'elles soient d'un type différent de celles désignées, et qu'elles ne soient présentées à la vente qu'en bouteilles, boîtes ou autres petits conditionnement, à moins que la vente à la pression de ces bières différentes soit habituelle ou justifiée par une demande suffisante des consommateurs ;
Qu'il ressort du procès-verbal de constat d'huissier, commis par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Carpentras, établi le 3 août 1999, que la SARL Socios commercialisait de la bière Karlsbrau " Bière de la licorne - Saverne " en fût, ainsi que des bouteilles des marques suivantes : Heineken, Karlsbrau, Desperados, Carlsberg Grundels et Black Baron, alors que le gérant de la SARL Socios a reconnu ne plus s'approvisionner auprès de la société Interbrew depuis l'acquisition du fonds de commerce ;
Attendu qu'il apparaît donc que la SARL Socios, liée par la convention d'exclusivité, et qui n'invoque pas le bénéfice de la clause autorisant la vente à la pression, a manqué en connaissance de cause à ses engagements, ayant notamment vendu de la bière en fût de la marque Karlksbrau;
Attendu que la SARL Socios ne critique pas les modalités de calcul des indemnités de rupture prévues par l'article 4 de la convention et retenues par les premiers juges, alors que la société Interbrew demande la confirmation du jugement ;
Attendu, que s'il ressort du constat susmentionné que la SARL Socios a violé ses engagements d'exclusivité dès l'acquisition du fonds de commerce, il ressort également de la comparaison de la convention de subvention produite et de l'acte authentique reprenant les engagements souscrits par le cédant du fonds de commerce que les modalités de calcul de la clause pénale n'étaient pas reproduites dans ce dernier, contrairement à celles concernant une autre convention d'exclusivité ;
Qu'il apparaît également qu'alors que le programme d'investissement devait permettre de porter les ventes à hauteur du volume prévu au contrat, la société Interbrew n'en a pas vérifié la réalité ;
Attendu, ainsi, et en application des dispositions de l'article 1152 du Code civil, la peine, dont la qualification n'est pas contestée, apparaissant manifestement excessive, qu'il convient de la modérer à hauteur de la somme énoncée au présent dispositif;
Attendu que les premiers juges ont condamné la SARL Socios à payer à la société Interbrew la somme de 15 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile alors qu'il apparaît que celle dernière sollicitait l'allocation de la somme de 6 000 F ;
Qu'il convient donc de réformer également sur ce point la décision entreprise en réduisant à la somme de 700 euro le quantum de l'indemnité procédurale ;
Attendu qu'au regard de l'équité il convient de débouter chacune des parties de leur demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Attendu que la SARL Socios n'établit pas le caractère abusif de la procédure mise en œuvre par la société Interbrew, alors qu'il convient de confirmer le jugement quant aux dommages et intérêts alloués en réparation de la résistance abusive opposée par la première ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme ; Confirme le jugement sauf quant au quantum de l'indemnité contractuelle de rupture et de l'indemnité procédurale ; Le réformant sur ces points, Condamne la SARL Socios à payer à la société Interbrew : - la somme de 5 000 euro au titre de l'indemnité contractuelle de rupture, (outre celle de 7 440,96 euro allouée par les premiers juges au titre des sommes non amorties de la subvention) ; - la somme de 700 euro au titre de ses frais irrépétibles exposés en première instance ; Rejette toute autre demande exposée ci-dessus ; Condamne la SARL Socios aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.