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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 18 décembre 2002, n° 2001-06452

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

PCP Apara (SA)

Défendeur :

Isabelle Martin (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Cordeau

Avocats :

Mes Giovanetti, Fajgenbaum

T. com. Paris, 15e ch., du 26 janv. 2001

26 janvier 2001

La société PCP Apara (société Apara), fabricant de prêt-à-porter féminin, est appelante du jugement contradictoire rendu le 21 janvier 2001 par le Tribunal de commerce de Paris, qui

- a condamné l'EURL Isabelle Martin à lui payer 62 922,25 F en paiement d'un solde de factures, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2000 date de l'assignation,

- l'a condamnée pour concurrence déloyale, à payer à l'EURL Isabelle Martin 87 500 F de dommages-intérêts,

- a ordonné la compensation entre ces deux sommes et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- a condamné les parties au paiement des dépens par moitié.

Par conclusions déposées le 23 octobre 2002, auxquelles il est renvoyé, la société PCP Apara poursuit la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a fait droit à sa demande en paiement de factures.

Elle demande son infirmation pour le surplus et prie la cour, statuant à nouveau,

- de débouter l'EURL Isabelle Martin de toutes ses demandes, irrecevables et infondées,

- subsidiairement de dire que l'intimée ne justifie pas de son préjudice qui ne saurait être supérieur à la marge nette perdue sur le chiffre d'affaires manqué,

- en tout état de cause, de la condamner à lui payer 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'EURL Isabelle Martin, intimée, demande à la cour, par conclusions du 15 octobre 2002 auxquelles il est renvoyé,

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Apara pour concurrence déloyale et a ordonné la compensation des dommages-intérêts alloués à ce titre avec la somme de 9 592,44 euro due par elle-même en paiement de marchandises,

- y ajoutant, de chiffrer à 38 112 euro le montant de son préjudice et de condamner la société Apara à lui payer cette somme à titre de dommages-intérêts, outre 7 622,45 euro pour ses frais irrépétibles.

Sur ce,

Considérant que le litige ne porte pas sur le paiement du solde dû par l'EURL Isabelle Martin soit 9 592,44 euro avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2000 en paiement de marchandises livrées par la société Apara, mais seulement sur les actes de concurrence déloyale reprochés à cette dernière par l'intimée et sur le préjudice qui en est résulté;

Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la société Apara

Considérant que l'EURL Isabelle Martin fait valoir

- qu'elle a racheté en février 1999 au prix de 189 189 euro un fonds de commerce de détail de vêtements de prêt-à-porter féminin, situé 16, rue Saunière à Valence, auparavant exploité par Rachel Romano sous l'enseigne " Rachel ", et dont la société Apara était un fournisseur habituel depuis près de vingt ans, une première commande étant passée sans difficulté à la société Apara et livrée par cette dernière pour la collection automne-hiver 1999/2000 pour 15 930,77 euro,

- que la société Apara à laquelle une seconde commande de 222 pièces a été passée en septembre 1999 pour la collection printemps-été au prix de 18 124,66 euro (118 890 F), a manqué à son obligation de loyauté en omettant de prévenir sa co-contractante de ce qu'elle ouvrait un point de vente à proximité, et s'est livrée à des actes de concurrence déloyale visant à désorganiser l'entreprise, en modifiant les délais de livraison qu'elle a portés unilatéralement à sept mois, en livrant délibérément avec retard et partiellement cette seconde commande, en rompant brutalement les relations commerciales par son refus de présenter sa nouvelle collection automne-hiver 2000/2001 dont la commande aurait dû intervenir en février 2000, et en débauchant simultanément les deux uniques vendeuses de l'intimée;

Que la société Apara fait tout d'abord valoir que l'intimée qui critique les conditions d'exécution de ses commandes et se plaint d'actes de concurrence déloyale, se fonde à la fois sur la responsabilité et contractuelle et délictuelle, alors que ces deux fondements sont exclusifs l'un de l'autre, la demande de l'intimée devant être déclarée irrecevable; qu'elle conteste également le bien-fondé des griefs de son adversaire;

Considérant qu'il résulte clairement des écritures de l'EURL Isabelle Martin que son grief tenant à la livraison tardive des marchandises commandées pour la saison printemps-été 2000 vient au seul soutien de ses demandes visant la concurrence déloyale qu'elle reproche à la société Apara, l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'appelante devant être rejetée;

Considérant, quant au bien-fondé de ces griefs, que l'abus reproché à l'appelante dans la modification apportée aux délais de livraison n'est pas établi, ces délais de quatre à sept mois mentionnés sur la confirmation de commande adressée à l'intimée, sans susciter de protestation de sa part, correspondant au surplus aux conditions portées sur la confirmation d'une précédente commande le 9 mars 1999; que le refus de présentation de la collection automne-hiver 2000/2001 allégué n'est pas établi;

Mais considérant que c'est par de justes motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont relevé le manque de loyauté de la société PCP Apara, qui n'a pas averti sa cocontractante dont elle fournissait de longue date le magasin, de l'ouverture le 1er avril 2000 d'un point de vente direct des produits de sa marque à proximité, et qui n'a pas hésité à recruter en mars 2000 en qualité de directrice de boutique, pour vendre les mêmes produits dans son propre point de vente, l'unique vendeuse du magasin Rachel, Samia Tekhil, qui y travaillait depuis plus de quinze ans et constituait de ce fait un atout évident pour conserver ou attirer la clientèle attachée aux produits vendus notamment sous la marque Apara qu'elle a précisé dans une attestation du 6 décembre 2000 " avoir vendue pendant de longues années "; qu'il en a été de même pour l'apprentie de l'EURL Isabelle Martin, recrutée en avril 2000; que la société Apara qui déclare avoir apposé une affiche sur la vitrine de son magasin, soit avant son ouverture, ne justifie d'aucune recherche de personnel ni d'aucune annonce dans la presse; qu'enfin il est établi que la commande passée par l'EURL Isabelle Martin n'a été que partiellement livrée, les factures établies en février et mars 2000, versées aux débats ne mentionnant que 162 pièces;

Que ces faits qui ne pouvaient que désorganiser l'entreprise exploitée par l'EURL Isabelle Martin alors que la boutique ouverte par la société Apara commençait ses propres activités, constituent des actes de concurrence déloyale;

Sur le préjudice

Considérant que l'EURL Isabelle Martin fait valoir qu'il convient d'ajouter à la privation de marge brute chiffrée à 13 339,29 euro (87 500 F) par les premiers juges au vu de l'attestation fournie par la société d'Expertise comptable CORCEP, un préjudice moral dont elle est fondée à demander réparation, son préjudice total s'élevant à 38 112 euro;

Considérant que la société Apara s'oppose à ces prétentions, demandant au contraire à la cour de ne prendre en compte que la perte de marge nette subie par l'entreprise;

Considérant qu'il convient de retenir, pour chiffrer le préjudice financier subi par l'EURL Isabelle Martin du fait des actes de concurrence déloyale commis par son fournisseur, la perte de marge brute qui est résultée de sa privation d'une partie de son chiffre d'affaires, ainsi que l'ont justement décidé les premiers juges, cette chute d'activité n'ayant entraîné aucune réduction de charge; qu'il convient en outre de réparer le préjudice moral subi par l'intimée, dont l'image n'a pu qu'être affectée par la perte brutale de la marque et par le départ subit de ses deux vendeuses et notamment de l'une d'entre elle, ancienne employée connaissant parfaitement la clientèle attachée aux produits PCP Apara, alors que l'intimée venait de reprendre l'exploitation de ce fonds de commerce racheté moins d'un an auparavant; qu'au vu de ces éléments, la cour fixera à 20 000 euro le montant des réparations dues à l'intimée;

Considérant qu'il convient de confirmer partiellement la décision entreprise;

Qu'il est équitable que l'EURL Isabelle Martin soit indemnisée de ses frais irrépétibles d'appel, pour lesquels lui sera allouée une indemnité complémentaire de 3 000 euro;

Par ces motifs, Statuant dans les limites de l'appel, Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société PCP Apara, Confirme la décision entreprise, dans ses dispositions non contraires au présent dispositif, Et réformant, Condamne la société PCP Apara à payer à l'EURL Isabelle Martin 20 000 euro de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité complémentaire de 3 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel, La condamne aux dépens d'appel, Admet Maître Cordeau, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.