CCE, 19 février 1997, n° M.784
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Kesko/Tuko
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 57 paragraphe 2 point a), vu le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (1), modifié par l'acte d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, et notamment son article 8 paragraphe 4 et son article 22, vu la décision prise par la Commission, le 20 novembre 1996, déclarant la concentration par laquelle Kesko Oy a acquis le contrôle exclusif de Tuko Oy incompatible avec le Marché commun, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion d'exprimer leur point de vue sur les griefs formulés par la Commission, après avoir entendu le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises (2), considérant ce qui suit :
(1) Le 26 juin 1996, la Commission a été saisie par l'Office finlandais de la concurrence d'une demande d'examen en application de l'article 22 du règlement (CEE) n° 4064-89 (le "règlement sur les concentrations"), concernant l'acquisition de Tuko Oy ("Tuko") par Kesko Oy ("Kesko"). Le 20 novembre 1996, la Commission a pris une décision au titre de l'article 8 paragraphe 3 en liaison avec l'article 22 du règlement sur les concentrations (la "décision du 20 novembre 1996"), déclarant la concentration incompatible avec le Marché commun.
(2) À la date de la décision précitée, l'opération avait déjà été réalisée, puisque Kesko avait acquis le contrôle de Tuko le 27 mai 1996 en prenant une participation dans le capital de l'entreprise. La Commission a décidé de ne pas inclure dans sa décision du 20 novembre 1996 les mesures visées à l'article 8 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations et a annoncé qu'elle prendrait une décision distincte, au titre de l'article 8 paragraphe 4, prévoyant des mesures destinées à rétablir les conditions d'une concurrence effective.
Motivation essentielle de la décision du 20 novembre 1996
(3) La Commission a conclu que l'opération aurait pour effet de créer ou de renforcer une position dominante de Kesko sur le marché finlandais du commerce de détail de biens de consommation courante, où la part de marché cumulée de cette entreprise et de Tuko atteindrait au moins 55 %, que ce soit au niveau local, régional ou national. Cette position serait encore renforcée par celle qu'elles détiennent dans le secteur des grandes surfaces, par leur contrôle des locaux commerciaux, leurs systèmes de fidélisation de la clientèle, leurs produits vendus sous marque de distributeur, leurs systèmes de distribution et, en particulier, la puissance d'achat considérable dont bénéficient leurs organes centraux dans leurs relations avec les fabricants de biens de consommation courante (voir points de la décision du 20 novembre 1996 consacrés aux marchés des achats).
(4) En outre, la Commission a conclu que l'opération aurait pour effet de créer ou de renforcer une position dominante de Kesko sur le marché finlandais des ventes de biens de consommation courante en libre-service de gros. La part de marché cumulée de Kesko et de Tuko sur le plan national serait d'environ 80 % et se situerait entre [50 % et 100 %] (3) dans toutes les régions du pays. De plus, cette position serait renforcée par la puissance d'achat de Kesko évoquée au point précédent.
(5) Il est apparu que, sur ces deux marchés, Kesko détiendrait, incontestablement et de loin, la première place par rapport à ses concurrents.
(6) En dernier lieu, la Commission a conclu que les positions dominantes de Kesko sur les marchés en question ne seraient pas neutralisées par la concurrence potentielle et que l'opération renforcerait même les obstacles au point d'empêcher pratiquement tout accès à ces marchés à l'issue de l'opération.
(7) Au cours de la procédure qui a abouti à la décision du 20 novembre 1996, Kesko n'a proposé aucun engagement de nature à résoudre les problèmes mis en évidence dans cette décision au regard du droit de la concurrence. Il est donc nécessaire d'éliminer la position dominante créée par l'acquisition de Tuko.
Communication de la Commission au titre de l'article 18 du règlement sur les concentrations
(8) Afin de remédier à la situation dans laquelle Kesko avait déjà pris dans les faits le contrôle de Tuko depuis mai 1996, la Commission a émis une communication au titre de l'article 18 du règlement sur les concentrations (la "communication au titre de l'article 18"), indiquant qu'elle jugeait approprié de prendre une décision au titre de l'article 8 paragraphe 4 obligeant Kesko à vendre en bloc les activités de Tuko dans le commerce de biens de consommation courante.
(9) De plus, en expliquant les modalités d'une telle cession, la communication au titre de l'article 18 indiquait que la cession devrait porter sur l'ensemble des actifs liés aux activités dans le commerce des biens de consommation courante, y compris la participation prise dans le capital de Tuko, et que l'acquéreur devrait être un concurrent, actuel ou potentiel, qui soit viable, indépendant et sans lien avec le groupe Kesko, et qui possède suffisamment d'expérience et de ressources financières. Le délai pour mener à bien la cession était fixé à six mois. En outre, un mandataire devrait être désigné pour réaliser un audit afin de constater que la cession était complète, déterminer la structure de gestion des actifs à céder en attendant la cession, jouer le rôle de banque d'affaires de Kesko au cours de la vente des activités et présenter des rapports périodiques à la Commission sur l'exploitation de celles-ci et sur l'état d'avancement des négociations avec les tiers.
Réponse de Kesko à la communication au titre de l'article 18
(10) Après avoir reçu la communication au titre de l'article 18, Kesko a fait valoir que la décision au titre de l'article 8 paragraphe 4 devrait être assouplie pour ne pas imposer de charges excessives à Kesko. De plus, Kesko a proposé deux transactions susceptibles, à son avis, d'opérer la cession des activités de Tuko dans le commerce de biens de consommation courante.
Arguments en faveur d'un régime plus souple
(11) Kesko a affirmé que les pouvoirs de la Commission, lorsqu'elle ordonne une cession en vertu de l'article 8 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, se limitent, conformément au principe de proportionnalité, à des mesures correctives qui ne vont pas au-delà de ce qui est utile et nécessaire pour atteindre l'objectif visé. Par conséquent, Kesko a fait valoir que l'obligation de cession visée dans la communication au titre de l'article 18 devrait être modulée pour permettre la plus grande souplesse possible afin de ne pas imposer de charges excessives à Kesko.
Prenant cet argument en considération, la Commission a, dans la présente décision, prévu la conservation de la participation prise dans le capital de Tuko par Kesko, la possibilité pour Kesko de [...] l'insertion de dispositions prévoyant, sur la base de l'avis motivé du mandataire, une cession qui ne constitue pas une vente en bloc.
(12) Kesko a également affirmé que la Commission est soumise, en plus des limites imposées par le principe de proportionnalité, à d'autres restrictions découlant de l'article 22 paragraphe 5 du règlement sur les concentrations, qui prévoit que la Commission ne prend que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le territoire de l'État membre à la demande duquel elle est intervenue.
Toutefois, l'article 22 paragraphe 5 du règlement limite simplement le champ d'application des mesures au territoire de l'État membre concerné. L'article 22 paragraphe 3 du règlement renvoie explicitement à l'article 8 paragraphe 4, ce qui confirme que la Commission a les mêmes pouvoirs au titre de l'article 8 paragraphe 4, qu'elle agisse à la demande d'un État membre ou non.
Remèdes proposés par Kesko
(13) Kesko a présenté deux propositions pour la cession des activités de Tuko. Toutefois, la première proposition, qui comportait la vente à [...], a été retirée [...]. La seconde proposition, qui comportait la vente à un consortium d'entreprises, a été présentée à un stade très avancé de la procédure, alors qu'un projet de décision au titre de l'article 8 paragraphe 4 avait déjà été envoyé aux États membres et qu'une date avait été fixée pour la discussion du projet par le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises. En outre, cette proposition ne contenait aucune explication quant à la raison pour laquelle elle ne proposait pas une vente en bloc, mais impliquait la prise, par le consortium, de diverses participations dans l'ensemble des activités de Tuko. Elle ne contenait pas non plus suffisamment d'assurances que les acquéreurs seraient indépendants et sans lien avec le groupe Kesko, ni qu'ils possèderaient l'expérience et les ressources financières nécessaires pour constituer un concurrent viable de Kesko. Enfin, étant donné qu'aucun mandataire indépendant n'avait encore été désigné, contrairement à ce que prévoyait la communication au titre de l'article 18, la proposition ne comportait aucune des garanties d'une cession appropriée telles qu'elles devaient apparaître dans l'audit que le mandataire devait réaliser des activités de Tuko ou dans les rapports qu'il devait présenter sur les acquéreurs potentiels.
Le 11 février 1997, Kesko a informé la Commission qu'elle avait signé des contrats visant à mettre en œuvre la seconde proposition. La signature de ces contrats n'affecte pas la présente décision, étant donné, notamment, que leur entrée en vigueur a été explicitement subordonnée à l'approbation de la Commission (au 30 avril 1997 au plus tard).
Conclusion
(14) Pour la raison précitée et puisque l'opération a déjà été réalisée, il y a lieu, en vertu de l'article 8 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, d'ordonner à Kesko de se défaire des activités de Tuko dans le commerce de biens de consommation courante. En prenant cette décision, la Commission a pris en considération l'argument avancé par Kesko concernant la souplesse et la nécessité de ne pas aller au-delà de ce qui est utile et nécessaire pour atteindre l'objectif visé, à savoir rétablir une concurrence effective sur les marchés finlandais de la vente de biens de consommation courante au détail et en libre-service de gros,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
Kesko cède les activités de Tuko dans le commerce de biens de consommation courante à un acquéreur devant être un concurrent, actuel ou potentiel, qui soit viable, indépendant et sans lien avec le groupe Kesko et qui dispose des ressources financières et d'une expérience confirmée lui permettant de maintenir et de développer les activités cédées de manière à ce qu'elles entrent effectivement en concurrence avec celles de Kesko dans le secteur des biens de consommation courante(exigences dénommées ci-après "critères de sélection").
Avant la cession, Kesko veille à ce que les actifs à céder représentent l'ensemble des activités de Tuko dans la vente de biens de consommation courante. De plus, ces activités sont remises en l'état où elles se trouvaient, du point de vue de la concurrence, avant la prise de contrôle par Kesko. Il peut en résulter, entre autres, l'obligation de restituer à Tuko tous les actifs, corporels ou incorporels, liés à la vente de biens de consommation courante, dont Tuko était propriétaire à la date de l'opération de concentration et dont elle s'est dessaisie, ou, le cas échéant, de remplacer ces actifs aux frais de Kesko. En outre, tous les contrats conclus par Tuko ou en son nom ou par tout autre organe du groupe Tuko, relatifs à ses activités dans la vente de biens de consommation courante, sont cédés dans la mesure où ils sont cessibles de plein droit. S'ils ne sont pas cessibles de plein droit, Kesko met tout en œuvre pour en obtenir la cession conventionnelle.
Article 2
1. Kesko désigne, dans un délai de trente jours suivant la notification de la présente décision, un mandataire indépendant, dont la désignation devra être approuvée par la Commission et qui sera chargé de superviser l'exploitation et la gestion des actifs à céder conformément à l'article 1er.
2. Kesko prévoit, dans le mandat irrévocable du mandataire, les droits et obligations qui suivent :
a) réaliser un audit approprié pour établir la liste des actifs et des contrats à inclure dans la cession prévue à l'article 1er ; à cet effet, le mandataire aura accès à tous les documents, livres et archives du groupe Tuko et, dans la mesure où les actifs détenus par Tuko à la date de l'opération ne le sont plus à la date de l'audit, à tous les documents, livres et archives du groupe Kesko ;
b) déterminer, de manière suivie jusqu'à ce que la cession ait été menée à son terme, la structure de gestion la plus propre à assurer la viabilité, la valeur commerciale et la compétitivité de l'ensemble à céder ;
c) jouer le rôle de banque d'affaires de Kesko et mener en toute bonne foi des négociations avec les tiers intéressés en vue de la vente en bloc, dans les délais fixés à l'article 4, de l'ensemble à céder ;
d) présenter à la Commission un rapport écrit (dont une copie sera communiquée à Kesko) sur les résultats de l'audit prévu au point a), ainsi que des rapports mensuels écrits sur l'exploitation et la gestion de l'ensemble à céder et sur l'état d'avancement de ses négociations avec les tiers intéressés par l'acquisition de l'ensemble à céder, notamment sur le délai dans lequel un accord avec les tiers intéressés pourrait être mis en œuvre et, en particulier, communiquer à la Commission des informations suffisantes pour lui permettre d'évaluer si chaque offre satisfait aux critères de sélection.
Si le mandataire considère qu'une offre qui ne respecte pas les critères fixés à l'article 1er permettrait d'atteindre le même résultat que la cession en bloc, il en expose les raisons dans son rapport à la Commission. Si la Commission, conformément au point e), ne marque pas son désaccord, cette offre sera considérée comme recevable aux fins de la présente décision ;
e) ne poursuivre les négociations avec un tiers intéressé que si la Commission n'a pas, dans un délai de deux semaines à compter de la réception du rapport du mandataire, fait savoir officiellement que, selon elle, ledit tiers ne remplit pas les critères de sélection ;
f) recevoir de Kesko une rémunération propre à l'inciter à conclure l'opération de cession dans les meilleurs délais.
3. Kesko fournit au mandataire toute l'aide dont il pourrait avoir raisonnablement besoin pour l'accomplissement de sa mission, au besoin en mettant à sa disposition un personnel indépendant, disposant des connaissances commerciales et/ou financières nécessaires.
Article 3
[...]
Article 4
1. La cession prévue à l'article 1er est menée à bien dans un délai de [...] à compter de la notification de la présente décision. Kesko sera réputée s'être conformée à la présente décision si, avant cette échéance, un accord contraignant a été conclu pour la vente de l'ensemble à céder, à condition que la cession soit effective dans un délai de [...] à compter de la conclusion d'un tel accord.
2. Si plus d'un acquéreur potentiel agréé par la Commission se présente, Kesko est libre de sélectionner l'offre de son choix.
3. S'il s'avère impossible de conclure un accord contraignant dans le délai de [...] prévu au paragraphe 1, la Commission, à la demande de Kesko et si le mandataire expose des motifs valables, peut proroger ce délai. Dans ce cas, Kesko donne au mandataire le mandat irrévocable de vendre l'ensemble à céder aux meilleures conditions [...]. En tout état de cause, la cession doit être pleinement effective au [...] au plus tard.
Article 5
Kesko Oy, Satamakatu 3, FIN-00160 Helsinki, est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° L 395 du 30. 12. 1989, p. 1 (rectificatif au JO n° L 257 du 21. 9. 1990, p. 13).
(2) JO n° C 202 du 2. 7. 1997, p. 3.
(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises (ou remplacées par un ordre de grandeur) et certains passages n'ont pas été reproduits, conformément à l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 4064-89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.