CA Nîmes, 2e ch. B, 28 février 2002, n° 00-2397
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Vincent
Défendeur :
Roure
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Conseillers :
MM. Bertrand, Bancal
Avoués :
SCP Pomies Richaud Astraud, SCP Tardieu
Avocats :
SCP Pierrin Madeira, Me Flaugère.
Vu l'assignation devant le Tribunal de commerce d'Annonay, en date du 17 juin 1999, délivrée à la requête de Monsieur Bernard Vincent et tendant à faire condamner Monsieur Maurice Roure au paiement :
- d'une somme de 40 000 F en réparation du préjudice commercial, de la perte d'exploitation et du trouble de jouissance prétendument subi en sa qualité de locataire gérant d'un fonds de commerce d'hôtel-restaurant du fait des négligences du propriétaire de ce même fonds ;
- d'une somme de 30 000 F correspondant au remboursement du dépôt de garantie consignée lors de l'entrée dans les lieux ;
Vu le jugement rendu contradictoirement le 14 avril 2000 par le Tribunal de commerce d'Annonay et qui a notamment :
- condamné Monsieur Vincent à payer à Monsieur Roure et après compensation une somme de 14 559,78 F outre les intérêts moratoires au taux légal à compter de cette décision ;
- débouté Messieurs Vincent et Roure de toutes leurs autres demandes ;
- condamné Monsieur Vincent au paiement d'une indemnité de 2 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 19 mai 200 par Monsieur Bernard Vincent à l'encontre du jugement du 14 avril 2000 et enrôlé sous le numéro 00-2397 ;
Vu les dernières conclusions en date du 18 septembre 2000, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens et par lesquelles Monsieur Bernard Vincent demande notamment à la cour :
- de confirmer partiellement la décision déférée en ce que le premier juge a condamné Monsieur Roure à lui rembourser la somme de 30 000 F au titre du dépôt de garantie ;
- de réformer pour le surplus le jugement déféré ;
- de juger que le premier juge a dénaturé partiellement les faits de l'espèce et fait une application pour partie erronée de la loi ;
- de juger qu'il a subi un préjudice commercial, une perte d'exploitation et un trouble de jouissance en raison des désordres affectant les murs du fonds de commerce et le matériel d'exploitation ;
- de condamner en conséquence Monsieur Roure à lui verser une somme de 43 000 F à titre de dommages-intérêts ;
- de débouter Monsieur Roure de toutes ses demandes tendant notamment au remboursement de différentes factures ;
- de lui allouer une somme de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu le bordereau annexé aux écritures déposées le 18 septembre 2000 par Monsieur Bernard Vincent et mentionnant la communication de 8 pièces ;
Vu les dernières conclusions en date du 9 février 2001, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens et par lesquelles Monsieur Maurice Roure, qui formule un appel incident, demande notamment à la cour :
- de confirmer partiellement la décision déférée en ce que le premier juge a débouté Monsieur Bernard Vincent de sa demande principale ;
- de réformer pour le surplus la décision déférée ;
- de condamner Monsieur Bernard Vincent à lui verser, après compensation, la somme de 48 369,96 F ;
- de condamner Monsieur Bernard Vincent à lui remettre l'intégralité de la comptabilité concernant sa période d'exploitation sous astreinte de 1 000 F par jour de retard ;
- de lui allouer une somme de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu le bordereau annexé aux écritures déposées le 9 février 2001 par Monsieur Maurice Roure et mentionnant la communication de 14 pièces ;
Vu la clôture le 21 décembre 2001 de la mise en état de la procédure ;
MOTFS DE LA DECISION
Attendu que la recevabilité de l'appel interjeté par Monsieur Bernard Vincent n'est ni contestée ni contestable ;
Attendu que la recevabilité de l'appel incident formé par Monsieur Maurice Roure n'est ni contestée ni contestable ;
Attendu qu'il résulte effectivement des pièces soumises à la contradiction des parties et telles que mentionnées aux bordereaux de communication annexés aux dernières écritures en date des 18 septembre 2000 et 9 février 2001:
- que par acte sous-seing privé en date du 1er avril 1995, Monsieur Maunice Roure a donné en "gérance libre" à Monsieur Bernard Vincent un fonds de commerce d'hotel-restaurant sis à 07000 Arcens ;
- que la convention a été conclue pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction ;
- que la convention de location-gérance du 1er avril 1995 a été renouvelée deux fois, le 1er avril 1996 et le 1er avril 1997 ;
- que le 5 juin 1997, Monsieur Bernard Vincent a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce d'Annonay qui a par une ordonnance en date du 11 Juillet 1997 désigné un expert judiciaire pour constater les désordres qui affecteraient les murs et les divers matériels du fonds de commerce loué ;
- que la convention de location-gérance du 1er avril 1995 n'a pas fait l'objet d'un troisième renouvellement et a pris fin le 31 mars 1998 ;
Attendu que par une ordonnance en date du 11 juillet 1997, le juge des référés du Tribunal de commerce d'Annonay avait désigné un expert judiciaire Monsieur Michel Charron avec pour mission notamment :
- de "contrôler la conformité des installations électriques des locaux avec les normes légales" ;
- de "dire s'il existe des anomalies et si oui de préciser lesquelles et quels sont les travaux pour y remédier";
- de " dire s'il existe des infiltrations d'eau dans les locaux loués et dans l'affirmative de préciser leur importance et de dire les travaux nécessaires pour y remédier" ;
- de "dire s'il existe des anomalies affectant 18 système de chauffage, les appareils électroménager et de cuisine, et si oui, de préciser les travaux nécessaires à effectuer pour y remédier" ;
- d' "examiner les menuiseries extérieures, de déterminer les réparations éventuellement nécessaires les concernant et de les chiffrer" ;
- de dire si les désordres constatés rendent inexploitable le fonds de commerce ;
- de "dire s'il existe un préjudice, d'établir les responsabilités et de faire les comptes entre les parties" ;
Attendu que dans son rapport déposé le 26 février 1998, l'expert judiciaire a :
- constaté que Monsieur Vincent a exploité le fonds de commerce pendant deux ans sans relever la moindre contestation ;
- constaté qu'aucun inventaire n'a été fait lors de la prise de possession de Monsieur Vincent ;
- constaté l'existence de nombreux désordres affectant le réseau électrique et le matériel d'exploitation du fonds ;
- relevé que les désordres affectant le réseau électrique et le matériel sont du ressort de l'entretien courant ;
- relevé que "les anomalies constatées ne sont pas de nature à rendre inexploitable le fond" ;
- constaté que les fissures en façade ont fait l'objet d'un traitement ;
Attendu qu'il est de principe que les conclusions d'un expert judiciaire ne lient jamais le juge qui se doit d'en apprécier la pertinence;
Attendu cependant que Monsieur Bernard Vincent n'invoque aucun moyen de droit ni aucun élément de fait suffisamment sérieux ou pertinent pour permettre à la cour d'écarter les constatations et les conclusions de l'expert judiciaire ;
Attendu que le contrat de location-gérance signé le 1er avril 1995 entre Monsieur Maurice Roure et Monsieur Bernard Vincent stipule :
- que Monsieur Roure donne le fonds en gérance libre "en l'état où il se trouve" ;
- que Monsieur Vincent reconnaît bien connaître le fonds et ne pourra en aucun cas présenter de réclamation au bailleur pour quelque raison que ce soit ;
Attendu qu'il est de principe :
- que les obligations contractuelles du loueur d'un fonds de commerce sont définies par les dispositions de l'article 1719 du Code civil;
- qu'il incombe notamment au loueur d'un fonds de commerce de maintenir les lieux et le matériel en l'état pour permettre une exploitation normale du fonds loué;
- que les obligations contractuelles du preneur d'un fonds de commerce sont définies par les dispositions de l'article 1728 du Code civil ;
- que le preneur n'est notamment tenu qu'à l'entretien courant ;
Attendu que Monsieur Maurice Roure n'est pas fondé à soutenir que l'inventaire qu'il allègue et en date du 1er avril 1995 serait un inventaire dressé contradictoirement en présence de Monsieur Bernard Vincent lors de la prise de possession du fonds de commerce par ce dernier ;
- que l'inventaire versé aux débats ne porte pas la signature de Monsieur Bernard Vincent ;
Attendu qu'en l'état des débats, Monsieur Bernard Vincent n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation des conséquences dommageables du mauvais fonctionnement des appareils d'exploitation (chambre froide, machine à laver la vaisselle, mélangeur SAM, machine à glaçons, machine à café, armoire d'arrivée EDF et installation électrique) ; que la cour relève à cet égard :
- que la convention du 1er avril 1995 stipule que Monsieur Bernard Vincent a déclaré prendre le fonds en l'état et bien le connaître ;
- qu'aucun inventaire contradictoire du matériel loué n'a été dressé lors de la prise de possession du fonds par Monsieur Bernard Vincent ;
- que Monsieur Bernard Vincent a exploité le fonds de commerce donné en location-gérance pendant deux ans et ce sans élever la moindre réserve écrite sur l'état du matériel ;
- que l'entretien courant du matériel loué incombe au locataire ;
- que l'expert judiciaire a relevé que les dysfonctionnements des divers matériels loués étaient imputables à un mauvais entretien;
- qu'aucun des dysfonctionnements allégués par Monsieur Bernard Vincent n'a rendu le fonds de commerce inexploitable ;
Attendu qu'en l'état des débats, Monsieur Bernard Vincent est fondé à solliciter l'indemnisation des conséquences dommageables des désordres qui ont affecté les murs du fonds de commerce donné en location-gérance; que la cour relève à cet égard :
- que l'existence de fissures sur la façade et ayant provoqué des infiltrations dans plusieurs chambres n'est pas contestée;
- que Monsieur Roure a fait procéder à des réparations ;
- que les infiltrations constatées ont entraîné un trouble de jouissance effectif et un préjudice commercial;
Attendu qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 1 000 euros le montant global des différents chefs de préjudice subis à la suite des infiltrations d'eau dans certaines chambres ;
Attendu qu'il convient donc de condamner Monsieur Maurice Roure à verser à Monsieur Bernard Vincent une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'en l'état des débats, Monsieur Maurice Roure n'est pas fondé à solliciter le remboursement des différentes factures qu'il allègue (factures Ecotel, Dauphine Equipement, Teyssier, Egbi, Peupynet) ; que la Cour relève à cet égard :
- qu'aucun inventaire contradictoire du matériel loué n'a été dressé lors de la prise de possession du fonds par Monsieur Bernard Vincent ;
- que dès lors la cour est dans l'ignorance de l'état réel de fonctionnement des matériels lors de la prise de possession du fonds de commerce par Monsieur Bernard Vincent ;
- que Monsieur Maurice Roure, qui avait déjà une solide expérience de la location-gérance, n'a pas cru devoir mettre en demeure Monsieur Vincent de dresser un inventaire contradictoire ;
- que toutes les factures dont Monsieur Maurice Roure réclame le remboursement (factures Ecotel, Dauphine Equipement, Teyssier, Egbi, Peupynet) sont postérieures d'une part à la fin de la location-gérance et d'autre part au dépôt du rapport de l'expert judiciaire ;
- que les attestations de Monsieur Riou et de Madame Louise Maza ne sont pas suffisantes à elles seules à suppléer l'absence de tout inventaire contradictoire ;
- qu'aucun élément de fait de l'espèce ne permet d'imputer à Monsieur Bernard Vincent la responsabilité des réparations ou des améliorations faites par Monsieur Roure et ce en l'absence d'un inventaire contradictoire dressé lors de l'entrée dans les lieux ;
- que la charge de la preuve incombe en l'espèce à Monsieur Maurice Roure ;
- que Monsieur Maurice Roure a su s'accommoder de la naïveté de Monsieur Bernard Vincent ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de réformer la décision déférée en ce que le premier juge a fait droit pour partie aux demandes présentées par Monsieur Maurice Roure quant au remboursement de ses factures ; que statuant à nouveau il y a lieu de rejeter l'ensemble de ces mêmes demandes ;
Attendu qu'il est constant :
- que Monsieur Bernard Vincent a versé à Monsieur Roure une somme de 30 000 F par application du 9° du paragraphe intitulé " Charges et Conditions" de la convention du 1er avril 1995 ;
- qu'aux termes de la convention du 1er avril 1995, la somme consignée devra être restituée en fin de bail sauf méconnaissance par le preneur des charges et conditions de cette convention ;
Attendu qu'en l'état des débats, Monsieur Maurice Roure n'a pas justifié de ce que Monsieur Bernard Vincent n'aurait pas respecté ses engagements contractuels au sens du paragraphe " Charges et Conditions" de la convention du 1er avril 1995 ; que les conditions contractuelles de restitution de la consignation de 30 000 F sont réunies en l'espèce ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de condamner Monsieur Maurice Roure à restituer à Monsieur Bernard Vincent le montant de la consignation, à savoir la somme de 30 000 F (4573,47 euros) ;
Attendu que la convention du 1er avril 1995 n'impose pas au preneur l'obligation de communiquer au bailleur ses résultats comptables ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de rejeter la demande présentée par Monsieur Maurice Roure du chef des résultats comptables de Monsieur Bernard Vincent ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'il y a lieu de condamner Monsieur Maurice Roure, qui succombe, à supporter les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par décision contradictoire, Déclare recevables l'appel principal interjeté par Monsieur Bernard Vincent et l'appel incident formé par Monsieur Maurice Roure ; Au Fond Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau Condamne Monsieur Maurice Roure à verser à Monsieur Bernard Vincent une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts; Condamne Monsieur Maurice Roure à verser à Monsieur Bernard Vincent une somme de 30 000 F ( 4 573,47 euros ) au titre du remboursement de la consignation ; Rejette la demande présentée par Monsieur Maurice Roure et concernant la communication des résultats comptables de Monsieur Bernard Vincent; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Maurice Roure aux dépens et autorise la Société Civile Professionnelle Pomies-Richaud-Astraud, titulaire d'un office d'avoué, à en recouvrer le montant aux formes et conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.