CA Montpellier, 3e ch. corr., 14 février 2001, n° 99-01218
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brossier
Conseillers :
M. Raynaud, Mme Salvan-Bayle
Avoué :
Me Auche
Avocats :
Mes Cabanes, Capelet, Maréchal.
Rappel de la procédure :
Le jugement rendu le 26 avril 1999 par le Tribunal de grande instance de Perpignan a :
Sur l'action publique :
déclaré A Eric coupable :
- d'avoir, à Perpignan, 66, sur la circonscription judiciaire de Perpignan et sur le territoire national, de juillet 1996 à novembre 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les possibilités matérielles et légales d'obtenir un chéquier et d'émettre des chèques malgré interdiction bancaire ;
faits prévus par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al 1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 121-6, L. 12164, L. 213-1 du Code de la consommation ;
en répression, l'a condamné à 10 000 F d'amende et a ordonné la publication dans le journal l'Indépendant ;
Sur l'action civile :
a reçu la constitution de partie civile de l'Association catalane Léo Lagrange et de l'Union Fédérale des Consommateurs des Pyrénées Orientales et a condamné A Eric à leur payer chacune la somme de 2500 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Faits :
De juillet à novembre 1996, A Eric, alors président directeur général de la SA X et gérant de la SARL Y et de la SARL Z, procédait à des insertions par voie de presse, notamment ;
- dans 14 titres de publications publicitaires gratuites dont certaines diffusées en région parisienne du 16 au 22 septembre 1996 et du 30 septembre au 6 octobre 1996 relevant de :
Publication BIP " Si vous êtes interdit bancaire, nous avons la solution en ouvrant un compte bancaire à l'étranger. Info 3617 xxx " ;
Media Pub " Si vous êtes interdit bancaire, une solution ouvrez un compte à l'étranger INFO 3617 xxx (5,57 F/min) ;
- dans le n° 1336 du 25 septembre 1996 de l'hebdomadaire " Contact " de la société Comareg avec le texte " Interdit Bancaire, nous avons peut-être la solution pour votre chéquier, carte bancaire : 3615 xxx (F 2,23 F/min) " ;
- dans l'hebdomadaire Pub Media du 1er au 7 octobre 1996 avec le texte " Interdit Bancaire Nous avons peut-être la solution pour votre chéquier et votre carte bleue 3615 xxx 2,23 F la min. "
- dans l'hebdomadaire Télé 7 Jours du 2 au 8 novembre 1996 avec le texte " Interdit Bancaire ? Nous avons peut-être La Solution pour obtenir un Chéquier ou/et une Carte Bancaire 3617 xxx 5,57 F/min. ".
Ces annonces amenaient des connexions entre le 1er octobre et le 17 décembre 1996, sur les serveurs :
- 3615 xxx : 1 630 connexions pour une durée totale de 99 heures 32 minutes, représentant la somme de 7 092,74 F revenant à la société X ;
- 3617 xxx : 6 305 connexions pour une durée totale de 377 heures 22 minutes, représentant la somme de 78 156,60 F revenant à la société X.
Le serveur 3617 xxx était hébergé par la SARL France Rencontre pour le compte de la SARL Y,
Lors de ces connexions télématiques, les personnes qui s'étaient manifestées étaient invitées à laisser leurs coordonnées afin d'obtenir un contact personnel ; elles pouvaient commander un " Guide du consommateur européen " au prix de 115 F auquel s'ajoutaient les frais de contre-remboursement.
Moyennant la somme de 2 500 F TTC, le client, ainsi contacté qui laissait ses coordonnées, était invité à établir un " mandat spécial d'ouverture de compte bancaire " ; ces coordonnées et les autres renseignements nécessaires étaient transmis par les sociétés de M. Eric A à la banque Sabadell à la Junquera (Espagne) ou à d'autres établissements en Espagne (Caixa, Banco de Bilbao y de Viscaya, Banco Popular, Banca de Catanunya) ; après accord de la banque espagnole pour ouvrir un compte, M. Eric A accompagnait le client dans locaux de la banque aux fins de matérialisation de l'ouverture du compte et de remise d'un chéquier en eurochèques et de la carte bancaire.
Lors de son audition le 22 novembre 1996, M. Eric A déclarait que, depuis le mois de septembre 1996, 350 guides avaient été ainsi vendus et une cinquantaine de personnes avaient été accompagnées ainsi auprès d'établissements bancaires en Espagne.
Demandes et moyens des parties :
L'association catalane Léo Lagrange sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de M. Eric A à lui payer la somme de 5 000 F de dommages et intérêts et celle de 4 000 F d'indemnité sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
L'Union Fédarale des Consommateurs des Pyrénées Orientales sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de M. Eric A à :
- lui payer la somme de 5 000 F de dommages et intérêts ;
- supporter le coût de l'affichage aux portes de l'entreprise et de la publication à intervenir en application des dispositions de l'article L. 421-9 du Code de la consommation ;
- à lui payer la somme de 2 500 F d'indemnité sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ainsi que la condamnation.
Le Ministère public requiert d'une part, la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne la culpabilité et d'autre part, la condamnation de M. Eric A à un an d'emprisonnement avec sursis et cent mille francs d'amende.
M. Eric A, appelant, sollicite sa relaxe au motif que les dispositions du droit pénal français relatives aux interdits bancaires ayant émis des chèques tirés sur des banques espagnoles constituent une entrave à la libre prestation des services au sein de la Communauté prohibé par les traités de l'Union européenne et le traité d'Amsterdam, et que donc l'incrimination de publicité mensongère qui lui est reprochée n'est pas fondée.
Subsidiairement, il sollicite la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes en application des dispositions de l'article 177 du traité de l'Union européenne, aux fins de déterminer si le fait de poursuivre pénalement en France des interdits bancaires usant de chèques tirés sur des banques espagnoles, constitue une restriction à la libre prestation des services au sens des articles 59 et 60 du traité sur l'Union européenne et de l'article 49 du traité d'Amsterdam.
Motifs de l'arrêt :
Sur la procédure,
Les appels, réguliers en la forme et dans les délais, doivent être déclarés recevables.
M. Eric A comparaît à l'audience, assisté de son avocat ; il convient de statuer par arrêt contradictoire à son égard.
L'association catalane Léo Lagrange est représentée à l'audience par son avocat ; il convient de statuer par arrêt contradictoire à son égard.
L'Union Fédarale des Consommateurs des Pyrénées Orientales est représentée à l'audience par son avoué ; il convient de statuer par arrêt contradictoire à son égard.
Sur l'action publique,
L'article L. 121-1 du Code de la consommation dispose qu'est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celle-ci portent sur un ou plusieurs éléments suivants : existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et conditions de vente de biens ou de services, attendus de leur utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portées des engagements pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs ou des prestataires.
En l'espèce, la publicité faite par M. Eric A était destinée à faire croire que ses services permettaient au lecteur qui se trouvait sous le coup d'une interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement au sens du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement, de retrouver la possibilité d'utiliser sans risque ces moyens de paiement, la notice remise à ses clients citant uniquement les textes applicables en la matière sans en indiquer le contenu et n'informant donc pas le souscripteur frappé d'une interdiction bancaire sur les sanctions encourues en cas d'émission de ces chèques en France.
Par les annonces publiées par M. Eric A, le lecteur de celle-ci pouvait légitimement croire qu'un interdit bancaire retrouverait sa pleine capacité à émettre des chèques et à utiliser une carte bancaire sans risque pour lui alors qu'au moment de la lecture de l'annonce, comme d'ailleurs tout au long de la procédure et des démarches réalisées avec l'aide de M. Eric A, il était maintenu dans l'ignorance des conséquences pénales de tels actes réalisés en infraction avec le droit pénal français.
Ce seul risque, dissimulé au lecteur, caractérise le délit de publicité fausse en ce que l'interdit bancaire ne pouvait, par ce biais, retrouver ses pleines capacités ou pour le moins de nature à induire en erreur si l'illusion se dissipait au cours des démarches du client dans les établissements bancaires espagnols.
En procédant à ces insertions publicitaires, M. Eric A savait parfaitement qu'il dissimulait le risque à ses lecteurs attirés par les solutions proposées à leurs difficultés du moment.
Dès lors, le premier moyen de M. Eric A est inopérant en ce que ce risque existait effectivement pour les lecteurs au regard du droit pénal français alors que la présente juridiction répressive ne peut apprécier, par voie de règlement comme M. Eric A le sollicite, la conformité de ce droit pénal interne aux traités de l'Union européenne.
Ensuite, l'application de l'article L. 121-1 du Code de la consommation aux faits de l'espèce ne soulève aucune difficulté ; elle ne nécessite pas l'interprétation d'un traité de l'Union européenne, ni l'appréciation de la validité ou l'interprétation d'un acte pris par un organe de l'Union Européenne ; aucune question préjudicielle ne se pose aux sens de l'article 177 du traité de l'Union européenne ; dès lors le second moyen de M. Eric A est aussi inopérant.
Les circonstances de la cause ont donc été exactement appréciées par le tribunal dont le jugement doit être confirmé en ce qui concerne la culpabilité et la publication de la décision dans le journal " l'Indépendant " sans que le coût de l'insertion n'excède 3 000 F ; eu égard à la gravité des faits et aux circonstances de leur commission, il convient de porter l'amende à vingt mille francs (20 000 F) ;
Sur l'action civile,
Les constitutions de partie civile de l'association catalane Léo Lagrange et de l'Union Fédérale des Consommateurs des Pyrennées Orientales sont régulières et recevables.
Au vu des éléments du dossier et des débats, les montants des dommages et intérêts et des indemnités représentatives des frais non payés par l'Etat et exposés par elles en première instance sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, ont été correctement arbitrés.
En conséquence, il convient de confirmer les dispositions civiles du jugement déféré.
L'équité et les situations économiques respectives des parties commandent de condamner M. Eric A à payer à :
- l'association catalane Léo Lagrange la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) d'indemnité représentative des frais non payés par l'Etat et exposés par elle en cause d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
- l'Union Fédérale des Consommateurs des Pyrennées Orientales la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) d'indemnité représentative des frais non payés par l'Etat et exposés par elle en cause d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, Statuant publiquement, en matière correctionnelle, par arrêt contradictoire à l'égard de M. Eric A, de l'association catalane Léo Lagrange et de l'Union Fédérale des Consommateurs des Pyrennées Orientales; En la forme, Reçoit les appels, réguliers en la forme ; Sur l'action public, Confirme le jugement déféré en ce qui concerne la culpabilité et la publication de la décision dans le journal " l'indépendant " sans que le coût de l'insertion n'excède 3 000 F ; Aggravant la peine, condamne M. Eric A à vingt mille francs (20 000 F) d'amende ; Fixe la durée de la contrainte par corps, s'il y a lieu de l'exercer, conformément aux dispositions des articles 749 et 750 du Code de procédure pénale ; Dit que le présent arrêt est assujetti à droit fixe de procédure de huit cents francs (800 F) dont est redevable M. Eric A en application de l'article 1018 A du Code général des impôts ; Sur l'action civile, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions civiles ; Y ajoutant, condamne M. A à payer à l'association catalane Léo Lagrange la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) d'indemnité représentative des frais non payés par l'Etat et exposés par elle en cause d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne M. Eric A à payer à l'Union Fédérale des Consommateurs des Pyrennées Orientales la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) d'indemnité représentative des frais non payés par l'Etat et exposés par elle en cause d'appel sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Le tout en application des textes visés au jugement et à l'arrêt, et des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.