CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 27 juin 2002, n° 99-08922
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cégetel 7 (SA)
Défendeur :
France Télécom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fedou
Conseillers :
M. Coupin, Mme Robert
Avoués :
SCP Debray-Chemin, SCP Bommart Minault
Avocats :
Mes Lazarus, Baloup.
FAITS ET PROCEDURE
Pour promouvoir son activité, la société anonyme Cégetel 7 a réalisé au mois de février 1999 une campagne publicitaire dans les médias écrits et radiophoniques selon deux messages différents.
Estimant avoir été victime de cette publicité prétendument comparative illicite et dénigrante, la SA France Télécom a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre en cessation du trouble manifestement illicite et octroi d'une provision.
Par ordonnance rendue le 12 mars 1999, ce magistrat a enjoint à la société Cégetel 7 de mettre définitivement fin à la publicité incriminée dans la presse écrite et à la radio et de s'abstenir de la reprendre sous astreinte provisoire de 100 000 F (15 244,90 euros) par infraction constatée et réservé la demande de provision.
Puis la société France Télécom a assigné la société Cégetel 7 devant ce tribunal en réparation de son préjudice.
Cette juridiction, par jugement du 19 octobre 1999, a déclaré la société France Télécom recevable et bien fondée en son action, condamné la société Cégetel 7 à lui verser la somme de 2 millions de francs (304 898,03 euros), à titre de dommages et intérêts, ordonné la publication de la décision dans tous les journaux où a été diffusée le publicité en cause dans la limite des six mentionnés au plan média aux frais avancés de la société Cégetel 7 jusqu'à concurrence de 50 000 F (7 622,45 euros) par insertion ainsi que l'exécution provisoire, alloué à la société France Télécom une indemnité de 30 000 F (4 573,47 euros) en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la défenderesse aux dépens.
Appelante de cette décision, la société Cégetel soutient que dans le nouveau paysage français des télécommunications, il est abusif de la part de la société France Télécom de prétendre être toujours identifiable en matière de publicité et qu'en tout cas, la campagne ponctuelle litigieuse conçue sur un mode léger et spirituel et au surplus véridique ne peut relever des règles prescrites à l'article L. 121.8 du Code de la consommation.
Elle dénie la réalité du préjudice allégué par l'intimée en faisant valoir que la société France Télécom ne démontre pas le caractère effectif du risque de perdre des clients, ni davantage l'existence d'un préjudice d'image.
Elle ajoute que le montant des dommages et intérêts accordé par le tribunal à la société France Télécom est, à tout le moins, manifestement exagéré.
Elle sollicite donc l'entier débouté de la société France Télécom, subsidiairement l'infirmation du jugement déféré du chef de l'indemnité allouée et très subsidiairement, la réduction de son quantum au franc (0,15 euro) symbolique.
La société France Télécom conclut à la confirmation intégrale de la décision attaquée sauf à y ajouter une indemnité de " 20 000 euros " en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle oppose que même si son nom n'apparaît pas dans la publicité litigieuse, elle est directement visée par celle-ci et souligne qu'il a été proposé au consommateur de comparer une augmentation de son abonnement à laquelle elle s'est trouvée contrainte de procéder pour répondre à des exigences réglementaires, à une suppression de l'abonnement pour les clients de la société Cégetel 7.
Elle estime que la publicité comparative de la société Cégetel 7 est illicite en l'absence de communication préalable telle que prévue à l'article L. 121.12 du Code de la consommation et en raison de sa teneur dès lors qu'elle comporte des indications inexactes et qu'elle ne répond pas aux conditions stipulées à l'article L. 121.8 du Code de la consommation.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que les sociétés Cégetel 7 et France Télécom sont deux opérateurs concurrents de téléphonie ;
Considérant qu'il est constant que la société Cégetel 7 a édité dans six journaux de la presse nationale quotidienne durant 4 jours les 19, 20, 22 et 23 février 1999 le message publicitaire suivant :
<EMPLACEMENT IMAGE>
Considérant que parallèlement, la société Cégetel a diffusé sur 13 stations de radio, pendant sept jours du 20 au 26 février 1999, de deux à neuf fois quotidiennement des spots publicitaires ainsi rédigés :
VOIX DE FEMME :
Vous êtes au courant que le prix du téléphone va baisser et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, votre abonnement va augmenter.
Eh oui, tout n'est pas comme le 7! Parce qu'aujourd'hui prendre le 7, c'est sans abonnement. Et en plus le 7 baisse ses tarifs sur les appels hors département. C'est tout? Bien sûr que non ! Le 7 crée le super Dimanche, tous vos appels nationaux et internationaux à moins 25 %. Vous voyez bien qu'il y a des bonnes nouvelles!
Appelez donc au 0.800.356.356.
Le 7 c'est tout simplement moins cher.
VOIX D'HOMME :
Le 7 est une marque de Cégetel. Offre soumise à conditions. Tarif applicable au 1er mars 1999, appels à plus de 30 kilomètres hors département.
Considérant que la circonstance que la société France Télécom ne soit pas désignée est en l'espèce inopérante dès lors que celle-ci est aisément identifiable parmi les autres opérateurs comme étant la cible exclusive de la campagne publicitaire en cause dès lors que la référence à une augmentation le 1er mars 1999 de " l'abonnement téléphonique " pouvait seule la viser ;
Qu'en effet, aucun autre opérateur que France Télécom qui est le principal et habituel pour une majorité d'utilisateurs, n'a modifié son tarif au 1er mars 1999 ;
Qu'en outre, la société France Télécom ayant dû, en application du décret n° 97-475 du 13 mai 1997 relatif au financement du service universel, fixer son abonnement mensuel à 78 F TTC (11,89 euros), celui-ci est passé de 68 F (10,37 euros) à 78 F (11,89 euros) et il en est résulté, à partir du 1er mars 1999 une majoration de 10 F (1,52 euros) par mois elle-même annoncée dès le 9 février 1999 et dont la presse s'est largement fait l'écho ;
Que, par ailleurs, les messages publicitaires litigieux sont centrés tant dans les médias écrits que radiophoniques, sur la notion de l'augmentation de l'abonnement téléphonique à cette date précise qui ne peut être attribuée qu'à la société France Télécom, en proposant ainsi au consommateur de la comparer avec la suppression de l'abonnement pour les clients de Cégetel 7 dès le 19 février 1999, par anticipation d'une semaine sur l'entrée en vigueur de l'accroissement de prix institué par son concurrent le plus important sur le marché, susceptible de capter une partie de sa clientèle avant sa mise en œuvre et constituant une réaction immédiate à la modification tarifaire par lui instaurée ;
Considérant que l'article L. 121-12 du Code de la consommation, dans sa rédaction existante à l'époque des faits, qui impose une communication préalable de l'annonce comparative aux professionnels visés dans un délai au moins égal à celui exigé, selon le type de support retenu, pour l'annulation d'un ordre de publicité, a seul vocation à recevoir application en l'espèce, dans la mesure où la suppression de cette obligation par l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 n'a pas d'effet rétroactif ;
Considérant que la société Cégetel 7 ne justifie pas avoir satisfait aux exigences de ce texte destiné à permettre au concurrent critiqué, le cas échéant, de réagir commercialement ou de s'opposer judiciairement à une campagne publicitaire avant qu'elle ne soit réalisée ;
Qu'il suit de là que la publicité incriminée s'avère illicite à cet égard considérant qu'il ne peut être imputé à la société Cégetel 7 une publicité trompeuse puisque, dès le 19 février1999, l'abonnement du 7 était gratuit pour toute souscription à partir de cette date tel qu'il est prévu clairement dans les messages publicitaires tandis qu'il apparaît que les nouveaux tarifs en baisse sont annoncés seulement à compter du 1er mars 1999 ;
Considérant en revanche, que cette publicité comparative portant sur les prix ne répond pas aux conditions prescrites par l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;
Considérant, en effet, que cette publicité ne concerne pas des produits identiques vendus dans les mêmes conditions dès lors que la référence au prix de l'abonnement téléphonique de la société France Télécom n'est pas comparable au service de la société Cégetel 7 exclusivement consacré aux communications destinées à un autre département que celui d'origine de l'appel, cette dernière n'assurant pas " la boucle locale "dont les charges inhérentes à ses infrastructures incombent à la seule société France Télécom qui en répercute le coût dans le prix de l'abonnement, tandis que les autres opérateurs dont l'appelante en sont bénéficiaires ;
Considérant que la société Cégetel 7 n'a pas non plus indiqué la durée de la gratuité de son abonnement, ni de sa baisse tarifaire, ni de la réduction dont elle assortit le lancement de son produit " super dimanche " ;
Considérant enfin que la publicité en question ne se limite pas à une comparaison objective puisqu'elle insiste sur l'augmentation du prix d'abonnement de France Télécom sans replacer cette hausse dans son contexte et fait faussement croire aux consommateurs qu'un engagement souscrit auprès de la société Cégetel 7 serait de nature à y échapper ;
Considérant dans ces conditions que le tribunal a estimé, à juste titre, que la société Cégetel 7 avait engagé sa responsabilité envers la société France Télécom en raison de la publicité comparative illicite en cause ;
Considérant qu'il en est résulté un préjudice incontestable au détriment de la société France Télécom résultant d'une atteinte à son image et d'une perte de chance d'acquérir ou de conserver des clients qui l'une et l'autre sont patentes ;
Que la société Cégetel 7 pour tenter de les dénier ne saurait utilement se prévaloir des résultats financiers satisfaisants en 1999 de la société France Télécom lesquels ne sont pas de nature à exclure la faculté qui aurait été la sienne d'en obtenir encore de meilleurs ainsi que d'avoir une image plus favorable auprès du public si elle n'avait pas été victime de la publicité en question
Qu'elle ne peut davantage invoquer le caractère ponctuel de la campagne publicitaire en cause alors même qu'elle s'est révélée intensive eu égard aux 19 médias écrits et radiophoniques retenus dans lesquels celle-ci a été menée ainsi qu'au nombre de messages journaliers diffusés sur les ondes de 6 heures jusqu'à 22 heures 30 susceptibles de toucher toutes les catégories de consommateurs et qu'elle a été opérée durant une période idoine sur le plan de la stratégie commerciale puisqu'elle se situait après l'avis par la société France Télécom de la majoration de son abonnement et avant sa mise en application ;
Considérant que l'atteinte à l'image de la société France Télécom sera complètement réparée par la publication telle qu'elle a été ordonnée par le tribunal dans les six journaux figurant au plan média à concurrence du montant exactement fixé à 7 622,45 euros par insertion qui doit dès lors être confirmée ;
Considérant que la perte de chance précédemment évoquée qui ne peut être évaluée, en l'espèce, sur le fondement d'un investissement généré par une campagne d'information réclamé par la société France Télécom et admis à tort par le tribunal puisque aucun élément chiffré n'est produit sur ce point, sera suffisamment indemnisée au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation dont la Cour dispose dans cette affaire, par l'octroi d'une somme de 250 000 euros ;
Considérant que l'équité commande d'accorder à la société France Télécom une indemnité supplémentaire de 1 830 euros en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que la société Cégetel 7 qui succombe à titre principal en ses prétentions, supportera les dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré hormis en sa disposition concernant le montant des dommages et intérêts alloués à la SA France Télécom ; Et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la SA Cégetel 7 à verser à la SA France Télécom la somme de 250 000 euros sauf les effets de l'exécution provisoire ; La Condamne à lui régler une indemnité complémentaire de 1 830 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Bommart Minault, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.