Conseil Conc., 4 février 2003, n° 03-D-07
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Debrock, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 12 mai 2000, sous le numéro F 1231, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de concertation et d'entente concernant plusieurs marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision du 7 juin 2002 par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a fait application des dispositions de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Signaux Girod, AlpSignalisation, La Signalisation Centrale, Picardie Signalisation, Lacroix Signalisation, Signature, Virieux, Mic-Signaloc, Signaux Laporte, Crapie, Ses, et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Crapie et Signaux Laporte, Lacroix Signalisation, Signalisation Centrale, Signal Centre, Alp Signalisation, Picardie Signalisation, Signaux Girod, Sur et Desmoulins Pose, Mic-Signaloc, Virieux, Signature, Sécurité et Signalisation (Ses), entendus lors de la séance du 6 novembre 2002 ; Adopte la décision suivante :
I. - Constatations
A. - LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
1. Le secteur des panneaux de signalisation routière verticale couvre la fabrication et la commercialisation de panneaux accessoires de la voirie publique qui répondent à un objet de police administrative ou d'identification des directions ou des lieux pour le public utilisateur de la voirie. Les caractéristiques propres à la fourniture de panneaux de signalisation routière aux collectivités publiques en font un marché spécifique ; il s'agit d'une activité réglementée, nationale, concentrée entre un petit nombre d'offreurs et répondant à une demande limitée aux collectivités publiques.
2. Les panneaux routiers sont des produits normalisés obligatoirement conformes à un cahier des charges défini par le ministère de l'équipement. Un seul organisme, l'Asquer (association pour la qualité des équipements de la route), est responsable de l'homologation des fabricants et de la certification de leurs produits (norme "NF équipement de la route"). Seuls, les panneaux homologués par l'État peuvent être commercialisés et installés sur le réseau routier.
3. Cette homologation préalable contribue à limiter l'accès au marché pour de nouveaux opérateurs, les dernières entreprises entrées sur ce marché étant Franche-Comté Signalisation en 1989 et AD Signalisation en 1998. Par ailleurs, la valeur unitaire modeste des produits nécessite de réaliser des ventes en nombre pour permettre à une entreprise d'atteindre l'équilibre financier.
4. Les règles d'homologation des panneaux sont propres à chaque pays européen, sans réglementation harmonisée entre les pays, conduisant à un marché sur lequel l'offre de panneaux routiers se limite aux entreprises nationales ou présentes sur le sol national. Une entreprise désirant travailler sur un marché européen devra donc fabriquer les panneaux aux normes du pays concerné et obtenir leur homologation par les autorités de ce pays, avant de pouvoir faire des offres à des clients potentiels. Les entreprises opérant sur ce marché exercent une activité de fabrication de panneaux et disposent de réseaux commerciaux constitués d'agences régionales, de filiales locales de vente ou de distributeurs.
5. Le marché national est concentré autour d'un nombre réduit d'opérateurs : au moment des faits examinés (période 1994-1999), le marché français représentait, selon une évaluation donnée par la profession, un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 1,5 milliard de francs. Il se répartissait entre six opérateurs principaux : quatre groupes détenaient chacun autour de 20 % du marché français (Signaux Girod, Signature, Lacroix, Signalisation Ses) ; les deux suivants représentaient autour de 7 % du marché (Nadia, Laporte) ; le reliquat étant partagé entre trois petites entreprises. Ces groupes ou entreprises sont indépendants, à l'exception de la Ses qui fait partie du groupe Somaro, lui-même filiale de Colas.
EMPLACEMENT TABLEAU
6. L'organisation des groupes Girod et Lacroix repose sur un réseau de filiales chargées de distribuer et de commercialiser les panneaux routiers fabriqués par le groupe sur un territoire donné. En règle générale, ces filiales sont des structures très légères avec un petit nombre de collaborateurs et une activité limitée au négoce, faisant appel à l'appui logistique, technique et commercial de la société mère pour leur gestion et leurs opérations.
7. Au moment des faits, Girod disposait de 21 filiales couvrant l'ensemble du territoire, notamment le Sud-Est de la France, objet de l'enquête : AlpSignalisation à Frontenex (Savoie), La Signalisation Centrale à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Saône-et-Loire Signalisation à Charnay-les-Macon (Saône-et-Loire). Le groupe Lacroix avait pour principales filiales SAAM (Puy-de-Dôme), Desmoules (Allier) et SDS (Gironde). En outre, pendant les années 1980 et 1990, les groupes Girod et Lacroix disposaient également d'un ensemble de filiales communes détenues à parité par les deux groupes : LSM (Bouches-du-Rhône), Picardie Signalisation (Somme), Rangeheardt (Rhône), Signal Centre (Cantal) et Sur (Alpes-Maritimes), avant de se répartir, en 1995, la prise de contrôle à 100 % de la plupart de ces filiales : Signal Centre et Rangeheardt rejoignant le groupe Girod, Sur et LSM le groupe Lacroix.
8. Les Établissements Laporte, propriété de la famille éponyme à l'époque des faits, contrôlent les deux sociétés, SA Signaux Laporte à Vaulx-en-Velin (Rhône) et SA Crapie à Vénissieux (Rhône).
9. La société Signature (anciennement Neuhaus jusqu'en 1997) est organisée autour de 12 agences régionales et de 2 distributeurs exclusifs, Mic-Signaloc à Cournon d'Auvergne (Puy-de-Dôme) et Virieux à St-Etienne (Loire) détenu à hauteur de 33 % jusqu'en mai 1998.
10. Ses est une entreprise intégrée avec un réseau d'agences commerciales réparties sur le territoire français.
11. La clientèle potentielle, composée exclusivement de collectivités publiques, est limitée, homogène et présente régulièrement sur le marché : les conseils généraux, les communes, l'État qui passe ses marchés au niveau du département via les DDE, les personnes morales assimilables à ces collectivités (structures intercommunales) et les concessionnaires gérant des ouvrages publics routiers, autoroutes, ponts ou tunnels, telle la société des Autoroutes du Sud de la France/ASF). Il s'agit, pour ces personnes publiques et assimilées, de mettre en œuvre le Code de la route et les règles d'urbanisme (identification des voies, des ouvrages, ou des sites appartenant au domaine public).
12. La situation des clients peut être résumée autour des trois caractéristiques suivantes : les collectivités interviennent au titre du pouvoir de police administrative que la loi leur confère, leurs commandes sont récurrentes (chaque année pour les collectivités les plus importantes) et portent sur des volumes unitaires importants, les achats ne peuvent être effectués que dans le cadre et le respect de la réglementation du Code des marchés publics.
B. - LES FAITS
13. Les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (brigade interrégionale d'enquête de Lyon de la DGCCRF) ont effectué une enquête portant sur 17 marchés publics d'achat de panneaux de signalisation routière lancés entre 1994 et 1999 par huit conseils généraux (Ardèche, Cantal, Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Saône-et-Loire, Haute-Savoie et Vienne), les communes de Chambéry et de Brazey, et la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF). Cette enquête a donné lieu à un rapport administratif en date du 15 mars 2000.
Les pratiques relevées à l'encontre de la société Signaux Girod et ses filiales
14. M. Philippe Girod, président du directoire de la société Signaux Girod (qui sera dénommée par la suite Girod), a admis, au cours de ses auditions par les enquêteurs, avoir organisé, à l'occasion de plusieurs marchés des concertations entre les sociétés du groupe sur des échanges de barèmes et de prix, prolongées dans plusieurs cas par la remise d'offres de couverture [cf. procès-verbal du 4 novembre 1999, en annexe 4 cotes 60-63 de la notification de griefs] : "Je reconnais qu'en tant que directeur commercial du groupe, je définis pour chaque appel d'offres et pour chaque société du groupe, le niveau de remises auquel la société Girod répondra soit seule soit avec une autre filiale (offre distincte). J'ai répondu par le passé en offres doubles (Girod d'un coté, la filiale de l'autre) mais cela ne s'est présenté que sur quelques marchés. Ces offres doubles, très rares, permettent au groupe d'accroître ses chances d'obtenir le marché, surtout si le client ignore les liens entre la filiale et Girod maison-mère. C'est mon titre de directeur commercial du siège et des filiales qui me permet de faire de telles pratiques".
15. Ces déclarations générales s'accompagnent de différents indices dans le même sens recueillis par les enquêteurs en ce qui concerne les marchés publics des conseils généraux de Haute-Savoie (1996 et 1997) et du Cantal (1997) ainsi que ceux des communes de Chambéry (1997 et 1998) et Brazey-en-Plaine (Côte-d'Or) en 1999.
a) Le marché du conseil général de Haute-Savoie du 7 juin 1996 pour des repères-kilométriques
16. Après un premier appel d'offres du 04/04/96 déclaré infructueux, le marché a été transformé en un marché négocié, le 07/06/96, qui a reçu 6 propositions. Le groupe Girod a répondu les deux fois avec deux offres distinctes : une de la société Girod et une de sa filiale AlpSignalisation.
17. Un même cadre dirigeant du groupe Girod (M. Demesmay) a répondu pour les deux sociétés à la collectivité, ainsi qu'il ressort des déclarations de M. Chaume, directeur de AlpSignalisation, recueillies par procès-verbal du 10 juin 1999 [notification de griefs, annexe 7 cotes 72-132] : " M. Demesmay assure par ailleurs les fonctions de directeur commercial pour la région Rhône-Al^pes de la société Girod ainsi que des sociétés fifliales AlpSignalisation à Frontenex (Savoie) et Rangeheardt à Décines (rhônes). Effectivement en mai 93, AlpSignalisation a remis une offre pour le marché triennal à bons de commande points de repère kilométriques du conseil général de Haute-Savoie. M. Demesmay a répondu au nom de la société AlpSignalisation et a vraisemblablement demandé les prix des matériels à Girod puisque AlpSignalisation ne fabrique pas ces matériels (...)".
18. Le Conseil général a bien reçu deux offres identifiées comme étant distinctes. M. Favre-Felix, chef du service des marchés au Conseil général de Haute-Savoie, a déclaré par procès-verbal du 8 juillet 1999 [annexe 8 cotes 133-136] : "11 offres ont été régulièrement enregistrées lors de la première réunion de la commission d'appel d'offres, dont l'offre de Girod et d'AlpSignalisation. Le marché ayant été déclaré infructueux le 14 mai 1996, les entreprises ont été consultées par procédure négociée. 6 entreprises ont répondu dont AlpSignalisation et Girod. Pour nous, ces 2 sociétés étaient indépendantes et donc leurs offres autonomes".
b) Le marché triennal du Cantal du 10/01/97
19. Dix réponses ont été reçues par la collectivité, dont deux proviennent du groupe Girod : Girod pour 950 253 F et sa filiale Signal Centre pour 840 536 F. Trois indices d'un échange d'informations et de l'existence d'une concertation entre les deux sociétés sur les prix à proposer pour ce marché ont été recueillis par les enquêteurs.
M. Philippe Girod, président de Girod [procès-verbal du 23 décembre 1999, annexe 6 cotes 68-71] a reconnu pour le marché du Cantal la concertation préalable et la remise d'une offre de couverture par Girod au bénéfice de sa filiale Signal Centre : "Concernant le marché 1997-99 du conseil général du Cantal, nous avons répondu concomitamment avec notre filiale Signal Centre (...) L'offre de Signal Centre a été supervisée par moi-même, notamment le taux de remise à affecter à ce marché. L'offre de Girod a été faite pour ne pas gêner l'offre de la filiale (...)".
20. Mme Viars, secrétaire de la société Signal Centre, a déclaré par procès-verbal du 20 mai 1999 [annexe 9 cotes n° 137-152] s'agissant de ce marché du Cantal : "Signal Centre a déposé une offre officielle à 840 536 F TTC le 10 mars 1997. (...) L'entreprise Girod avait adressé le 7 mars 97 à 16 h 41 (par télécopie) depuis son siège social à Bellefontaine dans le Jura un détail estimatif portant des prix unitaires manuscrits. Cette base de calcul a ainsi permis à Signal Centre de constituer un projet de détail estimatif. (...) La base de calcul de Girod donnait un rabais de 52 %, Signal Centre a proposé un rabais à 56 % en définitive".
21. Une télécopie en date du 7 mars 1997 [devis transmis par télécopie de Girod à Signal Centre, annexe 10 cotes 153-157] démontre qu'un échange d'informations est intervenu avant que Signal Centre ne remette son offre le 10 mars 1997, pour une date limite de réponse à l'appel d'offres fixée au 14 mars 1997.
22. M. Rigaudiere, directeur adjoint des services techniques du Conseil général du Cantal, a identifié deux offres distinctes [procès-verbal du 6 juillet 1999, annexe 11 cotes 158-161] : "Dix offres sont parvenues dans les délais dont Signal Centre et Sté française de signalisation (nouvellement signaux Girod). (...) Pour nous, l'offre de Signal Centre était indépendante de l'offre de Girod. On ne pouvait donc soupçonner un quelconque échange d'informations entre ces 2 soumissionnaires".
c) Le marché de la Haute-Savoie du 19/09/97 pour des plaques d'identification d'ouvrage d'art
23. Quatre offres ont été présentées dont deux émanant du groupe Girod : Girod et AlpSignalisation.
M. Chaume, directeur d'AlpSignalisation, a admis avoir procédé au chiffrage de son offre en accord avec la société Girod ; en attestent les mentions manuscrites figurant sur le "Document de Consultation des Entreprises" de AlpSignalisation qui sont expliquées de la manière suivante : "Andrée (pour Mme Andrée Riezenthaler, responsable des dossiers d'appels d'offres chez Girod à Bellefontaine)..... MD (pour Maurice Demesmay, directeur commercial de Girod pour la région Rhône-Alpes).... Je reconnais avoir écrit 'Girod a retiré le dossier, se mettre en accord avec Andrée sur chiffrage' sur ce document" [procès-verbal du 10 juin 1999 des déclarations de M. Chaume, annexe 7 cotes 73].
24. La collectivité a constaté la réception de deux offres distinctes et indépendantes, aucun élément ne lui permettant de savoir qu'AlpSignalisation était une filiale à 100 % de Girod : M. Favre-Felix chef du service marché au conseil général de la Haute-Savoie, [procès-verbal du 8 juillet 1999, annexe 8 cotes 133-136], "Quatre offres avaient été remises dont l'offre Girod et AlpSignalisation, l'acte d'engagement de Girod était signé de M. Philippe Girod, l'acte d'engagement d'AlpSignalisation l'était par M. Alain Chaume. (...) Pour ces 3 marchés [celui de 1997 et ceux de 1996 et 1998], la commission d'appel d'offres ignorait que les études de prix d'AlpSignalisation étaient supervisées par la société Girod".
d) Les deux marchés de la ville de Chambéry de 1997 et 1998
25. Le marché du 27/06/97 a obtenu quatre réponses : Lacroix et le groupe Girod présent à travers trois offres (Girod, Rangeheardt et AlpSignalisation). L'offre Lacroix, jugée inadaptée, est écartée et AlpSignalisation, moins disante, emporte le marché. M. Philippe Girod reconnaît [procès-verbal du 23 décembre 1999, annexe 6 cotes 68-71] avoir organisé la remise d'offres multiples à la collectivité et déterminé les prix à proposer pour les sociétés du groupe : "Concernant le marché 1997 de la ville de Chambéry, j'ai remis une offre au nom de Girod et ma filiale AlpSignalisation a également remis une offre. J'ai décidé que ma filiale AlpSignalisation serait mieux placée que Girod sur ce marché. Ma filiale Rangeheardt que je détenais à 100 % depuis mi-97 a également soumissionné à ce marché. J'ai également décidé de la remise Rangeheardt pour cette consultation".
26. Concernant le marché lancé le 15/01/98, trois entreprises ont répondu : AlpSignalisation, Girod et Lacroix, la première moins disante obtenant le marché. Un ensemble d'indices ont pu être réunis sur la tenue d'une concertation préalable entre les sociétés AlpSignalisation et Girod : le bordereau de prix reçu par AlpSignalisation, sa propre offre de prix pour le marché et les déclarations de M. Chaume, directeur de AlpSignalisation : "Concernant le marché de la ville de Chambéry de janvier 98, nous avons effectivement eu le marché pour un montant TTC de 4 341 521 F (3 599 935 F HT) (...). L'étude de ce marché a bien été faite par Girod comme l'atteste le bordereau de prix faxé par Girod le 5/3/98 à 15 h 24 (...)" (cf. annexe 7 cote 74).
Le cadre de décomposition des prix, qui faisait partie des pièces contenues dans l'offre de la société AlpSignalisation, reprend, en effet, à l'identique les prix unitaires qui lui avaient été adressés dans le bordereau de prix transmis par Girod.
27. Pour les deux marchés, la commune était dans l'ignorance des liens unissant les entreprises soumissionnaires, comme l'a déclaré Mme Santais, attachée administrative de la ville [procès-verbal du 28 juin 1999, annexe 12 cotes 162-165] : pour le marché de 1997, "Quatre entreprises ont répondu, AlpSignalisation, Rangeheardt, Girod, Lacroix. La commission ignorait totalement les liens juridiques et/ou financiers entre les entreprises AlpSignalisation, Rangeheardt, et Girod. D'ailleurs, les actes d'engagement respectifs pour ces 3 sociétés portaient des noms de responsables distincts" et pour celui de 1998, "La commission a jugé que l'offre de Girod et l'offre d'AlpSignalisation étaient des offres indépendantes et ignorait les liens qui pouvaient exister entre ces 2 sociétés. D'ailleurs, les actes d'engagement respectifs étaient faits au nom de M. Philippe Girod et au nom de M. Patrick Chaume pour AlpSignalisation".
e) La consultation lancée par la commune de Brazey-en-Plaine (Côte-d'Or) le 18/01/99
28. La commune a consulté quatre sociétés, Ses, Girod, Rangeheardt et la Signalisation Centrale, auxquelles est venue s'ajouter une proposition spontanée de AlpSignalisation. L'enquête a permis de recueillir une télécopie adressée par La Signalisation Centrale à une autre filiale du groupe Girod, la société Girod Bourgogne, ainsi libellée : "Recevons ce jour par courrier de la mairie de Brazey-en-Plaine. Merci info pour 'Suite à donner'. (Couverture ? ?) ...", complétée par les annotations manuscrites : "Attendre Appel T°lundi 25/1 Pour Instructions Couverture" [annexe 13 cote 200].
La commune n'a finalement pas donné suite à son projet.
Les pratiques relevées à l'encontre du groupe Signature (ex-Neuhaus) sur les marchés des conseils généraux de la Loire (4/10/96) et de la Haute-Loire (7/10/96)
29. M. Bony, président de la société Virieux a déclaré, lors de son audition [procès-verbal du 3 juin 1999, annexe 14 cotes 202-205] : "Pour les marchés sur appel d'offres pour lesquels je répondais, c'était le bureau d'études de Signature à Urrugne qui réalisait mon étude de prix (...). Concernant le marché lancé par le conseil général de Haute-Loire en décembre 1996, j'ai effectivement fait une offre globale à 563 778,67 F ... Signature était bien informé de mon offre (...)". Pour ces marchés, Signature/Neuhaus et Virieux ont, à chaque fois, remis une offre distincte à la collectivité. Dans les deux cas, les collectivités ignoraient les liens existant entre les sociétés et les échanges intervenus avant la remise de leur offre respective. Mme Gauthier, chef de service au conseil général de la Loire, a déclaré [procès verbal du 22 septembre 1999, annexe 15 cotes 206-209] : "Cinq offres (Virieux, Laporte, Ses, Girod, Neuhaus) ont été enregistrées (...). La commission ignorait que des liens juridiques et financiers existaient entre Virieux et Neuhaus", de même, M. Laurançon, directeur des routes au conseil général de la Haute-Loire [procès-verbal du 2 septembre 1999, annexe 16 cotes 210-213] : "Parmi les 12 candidatures figuraient notamment l'entreprise Virieux et l'entreprise Signature (...) La commission ignorait qu'il puisse exister des liens financiers ou autres entre ces 2 soumissionnaires".
Les pratiques relevées à l'encontre du groupe Lacroix Signalisation lors du marché panneaux de signalisation touristique du conseil général de Haute-Savoie du 25/04/96
30. Le groupe Lacroix était présent avec deux offres : une de Lacroix Signalisation et une de Desmoules Pose, sa filiale à 100 % de 1995 à 1997.
Le caractère distinct de ces deux offres n'était qu'apparent ; le dirigeant, à l'époque, de la société Desmoules, ayant admis ne pas avoir établi la réponse remise par sa société à la collectivité : "Je n'ai jamais fait l'offre de 2 778 291 F sous le nom de Desmoules Pose pour le marché de fourniture et pose de signalisation touristique du Conseil général de la Haute-Savoie. Cette étude a été vraisemblablement faite par la société Lacroix à St-Herblain (44). (...). Pendant la reprise de mes 2 sociétés par la société Lacroix, j'ai été nommé directeur salarié de ces 2 sociétés. Je considère que ce titre était honorifique. Je n'avais aucune charge concernant les études de prix et je suivais les consignes données par la maison-mère" [procès-verbal du 7 septembre 1999, en annexe 17 cotes 214-217].
Les pratiques relevées à l'encontre des sociétés Signaux Laporte et Crapie
a) Le marché de signalisation temporaire du conseil général de Saône-et-Loire du 21/02/97
31. Le conseil général a reçu dix réponses, dont celle de Crapie, mieux disante avec une offre de 777 641 F, qui a obtenu le marché, et celle de Signaux Laporte, avec une proposition de 985 810 F arrivant en 6e position.
Il résulte des déclarations de M. Garin, président du conseil d'administration de Signaux Laporte et de Crapie, qui seront relatées ci-après, que les deux sociétés connaissaient leurs offres respectives. Il résulte également des déclarations de M. Badey, directeur des ventes au Conseil général de Saône-et-Loire, qui seront également rapportées ci-dessous, que la présentation de ces offres ne permettait pas de déceler les liens qui existaient entre elles.
b) Le marché ASF pour des panneaux d'animation destinés à l'A7-A8 district de Salon en juillet 1999
ASF a reçu une réponse de Signaux Laporte pour 421 487 F et une de Crapie pour 429 008 F.
32. Il résulte également des déclarations de M. Garin, reproduites ci-après, que les études de prix pour ce marché ont été effectuées par la même personne pour les deux sociétés. Les pièces afférentes à ce marché attestent que la société Crapie s'est bornée à reprendre les chiffres que lui avait transmis la société Laporte. Enfin, le directeur régional d'exploitation d'ASF a reconnu, dans une déclaration qui sera également relatée plus loin, qu'il ignorait les relations existantes entre les sociétés Crapie et Laporte.
Les pratiques impliquant conjointement les groupes Girod et Lacroix
33. Lors de son audition par les enquêteurs, M. Girod, président du directoire de la société Signaux Girod [cf. procès-verbal du 6 décembre 1999, annexe 5 cotes 64-67], a reconnu une politique coordonnée de Girod et Lacroix Signalisation (qui sera dénommée Lacroix dans la suite de la décision) pour présenter des offres multiples et concertées en réponse à des appels d'offres, en s'appuyant sur un réseau de filiales communes détenues à parité, afin de développer leur couverture du territoire national et, partant, leur activité : "Dans les années 80, au début, la société Girod tout comme son concurrent Lacroix Signalisation ont décidé de grandir ensemble en créant des filiales communes de distribution. Les filiales communes étaient : Picardie Signalisation (50 % Girod, 50 % Lacroix), Signalest (50 % Girod, 50 % Lacroix), IdF Signalisation (33 % Nadia, 33 %, Girod, 33 % Lacroix), Rangeheardt à Lyon (50 % Girod, 50 % Lacroix), LSM à Marseille (50 % Girod, 50 % Lacroix), Sur à Nice (50 % Girod, 50 % Lacroix). Aujourd'hui, il y a une redistribution du capital entre les 4 dernières filiales citées : Rangeheardt (100 % Girod), IdF(100 % Girod), LSM (100 % Lacroix), Sur (100 % Lacroix). Ces rachats se sont faits au cours de l'année 1997 (...).
34. Concernant les filiales 50/50 Lacroix/Girod. Ces filiales ont un territoire de vente défini dans lequel les 2 sociétés mères, Lacroix et Girod, s'interdisent de les concurrencer sur leur marché potentiel. Réciproquement, les filiales ne viennent pas prendre des marchés à leurs maisons mères. Sur le territoire de ma filiale, je ne réponds pas au dossier ou si je réponds, je réponds à un prix 'non agressif' par rapport à celui proposé par ma filiale. (...) Pour les appels d'offres lancés sur le territoire de vente d'une filiale commune (Lacroix-Girod), le responsable commercial de la filiale contacte les directeurs commerciaux respectifs de Lacroix et Girod, et c'est à trois que nous décidons du taux définitif de remise auquel la filiale répondra. Pour multiplier les chances, Lacroix ou Girod peuvent répondre à ces marchés à la demande de leur filiale".
a) Le marché triennal 1994-1996 du Conseil général du Cantal du 13/01/1994
35. L'appel d'offres a obtenu neuf réponses, dont une offre du groupe Girod (société française de Signalisation pour 155 985 F), une du groupe Lacroix (Desmoules pour 129 671 F) et une de Signal Centre pour 119 767 F, attributaire du marché en tant que moins disante.
A l'époque des faits, Signal Centre était une filiale commune de Lacroix et de Girod.
36. L'enquête a relevé des éléments pouvant étayer une concertation et un échange d'informations intervenus entre Lacroix et Signal Centre avant la remise de leurs offres. Mme Viars, secrétaire de la société Signal Centre [procès-verbal de déclaration du 20 mai 1999 et pièces jointes, annexe 9 cotes 137-152], a déclaré : "Le 26 janvier 1994, la société Lacroix informe par fax la société Signal Centre du lancement d'un appel d'offres par le Conseil général du Cantal avec date limite des offres au 18 février 1994. Le 15 février 1994, un courrier de M. Senezergues, pdg de Signal Centre, adressé à l'attention de M. Boersma, directeur commercial à l'époque de Lacroix, informe ce dernier de l'offre de prix de Signal Centre, de son détail estimatif ainsi que de la remise offerte par Signal Centre soit 55 %. Le détail estimatif de 100 984 F HT adressé à la collectivité le 17 février 1994 par Signal Centre correspond au franc le franc aux chiffres communiqués à Lacroix le 15/2/94".
b) Le marché triennal 1996-1998 du conseil général de l'Ardèche du 12/02/1996
37. L'appel d'offres a obtenu huit réponses jugées recevables, dont une de Girod (1 785 672 F) et une autre de Sur 8500 (1 511 054 F), à cette date, filiale commune à Girod et à Lacroix.
38. L'offre de Sur se situait au niveau de l'estimation faite par la collectivité (1 507 972 F), alors que celle de sa co-maison mère en était très éloignée, représentant presque la proposition la plus chère. Aucune indication n'a été donnée à la collectivité sur les liens unissant ces sociétés, lui interdisant ainsi d'apprécier la réalité de l'indépendance des offres reçues. M. Boissy, directeur des routes au Conseil général de l'Ardèche [procès-verbal du 26 janvier 2000, annexe 22 cotes 232-235], a déclaré : "La commission a effectivement enregistré 10 offres dont celles des sociétés Girod et Sur. (...) la commission ignorait les liens juridiques et financiers qui unissaient la société Sur aux groupes Lacroix et Girod".
c) Le marché pour le contournement Nord-Ouest de Limoges du conseil général de la Haute-Vienne du 27/03/1997
39. L'appel d'offres a obtenu sept réponses jugées recevables, dont une offre de Lacroix et une de Signal Centre qui, à cette époque, est devenue une filiale à 100 % de Girod :
* Signature : 1 036 510 F
* Nord Signalisation : 1 037 545 F
* Signal Centre : 1 056 783 F
* ADEM : 1 087 665 F
* Lacroix : 1 092 997 F
* Franche-Comté Signaux : 1 119 699 F
* Ses : 1 196 394 F
40. L'enquête a établi que l'offre de prix de Signal Centre avait été réalisée par sa maison mère Girod : le détail estimatif, transmis par télécopie par Girod à sa filiale Signal Centre, le 30/04/97, est identique au détail estimatif remis à la collectivité par Signal Centre le 7/05/97 [cf. déclarations de Mme Viars, secrétaire de Signal Centre, procès-verbal du 20 mai 1999, annexe 9 cotes 137-152].
d) Le marché triennal 1998-2000 du conseil général de Haute-Savoie du 5/01/98
41. La collectivité a obtenu sept réponses, dont une de Girod, une de Lacroix et une de leur filiale commune Picardie Signalisation ; le marché a été emporté par Girod mieux disante :
* Girod : 2 663 162 F
* Picardie Signalisation : 2 775 299 F
* Signature : 2 993 119 F
* Lacroix : 3 085 273 F
* Nord Signalisation : 3 109 188 F
* Franche-Comté Signaux : 3 153 024 F
* Ses : 3 198 946 F
42. Concernant ce marché, les déclarations suivantes de M. Girod ont été recueillies par les enquêteurs : "Pour le marché du conseil général de Haute-Savoie de 1998, je pense que ma filiale Picardie Signalisation a demandé, par erreur, le dossier. J'ai répondu à ce marché à un niveau de prix légèrement inférieur à celui proposé par ma filiale qui n'avait rien à faire sur la Haute-Savoie. Cela permettait au groupe de présenter deux offres et d'avoir plus de chances de remporter le marché" [procès-verbal du 6 décembre 1999, annexe 5 cotes 64-67].
43. M. Favre-Felix, chef du service des marchés au conseil général de Haute-Savoie, fait état de l'ignorance de sa collectivité quant à l'indépendance réelle des offres reçues de ces sociétés : "la commission a enregistré 7 soumissionnaires dont Girod et Picardie Signalisation (...). La commission, lors de l'étude des offres, ignorait qu'il y avait des liens juridiques et financiers entre ces 2 sociétés" [procès-verbal du 8 juillet 1999, annexe 8 cotes 133-136].
Les pratiques impliquant les sociétés Signature, Mic-Signaloc, Ses Girod et la Signalisation centrale
a) Le marché triennal 1995-1997 du Puy-de-Dôme lancé le 15/12/94
44. Ce marché était composé de trois lots d'égale valeur et a donné lieu à deux appels d'offres.
Le premier a recueilli six offres.
Deux lots sont attribués : un lot à La Signalisation Centrale et un deuxième à la Ses, pour le montant proposé par les entreprises. A ce stade, Girod (société mère de La Signalisation Centrale) et Mic-Signaloc ne sont présents que pour la forme, remettant respectivement une lettre d'excuse et un dossier considéré incomplet par la commission.
45. Le second appel d'offres, lancé le 28/05/1995 pour le lot restant, a reçu quatre réponses (Mic-Signaloc, Girod, Desmoules, Lacroix et Franche-Comté Signaux) ; le lot a été attribué au moins-disant, Mic-Signaloc pour 911 695 F TTC. Deux constats peuvent être faits : Girod et Mic-Signaloc effectuent, cette fois, des réponses opérationnelles alors que le marché est resté inchangé et l'achat est réalisé à un coût supérieur pour la collectivité par rapport aux réponses obtenues lors du premier appel d'offres.
46. Les déclarations, effectuées par Mme Garcia, responsable d'agence de La Signalisation Centrale et les pièces remises à cette occasion [procès-verbal du 23 juin 1999, annexe 13 cotes 166-201] mettent en évidence une concertation préalable entre Girod/La Signalisation Centrale, Ses et Signature/Mic-Signaloc, chacun des groupes, au final, récupérant un lot.
47. La date de remise des réponses pour l'appel d'offres initial avait été fixée par la collectivité au 26/01/1995. Dans le dossier de ce marché archivé par la société La Signalisation Centrale figure une note manuscrite de calcul de prix intitulée "Réunion Marché CG 63 pour le 26/1" et datée du "9/1/95", donc établie antérieurement à la remise des offres, qui donne des chiffrages pour les trois sociétés, Ses, Mic-Signaloc et LSC (pour La Signalisation Centrale), nommément citées [cote 198].
48. Un post-it [cote 197], collé sur le document dénommé "Détail estimatif prévisionnel" à remplir par l'entreprise candidate, contient une étude de prix manuscrite, dont Mme Garcia a reconnu être l'auteur [cf. le procès-verbal de ses déclarations] :
49. Un troisième document [papier à entête de La Signalisation Centrale, cote 199] fait état d'une réunion le 9/01/1995 entre La Signalisation Centrale (groupe Girod) et Neuhaus (devenue aujourd'hui Signature) maison mère de Mic-Signaloc, ainsi que d'un accord de principe daté du 29/01/1995 sur une compensation à déterminer pour Mic-Signaloc.
50. La réunion mentionnée ci-dessus est antérieure à la date de remise des réponses pour le premier appel d'offres (le 26/01/1995) et l'accord de principe est antérieur à la date de lancement du second appel d'offres (le 28/02/1995) consécutif à l'échec partiel de la première mise en concurrence.
51. Il faut rappeler qu'à l'issue du premier appel d'offres, seuls deux lots avaient été attribués, Mic-Signaloc/Neuhaus n'ayant rien obtenu, le second appel d'offres pour le dernier lot allant à Mic-Signaloc en présence d'une offre Girod, deuxième mieux disant après Mic-Signaloc. L'enquête a montré l'extrême proximité des montants proposés par Mic-Signaloc (911 695 F) et par Girod (915 186 F) par rapport aux deux autres offres reçues par la collectivité (Desmoules 1 189 883 F et Franche-Comté Signaux 1 220 609 F).
b) Le marché du Puy-de-Dôme pour le site touristique des Fades du 18/09/97
52. L'appel d'offres pour ce marché a obtenu deux réponses : Laporte (636 809 F TTC) et un groupement réunissant les sociétés Ses-Mic-Signaloc-La Signalisation Centrale (592 037 F TTC), qui a été déclaré attributaire du marché. Or, le règlement de consultation ne prévoyait aucune contrainte, tels des délais d'approvisionnement réduits ni de fournitures spécifiques, qui aurait justifié la formation d'un groupement d'entreprises avec leurs spécificités propres. Le montant du marché, un peu moins de 600 000 F TTC, paraissait modeste, chaque membre du groupement ayant la capacité de fournir à titre individuel la collectivité, eu égard à son chiffre d'affaires moyen annuel : (Ses, agence de Clermont-Ferrand : 24 millions de F ; Mic-Signaloc : 14 millions de F et La Signalisation Centrale : 8 millions de F). En outre, chacune de ces entreprises est une filiale ou une agence, voire un distributeur exclusif, d'un fabricant important au plan national et devait être en mesure d'assurer, à titre individuel, les besoins du marché.
C. - LES GRIEFS NOTIFIES
53. Les griefs suivants ont été notifiés, le 17 juin 2002 :
A la société Signaux Girod : d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes, lors des appels d'offres et consultation lancés par les conseils généraux du Cantal (10/01/97) et de la Haute-Savoie (7 juin 1996 et 19 septembre 1997), les communes de Chambéry (27/06/97 et 15/01/98) et de Brazey-en-Plaine (18/01/99) ; d'avoir organisé et participé à une entente générale avec la société Lacroix portant sur un partage de marchés à travers un réseau de filiales communes, et d'avoir mis en œuvre cette politique de partage de marchés lors des appels d'offres des conseils généraux du Cantal le 13/01/94, de l'Ardèche le 12/02/96, de la Haute-Vienne le 27/03/97 et de la Haute-Savoie le 5/01/98 ; ainsi que d'avoir organisé et participé à une entente avec les sociétés Signature, Mic-Signaloc, La Signalisation Centrale et Ses portant sur les prix à proposer et un partage du marché pour deux appels d'offres du Conseil général du Puy-de-Dôme (15/12/1994 et 18/09/97).
A la société AlpSignalisation, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables à des appels d'offres et avoir trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes, lors des appels d'offres lancés par le conseil général de la Haute-Savoie les 7/06/96 et 19/09/97 et par la ville de Chambéry les 27/06/97 et 15/01/98.
A la société La Signalisation Centrale, d'avoir organisé et participé à une entente avec les sociétés Girod, Signature, Mic-Signaloc, et Ses portant sur les prix à proposer et un partage du marché pour deux appels d'offres du conseil général du Puy-de-Dôme (15/12/1994 et 18/09/97) et d'avoir participé à une concertation préalable lors de la consultation lancée par la commune de Brazey-en-Plaine du 18/01/99.
A la société Signal Centre, société aujourd'hui dissoute et dont le fonds de commerce a été repris par la société La Signalisation Centrale, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et à des ententes portant sur un partage de marché avec les sociétés Girod et Lacroix pour les appels d'offres des conseils généraux du Cantal du 13/01/94 et de la Haute-Vienne du 27/03/97 et d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes, lors de l'appel d'offres lancé par le conseil général du Cantal du 10/01/97.
A la société Lacroix, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant une offre faussement indépendante lors de l'appel d'offres lancé par le conseil général de la Haute-Savoie le 25/04/1996 et d'avoir organisé et participé à une entente générale avec la société Girod portant sur un partage de marché à travers un réseau de filiales communes, et d'avoir mis en œuvre cette politique de partage de marchés lors des appels d'offres des conseils généraux du Cantal le 13/01/94, de l'Ardèche le 12/02/96, de la Haute-Vienne le 27/03/97 et de la Haute-Savoie le 5/01/98.
A la société Desmoules Pose, filiale de Lacroix, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant une offre faussement indépendante lors de l'appel d'offres lancé par le conseil général de la Haute-Savoie le 25/04/1996.
A la société Sur 8500, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et à une entente portant sur un partage du marché avec les sociétés Girod et Lacroix et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant une offre faussement indépendante lors de l'appel d'offres lancé par le conseil général de l'Ardèche le 12/02/1996.
A la société Picardie Signalisation, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et à une entente portant sur un partage du marché avec les sociétés Girod et Lacroix et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant une offre faussement indépendante lors de l'appel d'offres lancé par le conseil général de la Haute-Savoie le 5/01/1998.
A la société Signature, anciennement Neuhaus, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes pour les appels d'offres des conseils généraux de la Loire (4/10/96) et de la Haute-Loire (7/12/96) et d'avoir participé à une entente avec les sociétés Girod, La Signalisation Centrale, Mic-Signaloc et Ses portant sur les prix à proposer et un partage du marché pour deux appels d'offres lancés par le conseil général du Puy-de-Dôme (15/12/1994 et 18/09/97).
A la société Virieux, d'avoir organisé et participé à des concertations préalables et d'avoir trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes lors des appels d'offres des conseils généraux de la Loire (4/10/96) et de la Haute-Loire (7/12/96).
A la société Mic-Signaloc, d'avoir organisé et participé à une entente avec les sociétés Signature, Ses, Girod et La Signalisation Centrale, portant sur les prix à proposer et un partage du marché pour deux appels d'offres lancés par le conseil général du Puy-de-Dôme (15/12/1994 et 18/09/97).
A la société Signaux Laporte, d'avoir organisé des concertations préalables et trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes pour les appels d'offres lancés par le conseil général de Saône-et-Loire (21/02/97) et la société ASF (juin 99).
A la société Crapie, d'avoir organisé des concertations préalables et trompé l'acheteur public en remettant des offres faussement indépendantes pour les appels d'offres lancés par le conseil général de Saône-et-Loire (21/02/97) et la société ASF (juin 99).
A la société Ses, d'avoir organisé et participé à une entente avec les sociétés Signature, Mic-Signaloc, Girod et La Signalisation Centrale, portant sur les prix à proposer et un partage du marché pour deux appels d'offres lancés par le conseil général du Puy-de-Dôme (15/12/1994 et 18/09/97).
II. - Discussion
A. - SUR LA PROCÉDURE
54. Dans leur réponse à la notification de griefs, les entreprises Girod, AlpSignalisation, La Signalisation Centrale et Picardie Signalisation avancent que l'enquête serait entachée de graves irrégularités, tenant à l'absence de la mention des questions posées sur les procès-verbaux d'audition de M. Girod et à la partialité dont auraient fait preuve les enquêteurs.
55. En premier lieu, il n'est pas contesté que les trois procès-verbaux d'audition de M. Girod ont été établis dans le cadre et le respect des dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 applicables à l'époque, qu'à chaque fois sont mentionnées : la compétence de l'enquêteur pour les régions Rhône-Alpes, Bourgogne, Franche-Comté et Auvergne, l'indication manuscrite de l'objet de l'enquête, et la reprise sans ambiguïté dans la rédaction des procès-verbaux en préalable à chaque réponse de M. Girod de l'objet précis à laquelle elle se rapporte, ainsi par exemples "Dans les années 80 la société Girod tout comme son concurrent Lacroix Signalisation ont décidé de grandir ensemble en créant des filiales communes de distribution. Les filiales communes étaient : (...)" ou "Pour le marché du conseil général de Haute-Savoie de 1998, ...", "Concernant le marché 94-96 du conseil général du Cantal, ...".
56. Par ailleurs, si le Conseil de la concurrence reconnaît aux parties le bénéfice de certaines garanties inspirées de celles applicables à la procédure pénale, les dispositions de l'article 429 du Code de procédure pénale telles que modifiées par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, invoquées par les sociétés susvisées et selon lesquelles : "Tout procès-verbal d'interrogatoire ou d'audition doit comporter les questions auxquelles il est répondu", n'étaient, en tout état de cause, pas applicables aux procès-verbaux figurant dans l'enquête, qui ont été rédigés avant l'entrée en vigueur de ce nouveau texte, le 1er janvier 2001.
57. Aucune autre disposition légale ou réglementaire n'impose que les questions posées aux personnes interrogées figurent dans les procès-verbaux d'audition.
58. En second lieu, s'agissant du doute émis sur l'objectivité de l'enquête, notamment lors des auditions des responsables des achats des collectivités, il faut souligner que les déclarations collectées sont accompagnées et étayées par des documents remis par les entreprises et les collectivités concernées. Au demeurant, même si cette critique pouvait être établie, elle ne suffirait pas à démontrer que les droits de la défense ont été altérés. Le Conseil a, en effet, rappelé dans une décision de 1998 relative à des "marchés de travaux publics dans l'Hérault, Solatrag et autres" que le rapport administratif d'enquête n'est qu'une pièce parmi d'autres dans le cadre de l'ensemble de la procédure contradictoire organisée par la loi pour les faits dont il est saisi : "Considérant que le rapport prévu à l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est un document de synthèse auquel aucune disposition législative ou réglementaire n'attache une force probante ou un effet juridique particulier ; que ce document ne lie ni le rapporteur ni le Conseil ; que l'avis exprimé par les enquêteurs ne préjuge ni des conclusions du rapporteur, soumises à la discussion contradictoire des parties en cause, ni de la décision du Conseil".
B. - SUR LA PRESCRIPTION
59. L'article L. 462-7 du Code de commerce interdit au Conseil de la concurrence de connaître de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction. En l'espèce, le procès-verbal d'enquête le plus ancien est daté du 6 mai 1999 (audition de M. Favre-Felix, chef du service des marchés au conseil général de Haute-Savoie). Les faits antérieurs au 6 mai 1996 sont, dès lors, prescrits. Par suite, le Conseil ne peut se prononcer sur les marchés des conseils généraux du Cantal du 13/01/94, du Puy-de-Dôme du 15/12/94, de l'Ardèche du 12/02/96.
60. En conséquence, le grief formulé à l'encontre de la société Sur 8500 pour le marché passé par le conseil général de l'Ardèche du 12/02/96 est abandonné, de même pour ceux relatifs aux marchés du Cantal (13/01/94) et de l'Ardèche déjà cité qui concernaient les sociétés Girod, Lacroix et Signal Centre, et aux marchés du conseil général du Puy-de-Dome du 15/12/94 qui concernaient les sociétés Girod, La Signalisation Centrale, Signature, Mic-Signaloc et Ses.
61. S'agissant du marché portant sur des panneaux de signalisation touristique passé par le conseil général de la Haute-Savoie en 1996, il a été ouvert par un appel à la concurrence en date du 25 avril 1996, c'est-à-dire pendant la période prescrite. Toutefois, la pratique illicite d'entente sur appel d'offres est constituée par la remise des offres faites par les entreprises, c'est-à-dire, au plus tard, à la date de clôture de l'appel d'offres. En l'espèce, cette date de clôture était fixée au 4 juin 1996, soit à une date non couverte par la prescription. Par suite, il y a lieu de se prononcer sur les pratiques constatées lors de la passation de ce marché.
C. - SUR LES PRATIQUES NON COUVERTES PAR LA PRESCRIPTION
62. En matière de marchés publics ou privés, il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée de concertations pour coordonner leurs offres ou d'échanges d'informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel et en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou les prix qu'ils envisagent de proposer.
63. La preuve de telles pratiques de nature à limiter l'indépendance des offres et à fausser le libre jeu de la concurrence peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes soit d'un faisceau d'indices concordants constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction, même si chacun de ces éléments pris isolément n'a pas un caractère suffisamment probant.
Les pratiques de concertation préalable et de tromperie de l'acheteur public organisées au sein du groupe Girod, mettant en cause les sociétés Girod, AlpSignalisation et La Signalisation Centrale pour les marchés de la Haute-Savoie de 1996 et 1997, du Cantal de 1997, de Chambéry de 1997 et 98 et de Brazey de 1999
Sur le comportement d'entreprises appartenant au même groupe lors de procédures de mise en concurrence
64. En premier lieu, selon une jurisprudence constante, tant communautaire que nationale, les dispositions prohibant les ententes illicites ne s'appliquent pas, en principe, aux accords conclus entre des entreprises ayant entre elles des liens juridiques et financiers, comme une société mère et ses filiales, ou les filiales d'une même société mère entre elles, ou comme les sociétés mères d'une filiale commune, si elles ne disposent pas d'une autonomie commerciale et financière, à défaut de volonté propre des parties à l'accord ; qu'en effet, en l'absence d'autonomie commerciale et financière, les différentes sociétés du groupe forment alors une unité économique au sein de laquelle les décisions et accords ne peuvent relever du droit des ententes;
65. En deuxième lieu, il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques et financiers mais disposant d'une autonomie commerciale de présenter des offres distinctes et concurrentes à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres;
66. Considérant, en troisième lieu, qu'il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers mais disposant d'une autonomie commerciale de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie à l'occasion des mises en concurrence ou d'une mise en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre;
67. En revanche, si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres, mais si ces offres multiples ont été établies en concertation ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, lesdites offres ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles, trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Cette pratique a, en conséquence, un objet, ou potentiellement, un effet anticoncurrentiel ; il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification des pratiques que le maître d'ouvrage ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations;
Sur les pratiques impliquant la société Girod et ses filiales
68. Dans le cas de la société Girod et de ses filiales AlpSignalisation et La Signalisation Centrale, les résultats de l'enquête et les informations communiquées par les parties dans leur réponse à la notification de griefs démontrent sans ambiguïté le caractère très limité des moyens propres qui étaient à la disposition de ces filiales et le partage de dirigeants communs avec la société-mère. M. Girod, lui-même, a déclaré : "Je reconnais qu'en tant que directeur commercial du groupe, je définis pour chaque appel d'offres et pour chaque société du groupe, le niveau de remises auquel la société Girod répondra soit seule soit avec une autre filiale" [procès-verbal du 4 novembre 1999 -cote 60 à 63].
69. Le groupe Girod n'en a pas moins remis à chaque fois plusieurs offres distinctes pour les marchés de la Haute-Savoie de 1996 et 1997 (Girod et AlpSignalisation), du Cantal de 1997 (Girod et Signal Centre), et de Chambéry de 1997 (Girod, AlpSignalisation et Rangehead) et 1998 (Girod et AlpSignalisation).
70. Concernant le marché "repères kilométriques" de la Haute-Savoie de 1996, la prescription triennale invoquée par les parties ne s'applique qu'au premier appel d'offres déclaré infructueux (4/04/96), mais pas au second, lancé le 7/06/96. L'enquête a établi une situation d'entreprise unique : M. Desmenay était directeur commercial de Girod et de sa filiale AlpSignalisation, il a établi la réponse de cette dernière et M. Chaume, directeur de AlpSignalisation, a reconnu l'existence d'une concertation préalable avec Girod (voir § 17 et 18).
71. Pour le marché du Cantal du 10/01/97, M.Girod a reconnu, dans ses déclarations aux enquêteurs, la concertation intervenue entre Girod et sa filiale Signal Centre et la remise d'une offre de couverture (voir § 19) La société Signal Centre a été dissoute en septembre 1998 et son fonds de commerce repris par la société La Signalisation Centrale.
72. Les deux marchés de la ville de Chambéry de 1997 et 1998 ont également été caractérisés par une concertation préalable au sein du groupe Girod avant la remise d'offres multiples. Pour le marché de 1997, M. Girod a déclaré : "J'ai remis une offre au nom de Girod et ma filiale AlpSignalisation a également remis une offre. J'ai décidé que ma filiale AlpSignalisation serait mieux placée que Girod sur ce marché. (...) J'ai également décidé de la remise Rangeheardt pour cette consultation". Au sujet de celui de 1998, M. Chaume, directeur de AlpSignalisation, a reconnu : "Concernant le marché de la ville de Chambéry de janvier 98, nous avons effectivement eu le marché pour un montant TTC de 4 341 521 F (3 599 935 F HT) (...). L'étude de ce marché a bien été faite par Girod comme l'atteste le bordereau de prix faxé par Girod le 5/3/98 à 15 h 24". Dans les deux cas, le jeu de la concurrence a été d'autant plus faussé que le nombre de candidats était réduit : quatre réponses dont trois émanant du groupe Girod en 1997, trois réponses dont deux du groupe Girod en 1998.
73. S'agissant du marché de la Haute-Savoie du 19/09/97, M. Chaume, directeur de AlpSignalisation, a admis avoir procédé au chiffrage de son offre après concertation et accord de la société Girod qui a elle-même remis une offre distincte (voir § 23).
74. Enfin, la consultation restée sans suite de la commune de Brazey (18 janvier 1999) a donné lieu à une télécopie échangée entre Girod et la société Signalisation Centrale ("Recevons ce jour par courrier de la mairie de Brazey-en-Plaine. Merci info pour 'Suite à donner'. (Couverture ? ?)"), qui illustre sans ambiguïté les pratiques de concertation préalable ayant cours entre les sociétés du groupe Girod (voir § 29).
75. Ces agissements, constatés à l'occasion des appels d'offres rappelés ci-dessus, sont à rapprocher des déclarations faites par M. Philippe Girod, président du directoire de la société Signaux Girod, aux enquêteurs selon lesquelles il reconnaissait qu'en tant que directeur commercial du groupe, il définissait pour chaque appel d'offres et pour chaque société du groupe le niveau de remises auquel la société Girod répondait soit seule, soit en faisant des offres distinctes par l'intermédiaire de ses filiales (cf. § 14 ci-dessus).
76. Pour chacun de ces marchés, les liens existant entre les sociétés susvisées n'ont pas été portés à la connaissance de la collectivité. En attestent les déclarations des responsables des achats concernés : M. Favre-Felix pour la Haute-Savoie, M. Rigaudière pour le Cantal et Mme Santais pour Chambéry. Comme l'indiquent les parties, une telle obligation d'information n'est pas formellement prévue par le Code des marchés publics. Mais, au regard du droit de la concurrence, l'absence d'information de la collectivité sur les liens juridiques et la réalité de l'autonomie commerciale des entreprises soumissionnaires à un même marché tend à tromper la collectivité sur l'indépendance des offres et prive l'appel à la concurrence de son effet et de son efficacité de manière substantielle. Dans une décision relative aux transports publics de voyageurs dans le Pas-de-Calais du 19 avril 2001, le Conseil a ainsi rappelé : "Il est loisible à plusieurs entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, comme une société mère et ses filiales ou les filiales d'une même société-mère entre elles, ou comme les sociétés mères d'une filiale commune, de renoncer à leur autonomie commerciale et de se concerter pour établir des propositions en réponse à un appel d'offres, à la condition de faire connaître au maître d'ouvrage, lors du dépôt de leurs offres, la nature des liens qui les unissent, d'une part, le fait que leurs offres ont été établies en commun ou qu'elles ont communiqué entre elles pour les établir, d'autre part".
77. En outre, le défaut de diligence, imputé par les parties aux acheteurs publics, ne peut pas légitimer leurs pratiques anticoncurrentielles, ainsi que le rappelle la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt "SCREG Est du 4 juillet 1994" : "Considérant qu'il est sans incidence que les maîtres de l'ouvrage aient connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors qu'ils ignoraient qu'elles constituaient une entreprise unique ou que leurs offres procédaient d'une connivence ; qu'en outre, s'ils l'avaient su et toléré, leur compromission ne serait pas de nature à rendre régulière une pratique manifestement illicite".
78. Sur l'ensemble des marchés examinés, les pratiques répétées de la société Girod et de deux de ses filiales, AlpSignalisation et La Signalisation Centrale pour elle même et pour la société Signal Centre dissoute, ont conduit à fausser la concurrence en faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et en répartissant les marchés entre elles et sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Les pratiques impliquant les sociétés Lacroix et Desmoules Pose pour le marché de la Haute-Savoie du 25/04/1996
79. A cette date, la société Desmoules Pose était une filiale de Lacroix, qui l'avait reprise après son dépôt de bilan le 4 août 1994, et le restera jusqu'en mars 1997. Le groupe Lacroix était ainsi présent sur ce marché avec deux offres : une de Lacroix pour 3 433 371 F et une de Desmoules Pose pour 2 778 291 F. L'enquête a permis de mettre en évidence sur ce marché des pratiques de conceration préalable et d'offres de couverture entre Lacroix et sa filiale Desmoules Pose.
80. Le caractère distinct de ces deux offres n'était qu'apparent, M. Desmoules qui avait conservé des fonctions de directeur après la reprise de sa société par Lacroix ayant reconnu que l'offre de Desmoules Pose avait été établie par sa société-mère : "Je n'ai jamais fait l'offre de 2 778 291 F sous le nom de Desmoules Pose pour le marché de fourniture et pose de signalisation touristique du conseil général de la Haute-Savoie. Cette étude a été vraisemblablement faite par la société Lacroix à St-Herblain (44) (...). Pendant la reprise de mes 2 sociétés par la société Lacroix, j'ai été nommé directeur salarié de ces 2 sociétés. Je considère que ce titre était honorifique. Je n'avais aucune charge concernant les études de prix et je suivais les consignes données par la maison-mère" (procès-verbal d'audition du 7 septembre 1999 cotes 214 à 217).
81. Dans sa réponse au grief notifié, M. Desmoules a confirmé ces déclarations faites aux enquêteurs. Pour sa part, la société Lacroix admet une erreur commise par ses services en charge de la société Lacroix et de sa filiale. Ceci ne permet toutefois pas de légitimer la pratique anticoncurrentielle constatée ni le fait que la réponse de la société Desmoules Pose a été faite sous cette raison sociale et non celle de Lacroix Desmoules Pose comme l'atteste le procès-verbal d'ouverture des offres reçues de la collectivité.
82. Les pratiques de concertation mises en œuvre par les sociétés Lacroix et Desmoules Pose à l'insu de l'acheteur public ont donc bien faussé la concurrence sur le marché de la Haute-Savoie de 1996 et sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce. Le 10 mars 1997, la société "Lacroix Desmoules Pose" a été entièrement reprise par M. Didier Desmoules, sous la dénomination société "Desmoules Pose";
Les pratiques d'entente entre les sociétés Girod et Lacroix par le biais de filiales communes concernant les marchés de la Haute-Vienne de 1997 et de la Haute-Savoie de 1998
83. Le fait pour deux entreprises de détenir des filiales communes n'est pas en soi constitutif d'une entente interdite par l'article L. 420-1, dès lors que ces filiales ne sont pas des instruments pour mettre en œuvre des pratiques anticoncurrentielles d'échanges d'information et de concertation, pour se répartir un marché ou en fixer les prix. Le Conseil a eu l'occasion de réitérer cette analyse dans une décision de 2001 relative à des marchés publics d'enrobés bitumineux de la CUB : "Il est, en tout état de cause, loisible à des sociétés qui ont créé plusieurs centrales dont elles ont le contrôle et qui doivent donc être regardées comme appartenant au même groupe, de répartir entre ces centrales, pour des raisons qui leur sont propres, la production d'enrobés bitumineux, dès lors qu'elles ne trompent pas l'acheteur sur la réalité de la concurrence et dès lors que le comportement des centrales n'était pas le moyen, pour les deux sociétés mères, de se répartir les lots".
84. M. Philippe Girod a déclaré par procès-verbal du 6 décembre 1999 : "Concernant les filiales 50/50 Lacroix/Girod. Ces filiales ont un territoire de vente défini dans lequel les 2 sociétés mères, Lacroix et Girod, s'interdisent de les concurrencer sur leur marché potentiel. Réciproquement les filiales ne viennent pas prendre des marchés à leurs maisons mères. Sur le territoire de ma filiale, je ne réponds pas au dossier ou si je réponds, je réponds à un prix 'non agressif' par rapport à celui proposé par ma filiale (...). Pour les appels d'offres lancés sur le territoire de vente d'une filiale commune (Lacroix-Girod), le responsable commercial de la filiale contacte les directeurs commerciaux respectifs de Lacroix et Girod, et c'est à trois que nous décidons du taux définif de remise auquel la filiale répondra. Pour multiplier les chances, Lacroix ou Girod peuvent répondre à ces marchés à la demande de leur filiale".
85. Les seules déclarations précitées de M. Girod ne suffisent pas à établir l'existence d'une action concertée des groupes Girod et Lacroix en vue d'arrêter une stratégie en matière commerciale et de fixation des prix pour les offres remises par les filiales communes.
86. Pour le marché de la Haute-Vienne du 27/03/97, les précisions fournies par les parties indiquant que Signal Centre était devenue à cette date une filiale à 100 % de Girod conduisent à exonérer Lacroix de ce grief et en conséquences également Girod.
87. S'agissant du marché de la Haute-Savoie du 5/01/98, les deux groupes sont présents avec trois réponses distinctes : Girod (attributaire du marché avec 2 663 162 F), Lacroix (pour 3 085 273 F), et leur filiale commune Picardie Signalisation (pour 2 775 299 F). Les déclarations de M.Girod et de M. Favre-Felix, responsable des achats du conseil général, figurant dans l'enquête permettent d'établir l'existence d'une concertation entre Girod et sa filiale à 50 % Picardie Signalisation à l'insu de l'acheteur public (cf. déclaration de M. Girod, procès-verbal du 6 décembre 1999, cote 64 à 67, et déclaration de M. Favre Félix, procès-verbal du 8 juillet 1999 cote 133 à 136 - cf. ci-dessus § n° 41, 42 et 43) Toutefois, aucun indice complémentaire ne permet d'établir l'implication de Lacroix dans cette concertation.
88. Les griefs d'entente notifiés aux sociétés Girod et Lacroix à raison de leurs filiales communes au moment des faits ne sont donc pas retenus. En revanche, celui notifié à la société Picardie Signalisation pour avoir remis, en concertation avec la société Girod, une offre faussement indépendante lors de l'appel d'offres lancé par le Conseil général de Savoie le 5 janvier 1998 et d'avoir ainsi enfreint les prescriptions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, est établie.
Les pratiques impliquant les sociétés Signature et Virieux pour les marchés de la Loire (4.10.1996) et de la Haute-Loire (7.12.1996)
89. A la date de ces marchés et jusqu'en mai 1999, la société Signature, née de la fusion-absorption de la société Neuhaüs Equipement le 30 juin 1997, détenait une participation de 33 % dans la société Virieux qui était, en outre, le distributeur exclusif de ses produits pour les départements de la Loire, de la Haute-Loire et de l'Ardèche.
90. M. Bony, président de Virieux, a déclaré, lors de son audition (cf. procès-verbal du 3 juin 1999, cotes 202-205) : "Pour les marchés sur appel d'offres pour lesquels je répondais, c'était le bureau d'études de Signature à Urugne qui réalisait une étude de prix. D'ailleurs, tous les panneaux permanents que je posais dans les marchés obtenus personnellement ou conjoint avec Signature étaient fabriqués par Signature... Concernant le marché lancé par le conseil général de la Haute-Loire en décembre 1996, j'ai effectivement fait une offre globale à 563 738,67 F, compte tenu d'un rabais de 50 %. Signature était bien informée de mon offre puisque je ne fournissais que des produits homologués Signature".
91. Ces seules déclarations ne suffisent pas à établir, pour les marchés considérés, l'existence d'une concertation entre les sociétés Virieux et Signature allant au-delà de ce qui était nécessaire, compte tenu des relations de fournisseur à client qui existaient entre ces deux sociétés. Elles n'établissent, notamment, pas que Virieux était informé des offres que Signature envisageait de déposer. Par suite, le grief d'entente notifié à ces deux sociétés pour les marchés en cause est abandonné.
Les pratiques concernant les sociétés Signaux Laporte et Crapie pour les marchés de la Saône-et-Loire du 21/02/97 et ASF de juillet 1999
a) Le marché de signalisation temporaire du conseil général de Saône-et-Loire du 21.02.97
92. Le conseil général a reçu dix réponses, dont Crapie, mieux-disante avec une offre de 777 641 F, qui a obtenu le marché, et Signaux Laporte avec une proposition de 985 810 F, arrivant en 6e position.
93. M. Garin, PDG de Signaux Laporte et président du conseil d'administration de Crapie, admet avoir été informé de la teneur générale de l'offre de Laporte lors de la préparation de l'offre de Crapie : "Concernant le marché de signalisation temporaire du conseil général de Saône-et-Loire, effectivement Crapie et Laporte ont répondu séparément à ce marché. Je savais que Crapie, étant spécialisée dans la signalisation temporaire, était mieux placée que nous en termes de prix, avant la remise des offres (...). Laporte a répondu sans grande conviction à ce marché néanmoins pour rester présent sur le marché de la signalisation verticale (...)" [procès-verbal du 24 septembre 1999, en annexe 18 cote 218-221]. Deux offres distinctes ont été remises à la collectivité : M. Badey, directeur des routes au conseil général de Saône-et-Loire, a déclaré [procès-verbal du 20 juillet 1999, annexe 19 cotes 222-225] : "Dix entreprises ont répondu dont Laporte et Crapie (...) Les déclarations des candidats Laporte et Crapie ne permettent pas de mettre en évidence un quelconque lien entre les 2 sociétés. En effet, les personnes ayant pouvoir d'engager la société ainsi que les numéros SIRET sont distincts d'une société à l'autre. La commission d'appel d'offres n'avait aucun moyen de connaître les liens existants entre ces 2 sociétés".
b) Le marché ASF de juillet 1999 pour des panneaux d'animation destinés à l'A7-A8 district de Salon
94. ASF a reçu une réponse de Signaux Laporte pour 421 487 F et une de Crapie pour 429 008 F.
95. Concernant ce marché, M. Garin a déclaré dans le procès-verbal cité au paragraphe 92 : "Concernant également la consultation lancée par ASF en juillet 1999 réfection animation district de Salon A7-A8, Crapie et Laporte ont répondu séparément. C'est effectivement mon adjoint M. Turlotte qui a réalisé les études de prix pour Crapie ainsi que pour Laporte SA. Laporte savait qu'il était mieux placé que Crapie en prix (...)".
96. Par ailleurs, la veille de la remise de son offre le 08/07/1999, la société Crapie a reçu de la société Laporte une télécopie sur les prix à reprendre pour sa propre réponse et s'est conformée à ces indications : "Nous avons remis notre offre par lettre du 8 juillet 1999... nous avons reçu un fax de prix de la société Laporte, daté du 7 juillet 1999, que nous avons repris à l'identique pour remettre notre bordereau de prix" [cf. procès-verbal du 28 juillet 1999 de l'audition de M. Dias, responsable commercial de Crapie, annexe 20 cotes 226-229].
97. La société ASF a identifié deux offres distinctes, M. Morcello, directeur régional d'exploitation d'ASF Orange [procès-verbal du 31 août 1999, annexe 21 cotes 230-231] a déclaré : "Pour le marché de signalisation verticale A7-A8 district de Salon, nous avons lancé une consultation auprès de 12 entreprises (...) J'ignore s'il y a des liens entre d'autres entreprises, notamment entre Crapie et Laporte".
98. Les sociétés Laporte et Crapie réfutent le grief d'entente qui leur a été notifié sur ces bases, en faisant valoir qu'elles doivent être considérées comme une entreprise unique compte tenu de l'identité des actionnaires et des dirigeants, de l'existence d'équipes commerciales et de production communes et de l'unité de gestion qui était pratiquée.
99. Ces éléments, toutefois, ne sauraient conduire à écarter la qualification d'entente anticoncurrentielle. Il en résulte, au contraire, que l'entreprise unique Laporte-Crapie a délibérément remis aux acheteurs publics deux offres faussement indépendantes et résultant d'une concertation préalable pour accroître ses chances d'emporter les marchés, leur présentant ainsi une situation biaisée de la concurrence.
100. L'argument des parties relatif à une spécialisation de chacune des sociétés (Crapie pour la signalisation temporaire, Laporte en signalisation générale) n'est pas non plus recevable. Il tend même à confirmer les éléments de l'enquête sur la remise par Laporte d'une offre de couverture au bénéfice de Crapie sur le marché de la Saône-et-Loire ; Crapie a, en effet, emporté ce dernier marché portant sur de la signalisation temporaire (sa spécialité) avec une réponse de 777 641 F face à une offre de Laporte de 985 810 F, alors qu'il est établi que les deux sociétés s'étaient préalablement concertées sur leurs prix de remise.
101. Enfin, la nécessité, mise en avant, de faire acte de présence commerciale vis-à-vis des clients potentiels ne permet pas non plus de justifier les pratiques anticoncurrentielles commises, comme le rappelle la Cour d'appel de Paris dans son arrêt "SECCO Desquenne & Giral" en date du 2 mars 1999 : "Considérant que la pratique dite de l'offre 'carte de visite' permettant à une entreprise de se faire connaître du maître de l'ouvrage, sans chercher à obtenir le marché, ne peut être tenue pour licite dès lors que, par des échanges d'informations sur les prix préalables au dépôt des offres, elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché concerné ainsi que sur le sérieux des prix fixés, ayant en cela un objet et un effet anticoncurrentiel".
102. Les pratiques mises en œuvre par les sociétés Laporte et Crapie sont donc prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Les pratiques sur le marché du Puy-de-Dôme (18/09/97) concernant les sociétés La Signalisation Centrale, Signature, Mic-Signaloc et Ses
103. Pour le marché de 1994, la prescription des faits invoqués par les sociétés Ses et Girod dans leur mémoire déposé en réponse à la notification de griefs est effectivement acquise et il n'y a pas lieu d'examiner les éléments réunis lors de l'enquête.
104. Le marché de 1997 a obtenu deux réponses : une de la société Laporte pour 636 809 F et une offre en groupement des sociétés Ses, Mic-Signaloc (distributeur régional exclusif de Signature) et La Signalisation Centrale (filiale de Girod) attributaire du marché pour 592 037 F.
105. Concernant la société Signature, il lui est donné acte qu'elle n'était pas présente même indirectement via une filiale sur ce marché, n'ayant avec la société Mic-Signaloc qu'une relation commerciale en tant que concessionnaire pour la distribution de ses matériels, et le grief qui lui a été notifié doit, en conséquence, être abandonné.
106. Pour les autres sociétés concernées, l'enquête et la notification de griefs ont mis en doute la nécessité pour les trois entreprises attributaires de répondre sous forme d'un groupement au vu des caractéristiques de ce marché : emploi de la procédure négociée, montant très modeste par rapport aux capacités économiques et techniques des intervenants directs et de leur société mère, leur concessionnaire ou leur siège, et absence de contraintes techniques ou de délais particuliers prévus par le règlement de la consultation.
107. Cependant, la jurisprudence reconnaît le caractère licite d'une réponse en groupement d'entreprises à un appel d'offres et ne condamne que l'utilisation contraire aux règles du droit de la concurrence pouvant être faite de ce groupement et que mettrait en évidence la conjugaison d'une part des caractéristiques du marché et d'autre part d'un faisceau d'indices attestant, notamment, une répartition du marché entre les entreprises, l'absence de toute justification à la constitution du groupement, comme par exemple la réalisation d'économies d'échelle ou la mise en commun de moyens lors de la réalisation du marché, ou l'assèchement de la concurrence du seul fait de la constitution du groupement.
108. Or, les parties ont fait valoir que leur groupement était justifié par les contraintes spécifiques au marché, tenant à la nécessité d'intervenir sur un parc de panneaux hétérogènes issu de produits fabriqués par les différentes entreprises du groupement et répondant aux critères propres à chaque entreprise en matière de technique de montage, de matériau et de couleur admis par la réglementation d'homologation et ont indiqué que cette adaptation particulière aux conditions du marché leur avait d'ailleurs permis de faire l'offre la plus compétitive.
109. Le grief d'entente sur les prix et de partage du marché du Puy-de-Dôme de 1997, notifié aux sociétés La Signalisation Centrale, Mic-Signaloc, Ses, n'est en conséquence pas retenu.
III. - Les sanctions
110. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit, dans sa rédaction applicable aux pratiques en cause, que le Conseil de la concurrence peut "infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux de la publication qu'il désigne".
111. Lorsque le Conseil statue selon la procédure simplifiée prévue par l'article L. 463-3 du Code de commerce, le montant de la sanction ne peut pas excéder 76 224 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.
112. Pour apprécier la gravité des faits, il y a lieu de tenir compte de ce que ces pratiques ont eu pour objet et pu avoir pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises. Les pratiques anticoncurrentielles recensées sont répréhensibles du seul fait de leur existence, peu important que leur auteur ait, en définitive, obtenu ou non le marché ou que le prix d'attribution du marché ait été inférieur à l'estimation de la collectivité, car elles ont abouti à fausser le jeu de la concurrence que les règles des marchés publics ont pour objet même d'assurer. Leur effet sur le libre jeu de la concurrence a été réel, de par leur caractère réitéré et l'importance des entreprises mises en cause dans ce secteur d'activité. Globalement, ces sociétés ont emporté 12 des 17 marchés examinés par les enquêteurs et ces pratiques ont contribué à la consolidation des parts de marché des entreprises les plus importantes. De plus, les entreprises concernées représentaient les principaux opérateurs sur le marché des panneaux de signalisation routière en France et assuraient ensemble 90 % du chiffre d'affaires réalisé par cette activité en 1998.
113. Certaines des entreprises concernées ont connu, depuis les faits, des modifications dans leur situation juridique. Il en va ainsi de la société Desmoules Pose, cédée en 1997 par son unique actionnaire Lacroix et reprise par M. Didier Desmoules sous la dénomination société "Desmoules Pose", et de la société Signal Centre, filiale du groupe Girod, dissoute en 1998 avec reprise de son fonds de commerce par une autre filiale du groupe, la société La Signalisation Centrale.
114. Une jurisprudence bien établie prévoit, dans ces cas, que les pratiques sont imputées à la personne morale auteur des pratiques lorsqu'elle existe toujours, ce qui est le cas de la société Desmoules Pose, et à la personne morale ayant succédé à la société disparue, ce qui est le cas de la société Signal Centre.
115. Sur ces bases, les sanctions pécuniaires suivantes sont prononcées en ce qui concerne les sociétés :
- SA Signaux Girod dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos, le 30 septembre 2001, de 41 564 571 euros : 76 224 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles commises sur les marchés de Haute-Savoie du 7/06/96 et du 19/09/97, du Cantal du 10/01/97, de Chambéry du 27/06/97 et du 15/01/98 et de la commune de Brazey du 18/01/99 ;
- SARL AlpSignalisation dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos, le 30 septembre 2001, de 2 062 611 euros : 10 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles commises sur les marchés de la Haute-Savoie du 7/06/96 et du 19/09/97 et de Chambéry du 27/06/97 et du 15/01/98 ;
- SARL La Signalisation Centrale dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos, le 30 septembre 2001, de 2 422 219 euros : 5 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles commises en son nom propre sur l'appel d'offres de la commune de Brazey-en-Plaine du 18/01/99, ainsi que celles imputées à la société dissoute Signal Centre dont elle a repris le fonds de commerce, en ce qui concerne le marché du Cantal du 10/01/97 ;
- Société Picardie Signalisation dont le chiffre d'affaires était, au 30 septembre 2002, lors du dernier exercice clos, de 4 150 505 euros : 5 500 euros pour les pratiques anticoncurrentielles commises lors de l'appel d'offres du Conseil général de Savoie du 5/01/98 ;
- SA Lacroix Signalisation dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos le 30 septembre 2001, de 42 271 864 euros : 12 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la Haute-Savoie du 25/04/96 ;
- SA Desmoules Pose dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos le 30 septembre 2001, de 3 360 115 euros : 5 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la Haute-Savoie du 25/04/96 ;
- SAS Signaux Laporte dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos le 30 juin 2002, de 9 456 917 euros : 15 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles sur les marchés de la Saône-et-Loire du 21/02/97 et de ASF de juillet 1999 ;
- SA Crapie dont le chiffre d'affaires était, lors du dernier exercice clos le 30 juin 2002, de 6 589 678 euros : 10 000 euros, pour les pratiques anticoncurrentielles sur les marchés de la Saône-et-Loire du 21/02/97 et des ASF de juillet 1999 ;
116. Enfin, compte tenu de la nature des pratiques constatées, qui concernent des appels d'offres lancés essentiellement par des collectivités territoriales, de leur extension géographique et de leur généralité, il y a lieu, afin d'informer les principaux intéressés, d'ordonner la publication de la présente décision dans la Gazette des Communes.
DÉCIDE
Article 1 - Il est établi que les sociétés Signaux Girod, AlpSignalisation, La Signalisation Centrale, Picardie Signalisation, Lacroix Signalisation, Desmoules Pose, Signaux Laporte, Crapie, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
- à la société Signaux Girod : 76 224 euros
- à la société AlpSignalisation : 10 000 euros
- à la société La Signalisation Centrale : 5 000 euros
- à la société Picardie Signalisation : 5 500 euros
- à la société Lacroix Signalisation :12 000 euros
- à la société Desmoules Pose : 5 000 euros
- à la société Signaux Laporte : 15 000 euros
- à la société Crapie : 10 000 euros.
Article 3 - Dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, les sociétés Girod, AlpSignalisation, La Signalisation Centrale, Picardie Signalisation, Lacroix Signalisation, Desmoules Pose, Signaux Laporte et Crapie feront publier la présente décision ainsi que son dispositif à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées, dans une édition de la Gazette des Communes. Cette publication sera précédée de la mention : "décision n° 03-D-07 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques constatées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière par des collectivités locales".