CCE, 28 mai 1971, n° 71-222
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
FN/CF
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 6 et 8, vu la notification présentée le 27 mars 1968, conformément à l'article 4 paragraphe 1 du règlement nº 17, par la société anonyme belge Fabrique nationale d'armes de guerre (FN), à Herstal-lez-Liège, et la société anonyme française la Cartoucherie française (CF), à Paris, concernant un accord de coopération dans le domaine de la fabrication et de la vente des munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel, ainsi que leurs éléments, qu'elles ont conclu le 27 novembre 1967, vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 27 janvier 1971,
I
1. considérant que, déjà avant la conclusion de l'accord notifié, les parties entretenaient des relations commerciales (CF assurant depuis 1923 la distribution en France et dans les territoires français d'outre-mer des armes de chasse, de sport et de défense également fabriquées par FN) et échangeaient certaines informations techniques concernant leurs fabrications de munitions ; qu'elles avaient ainsi constaté l'existence d'une certaine complémentarité entre leurs gammes de fabrications et leurs moyens de production dans le domaine des munitions autres que celles de guerre, FN fabriquant dans son usine de Herstal principalement des cartouches de luxe pour la chasse, des cartouches de défense et des cartouches à usage industriel, et CF ayant surtout développé dans son usine de Survilliers la fabrication des douilles, des éléments dits "bon marché" pour cartouches de chasse (amorces, bourres, plombs) et des munitions de tir ; qu'elles avaient également constaté une certaine complémentarité entre leurs organisations commerciales, CF disposant d'un réseau de vente très développé en France et dans les territoires français d'outre-mer, FN étant par contre mieux représentée dans les autres pays;
Considérant que FN et CF sont convenues, dans ces conditions, de spécialiser et de coordonner leurs fabrications de munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel et d'organiser plus rationnellement la distribution de ces produits, mais que les dispositions du contrat qu'elles ont conclu dans ce but le 27 novembre 1967 ne fixent que les principes de cette coopération dont les modalités d'exécution doivent être arrêtées cas par cas sur la base de propositions faites respectivement par une commission technique et une commission commerciale constituées à cet effet;
Considérant que, en particulier, chacune des parties s'est engagée à ne pas offrir, vendre ou s'intéresser à d'autres munitions que celles fabriquées tant par elle-même que par l'autre sans autorisation écrite de celle-ci ; que cette clause du contrat doit être comprise, d'après l'interprétation donnée par les intéressés eux-mêmes, comme interdisant à chacune des parties - sauf accord écrit de l'autre - de fabriquer les munitions ou éléments de munitions qui, au moment de la conclusion de l'accord, étaient exclusivement ou principalement fabriqués par le partenaire, ou n'étaient fabriqués à ce moment par aucune des parties, ainsi que d'acheter à des tiers des articles de même nature que ceux qui entrent dans le champ d'application de l'accord;
Considérant que FN s'est engagée à livrer les munitions de sa fabrication en France et dans les territoires français d'outre-mer exclusivement à CF qui, de son côté, s'est engagée à livrer ses articles dans les pays du Benelux exclusivement à FN ; que, en ce qui concerne les autres pays, la partie qui y est la mieux introduite est chargée de la représentation de l'autre après accord pris avec celle-ci ; que les parties se sont engagées à n'apporter aucune altération ni modification de marque ou de présentation aux produits qu'elles se livrent mutuellement;
Considérant que les parties sont convenues d'échanger toutes informations techniques relatives aux recherches, aux essais et à la fabrication des produits en cause et de travailler en commun à la création d'articles nouveaux ; que chacune des parties s'engage à concéder à l'autre, sur demande de celle-ci, une licence gratuite non exclusive pour toute invention qu'elle aurait brevetée à son nom suite à une découverte réalisée par un membre de son personnel dans le cadre des recherches effectuées en commun ; que, en outre, pour ce qui concerne le savoir-faire, les parties se sont engagées à garder le secret, pendant toute la durée de validité du contrat et les cinq années qui suivent son expiration;
Considérant que le contrat contient aussi des dispositions détaillées relatives aux conditions de livraison et de paiement pour les achats réciproques ainsi qu'au fonctionnement de la commission technique et de la commission commerciale;
Considérant enfin que ce contrat est conclu pour une durée indéterminée mais qu'il peut être résilié par chacune des parties en respectant un délai de préavis de deux ans;
2. considérant que les autres éléments d'appréciation recueillis au cours de l'instruction de l'affaire sont les suivants:
Pour l'une comme pour l'autre partie, la fabrication des munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel ne constitue pas la totalité de ses activités. Pour CF, qui s'occupe également d'emboutissage et d'étirage des métaux ainsi que de la vente d'armes de chasse, de sport et de défense de FN, elle représente un peu plus de la moitié de son chiffre d'affaires total (celui-ci a atteint 51 millions de francs français en 1970), tandis que pour FN, qui fabrique de nombreux autres produits (armes en tous genres, munitions de guerre, moteurs d'avions, etc.), elle ne représente qu'une faible partie de son chiffre d'affaires total (environ 4 milliards de francs belges pour l'exercice 1969/1970).
Dès la conclusion du contrat, chacune des parties a renoncé à la fabrication des munitions ou de leurs éléments fabriqués jusqu'à ce moment principalement par l'autre, les quantités produites précédemment par elle soit pour ses besoins propres, soit pour étoffer sa gamme de fabrication lui étant désormais fournies par le partenaire. Dans quelques cas, l'abandon de la fabrication de certains types de cartouches (notamment celles de petit calibre de FN) et de douilles a entraîné le transfert de machines d'une usine à l'autre. Toutefois, la spécialisation ne porte pas encore, à l'heure actuelle, sur la totalité des fabrications existantes de chaque entreprise, certains types de cartouches continuant d'être fabriqués simultanément par FN et CF en raison de problèmes techniques momentanés.
Sous l'impulsion de la commission technique, FN et CF échangent systématiquement tous leurs documents et plans concernant les produits, les outillages et les procédés de fabrication et poursuivent en commun des travaux de recherche et de développement, les tâches étant réparties au mieux des possibilités de chacun en personnel de recherche et en matériel spécifique.
L'échange d'informations et d'expériences a amené les parties à adopter, depuis l'entrée en vigueur de l'accord, plusieurs mesures de normalisation et de rationalisation. Ainsi, elles utilisent désormais des tracés de fabrication aux cotes normalisées pour toutes leurs munitions ainsi que des procédés identiques de contrôle des caractéristiques balistiques de leurs produits et elles ont introduit dans leurs propres fabrications des procédés améliorés déjà expérimentés par l'autre.
En outre, les parties ont procédé à l'exploitation des résultats de leurs travaux communs de recherche et de développement en répartissant entre elles la fabrication de nouveaux éléments et de nouvelles cartouches. Ainsi, la fabrication des tubes en plastique a été réservée à l'usine de Herstal de FN et celle des culots en acier laitonné à l'usine de Survilliers de CF, tandis que de nouvelles cartouches, qui portent conjointement les marques des deux sociétés, sont réalisées en commun (l'une des parties fabriquant seule les douilles qui sont ensuite chargées dans les usines de chacune des parties). Ces mesures ont amené FN et CF à procéder non seulement à l'amélioration des installations existantes mais aussi à l'installation de nouveaux équipements (notamment pour l'atelier de laitonnage à Survilliers) et de nouvelles machines (notamment pour la fabrication des tubes en plastique à Herstal).
Enfin, les parties procèdent régulièrement à des échanges de personnel sous la forme de stages en vue de former une main-d'œuvre de plus en plus spécialisée.
Sur le plan commercial, la concession d'exclusivité réciproque de vente a entraîné la suppression du réseau commercial de FN en France et dans les territoires français d'outre-mer, CF assurant désormais dans ces pays la distribution des munitions de FN (en plus de celle des armes de cette dernière) par des points de vente beaucoup plus nombreux que ceux dont FN disposait auparavant. Elle permet d'autre part à CF d'utiliser le réseau de distribution de FN non seulement dans les pays du Benelux faisant l'objet de la concession de vente exclusive, mais aussi en Italie et en Allemagne, ainsi que, en dehors de la CEE, sur les marchés américain, australien et asiatique où CF n'était pas représentée et où, par contre, FN vend depuis longtemps ses armes de chasse.
Depuis la mise en vigueur de l'accord au début de 1968, le chiffre d'affaires "cartoucherie" des deux parties a sensiblement augmenté et pour l'une d'elles cette augmentation a été d'environ un tiers par rapport au chiffre d'affaires antérieur. Des quantités croissantes de munitions ont été fournies par chaque partie en vue de leur commercialisation sur le territoire de vente réservé à son partenaire ainsi que sur tout autre territoire où ce dernier réussit à obtenir des commandes par son propre réseau de vente. Les parties ont aussi intensifié les fournitures réciproques des éléments spécialisés destinés à être incorporés dans leurs fabrications respectives en doublant, voire en triplant les prévisions du programme de livraison. Jusqu'à présent, ces fournitures réciproques ont porté de la part de FN sur ses éléments spécialisés, à savoir : tubes en plastique, chambres d'amorçages, bourres plastiques, douilles à haut culot, et sur ses cartouches de chasse "High Speed" et "Legia" et de cimenterie, de la part de CF sur ses éléments spécialisés, à savoir : culots en acier laitonné, douilles à bas culot, douilles des nouvelles cartouches communes, et sur ses munitions de petit calibre et de tir en 22 All Right.
Pour les différents produits faisant l'objet de leur accord de spécialisation, les parties établissent en commun chaque année un budget de publicité, dont elles se partagent les frais. Cette publicité en commun vise à attirer l'attention des acheteurs sur l'assortiment complet dans chacune des différentes sortes de munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel ainsi que de leurs éléments, que chaque partie est en mesure d'offrir, grâce à l'accord de coopération, dans les territoires qui lui sont confiés ; c'est ainsi, notamment, que sur plusieurs catalogues, dépliants et tarifs de vente de chaque partie, ainsi que sur les affiches apposées dans les concours et expositions, figurent, outre l'indication de la gamme des produits spécialisés, les sigles conjoints ou les dénominations sociales des deux entreprises, voire la mention de relations commerciales existant entre elles. Toutefois, les parties effectuent aussi de la publicité individuelle pour leurs propres productions.
L'augmentation de la production et de la vente des produits spécialisés ainsi que la suppression des pertes subies précédemment sur la vente de produits de faible diffusion, dont la production a été abandonnée, ont entraîné une diminution des prix de revient qui a encouragé les parties à réaliser de nouveaux investissements et qui leur a permis d'absorber la plupart des augmentations de prix des matières premières et du coût des salaires, qui représentent une partie assez importante du prix de revient.
FN et CF s'informent réciproquement sur la situation concurrentielle sur les différents marchés, et en particulier sur la politique de vente suivie par les producteurs, en vue de rechercher les moyens les plus aptes à y intensifier leurs ventes et de déterminer, s'il y a lieu, qui doit se charger des ventes du partenaire dans les territoires autres que la France (y compris les territoires français d'outre-mer) et le Benelux. Ainsi, en ce qui concerne les marchés allemand et italien, les parties sont convenues, sur proposition de la commission commerciale, de confier à FN à partir de 1970 la distribution exclusive de certaines munitions de CF.
Chaque partie fixe de manière indépendante, pour les territoires qui lui sont confiés, aussi bien les prix de vente de ses propres munitions que les prix de revente des munitions fournies par son partenaire, sur la base de ses propres calculs et en fonction des conditions du marché. FN et CF ne restreignent pas la possibilité pour les intermédiaires ou les utilisateurs de se procurer les produits en cause auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du Marché commun.
Enfin, sur le plan financier, quelques mois après la conclusion de l'accord, FN a acquis, par souscription d'une augmentation du capital, une participation de 13 % dans le capital de CF;
3. considérant que dans la CEE la production des munitions, autres que celles de guerre, et de leurs éléments est aux mains d'un nombre peu élevé de fabricants dont certains, pour ce qui est des produits en cause, dépassent en importance FN et CF, même si on considère cumulativement ces entreprises ; que la consommation des cartouches de chasse (celles-ci constituant la partie la plus importante en valeur du secteur des munitions à usages non militaires) que l'on peut évaluer globalement à 500 millions d'unités par an, varie fortement d'une région à l'autre de la CEE;
Considérant que, en ce qui concerne plus particulièrement les territoires pour lesquels les parties se concèdent réciproquement la vente exclusive de leurs munitions, la situation est la suivante : en France, pays de la CEE où la consommation est la plus forte (environ 220 millions de cartouches de chasse par an), outre CF, dont les ventes - y compris celles des cartouches achetées à FN - représentent environ 25 % de la consommation, il existe deux autres grands producteurs, la société Gévelot, qui détient la part la plus importante du marché, et la société Rey, ainsi que quelques petites entreprises ; une part croissante de la consommation (20 % actuellement) est couverte par les importations tant de douilles que de cartouches chargées en provenance notamment de l'Italie et de l'Allemagne en plus de la Belgique ; dans les pays du Benelux, où par contre la consommation est la plus faible (moins d'un dixième de la consommation française), à côté de FN, dont le chiffre d'affaires total en ce qui concerne les produits en cause n'atteint pas celui de CF, il existe trois petits producteurs, un en Belgique et deux aux Pays-Bas ; la faible consommation de ces pays est couverte à raison de 50 % environ par FN (toutefois ces territoires absorbent moins de la moitié de la production de cette entreprise, qui dépend ainsi largement des exportations), le reste étant couvert par les autres producteurs locaux ainsi que par des fabricants anglais, allemands et français dont CF, celle-ci toutefois pour des quantités relativement restreintes et portant essentiellement sur des petites munitions de tir ; que, en définitive, FN et CF couvrent à elles deux environ 25 % de la consommation totale de cartouches de chasse de la France et des pays du Benelux pris ensemble ; que, dans chacun de ces territoires, les importations en provenance des autres États membres de la CEE et des pays tiers, notamment des États-Unis, de l'Angleterre et de l'Autriche ont représenté au cours des dernières années une part assez importante du marché (en France, environ un cinquième, dans le Benelux environ un tiers);
Considérant que, en ce qui concerne les pays de la CEE non directement visés par l'accord, on constate qu'en Italie le marché (environ 180 millions de cartouches) est partagé entre 4 principaux producteurs et 8 entreprises de moyenne envergure, tandis qu'en Allemagne un producteur fournit à lui seul 75 % de la consommation, laquelle représente environ 80 millions de cartouches, le reste étant approvisionné par deux autres entreprises et par les importations;
4. considérant que l'essentiel du contenu de la notification a été publié, conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement nº 17 (2) ; qu'aucune observation émanant de tiers n'a été communiquée à la Commission;
II
5. Considérant que l'article 85 paragraphe 1 du traité dispose que sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
6. Considérant que l'accord examiné ici a pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun, dans la mesure où chacune des parties s'est engagée:
a) sur le plan technique:
- à renoncer à fabriquer, pendant la durée de l'accord, les munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel, ainsi que leurs éléments, dans la fabrication desquels son partenaire est spécialisé ou a décidé de se spécialiser.
L'obligation de renoncer à la fabrication de certains articles porte sur les produits qui, au moment de la conclusion de l'accord, appartenaient exclusivement ou principalement au programme de fabrication d'un des deux partenaires. Par cette obligation, les parties, qui avaient dans le passé une gamme très large de munitions et de leurs éléments, sont limitées, pour la durée de leur accord, dans l'établissement de leur propre programme de fabrication. Cette obligation de renoncer à la fabrication de certains articles s'étend dans le cas d'espèce au programme futur de fabrication des parties, étant donné qu'en outre chacune d'elles ne peut, d'après le contrat, entreprendre sans le consentement de l'autre la fabrication de produits n'ayant jamais été fabriqués par l'une d'elles.
L'exécution de cette obligation, qui constitue ainsi la base de la spécialisation actuelle et future entre les parties, est assurée, dans le cas d'espèce, grâce à la poursuite en commun de travaux de recherche et de développement et à une entente continue sur le mode de répartition des nouvelles fabrications, en fonction des moyens et des expériences dont chacune des parties dispose déjà. En effet, à partir du moment où les travaux de recherche et de développement en commun aboutissent à des résultats appréciables, les parties s'accordent sur l'exploitation de ceux-ci en répartissant entre elles la production des nouveaux articles ainsi que les investissements correspondants. L'élaboration en commun du programme de recherche, de fabrication et d'investissements sert donc au maintien et au renforcement de la spécialisation convenue entre les parties;
b) sur le plan commercial:
- à fournir ses produits spécialisés pour la vente sur les territoires confiés au partenaire exclusivement à celui-ci. L'obligation de fourniture exclusive réciproque pour la vente empêche FN de vendre ses articles directement aux acheteurs établis en France et dans les territoires français d'outre-mer et CF d'approvisionner directement les acheteurs établis dans les pays du Benelux ainsi que, à l'heure actuelle, en Allemagne et en Italie, alors que ces entreprises seraient l'une comme l'autre capables de commercialiser directement leurs articles spécialisés dans les territoires confiés au partenaire;
- à ne pas acheter à des tiers en vue de la revente sur le territoire qui lui est réservé, sauf accord du partenaire, des articles de même nature que ceux retenus pour les fournitures réciproques et qu'elle peut se procurer auprès de son partenaire.
Cette clause de non-concurrence renforce les engagements d'exclusivité réciproque;
Considérant que, si les dispositions ci-dessus visent à restreindre dans une partie du Marché commun la concurrence entre les partenaires dans le secteur des munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel, elles ont aussi pour effet de supprimer, dans chacun des territoires considérés, la possibilité pour les consommateurs de susciter une concurrence entre les deux fabricants à cause de la spécialisation de leur production ; que, eu égard à la place importante que ces entreprises occupent parmi les fabricants de munitions installés dans la CEE, ces dispositions entraînent une restriction sensible de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
7. Considérant que l'accord porte sur la production ainsi que sur la fourniture réciproque des articles de deux entreprises établies dans des États membres différents ; que la spécialisation convenue est susceptible de modifier le courant des échanges de munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel, ainsi que de leurs éléments, entre les différents pays du Marché commun ; que la concession exclusive réciproque renforcée par la clause de non-concurrence empêche chacune des parties de commercialiser directement sa production dans le territoire attribué au partenaire et de s'approvisionner auprès de fabricants concurrents établis dans d'autres pays du Marché commun ; que l'accord est par conséquent susceptible d'affecter le commerce entre États membres puisqu'il est de nature à mettre en cause, de manière directe ou indirecte, la liberté du commerce entre États membres d'une façon qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États;
Considérant que l'accord en cause entre donc dans le champ d'application de l'article 85 paragraphe 1 du traité;
III
8. Considérant que, en vertu du paragraphe 3 de l'article 85, les dispositions du paragraphe 1 de cet article peuvent être déclarées inapplicables aux accords entre entreprises qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ses objectifs,
b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence;
9. Considérant que l'accord amène chacune des parties à se spécialiser dans la fabrication de produits qui représentaient auparavant l'essentiel de son activité dans ce secteur et pour lesquels elle dispose de possibilités de fabrication plus grandes et meilleures que son partenaire, compte tenu de ses équipements techniques et de sa longue expérience; que cette spécialisation de la production met chacune des parties en mesure, d'une part, de fabriquer en beaucoup plus grandes quantités les articles spécialisés, d'autre part, d'éliminer les charges de matériel, d'outillage et de main-d'œuvre qui résulteraient du maintien, voire de la mise en route, de fabrications en séries peu rentables faisant double emploi avec les fabrications spécialisées du partenaire, tout en assurant le maintien, sinon l'accroissement du volume d'activité antérieur de chaque entreprise; qu'elle permet à chacune des parties de se consacrer à la production d'un nombre plus réduit de variétés de produits, ce qui entraîne une réduction du coût unitaire de fabrication des produits spécialisés, un amortissement plus rapide des nouvelles installations et un contrôle plus efficace de la qualité; que, par conséquent, l'accord entraîne une utilisation plus intensive, plus rationnelle et plus économique des installations industrielles disponibles de part et d'autre, ce qui contribue à améliorer la fabrication des produits en cause;
10. Considérant que l'obligation de fourniture réciproque convenue donne à chacune des parties, malgré la réduction du nombre des variétés d'articles qu'elle fabrique par suite de la spécialisation, la possibilité de continuer à offrir en vente un assortiment étendu de chacune des différentes sortes de munitions, ainsi que de leurs éléments, ce qui lui permet de satisfaire toute demande des acheteurs, en particulier de ceux qui désirent se procurer auprès d'un seul fournisseur un large éventail de chaque sorte de munitions; que le fait que chaque partie assure la représentation du partenaire dans les territoires où elle est la mieux implantée permet une meilleure ramification de la distribution des produits des deux partenaires et une réduction des frais de distribution; que, en effectuant en commun leur publicité, CF et FN réduisent sensiblement la part des frais de publicité revenant à chacune d'elles et peuvent intensifier l'effort de pénétration de leurs produits spécialisés sur le marché en s'adressant plus spécialement aux acheteurs qui désirent se procurer une gamme plus complète des différentes sortes de munitions; que, en conséquence, la coopération établie sur le plan commercial entre les deux parties contribue à améliorer la distribution des produits en cause;
11. Considérant que, dans le cadre de la coopération technique prévue à l'accord, les techniciens des deux sociétés travaillent de manière coordonnée et procèdent régulièrement à des échanges d'informations en vue d'améliorer les méthodes de fabrication et de contrôle, ce qui permet à chaque partenaire de profiter des expériences et des progrès réalisés par l'autre; que l'élaboration en commun de nouvelles cartouches et de nouveaux éléments de munitions susceptibles d'être incorporés dans les fabrications respectives de chaque partenaire a pour résultat que les deux sociétés, au lieu de continuer à effectuer séparément des recherches parallèles, les font réaliser désormais par un groupe unique de travail mieux composé, ce qui, en évitant une dispersion des efforts, permet d'aboutir à de meilleurs résultats ; que le développement technique que l'on peut attendre de l'action conjuguée des services techniques des deux sociétés et des investissements nouveaux auxquels celles-ci sont en mesure de procéder en raison des économies qu'elles peuvent réaliser revêt dans le cas d'espèce une importance assez considérablesi l'on considère les résultats déjà obtenus depuis la mise en œuvre de l'accord en 1968:
- normalisation des dimensions et caractéristiques balistiques des produits,
- offre de produits plus perfectionnés,
- extension de l'automatisation grâce à l'installation de machines plus perfectionnées et de nouveaux équipements,
- formation d'une main-d'œuvre plus spécialisée;
Considérant que, dans ces conditions, l'accord contribue aussi à promouvoir le progrès technique;
12. Considérant que l'accord en cause, en permettant notamment à FN et CF d'absorber une partie des augmentations de coût, notamment des matières premières et des salaires, intervenues depuis sa mise en vigueur, profite déjà d'une manière suffisamment équitable aux utilisateurs ; que, à cet égard, l'on peut constater notamment qu'en Belgique les prix des articles vendus par FN sont restés inchangés depuis 1968 alors que le coût du salaire horaire a augmenté de presque un tiers et qu'en France, si les prix de catalogue de CF ont été relevés au cours de la même période, suivant en cela un mouvement presque généralisé de hausse des prix, il n'empêche que ces augmentations de prix ont été parfois inférieures à celles pratiquées par d'autres fabricants et qu'en outre CF a pu consentir des remises moyennes plus importantes que celles prévues dans son tarif de vente ; qu'une probabilité suffisante existe que, à l'avenir, grâce à la réalisation progressive de la spécialisation, les parties puissent aboutir à une compression de leurs prix de vente, ainsi que cela figure dans les objectifs déclarés de l'accord et qu'elles y soient d'ailleurs contraintes sous la pression croissante de la concurrence;
Considérant que l'accord a déjà entraîné d'autres avantages réels pour les utilisateurs, puisque, grâce à la mise en commun des recherches techniques et des principales fabrications de FN et de CF, il leur est désormais offert des articles plus perfectionnés et mieux adaptés à l'état actuel des besoins que ceux qui étaient auparavant fabriqués par chacune des parties ; que, dans un secteur tel que celui des produits en question, c'est par ces avantages liés à l'amélioration de la qualité plutôt que par des réductions de prix que l'on peut s'attendre à ce que se manifestent les effets de l'augmentation de la productivité et de la compétitivité des deux partenaires ; qu'en effet les utilisateurs des produits en question sont certes intéressés à d'éventuelles réductions de prix mais le sont tout autant à la possibilité de se procurer des munitions qui, grâce à l'effort de rationalisation entrepris par les parties, présentent, par rapport aux produits fabriqués auparavant par celles-ci, une plus grande régularité de rendement, une portée de tir plus efficace, de meilleures conditions de conservation et une sécurité accrue;
13. Considérant que les améliorations précitées reposent essentiellement sur la spécialisation ainsi que sur la recherche et l'élaboration en commun de nouvelles techniques; que, dès lors, la question de savoir si l'accord n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ne se pose qu'à l'égard des engagements restrictifs dont la spécialisation et la recherche en commun s'accompagnent dans le cas d'espèce, à savoir les obligations d'exclusivité réciproque de vente et d'achat;
Considérant que, en l'absence de fournitures exclusives réciproques, chacune des parties devrait renoncer à recueillir la totalité du bénéfice de la vente dans son territoire des munitions et des éléments de munitions fabriqués par son partenaire dans le cadre de la coopération technique et de l'élaboration en commun réalisées par l'accord; que, à cet égard, on ne saurait raisonnablement attendre de l'une des parties qu'elle prenne le risque de procéder à de nouveaux investissements et de développer de nouveaux produits en collaboration avec le partenaire, tout en admettant que ce dernier fasse par la suite bénéficier un tiers de la vente de ces produits spécialisés conçus et réalisés en commun;
Considérant que l'accroissement de la productivité par l'augmentation des quantités produites en articles spécialisés, qui est l'objectif essentiel de l'accord, est réalisé dans le cas d'espèce par l'abandon par chacune des parties en faveur de son partenaire dans le secteur dans lequel celui-ci s'est spécialisé des parts de la production et du marché qu'elle y détenait précédemment; que cet objectif ne peut être atteint que si chacune des parties s'abstient d'acheter à des tiers les articles dont elle a besoin pour compléter son assortiment et qu'elle peut se procurer auprès de son partenaire;
Considérant, dès lors, que la concession d'exclusivité réciproque d'achat et de vente, telle qu'elle est pratiquée dans le cas d'espèce, est une restriction dont le maintien est indispensable pour que les effets favorables de l'accord soient atteints;
14. Considérant que, bien que la position détenue par FN et CF à l'intérieur de la CEE et, en particulier dans les pays du Benelux, soit importante, l'accord ne donne pas à ces entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; que, à cet égard, l'on peut constater notamment qu'il existe à l'intérieur du Marché commun, à côté d'environ 25 petits producteurs, plusieurs fabricants de munitions de chasse, de tir, de défense et à usage industriel en mesure d'exercer une concurrence effective à l'égard de FN et de CF sur leurs marchés respectifs ainsi que dans les autres pays de la Communauté ; qu'il s'agit notamment en France, de deux grands producteurs, dont l'un détient une part de marché presque double de celle détenue par FN et CF ensemble, en Allemagne, d'un producteur d'importance égale à FN et de CF sur leurs marchés respectifs ainsi que dans l'un est de dimension supérieure à FN et CF réunies, l'autre d'importance égale à celle de CF ; que d'autres grands fabricants européens établis notamment en Angleterre, en Autriche et en Suisse, approvisionnent régulièrement une part importante du marché ; que, en ce qui concerne plus particulièrement la France, on constate qu'au cours des dernières années la concurrence dans le secteur des produits concernés à été vive à cause notamment du niveau élevé des importations en provenance tant de l'intérieur que de l'extérieur de la CEE et qu'elle s'est manifestée par certaines différences de prix et surtout par des dérogations aux remises quantitatives prévues dans les tarifs, auxquelles les différents offreurs ont dû fréquemment avoir recours ; que même dans les pays du Benelux où les parties ont approvisionné la moitié environ du marché - marché d'importance relativement faible - elles restent soumises à la concurrence des autres fabricants, notamment allemands et américains, ainsi que de ceux des pays de l'Est ; que, dans ces conditions, il est exclu que les parties puissent abuser de la position qu'elles détiennent à l'intérieur de la CEE sans que cela n'entraîne une défection de leur clientèle au profit d'autres fabricants concurrents ; que la concurrence au stade de la distribution est garantie par la possibilité que gardent les intermédiaires de procéder à des importations parallèles des produits spécialisés de FN et CF ; que, en outre, n'étant pas liés à ces deux entreprises par des contrats d'exclusivité, les détaillants s'approvisionnant auprès de celles-ci, peuvent assurer également la vente de produits similaires concurrents ; que, en définitive, l'accord ne donne pas aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause;
15. Considérant que, en l'état actuel de l'affaire, toutes les conditions d'une décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 sont réunies;
16. Considérant que, en vertu de l'article 6 paragraphe 1 du règlement nº 17, la décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 peut prendre effet au jour de la notification, c'est-à-dire en l'occurrence au 27 mars 1968;
17. Considérant que la fixation de la durée de validité de la décision est fondée sur l'article 8 paragraphe 1 du règlement nº 17 ; que, eu égard à la durée normale d'amortissement des investissements dans le secteur en cause, on peut admettre qu'une période de dix ans à compter de la notification de l'accord est suffisamment longue pour permettre aux parties de réaliser la coopération instaurée entre elles en vue d'atteindre les résultats favorables recherchés;
18. Considérant qu'il apparaît opportun d'assortir la décision, conformément à l'article 8 paragraphe 1 du règlement nº 17, de charges qui doivent permettre à la Commission de surveiller l'évolution de la situation, notamment du point de vue du maintien d'une concurrence effective sur le marché ; que, à cette fin, il apparaît nécessaire de demander aux parties d'adresser tous les deux ans à la Commission un rapport exposant les principales mesures de spécialisation adoptées ainsi que leurs effets atteints au cours de chaque période écoulée grâce à la coopération établie entre elles, tels que l'augmentation des séries de fabrication, l'élaboration de nouveaux produits, la réalisation de nouveaux investissements, les avantages dont auraient profité les utilisateurs, et indiquant pour les différents types de munitions faisant l'objet de l'accord l'évolution des prix de vente et des remises ainsi qu'une estimation de la part de marché détenue dans chaque État membre par FN et CF,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne sont déclarées inapplicables, conformément à l'article 85 paragraphe 3, à l'accord conclu le 27 novembre 1967 entre les entreprises Fabrique nationale d'armes de guerre SA, à Herstal-lez-Liège, Belgique, et la Cartoucherie française SA, à Paris, France
Article 2
Les entreprises précitées porteront à la connaissance de la Commission tous les deux ans, et pour la première fois en décembre 1972, un rapport exposant, pour la période écoulée et en ce qui concerne les produits visés au contrat:
a) les principales mesures de spécialisation adoptées par elles, ainsi que leurs effets,
b) l'évolution des prix de vente et des remises,
c) une estimation de la part de marché détenue par elles dans chaque État membre de la CEE.
Article 3
La présente décision prend effet au 27 mars 1968 et est valable jusqu'au 26 mars 1978.
Elle est destinée aux entreprises Fabrique nationale d'armes de guerre SA, à Herstal-lez-Liège, Belgique, et la Cartoucherie française, SA, à Paris, France.
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO nº C 57 du 16.5.1970, p. 1.