CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 6 novembre 2002, n° 01-11646
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ipaca (Association), Mes Collet, Gauthier (ès qual.)
Défendeur :
Stratégie Media Conseil (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Croze
Conseillers :
MM. Blin, Fohlen
Avoués :
SCP de Saint Ferreol - Touboul, SCP Cohen - Guedj
Avocats :
Mes Ferreboeuf, Deur.
EXPOSE DU LITIGE
Vu le jugement rendu le 19 juin 2001 par le Tribunal de grande instance de Nice qui au visa des articles 788 du nouveau Code de procédure civile, 1382, 1383 du Code civil, interdit à l'association Ipaca de faire appel directement ou indirectement aux services de monsieur Bogacki dans le cadre de son activité et ce pendant toute la durée de la clause de non-concurrence le liant à la société Stratégie Media Conseil, sous astreinte de 1 524,49 euros par jour de retard, condamnant en outre l'association Ipaca à payer à la société Stratégie Media Conseil la somme de 228 673,57 euros en réparation du préjudice subi et 3 811,23 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'arrêt de cette chambre en date du 27 février 2002 donnant injonction à la société Stratégie Media Conseil de justifier de sa déclaration de créance à concurrence de la somme de 1 219 593 euros, et donnant injonction à l'association Ipaca ainsi qu'à l'administrateur judiciaire et au représentant des créanciers de formuler leurs observations sur la prétention qui tend à la condamnation de l'association au paiement de la somme de 1 219 593 euros malgré les dispositions de l'article 621-40 du Code de commerce, ordonnant la réouverture des débats au 24 avril 2002.
Vu l'arrêt du 29 mai 2002 qui révoquant l'ordonnance de clôture, a donné injonction à l'association Ipaca ainsi qu'à Me Thierry Collet et Gilles Gauthier ès qualités de déposer de nouvelles conclusions récapitulant tous les moyens de fait et de droit donc ils entendent se prévaloir leur a imparti un délai de deux mois pour déférer à l'injonction, accordé à l'intimé un délai d'un mois pour éventuellement répliquer.
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 25 juillet 2002 par l'association Ipaca qui demande en substance à la Cour, au visa des articles 49 du nouveau Code de procédure civile, 1382 et 1371 du Code civil :
- réformer le jugement
- dire nulle la clause de non concurrence car non limitée dans l'espace et dépourvue de contrepartie
- dire qu'on ne peut opposer à un tiers la complicité de violation d'une clause de non concurrence, fait accessoire, sans opposer au tiers la violation directe de la clause
- dire que la clause de non-concurrence et la complicité de sa violation est inopposable à l'association Ipaca
- dire que l'association Ipaca n'a commis aucune faute
- débouter la société Stratégie Media Conseil de ses demandes
- à titre subsidiaire, dire que la responsabilité de l'association aurait dû être atténuée en l'état de la décision du Conseil des prud'hommes de Nice du 21 décembre 2000.
- dire qu'il n'existe aucun lien de cause à effet entre la faute alléguée et le préjudice inexistant
- dire la demande de condamnation irrecevable telle que formulée par la société
Stratégie Media Conseil
- dire irrecevables toutes demandes visant à faire fixer une créance d'un montant supérieur à celui résultant de la production
- en toute hypothèse condamner la société Stratégie Media Conseil à lui payer 304 898,03 euros à titre de dommages-intérêts compte tenu de son attitude particulièrement préjudiciable ayant consisté, par le fait du détournement constant de la procédure, et en particulier des voies d'exécution, à contraindre l'association Ipaca à cesser son activité en l'état de la saisie conservatoire, n'apportant aucun élément sur le plan de l'exécution (sur les typos et les cahiers de revues), donc le seul et unique but consistait à réaliser des faits de concurrence déloyale déguisés en mesures d'exécution ou conservatoires
- condamner la société Stratégie Media Conseil au paiement de 3 811,23 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 27 septembre 2002 par la société Stratégie Media Conseil qui, au visa de l'article 1382 du Code civil, demande à la Cour de confirmer le jugement, fixer sa créance à la somme de 248 442 euros, débouter l'association Ipaca et messieurs Gauthier et Collet ès qualités de leurs demandes, et les condamner à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue en cet état de la procédure le 2 octobre 2002.
Vu les conclusions déposées le 2octobre par l'association Ipaca qui au visa de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile et des prescriptions de l'arrêt du 29 mai 2002 demande à la Cour de rejeter comme tardives les conclusions déposées le 27 septembre 2002, après le délai imparti par la Cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le rejet des conclusions :
En l'état des dispositions du précédent arrêt, force est de constater que l'intimée a déposé des conclusions un mois après l'expiration du délai qui lui était imparti, alors qu'aucune circonstance particulière ne peut justifier ce retard, (le changement de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur le clause de non concurrence étant lui-même antérieur au dépôt des conclusions de l'association Ipaca).
Cependant le dépôt de ces écritures (sans que soit communiquer de nouvelles pièces) 5 jours avant le prononcé de la clôture et l'audience, ne viole pas le principe de la contradiction, dès lors qu'elles ne font qu'adopter l'argumentation en défense à la situation née de l'arrêt portant injonction et aux moyens soulevés par son adversaire.
Sur les faits :
Monsieur Bogacki était embauché le 20 mars 1995 par la société Stratégie Media Conseil pour une durée indéterminée en qualité de chef de publicité, puis à compter du 17 février 1999 il accédait au statut de cadre, directeur de la clientèle et devait en cette qualité assumer l'exploitation de l'espace réservé à la publicité et prospecter ou faire prospecter la clientèle publicitaire, assurer les prises de commande, le suivi de la clientèle publicitaire, le contrôle de l'exécution de la publicité, diriger le personnel placé sous ses ordres.
Le deuxième contrat comportait une clause de non-concurrence libellée de la sorte qu'en cas de rupture du contrat, quel qu'il en soit le motif et quelle que soit la partie qui provoque la rupture, le salarié s'interdit d'exercer directement ou indirectement une activité concurrente de celle de Stratégie Media Conseil ou de l'ensemble des supports dont Stratégie Media Conseil assure l'édition ou la régie, pendant une durée de 36 mois. De même, il s 'interdit de visiter ou de faire visiter la clientèle pour faire des offres similaires à celles qu'il a été habilité à proposer, pendant la même durée. Le non respect de cette clause entraînerait le versement d'une somme égale à 12 mois de rémunération et non inférieure à 100 000 F (15 244,90 euros, sans pour autant dégager le salarié de son obligation de non-concurrence ".
Monsieur Bogacki a quitté son emploi au sein de la société Stratégie Media Conseil en mars 2000.
Le 8 juillet 2000 il a été engagé par l'association Ipaca en qualité de rédacteur niveau VII, déclarant avoir quitté son précédent employeur libre de tout engagement.
Dès le 17 février 2000 il avait saisi le conseil des prud'hommes pour faire admettre que la rupture de son contrat de travail devait s'analyser comme un licenciement ce que cette juridiction a jugé dans sa décision du 21 décembre 2000. Il faut préciser que dans le cadre de la procédure prud'homale il n'y a eu aucun débat sur la clause de non-concurrence, alors que le 11 juillet 2000 la société Stratégie Media Conseil adressait à l'association Ipaca un courrier se plaignant de la violation de cette clause par monsieur Bogacki.
Sur la concurrence déloyale :
Au vu de ces éléments l'appelante soutient qu'en l'absence de clause de non-concurrence valable opposable à monsieur Bogacki, elle ne peut être responsable de concurrence déloyale par la connaissance qu'elle avait de cette clause, alors que l'intimée fait valoir que la notion de concurrence déloyale est indépendante de la validité de la clause puisqu'elle trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Dans ces conditions il convient de rechercher si la clause de non-concurrence est régulière.
Force est de constater que la clause telle qu'elle a été énoncée plus haut, est nulle à défaut de contrepartie et qu'elle ne peut être opposée à monsieur Bogacki.
Il s'ensuit nécessairement que la connaissance qu'avait l'association Ipaca de cette clause sans valeur, telle qu'elle lui avait été dénoncée par la société Stratégie Media Conseil et sa violation en connaissance de cause ne peut caractériser la faute de l'association au sens de l'article 1382 du Code civil.
Les autres éléments de preuve avancés par la société intimée ne démontrent pas plus l'existence de faits de concurrence déloyale.
Ainsi les attestations de Messieurs Charon, Lescane, Gemapro, Turquois, Couci, Madame Proia, ne suffisent pas à établir l'existence de manœuvres caractérisant des actes de concurrence déloyale dès lors qu'elles relatent des actes de démarchages de la même clientèle dans le même secteur, sans révéler l'existence de manœuvres précises imputables à l'association Ipaca.
Par ailleurs il n'est pas démontré que l'association Ipaca ait incité monsieur Bogacki à quitter son emploi pour l'attirer dans sa propre entreprise puisque la décision du conseil des prud'hommes a qualifié la rupture du contrat de travail de licenciement abusif.
En outre la société intimée qui invoque le parasitisme commercial par la confusion que créerait auprès du public l'identité des magazines diffusés dans les mêmes formes dans le même secteur auprès de la même clientèle n'établit aucun fait susceptible d'être qualifié comme tel dans la mesure où les clients de l'une et de l'autre parties publient habituellement leurs annonces dans plusieurs revues et que la circonstance selon laquelle les revues qui ont des titres différents " Résidence immobilière " (Côte d'Azur, French Riviera inscrits en bandeau) d'une part et " Côte d'Azur propriété " n'est pas de nature à caractériser un comportement parasitaire, le graphisme et les couleurs des pages de couverture permettant de différencier facilement les revues.
Pour les motifs ci-dessus exposés la Cour est conduite à réformer le jugement en ce qu'il a interdit à l'association Ipaca de faire appel à monsieur Bogacki sous astreinte, et a condamné l'association au paiement d'une indemnité en compensation du préjudice né de la concurrence déloyale.
La société Stratégie Media Conseil sera en conséquence déboutée de ses demandes.
Sur la demande en paiement de dommages-intérêts de l'association Ipaca :
L'appelante sollicite l'allocation de la somme de 304 398,03 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale par détournement des voies d'exécution et abus de procédure.
Elle invoque un abus de recours aux voies d'exécution pendant la procédure d'appel et ce en vertu de l'exécution provisoire prononcée au profit de la société Stratégie Media Conseil par le premier juges faits ainsi invoqués ne sont pas susceptibles d'être rattachés à des actes de concurrence déloyale mais doivent être examinés à la lumière de l'abus de procédure liée à l'exécution provisoire du jugement déféré à la Cour, qui ne s'exerce sous la responsabilité de la partie au bénéfice de laquelle elle a été prononcée.
Par ailleurs l'association appelante ne démontre pas en quoi l'exercice de procédures d'exécution légalement, prévues, par la société Stratégie Media Conseil bénéficiaire de l'exécution provisoire du jugement revêt au caractère abusif alors qu'elle a contesté tardivement ces procédures.
Il suit que sa demande en paiement de dommages-intérêts sera rejetée.
La société Stratégie Media Conseil qui succombe supportera les dépens de 1ère instance et d'appel.
L'équité ne commande pas d'écarter l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel régulier en la forme ; Dit n'y avoir lieu au rejet des conclusions déposées par la société Stratégie Media Conseil le 27 septembre 2002 ; Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau; Déboute la société Stratégie Media Conseil de ses demandes; Déboute l'association, Ipaca de sa demande en paiement de dommages-intérêts; Condamne la société Stratégie Media Conseil à payer à l'association Ipaca la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.