CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 10 octobre 2001, n° 98-02904
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
YG La Seydis - Leclerc (SA)
Défendeur :
Sté Lyonnaise des Hypermarchés Auchan - Mammouth (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Isouard (Faisant fonction)
Conseillers :
MM. Blin, Jacquot
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Martelly-Maynard-Simoni
Avocats :
Mes Suduca, Weil Chalbos.
EXPOSE DU LITIGE :
La SA Docks de France " Cofradel " (aujourd'hui Société lyonnaise des hypermarchés Auchan) exploitant alors un hypermarché à l'enseigne " Mammouth " à la Seyne-sur-Mer a, le 6 septembre 1996, réalisé dans ses locaux une opération publicitaire consistant à présenter à sa clientèle cinq caddies contenant 29 produits acquis auprès de ses concurrents et invitant la clientèle à comparer le prix global de chacun d'eux à celui contenant des produits similaires vendus par l'hypermarché Mammouth. Le 25 septembre 1996, la SA YG La Seydis exploitant un supermarché à l'enseigne Leclerc a fait procéder à un constat réalisé par Me Ch. Lantier, huissier de justice à la Seyne sur Mer agissant en vertu d'une ordonnance sur requête rendue par le Président du Tribunal de commerce de Toulon du 23 septembre 1996.
Estimant qu'il s'agissait d'une procédure comparative prohibée par la loi, la SA YG La Seydis en a sollicité la cessation en référé. Par décision du 16 janvier 1997, le magistrat des référés s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du juge du fond.
La SA YG La Seydis a alors saisi le Tribunal de commerce de Toulon qui par jugement du 10 décembre 1997 a :
- débouté la SA YG La Seydis de toutes ses demandes ;
- l'a condamnée à payer à la SA Docks de France (Cofradel) une somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts soutenue par cette dernière ;
- condamné la SA YG La Seydis aux dépens.
Celle-ci a relevé appel du jugement le 8 janvier 1998. Elle soutient que :
- la société Docks de France (Cofradel) a bien réalisé une publicité comparative sans prévenir ses concurrents ni préciser la durée des prix annoncés ;
- le caddie Leclerc comportait cinq produits ne constituant pas des premiers prix, la comparaison était de nature à tromper le consommateur ;
- la qualité et la nature des produits comparés n'étaient pas identiques ;
- l'intimée a déjà été condamnée dans le passé pour une publicité litigieuse et " n'a pas hésité à récidiver considérant que la sanction judiciaire n'était pas pour elle un obstacle " ;
- même en l'absence de démonstration comptable, il est certain que la SAYG La Seydis a subi nécessairement un préjudice.
Elle conclut à l'infirmation du jugement et au paiement des sommes de 300 000 F à titre de dommages-intérêts et de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par la SA Auchan venant aux droits de la société Docks de France Cofradel.
Cette dernière conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris et au paiement par l'appelante d'une indemnité de 20 000 F pour frais de procédure. Elle expose que :
- les noms des concurrents n'étant pas mentionnés et que les produits n'étant pas énumérés, les dispositions de la loi du 18 janvier 1992 n'ont pas vocation à s'appliquer ;
- la comparaison a été loyale, les prix étant justifiés par les tickets de caisse et que le nombre d'articles comparés est identique soit 29 par caddie et non 28 comme mentionné par erreur ;
- le constat de Me Lantier ayant été réalisé le 23 septembre 1996, certains produits alimentaires pouvaient être périmés à cette date mais que tel n'était pas le cas au jour du lancement de l'opération soit le 6 septembre 1996.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2001.
DISCUSSION :
Les parties ne discutent pas de la recevabilité de l'appel. La cour ne relevant aucun élément qui pourrait constituer une fin de non recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.
Sur l'application des dispositions des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation :
La publicité comparative n'est pas interdite en soi, sous réserve qu'elle intervienne dans les conditions fixées par le législateur de 1992. L'article L. 121-8 du Code de la consommation définit la publicité comparative comme étant celle " qui met en comparaison des biens ou des services en utilisant soit la citation ou la représentation de la marque de fabrique, de commerce, ou de service d'autrui, soit la citation ou la représentation de la raison ou de la dénomination sociale, du nom commercial ou de l'enseigne d'autrui ".
Il s'évince de ces dispositions que les publicités d'ordre général ne sont pas concernées. C'est le cas de l'espèce puisque les panneaux publicitaires présents au fond du magasin étaient ainsi libellés : " Mammouth est le moins cher et vous le prouve le vendredi 6 septembre entre 14 heures et 19 heures. Mammouth a acheté chez ses principaux concurrents 28 produits premier prix, et maintenant, comparez ". Le nom des concurrents n'est pas mentionné. Le procès-verbal de constat précité le confirme puisque l'huissier instrumentaire ne relève aucun signe distinctif ou marque Leclerc.
L'appelante soutient pourtant que le concurrent était identifiable au vu du sachet " aisément reconnaissable " de l'enseigne posé sur le caddie concerné. L'huissier mentionne que le sac plastique attribué à Leclerc représente " sur une face un paysage marin et sur l'autre face un paysage champêtre avec champ entouré de fils de fer barbelés " ; si ce sac est posé en évidence sur un caddie, force est de constater, au vu des photos annexées, qu'il ne comporte aucune autre référence, ou signe distinctif permettant au consommateur de l'identifier à la marque ou aux établissements Leclerc. Rien au dossier des parties ne permet non plus de dire que ces paysages étaient le signe distinctif de la marque Leclerc. En tout cas, c'est à l'appelante qu'il appartenait de rapporter cette preuve au soutien de ses prétentions. La cour considère dès lors que le concurrent n'est ni identifié, ni identifiable au sens des dispositions précitéessur lesquelles la société YG La Seydis a fondé son action.
L'argument tiré du défaut d'information ou de la durée des prix annoncés est ainsi inopérant tout comme celui d'une condamnation précédente, étant expressément rappelé ici que la cour, comme les juridictions du premier degré d'ailleurs, ne procèdent pas par " arrêts de règlement " mais statuent par cas d'espèce. Au demeurant, l'intimée rappelle que l'ordonnance de 1993 statuant dans un litige similaire opposant les mêmes parties relève des pratiques illicites identiques à la charge de chacune d'elles.
Elle fait également-valoir, non sans pertinence, que la publicité litigieuse s'analyse plus en une information de sa clientèle puisqu'elle prend place à l'intérieur de l'établissement c'est-à-dire après que le consommateur ait fait le choix de s'y rendre et non pas que son comportement ait été induit par un message publicitaire extérieur à l'établissement.
Sur le surplus des écritures des parties :
La société Docks de France " Cofradel " invoque la " loyauté des comparaisons " opérées dans la publicité litigieuse. Elle admet que par erreur elle a mentionné 28 produits par caddie alors qu'en réalité chacun d'eux en contenait 29 tout en précisant que l'erreur étant commune, elle ne peut avoir aucune influence sur l'objectivité de la comparaison.
La SA YG La Seydis rétorque que le caddie contenant les produits vendus par Leclerc comportait en réalité 30 produits ainsi que l'a constaté l'huissier instrumentaire dans son procès-verbal précité. Toutefois, la cour relève que l'appelante n'invoque pas le moyen tiré d'une éventuelle concurrence déloyale et que le dispositif de ses conclusions récapitulatives ne concerne que celui tiré de la seule publicité comparative dont il vient d'être question ci-dessus.
Le jugement querellé doit dès lors être confirmé.
Aucune circonstance d'équité ou économique ne conduit la cour à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La SA YG La Seydis qui succombe supportera les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel ; Confirme le jugement rendu le 10 décembre 1997 par le Tribunal de commerce de Toulon ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la SA YG La Seydis aux dépens et autorise la société civile professionnelle Martelly-Maynard-Simoni, titulaire d'un office d'avoué près la cur, à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.