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Décisions

CJCE, 4e ch., 12 juillet 1984, n° 170-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hydrotherm Gerätebau GmbH

Défendeur :

Firma Compact De Dott. Ing, Mario Andreoli & C. Sas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Koopmans

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Bahlmann, Pescatore, O'Keeffe, Bosco

CJCE n° 170-83

12 juillet 1984

1 Par ordonnance du 28 juin 1983, parvenue à la Cour le 3 août suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 1, paragraphe 1, lettre a), et 3, lettre b), point 1, du règlement n° 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords exclusivité (JO p. 849).

2 Il apparaît de l'ordonnance de renvoi et du dossier de l'affaire que l'ingénieur Andreoli, de Bologne, commandité de la société en commandite simple Compact, est constructeur de radiateurs en métal léger portant la marque " Ghibli ". Compact a conclu avec la société allemande Hydrotherm, elle-même filiale d'une société américaine, deux accords successifs conférant à Hydrotherm la vente exclusive du radiateur en question. En vertu du premier accord, Hydrotherm avait reçu le droit de faire enregistrer, en son nom propre, la marque " Ghibli ", ce qu'elle a fait pour divers Etats, y compris la République fédérale d'Allemagne.

3 Le deuxième accord, conclu à la suite de difficultés intervenues dans l'exécution du premier, confère à Hydrotherm l'exclusivité de la vente des radiateurs "Ghibli" pour l'Europe occidentale, à l'exclusion de l'Italie, de la Grèce et de la Turquie ; pour un radiateur de type spécial, le territoire de exclusivité est défini comme étant l'Europe occidentale, sans la France, les Etats du Benelux et l'Autriche. Dans le cadre de cet accord, Hydrotherm s'est engagée à ne pas "représenter directement ou indirectement, sur le territoire concédé ... d'autres producteurs, revendeurs et constructeurs de radiateurs, plaques chauffantes et convecteurs, fabriqués en aluminium ou en alliage à base d'aluminium ou à faire commerce avec eux". Au surplus, Hydrotherm s'est obligée à acheter des radiateurs, pour un montant déterminé, auprès de Compact. Il est à noter que le deuxième accord a été conclu simultanément par M. Andreoli, la firme Compact et une autre firme, qui est également la propriété de M. Andreoli, Officine Sant'Andrea, de Rastignano, en Italie.

4 Des difficultés ont surgi également dans exécution du deuxième accord. A un moment donné, Hydrotherm a refusé d'accepter encore des marchandises de Compact. A la suite de ce refus, Compact a résilié le contrat et demandé des dommages-intérêts.

5 Le Landgericht Frankfurt-am-Main, saisi en première instance du litige, a considéré, par son jugement du 13 septembre 1979, que l'accord entre les parties était nul en raison de sa contrariété avec l'article 85 du traité. Selon le Landgericht, l'exemption par catégories prévue par le règlement n° 67-67 ne serait pas applicable, compte tenu de ce que l'article 3 de ce règlement n'admet pas une telle exemption lorsque le commerce avec les produits visés peut être restreint par l'exercice de droits de propriété industrielle.

6 Après s'être pourvue en appel devant l'Oberlandesgericht Frankfurt-am-Main, Compact a soumis son accord à la Commission qui, par lettre du 31 mars 1982, a reconnu que celui-ci relève de l'exemption par catégories prévue par le règlement n° 67-67.

7 Par arrêt du 13 mai 1982, l'Oberlandesgericht Frankfurt-am-Main a reconnu le principe de la responsabilité de Hydrotherm et renvoyé l'affaire devant le Landgericht. Dans sa motivation, l'Oberlandesgericht a examiné la question de la compatibilité de l'accord entre les parties avec les règles de concurrence de la Communauté. Il reconnaît que l'accord entre les parties a pour effet de restreindre la concurrence dans le Marché Commun ; toutefois, comme les parties n'ont pas stipulé une protection territoriale absolue, il n'est pas à considérer comme contraire, pour cette raison, à l'article 85, paragraphe 1. L'Oberlandesgericht pose cependant la question de savoir si même une exclusivité ouverte pourrait éventuellement porter infraction aux règles de concurrence, compte tenu de la position détenue par les parties sur le marché en cause. Si ce marché était le marché général des radiateurs, la part des transactions couvertes par le contrat serait si minime qu'une affectation sensible du commerce intracommunautaire serait exclue ; la situation pourrait être différente si le marché en cause était celui des radiateurs en aluminium ou en alliage d'aluminium. L'Oberlandesgericht estime qu'il n'est pas nécessaire de tirer cette question au clair, étant donné que l'accord en cause bénéficie de toute manière de l'exemption par catégories du règlement n° 67-67, puisqu'à son avis, il remplit simultanément les conditions des articles 1, paragraphe 1, a) et b), et 2, paragraphe 1 a), de ce règlement.

8 Selon l'Oberlandesgericht, le fait que le territoire, pour lequel exclusivité a été convenue, comporte certains pays non membres de la Communauté n'a pas d'influence sur l'applicabilité du règlement n° 67-67, compte tenu du fait que ce règlement ne concerne que le commerce intracommunautaire. L'accord en question ne perd pas non plus le bénéficie de l'exemption par l'effet de l'article 3 du règlement n° 67-67, qui exclut cet avantage lorsque les contractants exercent des droits de propriété industrielle en vue d'entraver l'approvisionnement de revendeurs ou d'utilisateurs, dans d'autres parties du Marché Commun, en produits visés à l'accord, régulièrement marqués et mis dans le commerce. L'Oberlandesgericht estime, en effet, que l'enregistrement par Hydrotherm de la marque "Ghibli" ne donne pas à la défenderesse la possibilité d'empêcher des importations parallèles à l'aide de la marque. Il rappelle que ceci ne serait, de toute manière, pas possible en vertu de la jurisprudence de la Cour, telle qu'elle résulte de l'arrêt du 18 février 1971 (Sirena, 40-70, recueil p. 69). L'Oberlandesgericht constate, au surplus, qu'il n'y a aucun indice de ce que la défenderesse aurait utilisé la marque "Ghibli" pour empêcher ou gêner des importations parallèles. La juridiction note que la même conclusion résulte de l'attestation négative délivrée par la Commission le 30 mars 1982 ; bien que la juridiction ne soit pas liée par les constatations et les appréciations de la Commission (arrêt de la Cour du 10. 07. 1980, Lancôme, 99-79, recueil p. 2511), elle est néanmoins en mesure de tenir compte des faits constatés dans l'attestation en question.

9 Contre cet arrêt, Hydrotherm a introduit un recours en révision devant le Bundesgerichtshof. Après avoir examiné les questions soulevées au regard des règles de concurrence de la Communauté, le Bundesgerichtshof a estimé que l'application, aux accords litigieux, du règlement n° 67-67 soulève diverses questions relatives à interprétation de ce règlement. Le Bundesgerichtshof étant tenu, en vertu de l'article 177, alinéa 3, en tant que juridiction dont les décisions ne sont plus susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel sur les problèmes d'interprétation posés, il a formulé les questions suivantes :

1. a) Le règlement sur les exemptions par catégories (règlement n° 67-67) doit-il également être appliqué lorsqu'à l'accord participent, comme une des parties contractantes, plusieurs entreprises juridiquement autonomes ?

b) Faut-il attacher de l'importance au fait que les diverses entreprises participant à l'accord comme une des parties contractantes ont entre elles des liens au niveau des personnes et constituent, au regard de l'accord, une unité économique ?

2. Le règlement sur les exemptions par catégories doit-il également être appliqué lorsque les engagements contractés s'étendent non seulement à une partie définie du territoire du Marché Commun, mais également à des pays situés en dehors de la Communauté européenne ?

3. L'application de l'article 3, lettre b), point 1, du règlement sur les exemptions par catégories présuppose-t-elle que les parties aient arrêté des dispositions concernant l'exercice d'un droit de propriété industrielle (en l'occurrence d'un droit de marque) qui suggèrent une utilisation de celui-ci en vue d'empêcher ou d'entraver l'achat ou la vente de produits visés au contrat, régulièrement marqués ou mis dans le commerce, ou bien suffit-il, pour l'application de cette disposition, que l'exercice du droit de marque pour empêcher ou entraver les importations parallèles ne soit pas réglé dans l'accord ?

4. L'article 3, lettre b), point 1, du règlement sur les exemptions par catégories est-il également applicable lorsque les parties contractantes n'ont pas juridiquement le pouvoir d'empêcher, par l'exercice du droit de marque, l'achat ou la vente de produits visés au contrat, régulièrement marqués ou mis dans le commerce ?

5. En cas de réponse affirmative à la quatrième question, l'application de la disposition citée présuppose-t-elle en outre que les parties contractantes utilisent effectivement la marque pour empêcher ou entraver l'approvisionnement en produits visés au contrat ?

Sur la première question (notion d'entreprise)

10 Aux termes de l'article 1, paragraphe 1, du règlement n° 67-67, l'article 85, paragraphe 1, du traité est déclaré inapplicable aux accords "auxquels ne participent que deux entreprises". L'applicabilité de cette disposition soulève un doute en raison du fait que l'accord litigieux a été conclu entre, d'une part, Hydrotherm et, d'autre part, trois personnes distinctes, à savoir M. Andreoli, personne physique, la société Compact et la société Officine Sant'Andrea. Il n'est pas contesté en fait que M. Andreoli contrôle entièrement l'une et l'autre de ces deux sociétés.

11 La notion d'entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l'objet de l'accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes, physiques ou morales. Ainsi, il est satisfait à l'exigence posée par l'article 1, paragraphe 1, du règlement n° 67-67 lorsqu'une des parties à l'accord est constituée par des sociétés qui ont un intérêt identique et qui sont contrôlées par la même personne physique, elle aussi partie à l'accord. Dans ces conditions, en effet, il n'existe aucune virtualité de concurrence entre les personnes qui participent simultanément, comme une seule partie, à l'accord en question.

12 Il y a donc lieu de répondre à la première question que le règlement n° 67-67 doit être également appliqué lorsque participent à l'accord, en tant que partie contractante, plusieurs entreprises juridiquement autonomes, si ces entreprises constituent, au regard de l'accord, une unité économique.

Sur la deuxième question (extension territoriale de l'accord)

13 Aux termes de l'article 1, paragraphe 1, lettre a), du règlement n° 67-67, l'exemption par catégories est applicable aux accords dans lesquels l'une des parties s'engage, vis-à-vis de l'autre,"à ne livrer certains produits qu'à celle-ci dans le but de la revente à l'intérieur d'une partie définie du territoire du Marché Commun". Or, l'accord litigieux délimite le territoire de l'exclusivité comme étant "l'Europe occidentale", à l'exclusion de certains Etats qui sont, dans un cas, l'Italie, la Grèce et la Turquie, dans l'autre, la France, les Etats du Benelux et l'Autriche.

14 Le Bundesgerichtshof désire savoir si le règlement peut être appliqué lorsque les engagements contractés s'étendent ainsi non seulement à une partie définie du territoire du Marché Commun, mais également à des pays situés en dehors de la Communauté.

15 Le règlement n° 67-67 a pour objet de régler un aspect de la concurrence dans le cadre général du domaine d'application du traité CEE et, plus particulièrement, de l'article 85, qui se réfère au jeu de la concurrence "à l'intérieur du Marché Commun". Il est, dès lors, satisfait aux conditions du règlement lorsque l'accord a pour objet de délimiter l'extension territoriale de l'exclusivité dans le cadre d'une partie définie du territoire du Marché Commun, étant entendu que cette délimitation territoriale doit être faite de telle manière que subsiste une possibilité effective de concurrence - et donc d'importations parallèles - entre le territoire pour lequel l'exclusivité est accordée et le restant de la Communauté, ce qui n'est pas litigieux en l'occurrence. L'inclusion de pays tiers dans le territoire de l'exclusivité n'est donc pas de nature à modifier les conditions d'application du règlement.

16 Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le règlement sur les exemptions par catégories peut être appliqué lorsque les engagements contractés étendent non seulement à une partie définie du territoire du Marché Commun, mais également à des pays situes en dehors de la Communauté.

Sur les 3e, 4e et 5e questions (usage du droit de marque)

17 L'accord d'exclusivité qui fait l'objet du litige est caractérisé par le fait que l'utilisation d'un droit de marque a été concédée par l'une des parties à l'autre en vue, précisément, de l'exécution de l'accord de distribution exclusive. Le Bundesgerichtshof pose, à ce sujet, la question de savoir si, et dans quelles conditions, l'exercice d'un droit de propriété industrielle peut avoir pour effet de faire tomber un tel accord sous la clause d'exclusion de l'article 3, lettre b, point 1, du règlement n° 67-67. Il demande, en substance, s'il suffit, pour l'application de cette clause d'exclusion, qu'un droit de propriété industrielle peut être utilisé, dans le cadre d'un accord d'exclusivité, de façon à entraver l'approvisionnement du produit en cause à l'intérieur du Marché Commun, ou si, par contre, cette clause d'exclusion ne s'applique qu'à la condition qu'une telle utilisation du droit de propriété industrielle résulte des termes de l'accord même ou du comportement effectif des parties.

18 Aux termes de l'article 3, l'exemption par catégories prévue par l'article 1 du règlement n° 67-67 n'est pas applicable lorsque "b) les contractants restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs de se procurer les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du Marché Commun, en particulier lorsque les contractants... exercent des droits de propriété industrielle en vue d'entraver l'approvisionnement de revendeurs ou d'utilisateurs dans d'autres parties du Marché Commun en produits visés au contrat, régulièrement marqués et mis dans le commerce, ou la vente desdits produits par ces revendeurs ou utilisateurs dans le territoire concédé...".

19 Cette disposition est expliquée par le neuvième considérant du préambule, selon lequel, "il convient notamment d'assurer, par la possibilité d'importations parallèles, que les utilisateurs se verront réserver une partie équitable des avantages résultant de la distribution exclusive ; qu'il n'est dès lors pas possible d'admettre que des droits de propriété industrielle et d'autres droits soient exercés d'une manière abusive en vue de créer une protection territoriale absolue".

20 Il résulte de ces considérations que le règlement n'a pas pour objectif de priver un accord du bénéfice de l'exemption par catégories pour le simple fait que cet accord comporte la concession d'un droit de propriété industrielle, en vue du fonctionnement normal d'une exclusivité dans le cadre défini par l'article 1. La restriction de l'article 3 ne trouve donc pas application lorsque le transfert de l'usage d'un droit de propriété industrielle se fait dans des termes qui ne mettent pas en cause le caractère ouvert de l'exclusivité concédée.

21 La prohibition de l'article 3 ne pourrait, dès lors, tirer à conséquence que si soit les termes mêmes de l'accord, soit le comportement effectif des parties fournissaient des indices permettant de croire qu'un droit de propriété industrielle est exercé abusivement en vue de créer une protection territoriale absolue. La simple possibilité d'un tel usage, en raison du fait que les parties n'ont pas pris de dispositions expresses dans leur accord, n'est dès lors pas une raison suffisante pour exclure un accord du bénéfice de l'exemption par catégories.

22 Il y a donc lieu de répondre aux 3e, 4e et 5e questions que l'article 3, lettre b), point 1, du règlement n° 67-67 doit être interprété en ce sens qu'un accord n'est exclu du bénéfice de l'exemption par catégories que s'il résulte soit des termes mêmes de l'accord, soit du comportement des parties que celles-ci visent à utiliser ou utilisent effectivement un droit de propriété industrielle de manière à empêcher ou entraver, à l'aide de ce droit, des importations parallèles sur le territoire couvert par l'exclusivité. Le fait qu'un accord ne prévoit aucune disposition destinée à écarter un usage abusif d'un droit de propriété industrielle n'est pas en soi une raison suffisante pour écarter cet accord de l'application du règlement n° 67-67.

Sur les dépens

23 Les frais exposés par le gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

24 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre), statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof par ordonnance du 28 juin 1983, dit pour droit : 1) Le règlement n° 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'exclusivité doit être également appliqué lorsque participent à l'accord, en tant que partie contractante, plusieurs entreprises juridiquement autonomes, si ces entreprises constituent, au regard de l'accord, une unité économique. 2) Le règlement n° 67-67 peut être appliqué lorsque les engagements contractés s'étendent non seulement à une partie définie du territoire du Marché Commun, mais également à des pays situés en dehors de la Communauté. 3) L'article 3, lettre b), point 1, du règlement n° 67-67 doit être interprété en ce sens qu'un accord n'est exclu du bénéfice de l'exemption par catégories que s'il résulte soit des termes mêmes de l'accord, soit du comportement des parties que celles-ci visent à utiliser ou utilisent effectivement un droit de propriété industrielle de manière à empêcher ou entraver, à l'aide de ce droit, des importations parallèles sur le territoire couvert par l'exclusivité. Le fait qu'un accord ne prévoit aucune disposition destinée à écarter un usage abusif d'un droit de propriété industrielle n'est pas en soi une raison suffisante pour écarter cet accord de l'application du règlement n° 67-67.