CA Paris, 1re ch. H, 19 novembre 2002, n° ECOC0300024X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nice Hélicoptères (SA)
Défendeur :
Garnier (ès qual.), Héli Inter Riviera (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
MM. Savatier, Remenieras
Avocats :
Mes Smadja, Le Stum, Gerbi.
Vu la décision n° 02-D-16 du 5 mars 2002 par laquelle le Conseil de la concurrence, saisi le 10 avril 2000 par la société Nice Hélicoptères de pratiques mises en œuvre par la société Héli Inter Riviera, exploitante de l'hélistation Cannes-Palm Beach, a dit n'y avoir lieu à poursuivre la procédure après avoir rejeté, par décision n° 00-MC-11 du 21 juillet 2000, la demande de mesures conservatoires formulée par la société Nice Hélicoptères ;
Vu le recours en réformation de cette décision, déposé, le 8 avril 2002, par la société Nice Hélicoptères et les moyens y exposés par lesquels, réitérant les griefs initialement formulés, elle reproche à la société Héli Inter Riviera d'abuser de sa position dominante et d'user de la dépendance économique dans laquelle elle tient les entreprises concurrentes pour fausser le jeu de la concurrence, demandant à la cour de :
- constater que la société Héli Inter Riviera en sa qualité d'unique exploitante de l'hélistation Palm Beach à Cannes a faussé le jeu de la concurrence en imposant un prix d'accès injustifié et que dès lors l'abus de position dominante est caractérisé ;
- enjoindre à la société Héli Inter Riviera d'avoir à proposer des tarifs en matière de taxe d'atterrissage définis dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et orientées vers des coûts encourus pour la période durant laquelle la société Héli Inter Riviera a été gestionnaire de l'hélistation de Cannes-Palm Beach ;
- condamner la société Héli Inter Riviera au paiement de telle somme dont le montant sera laissé à l'appréciation de la cour et à ce titre de sanction pécuniaire pour abus de position dominante ;
Vu les observations déposées le 5 septembre 2002 par le Conseil de la concurrence et celles déposées le 9 septembre 2002 par le ministre de l'économie, qui tendent au rejet du recours ;
La société Nice Hélicoptères, en liquidation judiciaire, n'ayant formulé aucune observation,
Sur ce, LA COUR :
Considérant que par arrêté préfectoral du 26 juillet 1994, la société Héli Inter Riviera a été autorisée à créer et à exploiter sur la commune de Cannes une hélistation destinée au transport public à la demande de passagers, un arrêté du 22 avril 1997, l'autorisant à occuper temporairement le domaine public maritime situé à la pointe de la Croisette où la plate-forme de l'héliport est installée ; que ces autorisations lui conféraient au moment des faits le monopole d'exploitation de l'hélistation ;
Qu'il n'est pas contesté que l'héliport de Cannes-Palm Beach constitue, en raison de l'éloignement des autres héliports ou aéroports, une structure essentielle à laquelle les entreprises de transports à la demande de passagers par hélicoptères qui exploitent une ligne entre Nice et Cannes doivent avoir accès dans des conditions permettant d'assurer le libre jeu de la concurrence ;
Considérant que la société Nice Hélicoptères reproche à la société Héli Inter Riviera d'avoir faussé le jeu de la concurrence en abusant de sa position dominante et de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvent placées ses concurrentes, qu'il s'agisse des conditions matérielles d'utilisation de l'hélistation ou des redevances demandées par la société gestionnaire pour l'utilisation de la structure d'atterrissage ou d'envol ;
Sur les conditions matérielles d'utilisation des infrastructures :
Considérant que la société Nice Hélicoptères reproche à la société Héli Inter Riviera d'avoir entravé son accès au marché en s'opposant à l'implantation d'un bungalow destiné à assurer la présence de son personnel au sol, l'accueil de ses passagers et son service de billetterie, en refusant, lors de la réfection du grillage, de créer un accès direct à son bungalow, en décidant unilatéralement de fermer la plate-forme à certaines périodes de l'année au motif d'une baisse d'activité, lui imposant un préavis de quarante-huit heures entravant le bon fonctionnement de la ligne régulière qu'elle a été autorisée à exploiter ;
Mais considérant, en premier lieu, qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que la société Héli Inter Riviera aurait opposé un refus de principe à l'installation dans l'enceinte de l'héliport d'un bungalow au profit de la société Nice Hélicoptères ; que la réalisation de celui-ci, achevée dès la fin du mois de janvier 1999, est intervenue dans des délais raisonnables si l'on tient compte de la nécessité de récupérer une surface de terrain complémentaire dont la question n'a pu être évoquée, avec la direction de l'aviation civile, qu'à la réunion du 8 décembre 1998 ; que le conseil a par ailleurs pertinemment relevé que la société Héli Inter Riviera avait, au contraire, fait preuve de diligences pour assurer le maintien sur les lieux du bungalow litigieux lorsque injonction lui a été faite d'avoir à procéder à son enlèvement en raison du caractère personnel de l'autorisation d'occupation du domaine qui lui avait été délivrée, les démarches entreprises dans les cinq jours de l'injonction ayant permis d'obtenir l'autorisation d'implantation requise ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'est nullement démontré que la restauration d'un seul portail aurait constitué pour la société Nice Hélicoptères une entrave à l'exploitation de sa ligne, alors qu'il est constant qu'en raison de la faible hauteur du grillage, les clients qui pénètrent dans l'enceinte de l'hélistation ne peuvent pas ne pas apercevoir son bungalow et que l'unique portail, comme le révèlent les photographies prises lors de l'enquête, ne donnait pas directement accès sur le bungalow de la société Héli Inter Riviera ; que rien ne vient démontrer que l'existence de cet unique portail, au demeurant seul mentionné dans l'arrêté d'occupation du domaine public de 1994, aurait entraîné pour la société Nice Hélicoptères une quelconque perte de clientèle ;
Considérant, en troisième lieu, que s'il appartient effectivement au gestionnaire d'une installation ouverte au transport public de passagers d'en garantir l'utilisation permanente, le préavis de quarante-huit heures imposé aux utilisateurs de l'hélistation limité à certains jours de la période hivernale 1998-1999, de moindre trafic, conforme au demeurant à celui prévu par l'article 5 de l'arrêté du 26 juillet 1994, et imposé par la nécessité de disposer, en cas de vol annoncé, d'un minimum de deux personnes sur la plate-forme, ne permet pas, à lui seul, de caractériser un acte de nature à fausser la concurrence ; que contrairement à ce qu'affirme la société Nice Hélicoptères, les vols Nice-Cannes-Palm Beach ne sont pas des vols réguliers, au sens technique du terme, l'usage de l'hélistation, selon l'arrêté du 26 juillet 1994, étant restreint à la catégorie EB, exclusivement destinée au transport public à la demande de passagers ; qu'il n'est pas démontré que le préavis de quarante-huit heures imposé pour la seule période hivernale de 1998-1999 mais réduit, dès 1999, en raison de l'accroissement du nombre de vols, à un préavis de deux heures, y compris pour les mois de faible trafic, aurait eu pour effet d'empêcher la société Nice hélicoptères de répondre à la demande ;
Que le conseil a exactement déduit de cet ensemble de considérations qu'aucun élément du dossier ne permettait de penser que dans ses décisions relatives à la gestion de l'hélistation, la société Héli Inter Riviera aurait utilisé sa position dominante que lui confère sa qualité de gestionnaire pour empêcher ou entraver l'accès au marché de la société concurrente Nice Hélicoptères;
Sur le montant des redevances d'atterrissage :
Considérant que la société Nice Hélicoptères reproche également au conseil d'avoir, au seul vu des comptes d'exploitation, non certifiés, produits par la société Héli Inter Riviera, estimé qu'il n'était pas démontré que la redevance pratiquée aurait été excessive et l'aurait empêchée de faire des offres ou de réaliser des marchés dans des conditions compétitives avec celles de la société Héli Inter Riviera ; qu'elle fait grief à cette société de n'avoir jamais justifié de façon transparente les critères objectifs sur lesquels elle s'était fondée pour fixer la taxe d'atterrissage, contestant la valeur probante des documents fournis, établis selon elle pour le besoin de la cause, et dénonçant leur caractère approximatif et invérifiable ;
Mais considérant que le conseil a exactement estimé que les comptes d'exploitation pour les années 1997 à 2000 versés au dossier, s'ils ne constituaient que des documents internes, pouvaient être retenus à titre d'indices dans la mesure où aucun autre élément du dossier ne venait démontrer que les sommes qui y étaient portées ne correspondraient pas à la réalité des charges engendrées par la gestion de l'héliport ; qu'il a en conséquence justement relevé que les recettes obtenues en appliquant aux deux opérateurs, soit le montant de la redevance forfaitaire de 12 000 F mensuels qui avait été proposée, soit le montant de la redevance de 210 F par pose, fixé à l'origine, étaient en toute hypothèse insuffisantes à couvrir les dépenses inhérentes au fonctionnement permanent de la structure ;
Que la redevance ainsi fixée, proche de celle exigée par les gestionnaires d'hélistations comparables, comme celles de Port-Grimaud ou de Saint-Tropez, et non remise en cause par la direction de l'aviation civile à qui elle a été notifiée, ne permet pas, alors qu'il n'est pas démontré ni même allégué qu'il en aurait été fait une application discriminatoire, de caractériser un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de considérer qu'elle aurait empêché la société Nice Hélicoptères de formuler ses offres ou de réaliser des marchés dans des conditions compétitives à celles de la société Héli Inter Riviera;
Que le conseil, qui, au surplus, fait pertinemment valoir que la société Nice hélicoptères a vu son activité augmenter alors que dans le même temps la société Héli Inter Riviera s'est vue contrainte de déposer le bilan, a estimé, à bon droit, qu'il n'y avait lieu, dans ces conditions, de poursuivre plus loin la procédure,
Par ces motifs, Rejette le recours formé par la société Nice Hélicoptères à l'encontre de la décision n° 02-D-16 du 5 mars 2002 du Conseil de la concurrence, Condamne la société Nice Hélicoptères aux dépens.