CCE, 14 décembre 1984, n° 85-79
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
John Deere
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment son article 2, son article 3 paragraphe 1 et son article 15 paragraphe 2, vu la plainte adressée à la Commission le 3 septembre 1982, au titre de l'article 3 du règlement n° 17, par la National Farmers Union. vu la demande introduite auprès de la Commission le 12 novembre 1982, au titre de l'article 2 dudit règlement du Conseil, concernant l'article 13 des conditions générales de vente appliquées par John Deere Vertrieb Deutschland à ses distributeurs locaux, vu la décision de la Commission du 8 août 1983 d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir donné aux entreprises concernées l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 et au règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux conditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (2), après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, considérant ce qui suit:
I. LES FAITS
Les parties
(1) Deere and Company est une société constituée selon le droit de l'État de Delaware (États-Unis d'Amérique). Elle a son siège social à la John Deere Road, Moline, Illinois, 61265 (États-Unis) et son siège européen à la Steubenstraße 36, Postfach 503, D-6800 Mannheim. Dans certains États membres de la Communauté, Deere and Company vend et distribue ses produits par l'intermédiaire de succursales ou de filiales à 100 %, qui désignent des distributeurs locaux indépendants ; dans l'autres États membres, Deere and Company désigne directement des concessionnaires nationaux indépendants, qui désignent à leur tour des distributeurs locaux indépendants.
(2) Dans le Marché commun, Deere and Company exerce ses activités sous les dénominations suivantes:
1. John Deere Export - division de Deere and Company (établie à Moline), responsable des relations avec les concessionnaires nationaux indépendants;
2. John Deere Vertrieb Deutschland - succursale allemande responsable des relations avec les distributeurs locaux en Allemagne;
3. John Deere Italiana - succursale italienne;
4. John Deere SA - filiale française responsable des relations avec les distributeurs locaux en France;
5. John Deere Ltd - filiale britannique.
John Deere Export rend compte de ses activités à un vice-président de Deere and Company qui est responsable des exportations et qui est établi à Moline, tandis que les autres succursales et filiales rendent compte de leurs activités à un vice-président pour l'Europe, l'Afrique et le Proche-Orient, établi à Mannheim. (Comme l'indiquent leurs titres, les vice-présidents sont également d'opérations effectuées en dehors de la Communauté). Ces deux vice-présidents rendent compte de leurs activités à un premier vice-président et administrateur délégué, chargé des opérations d'outre-mer, qui fait partie du conseil d'administration principal de Deere and Company et qui est installé à Moline. Le groupe Deere est désigné ci-après sous le nom de Deere.
(3) Dans la Communauté économique européenne, les concessionnaires nationaux indépendants impliqués dans la présente affaire sont:
1. NV Cofabel, Peperstraat 4A, 3071 Erps-Kwerps, Belgique;
2. NV Louis Nagel & Co, PO box 76, 6500 AB Nijmegen, Pays-Bas, et
3. Dansk Oversøisk Motor Industri A/S (DOMI), Sdr. Ringvej 35, 2600 Glostrup, Danemark.
Quant au concessionnaire national en Grèce, D. Avrassolou SA, il aurait cessé ses activités.
Les produits et le marché
(4) Les produits en cause sont les machines agricoles. Il existe une grande diversité de machines agricoles. Certaines sont fabriquées par des producteurs spécialisés. Parmi ceux-ci, d'aucuns, tels que Deere, ont une gamme de production étendue. D'autre part, certains constructeurs automobiles, qui n'ont pas d'autres intérêts dans le secteur, fabriquent des tracteurs agricoles. Les produits en cause dans la présente affaire sont les machines agricoles vendues par Deere y compris les tracteurs agricoles.
(5) Les marchés principalement concernés sont les marchés sur lesquels les agriculteurs ou les entrepreneurs de travaux agricoles achètent des machines agricoles. En général, ils les achètent à des détaillants, lesquels s'approvisionnent auprès de fabricants ou de grossistes, qui s'approvisionnent à leur tour auprès de fabricants ou d'autres distributeurs. Le système de commercialisation de Deere, décrit au point 1 ci-avant, est typique pour le secteur.
La position des parties
(6) Deere est un des principaux producteurs de machines agricoles : il est par exemple, le quatrième constructeur mondial de tracteurs et le deuxième constructeur mondial de machines fourragères. Il fabrique également du matériel industriel. En 1983, son chiffre d'affaires total s'est élevé à 3 908 millions de dollars des États-Unis dont 3 314 en matériel agricole. Son chiffre d'affaires en machines agricoles dans la Communauté a été de ... Écus (3). Sa part de marché différait suivant les États membres et le type de matériel ; c'est ainsi que, en 1983, il s'est attribué ... % du marché de la Communauté économique européenne pour les moissonneuses-batteuses (de ... % en Italie à ... % en Grèce) et ... % pour les tracteurs (de ... % en Italie à ... % aux Pays-Bas). (Tous ces chiffres sont approximatifs et les bases statistiques varient d'un État à l'autre).
(7) En 1981, Cofabel a réalisé un chiffre d'affaires de ... francs belges presque uniquement en matériel agricole. Le chiffre d'affaires de Nagel a atteint ... florins néerlandais et celui de DOMI, ... couronnes danoises, dont ... en équipement Deere.
La procédure
(8) Le 3 septembre 1982, la National Farmers Union du Royaume-Uni a déposé plainte au motif que Cofabel aurait refusé de livrer un tracteur à un de ses membres. Celui-ci se plaignait de ce que Cofabel avait refusé de l'approvisionner - bien qu'il eût proposé de payer en francs belges et de prendre livraison du tracteur en Belgique, parce que "l'usine John Deere en Allemagne le lui interdisait" (original anglais).
(9) Le 14 octobre 1982, des inspecteurs de la Commission ont visité les bureaux de Cofabel à Erps-Kwerps et, les 18 et 19 novembre, les bureaux européens de Deere and Company. Ils ont pris copie d'environ 150 documents se rapportant à des "ventes à l'étranger".
(10) Le 12 novembre 1982, Deere a introduit, au nom de John Deere Vertrieb Deutschland, une demande d'attestation négative en faveur de l'article 13 des conditions générales de vente applicables depuis le 1er du même mois et annexées à ses contrats de distributeur local en Allemagne. Cet article est libellé comme suit (original allemand):
" - L'article fourni est destiné à être vendu en Allemagne.
- S'il devait néanmoins être vendu à l'étranger (directement ou indirectement, après modification ou non), le distributeur n'aura pas droit au. bonus annuel ou à la participation aux programmes spéciaux de promotion des ventes.
- S'il s'agit d'articles destinés à être vendus dans des pays non membres de la Communauté économique européenne, le fournisseur applique une surcharge de 10 % sur son prix de vente normal.
- Dans ce cas, le fournisseur se réserve de faire valoir d'autres droits, en particulier, celui de la résiliation sommaire du contrat. "
(11) Le 12 août 1983, la Commission envoie une communication de griefs à Deere et aux concessionnaires nationaux indépendants, énumérés au point 3 ci-avant. Le 31 août, et à nouveau le 29 septembre 1983, des avocats représentant Deere exercent leur droit de consulter le dossier de la Commission ; Cofabel avait agi de même le 7 septembre.
(12) Le 12 octobre 1983, Cofabel, DOMI et Nagel répondent à la communication de griefs sans demander une audition orale. Deere fait de même le 18 octobre.
(13) Le 21 mars 1984, la Commission transmet à Deere les extraits des pièces de son dossier sur lesquels il entend appuyer sa décision et dont certains sont mentionnés expressément dans la communication de griefs et d'autres ont été versés au dossier à la suite de la réponse de Deere.
(14) Le 27 avril 1984, Deere, à l'intervention de ses avocats, formule des observations sur ces extraits. Il ne fournit aucun élément susceptible d'infirmer les preuves de la Commission ni l'interprétation qu'elle en donne.
Politique et système de distribution de Deere and Company
Le commerce parallèle - ses causes et ses effets
(15) Deere a accordé une certaine indépendance à ses différentes succursales en matière de politique de vente. Certaines succursales et certains concessionnaires nationaux de Deere, pour se conformer aux conditions régnant sur leur marché national, ont offert des prix plus bas ou des remises plus fortes que les succursales ou distributeurs d'autres États membres. Les fluctuations des changes, et notamment de la livre sterling, de même que les politiques menées par les gouvernements nationaux, ont parfois contribué à créer des écarts de prix entre les États membres. Cette situation a incité certains agriculteurs établis dans les pays plus chers à tenter d'importer à partir de pays où les prix étaient plus bas et certains distributeurs établis dans les pays moins chers, à tenter d'exporter vers des pays où les prix étaient plus élevés - en d'autres termes, il a tendu à faire du commerce parallèle une opération profitable. Deere a réagi aux problèmes ainsi créés en s'efforçant d'empêcher le commerce parallèle. Il y a des preuves de cette politique et de ses effets, ainsi que de la réaction de Deere à ces effets, dans les documents dont les inspecteurs de la Commission ont pris copie.
Les accords formels
(16) Certaines formules de contrat utilisées par Deere ou par ses concessionnaires nationaux indépendants contenaient des clauses interdisant les exportations, par exemple:
1. l'article 1er du contrat de concession John Deere Export (le contrat-type conclu avec les concessionnaires nationaux), qui était libellé ainsi : "Les produits achetés à la société seront vendus par le concessionnaire exclusivement pour un usage agricole et uniquement à des acheteurs établis dans la zone de responsabilité du concessionnaire" (original anglais). Nagel a signé son contrat sous cette forme-type le 3 octobre 1967.
2. Les articles 3 et 5 du contrat-type de distributeur Cofabel NV, qui sont libellés ainsi : "Article 3. Le distributeur s'engage à ne vendre les marchandises de la société qu'aux clients qui sont établis dans le secteur qui lui a été concédé ... Article 5. Il est interdit au distributeur de vendre du matériel à des clients situés en dehors du secteur qui lui a été conféré. Toute demande ou commande émanant de tels clients doit être transmise à la société. Si le distributeur réalise malgré tout des ventes de marchandises dans un secteur concédé à un autre distributeur, la société se réserve le droit de ne pas exécuter la commande ou de réduire à raison de 3 à 7 % la remise de distributeur pour ces machines. La société en décidera de manière autonome. Pour sa part, la société se réserve le droit de réaliser des ventes sur la totalité du territoire belge, dans chaque cas où le distributeur ne désire pas ou n'est pas en mesure de vendre, en raison de circonstances particulières" (original français et néerlandais)
3. L'article 12 des conditions générales de vente annexées de 1972 à 1977, aux contrats que John Deere Vertrieb Deutschland passait avec ses distributeurs locaux, qui est libellé ainsi : "L'acheteur s'engage, à moins que des dispositions légales contraires l'interdisent, à ne pas revendre à l'étranger les articles livrés après modification ou non, ou de manière directe ou indirecte. En cas de non-respect de cet engagement, il perd, avec effet à la date de la commande, ses droits à toute remise ou tout autre bénéfice, sans préjudice d'une éventuelle action du fournisseur" (original allemand). L'article 13 des conditions appliquées de 1977 à 1982 est libellé de manière semblable.
4. L'article 13 des conditions de vente actuellement applicables en Allemagne (objet de la demande d'attestation négative - point 10 ci-avant).
(17) D'autres contrats ne contiennent pas de telles clauses (voir le contrat-type de distributeur local John Deere SA) ou précisent même qu'ils "... ne comportent aucune restriction territoriale" (voir contrat John Deere Ltd - original anglais). D'autres clauses de ces contrats disposent cependant que John Deere SA n'est obligée d'accepter les commandes que "... dans la mesure où celles-ci sont normalement en rapport avec les besoins de la zone d'influence concédée" (original français) ou prévoient que "... les résultats du distributeur seront évalués exclusivement sur la base de ses activités dans la zone de responsabilité décrite", ou encore subordonnant l'accès au crédit Deere à des "... normes ou conditions d'application uniformes ..." qui ne sont pas précisées (original anglais).
L'application des accords et des pratiques concertées
(18) Deere a appliqué les contrats comme s'ils comportaient une interdiction d'exportation, que tel fut le cas ou non.
(19) À partir du 15 octobre 1975 au moins, Deere a cherché, en s'appuyant sur ces termes des contrats ou par d'autres moyens, à persuader ou à contraindre ses distributeurs à ne pas exporter, en d'autres termes, à admettre l'interdiction d'exporter en tant que pratique concertée.
(20) Les distributeurs locaux de Deere qui avaient souscrit ces contrats considéraient les exportations comme interdites. Deere leur a signalé que, dans le contexte de son système général de distribution, le commerce parallèle était malvenu ou déloyal. Deere a refusé de livrer du matériel notoirement destiné à l'exportation ou menacé de ce faire. Selon le directeur de John Deere Vertrieb Deutschland, Deere a résilié les contrats de distributeurs qui exportaient. Deere a cherché à fournir du matériel dont les spécifications en rendaient l'exportation difficile. Deere a donné instruction à son personnel de raccourcir les délais de paiement pour du matériel notoirement exporté et a refusé l'octroi de remises de quantité, de remises spéciales ou d'autres incitations à la vente. Enfin, Deere a appliqué une redevance de 5 % sur les exportations. Dans les contrats allemands, cette redevance est due uniquement pour les exportations en dehors de la Communauté économique européenne. Toutefois, le directeur de John Deere Vertrieb Deutschland a déclaré que la redevance de 5 % est, si possible, prélevée également sur les livraisons effectuées dans les autres pays membres de la Communauté "afin de rendre ce genre d'opérations encore plus difficiles pour les distributeurs" (original anglais). Tous ces faits ressortent des documents cités dans la communication des griefs et de la lettre adressée à Deere le 21 mars 1984 (voir point 13 ci-avant). Comme le relève la communication des griefs, il serait possible de citer un grand nombre d'autres documents dont la date se situe entre 1974 et octobre 1982.
Comportement sciemment illicite de Deere
(21) Deere and Company savait que ce comportement et, en particulier, l'interdiction contractuelle d'exporter, était contraire aux règles de concurrence communautaires et nationales. Son conseiller interne le lui avait signalé. La direction de Deere and Company à Moline, y compris un membre du conseil d'administration, en était pleinement informée.
Effets des accords
(22) Tous les concessionnaires nationaux mentionnés au point 3 ci-avant étaient touchés par les accords. Les documents indiquent que les accords s'étendaient à tous les pays membres, à l'exception de l'Italie, de l'Irlande et du Luxembourg. Ces documents contiennent aussi des allusions aux différences de prix substantielles qui étaient maintenues entre les différents États membres ou aux effets de ces différences.
II. EN DROIT
A. Article 85 paragraphe 1
(23) L'article 85 paragraphe 1 dispose que sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
(24) Deere et les parties énumérées au point 3 ci-avant, ainsi que leurs différents distributeurs locaux, sont des entreprises au sens de l'article 85 du traité, et les contrats conclus entre eux sont des accords au sens de cette disposition.
(25) Ces accords, et les pratiques concertées relatives à leur mise en œuvre, avaient notamment pour objet d'empêcher toute livraison de matériel Deere par tout autre que Deere en dehors de l'État membre où la partie était établie. Cet objectif a été clairement énoncé par Deere aussi bien dans sa correspondance interne que dans sa correspondance avec ses concessionnaires nationaux et ses propres distributeurs locaux. Cet objectif a été compris et accepté par les concessionnaires nationaux et les distributeurs locaux même s'ils ne l'ont pas toujours respecté. Cet objectif illicite a été inscrit dans certains contrats ; dans d'autres cas, il a fait l'objet d'un engagement distinct, assorti de sanctions ou de menaces de sanctions en cas de non-respect. Les contrats qui ne contenaient pas d'interdiction explicite comportaient des clauses qui rendaient possible l'application de sanctions (voir point 17).
(26) Selon Deere, les membres de son personnel auraient fait état d'actions qu'ils n'auraient pas commises, ses instructions visant à sanctionner le commerce parallèle auraient été désobéies et ses tentatives d'empêcher celui-ci seraient restées vaines. Pourtant, des instructions ont bien été données dans le but d'empêcher les importations parallèles, le personnel de Deere a bien fait état d'actions et des communications ont effectivement eu lieu avec les distributeurs pour leur interdire d'exporter et les menacer de conséquences diverses au cas où ils exporteraient. C'est donc à Deere qu'incombe la charge de prouver que pareilles instructions n'ont jamais été obéies et que pareilles communications ont toujours été méconnues, démontrant ainsi qu'elles sont restées sans effet. De l'avis de la Commission, eu égard à tous les éléments de preuve existants, Deere ne s'est pas acquitté de cette charge. Elle en conclut que lesdites instructions et communications ont bien eu des effets.
(27) Il n'est peut être pas inutile de s'attarder quelque peu sur les conditions de vente appliquées en Allemagne à dater du 1er novembre 1972 (point 16 sous 3 ci-avant). L'interdiction d'exporter contenue dans ces conditions de vente est précisée par les mots "... à moins qu'une disposition légale contraire ne s'y oppose...". La Commission estime qu'en dépit de cette réserve, la disposition constitue une interdiction d'exporter. Elle est libellée comme si l'exportation est chose interdite et elle est imposée à une multitude de petits distributeurs qui ne reçoivent aucune explication et n'ont aucune possibilité de négociation, par une société qui est censée connaître la loi. Pareils distributeurs sont moins aptes à connaître la loi et, dès lors, à consulter un juriste dans des cas semblables ; il est donc hautement improbable que le distributeur soit en mesure de savoir qu'une interdiction d'exporter est contraire au droit communautaire et ne peut de ce fait être opposée à des exportations intracommunautaires. Les interdictions d'exporter étant illicites à l'intérieur du Marché commun, l'inclusion de pareille clause va à l'inverse d'une règle générale du droit communautaire, au bénéfice de ce qui ne peut être qu'une dérogation. De plus, il existe des preuves écrites de ce que Deere a formellement imposé cette clause à ses distributeurs, sans faire aucune mention de la réserve évoquée plus haut. Le conseiller interne de Deere a lui-même exprimé des doutes quant à la légitimité d'un tel procédé.
(28) Il y a lieu de s'attarder aussi sur l'article 13, qui fait l'objet de la demande d'attestation négative introduite par Deere le 12 novembre 1982 (voir point 10). Le but de cet article est d'interdire les exportations. Le deuxième tiret prévoit une sanction pour toutes les exportations. Le troisième tiret prévoit une sanction pour les exportations en dehors de la Communauté économique européenne ; les cadres de Deere déclarent qu'ils appliquent cette clause à l'intérieur de la Communauté économique européenne lorsqu'ils le peuvent (voir point 20). Le quatrième tiret contient la menace d'une sanction très sévère en cas d'exportation.
(29) Les contrats et le comportement de Deere ont donc notamment empêché les clients de Deere d'effectuer des exportations (et obligé les concessionnaires nationaux à empêcher leurs distributeurs locaux d'effectuer des exportations). La Cour de justice a dit pour droit dans l'affaire Miller International Schallplatten GmbH que "... par sa nature même, une clause d'interdiction d'exportation constitue une restriction de la concurrence" (affaire 19-77, Recueil 1978-2, page 149, point 7 des motifs). Dans la présente affaire, Deere a cherché à empêcher les acheteurs de produits Deere établis dans les pays membres où les prix sont plus élevés de bénéficier d'un marché unifié.
(30) Les produits Deere représentent une part non négligeable du marché des machines agricoles dans la Communauté économique européenne (voir point 6). Les documents établis par Deere montrent que des différences substantielles dans le prix des produits Deere ont existé et continuent à exister entre les différents États membres de la Communauté, démontrant ainsi une tendance persistante au commerce parallèle (combattue par Deere avec constance, bien que souvent sans succès). Dans ces conditions, la Commission est en droit de conclure que les restrictions en question ont eu un effet non négligeable et qu'elles ont eu une influence directe et réelle sur la structure des échanges entre les États membres.
(31) L'article 85 paragraphe 1 du traité s'applique donc à ces accords et notamment aux conditions de vente de l'article 13 examinées au point 27 ci-avant.
B. Article 85 paragraphe 3
(32) L'article 85 paragraphe 3 prévoit que l'article 85 paragraphe 1 peut être déclaré inapplicable aux accords qui contribuent à l'amélioration de la production ou de la distribution des produits, en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ni donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
(33) Deere n'a notifié aucun de ces accords, ni aucun de leurs éléments, conformément à l'article 4 du règlement n° 17, en vue d'une application de l'article 85 paragraphe 3 du traité. Dès lors, aucune décision ne peut être prise en application de l'article 85 paragraphe 3.
(34) À supposer même qu'ils aient été notifiés, les accords n'auraient pu être exemptés de l'application de l'article 85 paragraphe 1 ; en effet, la limitation du commerce parallèle ne paraît nullement indispensable à une quelconque amélioration de la distribution qui résulterait de l'existence d'un réseau de distributeurs agréés.
C. Article 15 paragraphe 2 du règlement n°17
(35) Selon l'article 15 paragraphe 2 du règlement n°17, la Commission peut infliger aux entreprises des amendes de 1 000 à 1 million d'unités de compte, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
(36) L'infraction de Deere est très grave puisqu'elle comporte une interdiction d'exporter et que, par conséquent, elle fait obstacle à la concurrence entre les distributeurs de produits Deere établis dans des États membres différents.
(37) L'infraction a duré longtemps. L'interdiction officielle d'exporter existe depuis 1967. En déterminant le montant de l'amende, la Commission a tenu compte de l'action menée par Deere, depuis 1975, en vue de faire appliquer les interdictions d'exporter (vois points 16,19 et 20 ci-avant).
(38) La demande d'attestation négative, faite au titre de l'article 2 du règlement n° 17 le 12 novembre 1982, ne constitue pas une notification au sens de l'article 15 paragraphe 5 de ce même règlement et, par conséquent, ne protège pas contre des amendes l'usage ultérieur de l'article 13 des conditions générales de vente en Allemagne, objet de cette demande.
(39) Deere a agi intentionnellement. Le groupe Deere dans la Communauté (à l'exception peut-être de John Deere Italiana) et la direction de Deere and Company à Moline, Illinois, étaient au courant des pressions incitant au commerce parallèle, des mesures prises pour empêcher celui-ci et de la licéité douteuse d'un grand nombre de ces mesures.
(40) Dès lors, la Commission estime devoir infliger une amende à Deere.
(41) D'un autre côté, depuis la réception de la communication de griefs de la Commission en août 1983, Deere et ses concessionnaires nationaux ont pris des mesures pour supprimer l'interdiction d'exporter dans leurs contrats et Deere a commencé à indiquer à son personnel en Europe comment se conformer aux règles de concurrence de la Communauté. De plus, le secteur des machines agricoles est en dépression et la rentabilité de Deere a fortement diminué. La commission en a tenu compte pour déterminer le montant de l'amende.
(42) Les distributeurs qui acceptent des contrats contenant des interdictions d'exporter sont eux aussi en infraction et s'exposent à des amendes si les accords ne sont pas notifiés. Toutefois, en l'espèce, les interdictions d'exporter figurent dans des contrats-types imprimés à l'avance ; dès lors, il est clair que l'initiative d'inclure dans les contrats les interdictions d'exporter n'était pas le fait des distributeurs, qui n'en ont d'ailleurs guère tenu compte. En outre, il s'agit de la première affaire de ce genre dans le secteur des machines agricoles. C'est pourquoi la Commission estime ne pas devoir infliger d'amende aux distributeurs en l'espèce.
D. Article 3 du règlement n° 17
(43) Aux termes de l'article 3 paragraphe 1 du règlement n° 17, la Commission peut, si elle constate une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, obliger par voie de décision les entreprises intéressées à y mettre fin.
(44) Il apparaît nécessaire d'exiger que Deere et tous ses concessionnaires nationaux à l'intérieur de la Communauté suppriment toutes les restrictions territoriales intracommunautaires dans leurs accords et pratiques et s'abstiennent de toute tentative visant à réinstaurer de telles restrictions par d'autres moyens,
A arrêté la présente décision :
Article premier :
Les contrats passés par Deere and Company avec ses concessionnaires nationaux à l'intérieur du Marché commun, les différents contrats, contenant des interdictions d'exporter, passés par Deere and Company, ses filiales et concessionnaires nationaux avec les distributeurs Deere locaux, ainsi que les pratiques concertées relatives à l'application de tous ces contrats, depuis 1975, visant à interdire, à entraver ou à pénaliser tout commerce par les distributeurs en dehors du pays membre dans lequel ils sont établis, constituent une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne.
Article 2 :
L'article 1er s'applique à l'article 13 des conditions générales de vente de John Deere Vertrieb Deutschland, faisant l'objet de la demande introduite au titre de l'article 2 du règlement n° 17. L'attestation négative demandée en faveur dudit article 13 est refusée.
Article 3 :
Les entreprises intéressées mettront immédiatement fin à l'infraction spécifiée à l'article 1er et s'abstiendront de toute mesure ayant le même objet ou le même effet.
Article 4 :
1. L'amende suivante est infligée à Deere and Company : 2 000 000 d'Écus (deux millions), soit 4 465 720 marks allemands (quatre millions quatre cent soixante-cinq mille sept cent vingt).
2. Cette somme sera versée dans les trois mois de la date de notification de la présente décision au compte suivant de la Commission des Communautés européennes:
- compte n° : 260-00-64910;
- institution bancaire : Sal. Oppenheim & Cie, Köln 1.
Article 5
Les entreprises ci-après sont destinataires de la présente décision:
- Deere and Company John Deere Road Moline USA - Illinois 61265,
- NV Cofabel Peperstraat 4A B-3071 Erps-Kwerps,
- NV Louis Nagel and Co. PO box 76 NL-6500 AB Nijmegen,
- Dansk Oversøisk Motor Industri A/S (DOMI) Sdr. Ringvei 35 DK-2600 Glostrup.
La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 192 du traité CEE.
Notes :
(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO n° 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.
(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certains chiffres ont été omis, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement n° 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.