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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 4 février 2003, n° ECOC0300063X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Suburbaine de canalisations et de grands travaux (SNC)

Défendeur :

Ministre de l'économie, des finances et du budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Delmas-Goyon

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocat :

Me Gaffuri.

CA Paris n° ECOC0300063X

4 février 2003

Vu la décision n° 02-D-37 du 14 juin 2002, par laquelle le Conseil de la concurrence, saisi le 28 décembre 2000 par le ministre chargé de l'économie de pratiques concernant le secteur des tuyauteries de gaz, a :

Retenu qu'il est établi que la société Endel, venant aux droits des sociétés Entrepose et Delattre-Levivier, la société Ponticelli Frères (Ponticelli) et la société Suburbaine de Canalisations et de Grands Travaux (Suburbaine) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres, avec les sociétés Entrepose et Delattre-Levivier concernant le marché des tuyauteries principales du terminal gazier de Dunkerque, et les sociétés Ponticelli et Suburbaine concernant le marché des tuyauteries auxiliaires de Saint-Martin-de-Crau.

Infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 76 224 euros à la société Endel ;

- 38 112 euros à la société Ponticelli ;

- 38 112 euros à la société Suburbaine,

et ordonné la publication de sa décision dans la revue Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment ;

Vu le recours en annulation, ou subsidiairement en réformation, déposé le 22 juillet 2002 par la société Suburbaine contre cette décision ;

Vu le mémoire et les conclusions en réplique respectivement déposés les 19 août et 25 novembre 2002 par la société Suburbaine, auxquels il est renvoyé, par lesquels elle demande à la cour de :

- à titre principal, prononcer l'annulation de la décision du conseil en ce que sa participation à des pratiques anticoncurrentielles n'est pas démontrée ;

- à titre subsidiaire, réformer la décision du conseil en ce que la sanction pécuniaire de 38 112 euros qui lui a été infligée est disproportionnée au regard des critères de l'article L. 464-2 du Code de commerce et réduire de façon substantielle le montant de cette sanction ;

- ordonner le remboursement immédiat des sommes, ou du trop-perçu des sommes, éventuellement versées au titre de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter du paiement, et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du paiement ;

- condamner le ministre chargé de l'économie au paiement d'une somme de 7 625 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les observations déposées le 21 octobre 2002 par le ministre chargé de l'économie, concluant à la confirmation de la décision déférée et au rejet du recours ;

Vu les observations écrites déposées le 21 octobre 2002 par le Conseil de la concurrence, réfutant les moyens avancés par la société requérante et concluant au rejet du recours ;

Le Ministère Public entendu en ses observations orales, tendant au rejet du recours ;

La société requérante ayant été mise en mesure de prendre la parole en dernier pour répondre à l'ensemble des observations écrites et orales,

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Suburbaine conteste l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants de nature à établir sa participation à un échange d'information avec la société Ponticelli, antérieurement au dépôt des offres pour le marché des tuyauteries auxiliaires de la station de compression de Saint-Martin-de-Crau, dès lors que le prétendu échange d'information entre les agences de Port-de-Bouc des deux sociétés ne serait en réalité qu'une communication unilatérale non constitutive d'une entente au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce et, en toute hypothèse, que l'objet ou l'effet anticoncurrentiel, même potentiel, de la pratique reprochée, à la supposer établie, ne serait pas démontré ;

Qu'elle fait valoir que l'existence d'une entente implique nécessairement un concours de volonté entre deux ou plusieurs entreprises et que, pour qu'il y ait échange d'informations constitutif d'une entente, il est nécessaire que la communication d'informations par une entreprise ait été sollicitée par une autre entreprise ou, à tout le moins, que l'entreprise destinataire de l'information ait manifesté son adhésion en faisant usage des informations reçues ;

Que, sans contester que son agence de Port-de-Bouc a bien reçu, le 28 avril 1997, des tableaux de prix de la société Ponticelli concernant le marché en cause, elle estime que, contrairement à ce qu'a retenu le conseil, rien ne démontre qu'elle les aurait sollicités ; que la mention manuscrite sur l'agenda de M. Forgeat, chargé d'études à son agence de Port-de-Bouc, ne peut constituer la preuve d'un contact effectif le 24 avril 1997 concernant le marché en cause, ni d'une utilisation par elle des informations reçues, dès lors que son offre de prix, quand bien même elle n'aurait été remise que le 28 avril 1997, a été finalisée dès le 25 avril 1997, soit antérieurement à la réception des tableaux de prix de l'entreprise Ponticelli, et qu'il ne saurait être soutenu que le montant de son offre, supérieur en moyenne de 10,3 % à la décomposition indicative du prix transmis par la société Ponticelli et de 32,3 % à l'offre remise par cette entreprise, démontrerait qu'il s'agit d'une offre de couverture au bénéfice de la société Ponticelli ;

Qu'enfin, elle soutient qu'en l'absence de modification des termes de son offre à réception des informations transmises par la société Ponticelli, ni l'objet ni l'effet anticoncurrentiels allégués du prétendu échange d'information ne sont en l'espèce démontrés ;

Considérant qu'en matière de marchés publics la coordination des offres ou l'échange d'informations antérieurement au dépôt des offres caractérise une entente anticoncurrentielle contrevenant aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce;

Que la preuve d'une telle entente peut être rapportée par un faisceau d'indices qui, par leur recoupement, constitue un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes;

Considérant, en l'espèce, que le Conseil, d'une part, a relevé dans sa décision, l'existence de mentions manuscrites sur l'agenda de M. Forgeat, chargé d'études de l'entreprise Suburbaine, à la date du 24 avril 1997, comportant le nom de l'entreprise Ponticelli, son numéro de téléphone et le nom de M. Tobia, responsable du service devis préparation de cette entreprise, accompagnés de la mention " vu ", qui établissent qu'un contact a bien eu lieu à cette date entre les deux entreprises;

Que, d'autre part, il a constaté que par télécopie adressée le 28 avril 1997 par M. Tobia à M. Rimbaud, technicien méthodes de l'entreprise Suburbaine et adjoint de M. Forgeat, l'entreprise Ponticelli a communiqué à l'entreprise Suburbaine des bordereaux de prix correspondant à ceux demandés par Gaz de France en réponse à son appel d'offres relatif au marché des tuyauteries auxiliaires de Saint-Martin-de-Crau, avec les références de cet appel d'offres, pour l'attribution duquel les deux entreprises étaient candidates, la société Suburbaine ne contestant pas avoir reçu cette télécopie;

Que les motifs de cet envoi ne font l'objet d'aucune explication crédible, dès lors que la justification avancée par M. Tobia lors de son audition par les enquêteurs, selon laquelle il s'agirait de la réponse à une consultation de M. Rimbaud pour une sous-traitance de ce marché au cas où Suburbaine en serait l'attributaire, est contredite par celui-ci qui ne s'explique pas, quant à lui, la transmission de la télécopie et ne conserve aucun souvenir particulier à ce sujet, et que la thèse de la société Suburbaine développée pour les besoins de sa défense, selon laquelle la société Ponticelli aurait spontanément et unilatéralement envoyé ces éléments de prix sans aucune demande de sa part, ne saurait constituer une version plausible des faits, en sorte que l'envoi des bordereaux de prix susvisés ne s'explique pas autrement que par un échange concerté d'informations sur les prix entre les deux entreprises soumissionnaires;

Qu'enfin, la circonstance invoquée par la société Suburbaine qu'à réception des éléments de prix transmis, elle n'aurait pas modifié sa propre offre de prix, en moyenne 10,3 % supérieure, finalisée dès le 25 avril 1997, ne saurait démontrer que les informations transmises n'avaient pas été sollicitées par elle, ni qu'elle ne les aurait pas utilisées;

Considérant, en conséquence, que c'est à juste titre que le conseil a déduit des faits précités l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants suffisant à démontrer un échange d'informations par les entreprises Suburbaine et Ponticelli avant le dépôt de leurs offres, concertation qui a eu pour objet et pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence à laquelle les deux entreprises étaient supposées se livrer et de tromper le maître de l'ouvrage sur la réalité de cette concurrence;

Considérant, sur la sanction, qu'aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise et de façon motivée pour chaque sanction ;

Que, lorsque le conseil statue, comme en l'espèce, selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, la sanction pécuniaire prononcée ne peut excéder 500 000 F (76 244,51 euros) pour chacun des auteurs de pratiques prohibées, en vertu des dispositions de l'article 22, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicables en la cause ;

Considérant que la société Suburbaine estime que la sanction pécuniaire de 38 112 euros qui lui a été infligée est disproportionnée au regard tant de l'absence de gravité des faits reprochés, que de l'absence de dommage à l'économie, et de la situation de l'entreprise ;

Mais considérant que s'agissant d'agissements de nature à tromper les organismes publics quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence à l'occasion d'appels d'offres, dont sont constamment rappelés la gravité intrinsèque et les dommages qu'ils causent à l'économie, notamment au regard du risque de banalisation et d'entraînement qui peut en résulter, la société requérante ne peut valablement invoquer une absence de gravité des faits qui lui sont reprochés et de dommage causé à l'économie ;

Qu'en outre, en mentionnant que les pratiques en cause ont été mises en œuvre sur un marché où la concurrence est déjà réduite, cinq entreprises seulement ayant été consultées par Gaz de France, la décision attaquée ne lui fait pas supporter, au titre du dommage à l'économie, les conséquences d'une limitation de la concurrence due au seul comportement du maître d'ouvrage, ainsi qu'elle le prétend, mais précise le contexte dans lequel s'est exercée la limitation de concurrence résultant des agissements des deux entreprises sanctionnées, sans en tirer de conséquence particulière sur l'importance du dommage causé à l'économie, étant précisé que le nombre restreint d'entreprises consultées par Gaz de France n'était pas en lui-même de nature à favoriser les comportements sanctionnés ;

Qu'enfin, la société requérante ne saurait soutenir que la sanction pécuniaire qui lui a été infligée serait disproportionnée à sa situation, alors qu'elle n'aurait joué aucun rôle actif dans la pratique reprochée, et qu'ainsi rien ne justifierait une sanction pécuniaire d'un montant aussi élevé que celle prononcée à l'encontre de la société Ponticelli, dont le chiffre d'affaires est près de cinq fois supérieur ;

Qu'en effet, si elles doivent tenir compte des rôles respectifs joués par chacune des entreprises dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, les sanctions doivent être fixées de manière individuelle et non relativement à celles prononcées à l'encontre d'autres entreprises ; qu'en fixant la sanction pécuniaire la concernant - au demeurant modérée - à 38 112 euros, pour un chiffre d'affaires de 53 785 848 euros, le conseil, qui n'a à juste titre effectué aucune distinction entre les participations respectives des deux entreprises à l'échange d'informations retenu à leur encontre, a exactement apprécié la situation individuelle de l'entreprise requérante ;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par la société Suburbaine de Canalisations et de Grands Travaux ; Laisse les dépens à sa charge.