Cass. com., 25 mars 2003, n° 01-01.482
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
DNL distribution (SA), DNL (SA), DNL Rhône-Alpes (Sté)
Défendeur :
Hachette livre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Peignot, Garreau, SCP Coutard, Mayer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2000), que la société DNL distribution assure la distribution de livres et notamment ceux édités par la société Hachette livre (société Hachette) auprès des supermarchés ; qu'estimant être victime de pratiques discriminatoires de la part de la société Hachette en ce qui concerne les taux de remise qui lui étaient consentis, la société DNL distribution a assigné la société Hachette aux fins qu'elle soit condamnée à cesser les pratiques dénoncées et à réparer le préjudice subi ; que les sociétés DNL et DNL Rhône-Alpes sont intervenues volontairement à l'instance au soutien des demandes formées par la société DNL distribution ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, formé par la société Hachette : - Attendu que la société Hachette fait grief à l'arrêt d'avoir "dit qu'elle avait commis des pratiques discriminatoires dont elle doit réparation aux sociétés DNL", alors, selon le moyen : 1°) que les pratiques discriminatoires n'engagent la responsabilité de leur auteur l'obligeant à réparation qu'autant qu'elles causent un préjudice ; qu'en énonçant que les pratiques discriminatoires de la société Hachette l'obligeaient à réparation envers les sociétés DNL, puis en ordonnant avant-dire droit une expertise pour "établir les préjudices", la cour d'appel qui a condamné la société Hachette à réparation pour pratiques discriminatoires sans encore savoir s'il y avait "préjudice" a violé l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) qu'il appartient au juge d'exercer son pouvoir de dire le droit sans pouvoir se référer par principe à un document extérieur, sauf à l'entériner expressément ; qu'en retenant à diverses reprises le contenu du rapport de la DGCC, sans en vérifier elle-même le contenu ni davantage dire l'adopter, la cour d'appel n'a pas exercé son devoir de juris-dictio en violation de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt énonce que le désavantage économique au détriment des sociétés DNL est caractérisé, dès lors, d'abord, que l'avantage ou le désavantage économique dans la concurrence résulte de la simple existence de pratiques discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles liées en l'espèce au non-respect des conditions générales de vente, sans que l'opérateur ait à démontrer l'existence d'un préjudice que ces pratiques illicites lui ont causé et, ensuite, que de telles pratiques ont été établies tant par le refus aux sociétés DNL des remises résultant des conditions générales de vente et par l'octroi, hors et au-delà de ces dernières, de remises à un grossiste et à divers supermarchés; que l'arrêt constate que la demande de provision est justifiée à concurrence d'une certaine somme, dès lors que les agissements discriminatoires ont été caractérisés et que le préjudice, s'il n'a pu être exactement déterminé, est fondé en son principe ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations la cour d'appel n'encourt pas le grief de la première branche du moyen;
Et attendu, d'autre part, qu'en se fondant notamment sur un rapport établi par la Direction générale de la concurrence et de la consommation versé aux débats pour estimer que certaines des pratiques alléguées étaient établies, la cour d'appel, qui n'a fait qu'exercer son pouvoir souverain d'appréciation des éléments offerts en preuve, n'encourt pas le grief de la seconde branche du moyen ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le pourvoi formé par les sociétés DNL. DNL distribution et DNL Rhône-Alpes : - Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que les sociétés DNL, DNL distribution et DNL Rhône-Alpes font grief à l'arrêt, après avoir dit que la société Hachette avait commis des pratiques discriminatoires, d'avoir, tranchant une partie du principal, déterminé les caractéristiques et la nature du préjudice subi par les sociétés DNL en excluant qu'il soit tenu compte des conditions consenties aux grossistes les plus favorisés par la société Hachette, alors, selon le moyen : 1°) que selon l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, crée un avantage ou un désavantage dans la concurrence à l'égard d'un partenaire, celui qui pratique à l'égard de celui-ci des prix, conditions ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles ; que pour apprécier les conséquences d'une pratique discriminatoire, les juges du fond doivent examiner l'étendue du montant du préjudice en se référant expressément aux avantages consentis aux partenaires commerciaux les plus favorisés, si bien qu'en se déterminant en fonction d'un tarif théorique pour établir les conditions de vente qu'aurait dû appliquer Hachette au grossiste DNL sans se référer de manière concrète aux avantages effectivement consentis aux plus favorisés des autres grossistes, la cour d'appel a violé les dispositions du texte précité ; 2°) que selon l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, crée un avantage dans la concurrence à l'égard d'un partenaire, celui qui pratique à l'égard de celui-ci des prix, conditions ou des modalités de ventes ou d'achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles ; que pour apprécier les conséquences d'une pratique discriminatoire, les juges du fond doivent examiner l'étendue du montant du préjudice en se référant expressément aux meilleures conditions de vente consenties par l'auteur des pratiques discriminatoires à tous les partenaires commerciaux ayant été favorisés à l'achat, peu important qu'ils soient ou non en situation de concurrence directe auprès de la même clientèle lors de la revente, si bien qu'en se déterminant exclusivement en fonction des grossistes qu'elle a estimés, d'ailleurs à tort, être en situation de concurrence avec les sociétés DNL lors de la revente, la cour d'appel a rajouté au texte une condition que celui-ci ne prévoit pas et a encore violé le texte susvisé ;
Mais attendu, d'une part, qu'en énonçant que pour établir les préjudices subis par les sociétés DNL, l'expert devra prendre en considération un certain nombre d'éléments qu'elle énumère et précise, la cour d'appel n'a fait que mettre en œuvre son pouvoir souverain d'appréciation de l'étendue des préjudices et du montant des dommages-intérêts dus aux sociétés DNL au titre des pratiques discriminatoires qu'elle a retenues ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a à bon droit examiné, pour déterminer la réalité des pratiques tarifaires discriminatoires alléguées par les sociétés DLN, la situation des opérateurs qui se trouvaient en concurrence avec ces sociétés; qu'il s'en déduit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le second moyen : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir jugé que la société Hachette avait commis seulement des pratiques discriminatoires et d'avoir rejeté la demande formée par les sociétés DNL, DNL distribution, DNL Rhône-Alpes tendant à la voir condamner au titre de pratiques d'abus de dépendance économique, alors, selon le moyen, que le juge doit statuer conformément au droit applicable, en recherchant toutes les incriminations des faits reprochés, l'une pouvant être une circonstance aggravante et autonome et disposer de propres critères de calcul du préjudice ; qu'ainsi en présence d'agissements revêtant à la fois la qualification de pratiques discriminatoires et d'exploitation abusive de l'état de dépendance économique d'une entreprise qui ne dispose pas de solution équivalente, les juges doivent statuer sur ces deux incriminations et sur l'étendue du préjudice y afférent, peu important le fait que les actes reprochés aient entraîné en soi, le même préjudice si bien qu'en refusant de rechercher, comme elle y était expressément invitée, si la société Hachette n'avait pas commis de faits constitutifs d'exploitation abusive de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvaient les sociétés DNL, la cour d'appel a méconnu l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ainsi que l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les sociétés DNL n'avaient invoqué aucun dommage spécifiquement lié à l'abus de dépendance économique qui soit distinct de celui pris en compte comme résultant des pratiques discriminatoires, la cour d'appel en a justement déduit que l'argumentation relative à l'existence d'un éventuel abus de dépendance économique était inopérante ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.