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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 25 octobre 2002, n° 2001/22277

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Clunet Coste, Bon

Défendeur :

Le Prestre, Hotel Privilège II (SNC), Hotel Privilège I (SNC), Bassino

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

MM. Monin-Hersant, Pimoulle

Avoués :

Me Blin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Bouabsa, Chartier.

T. com. Paris, 2e ch., du 30 oct. 2001, …

30 octobre 2001

Vu le jugement rendu le 30 octobre 2001 par le Tribunal de commerce de Paris qui a déclaré régulière la tenue des assemblées générales de la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège lI " le 5 octobre 1999, débouté la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II " de leur demandes d'injonctions formées contre Patrick Le Prestre de ne pas assister aux assemblées générales de ces sociétés, et de leur demande en paiement de dommages et intérêts, condamné in solidum Henri Bon et Bruno Clunet Coste à payer à Bernard Bassino une somme de 1 franc à titre de dommages et intérêts, rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par Bernard Bassino, Nathalie Bassino, Pierre Flambeaux et Louis Carret, et condamné Henri Bon et Bruno Clunet Coste à payer à la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II " la somme de 10 000 F, à Bernard Bassino la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l'appel principal interjeté par Henri Bon et Bruno Clunet Coste de ce jugement, les appels incidents ;

Vu les dernières conclusions déposées par Henri Bon et Bruno Clunet Coste le 23 septembre 2002, aux termes desquelles ils réclament l'infirmation du jugement en ce qu'il les déclare responsables de dénigrement, le déboute des demandes de la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II " de toutes leurs demandes, et leur condamnation solidaire à payer à chacun d'eux la somme de 3 048,98 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions déposées par la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II ", Bernard Bassino, Nathalie Bassino , Pierre Flambeaux et Louis Carret par lesquelles ils demandent que les gérants des sociétés soient reconnus fondés à refuser des pouvoirs consentis par ou à des non associés, qu'il soit fait défense a Patrick Le Prestre de chercher a s'introduire dans les assemblées générales de ces sociétés, de le condamner au paiement d'un euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par son intrusion dans l'assemblée générale du 5 octobre 1999, que Henri Bon et Bruno Clunet Coste soient condamnés a payer à Bernard Bassino et à Nathalie Bassino la somme de 15 246 22 euros à titre de dommages et intérêts et à Pierre Flambeaux et Louis Carret la somme de 7 623,11 euros à titre de dommages et intérêts qu'ils déclarent reverser dans les caisses de l'hôtel Privilège, et les voir condamner solidairement à leur payer la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur la forme :

Les conclusions tendant au rejet des débats des dernières écritures des intimes et des dernières pièces communiquées par eux ont été retirées à l'audience.

La Cour se trouve en conséquence saisie de l'ensemble des écritures (les parties, et à même de consulter les pièces communiquées jusqu'à la clôture de l'instruction.

Sur les demandes relatives à la régularité des assemblées générales :

L'article 16 des statuts des sociétés en cause stipule que " tout associé peut se faire représenter par un autre associé muni de son pouvoir ".

Le fait que ces dispositions aient été appliquées lors de l'assemblée générale du 5 octobre 1999 ne fait pas l'objet de contestation particulière sur les droits de la gérance à les mettre en œuvre. Les écritures de Henri Bon et de Bruno Clunet Coste ne comportent aucune demande précise à cet égard, par rapport à la décision prise par les premiers juges ; les conclusions tendent au rejet global des demandes originaires, mais sans aucun moyen spécifique pour soutenir une contestation élevée contre la teneur ou l'application de l'article 16 des statuts sociaux.

Il n'existe par conséquent aucun motif de réformation sur ce point de la décision entreprise, qui ne fait pas l'objet de remise en cause effective.

Sur les demandes de dommages et intérêts formées en réparation du fait de Patrick Le Prestre :

Il est constant que le 5 octobre 1999, Patrick Le Prestre, qui n'est pas associé de la SNC " Privilège I " ni de la SNC " Privilège II ", s'est présenté pour y participer muni de pouvoirs à lui remis par plusieurs associés.

Il résulte des écritures des parties en ce qu'elles sont concordantes et des pièces que la présence de Patrick Le Prestre n'a pas été admise au sein de l'assemblée générale, cette décision constituant le résultat d'un vote majoritaire des associés.

En conséquence, Patrick Le Prestre a demandé à être admis au sein de l'assemblée générale et ne l'a pas été. Un tel fait ne peut être considéré comme fautif en soi, et encore moins comme dommageable, puisqu'il n'est pas allégué que l'intéressé se soit maintenu contre le droit des associés dans l'enceinte de ses travaux.

La demande de dommages et intérêts a ainsi été rejetée à juste titre par les premiers juges.

Sur la demande de dommages et intérêts formée contre Henri Bon et Bruno Clunet Coste au titre du dénigrement :

Les pièces du dossier établissent que :

La SNC " Privilège 1 " et la SNC " Privilège II " sont entrées en crise au moins depuis 1997 des tensions opposent des groupes de porteurs de parts notamment ceux rassemblés autour des anciens gérants et ceux rassemblés autour de Bernard Bassino gérant à l'époque des faits et de sa soeur Nathalie Bassino elles s'inscrivent dans un contexte de pertes constantes depuis le début de l'exploitation de l'hôtel par la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II " elles se traduisent par une multiplicité de procédures judiciaires avant abouti pour certaines à la désignation d'un administrateur judiciaire.

Le 20 septembre 1999, Henri Bon a adressé aux porteurs de parts des deux sociétés une circulaire dénonçant :

- " les nombreuses irrégularités juridiques accompagnées de calomnies incessantes " en dépit desquelles "le frère et la soeur décident de notre avenir, de notre bien hôtelier, de nos pertes présentes et futures ;

- " le coup d'Etat de l'assemblée concernant la SNC " Privilège II " provoqué par le docteur Carret en date du 29 juillet 1997 à Marseille à l'issue duquel Bernard Bassino, Nathalie Bassino et Louis Carret ont été élus cogérants alors que les deux premiers ne sont pas porteurs de parts et que le troisième n'en détient que 5 ;

- un " coup d'Etat " au sein de la société en participation regroupant les deux sociétés et une troisième pour l'exploitation du même immeuble, à l'issue duquel, en substance, Bernard Bassino aurait été désigné comme gérant de cette société en participation.

La suite du texte met en cause des faits imputés à Bernard Bassino et qualifiées de manipulation, de pression, d'abus de pouvoir, de présentation d'un rapport calomnieux et mensonger il invite à s'opposer à Bernard Bassino et à sa soeur dans les instances sociales.

Le 4 décembre 1999, Bruno Clunet Coste adressait aux porteurs de parts de la SNC " Privilège I " et de la SNC " Privilège II " une circulaire dans le but de rassembler des votes d'opposition aux projets de Bernard Bassino. Cette circulaire énonce le fait que Bernard Bassino a été " plébiscité par lui même et son entourage " comme cogérant des sociétés ; qu'il pratique une " totale rétention de l'information " ; que Bernard Bassino a intérêt à pérenniser un système, déficitaire en permanence pour les associés, mais qui lui assure une rémunération de gérant que " les sociétés prennent un caractère désagréable et sectaire " ; que le gérant " monte les uns contre les autres " au sein de la société.

L'un des associés, Olivier Deverchère, déclare dans une lettre du 22 novembre 1999 avoir reçu de nombreux coups de téléphones de la part de Henri Bon " le mettant en garde contre la dérive constatée par tous de l'investissement dans l'hôtel Privilège ".

Des divergences entre associés sur la conduite à tenir face à des problèmes rencontrés par la société justifient des prises de positions nettes dans l'émission, par chacun des associés, des avis qu'il entend soutenir dans les instances sociales, et une critique de l'action passée des tiers dirigeants, ainsi que de leurs projets.

Mais ces critiques deviennent fautives, et ouvrent droit à réparation lorsqu'elles ont un caractère faux ou insultant, lorsqu'elles sont de nature à disqualifier la personne visée pour occuper des fonctions sociales sans reposer sur une critique technique de son action.

En l'espèce la lettre circulaire du 20 septembre 1999 dont Henri Bon est l'auteur comporte des imputations visant Bernard Bassino qui dépassent nettement ce qui est admissible dans la polémique la plus vive au sein d'une société. Les termes de " Coup d'Etat " et " Abus de pouvoir " mettent en cause clairement le caractère licite des agissements de la personne visée. Or les événements qu'ils désignent (deux assemblées générales et la résiliation d'un contrat d'exploitation) peuvent donner lieu à un examen judiciaire, notamment de la part des tiers à la société pour ce qui concerne la rupture contractuelle il n'est nullement justifié ni que ces faits juridiques aient été soumis aux tribunaux, ni encore qu'ils seraient illicites. Les accusations de manipulation de mensonge et de pressions ne peuvent être portées sans des justifications.

Henri Bon ne peut à bon droit affirmer que Bernard Bassino et sa soeur disposent de leurs investissements au sein de la société et décide des pertes à leur faire subir, alors que les assemblées générales se sont réunies et ont joué leur rôle.

Il ne suffit pas d'affirmer que Bernard Bassino ait mis en cause la gestion des anciens gérants pour en déduire qu'il ait usé de calomnie, alors que rien ne vient démontrer la fausseté des reproches formulés à l'époque.

Il est possible que la désignation de Bernard Bassino comme gérant soit juridiquement critiquable. II demeure que rien ne démontre que ces irrégularités, si elles existent, ne sont pas nécessairement imputables à Bernard Bassino ; la ratification de sa désignation par une assemblée générale ultérieure a en tous cas permis aux associés d'être informés.

Les justifications avancées par Henri Bon, suivant lesquelles Bernard Bassino se serait introduit sans droit dans la société, ne sont pas exactes, puisque l'intéressé indique ne pas être personnellement porteur de parts, mais être gérant d'une société qui l'est.

Les termes choisis pour présenter ces accusations sont donc excessifs, ils visent à présenter de Bernard Bassino une image négative à partir de faits qui ne sont pas nécessairement faux en eux-mêmes, mais dont l'imputabilité ou le caractère anormal sont sérieusement contestables. Le but de cette lettre est ouvertement d'atteindre la crédibilité de Bernard Bassino en employant des termes évoquant la tromperie, la violation des droits, la pratique du fait accompli. En cela la lettre litigieuse constitue effectivement un dénigrement de Bernard Bassino.

En ce qui concerne les griefs articulés contre Bruno Clunet Coste, la lecture de sa circulaire du 4 décembre 1999 fait apparaître qu'il use de termes dont la connotation est très négative en ce qu'elle évoque la tyrannie (plébiscité par lui même et son entourage), la fausseté (rétention d'information communication de renseignements erronés usage de moyens détournés) et la tromperie des associés pour son seul profit (son intérêt à maintenir une situation déficitaire). Ces accusations sont imprécises ou portent sur des faits dont le caractère répréhensible dépend de l'intention de celui qui les commet. Ces caractères rendent délicate la position de qui a à s'en défendre mais surtout elles n'ont pas un lien direct avec les décisions que les associés doivent prendre au sein des assemblées générales et visent ainsi la personne de qui remplit des fonctions de responsabilité dans la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège Il ". Elles constituent donc bien un dénigrement excédant les droits des associés résolus à modifier les orientations de la société.

Louis Carret ne peut faire valoir un préjudice qui lui aurait été causé par l'une ou l'autre de ces lettres ; il n'est en effet évoqué que comme un petit porteur de part se trouvant par l'effet d'une anomalie à l'origine d'une décision importante des sociétés. Il n'apparaît donc pas avoir été atteint personnellement par les dénigrements de Henri Bon ou de Bruno Clunet Coste.

Il en va de même de Nathalie Bassino ; certes, elle est visée dans les deux lettres comme étant le soutien de son frère Bernard Bassino mais ce fait n'est pas niable, puisqu'elle a elle même présenté Bernard Bassino par écrit aux autres associés par ailleurs, il n'est pas reprochable, pour un associé d'apporter son soutien à un organe de la société. Il n'est pas affirmé que ce soutien a été donné dans des conditions anormales.

Henri Bon lui impute en outre d'avoir permis la révocation des précédents gérants alors qu'elle n'était porteuse d'aucune part. Le fait est inexact mais cette affirmation fausse n'a pu causer aucun préjudice à Nathalie Bassino qui ne décrit d'ailleurs pas sa nature et son étendue.

Aucun élément n'est donné sur ce qui pourrait constituer un dénigrement de Pierre Flambeaux.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il rejette les demandes de Nathalie Bassino, Louis Carret et de Pierre Flambeaux.

Sur l'indemnisation :

En premier lieu, Bernard Bassino ne justifie pas de ce que les dénigrements dont Fleuri Bon et Bruno Clunet Coste sont les auteurs ait entraîné pour lui des dépenses particulières. Il apparaît bien qu'il ait apporté des réponses aux circulaires litigieuses, mais elles sont formulées sur le papier à en tête de la SNC " Privilège I " et la SNC " Privilège II ", de sorte qu'il est à penser que c'est la société qui a répondu et non Bernard Bassino personnellement. Au reste, le contenu de ces circulaires en ce qu'il était admissible et relevait de l'argumentation polémique normale, nécessitait une réponse à laquelle Bernard Bassino ne pouvait en toute hypothèse se dérober. Il n'y a donc pas eu de préjudice matériel particulier.

En second lieu, il convient de relever que le préjudice moral de Bernard Bassino existe incontestablement ; mais qu'il est à replacer dans un contexte (le tension, et particulièrement d'échec des moyens de redressement mis en place par Bernard Bassino. Par conséquent, le climat polémique qui s'est installé durablement entre les associés et qui se manifeste encore vivement en dehors de cette procédure relativise beaucoup l'ampleur de ce préjudice moral, compte tenu du fait que les actions en attaque et en défense se succèdent.

En troisième lieu, il n'apparaît pas que le démarchage téléphonique opéré par Henri Bon ait eu une ampleur ou une efficacité dommageable particulières, puisque, même si l'on néglige le fait qu'une seule personne a déclaré avoir été démarchée, sur environ 150 associés, seuls 5 ont changé ouvertement de camp, et la majorité a continué à apporter son soutien à Bernard Bassino. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le préjudice de Bernard Bassino était essentiellement symbolique, et qu'il pouvait être réparé par le paiement d'une unité monétaire.

Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de mettre à la charge de Henri Bon et Bruno Clunet Coste une partie, limitée à 3 000 euros, des frais irrépétibles du procès supportés globalement par SNC " Privilège I ", la SNC " Privilège II ", et Bernard Bassino et ceci par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Henri Bon et Bruno Clunet Coste seront encore condamnés aux dépens puisqu'ils succombent dans l'instance.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement dont appel ; Condamne Henri Bon et Bruno Clunet Coste à payer à Bernard Bassino, la SNC " Privilège I " et la SNC Privilège II " la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Henri Bon et Bruno Clunet Coste aux dépens, avec application, au profit avoués de la cause, de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.