Livv
Décisions

CA Amiens, 5e ch. soc., 3 avril 2001, n° 01-00592

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Paillard (SA), Paillard Automobiles Abbeville (SA)

Défendeur :

Nester, Da Silva, Malaurie, Valette, Gaillard, Grands Garages de l'Avenir (SA) ".

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sant

Conseillers :

Mmes Robitaille, Zauberman

Avoués :

SCP Selosse Bouvet, André, Me Caussain

Avocats :

Mes Bertin, Loubeyre, Six, Duponchelle.

Cons. prud'h. Abbeville, du 23 janv. 200…

23 janvier 2001

La société Les Grands Garages de l'Avenir, ci-après désignée société Les GGA, était concessionnaire exclusif de la marque automobile Peugeot sur le territoire dit d'Abbeville depuis 1967.

A l'instigation de la société Automobiles Peugeot, M. Malaurie, alors dirigeant de la société Les GGA, a engagé des pourparlers avec M. Paillard, concessionnaire Peugeot à Berck, désigné par la société Peugeot pour reprendre la représentation exclusive de la marque sur le territoire d'Abbeville.

Les négociations n'ayant pas abouties, M. Malaurie a cédé, à effet du 2 novembre, la société Les GGA à la Sofida, autre concessionnaire Peugeot, appartenant au groupe Dubois.

Estimant que cette cession constituait un manquement aux dispositions du contrat de concession, la société Peugeot a notifié le 17 novembre 1999 à la société Les GGA la résiliation de son contrat de concession à effet immédiat, puis, par lettre du 10 décembre, a confirmé à la société Paillard SA automobiles, ci-après nommée société Paillard Berck, l'extension de son territoire à celui d'Abbeville sous conditions d'une acquisition d'un terrain et la construction d'un garage selon les normes ou l'acquisition d'un local existant et l'agrément préalable par Peugeot de son projet dans son ensemble (société, structure financière, moyens d'exploitation etc...), avec effet à compter du 6 décembre 1999.

Des pourparlers sur la cession ou location par la société Les GGA ou Sofida des locaux dans lesquelles la société Les GGA exerçait son activité de concessionnaire ont échoué.

Saisie par certains salariés, le 5 janvier 2000, d'une demande dirigée contre la société Paillard Berck et la société Automobiles Peugeot, la formation de référé du Conseil de prud'hommes d'Abbeville, par ordonnances du 29 février 2000, a décidé que les contrats de travail ne pouvaient être transférés à la société Paillard ni à la SA Peugeot.

Le 15 septembre 2000, M. Galiani et trente deux autres salariés, employés par la société Les GGA, ont fait appeler, au fond, devant le Conseil de prud'hommes d'Abbeville, cette société, la société Paillard Berck et la société Paillard Automobiles Abbeville, ci-après désignée Paillard Abbeville, pour voir juger que leur contrat de travail a été transféré depuis le 6 décembre 1996 au profit de la société Paillard Berck puis de la société Paillard Abbeville, aux motifs que, depuis le 6 décembre 1999, l'entité économique que constitue la concession Peugeot d'Abbeville a été transférée à la société Paillard Berck et qu'à compter du mois d'avril 2000, cette société a transféré de nouveau l'entité économique Peugeot à la société Paillard Abbeville qui, ayant les mêmes administrateurs, a été créée pour l'occasion.

Par jugement rendu le 23 janvier 2001, le Conseil de prud'hommes a :

- jugé que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail s'appliquent à compter du 6 décembre 1999 et que l'ensemble des contrats de travail doivent être transférés de la société Les GGA à la société Paillard Abbeville,

- condamné la société Paillard Abbeville à régler à l'ensemble des salariés les salaires dus depuis le 6 décembre 1999 ainsi qu'à régulariser les bulletins de paie correspondants,

- dit que dès réception des salaires l'ensemble des salariés rembourseront à la société Les GGA les avances que celle-ci leur a versées depuis le 6 décembre 1999,

- condamné la société Paillard Abbeville à payer à chacun des salariés 1 000 F à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- débouté les salariés du surplus de leur demande et les sociétés défenderesses de leur demande fondée sur le même texte.

Le 26 janvier 2001, les sociétés Paillard Berck et Paillard Abbeville ont régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du Conseil de prud'hommes.

Les salariés, autorisés par ordonnance du 12 février 2001, ont fait assigner les sociétés Paillard Berck, Paillard Abbeville et Les Grands Garages De l'Avenir, à l'audience de la chambre sociale de la cour du 27 février 2001.

Les sociétés Paillard Berck et Paillard Abbeville, aux termes de conclusions déposées le 23 février 2001 soutenues à l'audience, demandent à la cour de :

- prononcer la nullité du jugement pour défaut de réponse à conclusions et défaut de motivation, et évoquer la cause,

- infirmer le jugement,

- constater que le Groupe Dubois a procédé au rachat de la concession Peugeot-GGA sans s'assurer au préalable de l'agrément du constructeur Peugeot,

- constater que la société Les GGA, postérieurement à la ré-attribution de la concession aux sociétés Paillard a maintenu l'essentiel de son activité tant dans le domaine des véhicules d'occasions que dans celui des véhicules neufs en contournant pour ce dernier les règles de l'exclusivité territoriale,

- dire et juger que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail n'ont pas vocation à recevoir application au cas d'espèce en l'absence de tout transfert caractérisé d'une entité économique autonome conservant son identité,

- dire et juger que la société les GGA conserve la qualité d'employeur de chacune des parties intimées,

- infirmer le jugement en ce qu'il a mis à leur charge les frais non compris dans les dépens exposés en première instance,

- condamner la société les GGA aux dépens et à leur payer, à chacune, 30 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les salariés demandent à la cour de :

- à titre principal,

* juger que, par application de l'article L. 122-12 du Code du travail, leurs contrats de travail ont été transférés depuis le 6 décembre 1999 au profit de la société Paillard Berck puis de la société Paillard Abbeville,

* condamner solidairement ces deux sociétés à leur régler les salaires dûs depuis le 6 décembre 1996 et régulariser les bulletins de salaire,

* leur donner acte que dès réception de ces sommes, ils rembourseront à la société Les GGA les avances perçues depuis le 6 décembre 1999,

- subsidiairement,

* juger qu'à défaut d'accord de la société Paillard Berck et de la société Paillard Abbeville pour reprendre les contrats de travail, ceux-ci seront considérés comme rompus sans cause réelle et sérieuse,

* condamner, en conséquence, solidairement la société Paillard Berck et la société Paillard Abbeville à leur remettre, sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une lettre de licenciement, une attestation destinée à 1'ASSEDIC mentionnant le licenciement, un solde de tout compte et un certificat de travail,

* condamner, avec exécution provisoire, la société Paillard et la société Paillard Abbeville à verser à chacun une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents, les indemnités de congés payés, une indemnité de licenciement et 12 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, absence de cause réelle et sérieuse et rupture vexatoire de leur contrat de travail,

- très subsidiairement,

* condamner la société les GGA à poursuivre les contrats de travail si la cour estimait que l'article L. 122-12 n'est pas applicable,

* condamner en conséquence, solidairement les sociétés Paillard Berck et Paillard Abbeville aux dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de Me Caussain, avoué aux offres de droit et, à leur verser, à chacun, 6 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Les GGA, par conclusions déposées le 27 février 2001 soutenues à l'audience, demande à la cour, après infirmation partielle du jugement en ce qu'il s'est limité à condamner la société Paillard Abbeville de :

- condamner, à titre principal, la société Paillard Berck, et subsidiairement, solidairement cette société et la société Paillard Abbeville à établir les bulletins de paie de chaque salarié à compter du 6 décembre 1999 et à verser les salaires dus à compter de cette date jusqu'au 29 janvier 2001,

- confirmer, dans l'un et l'autre cas, le jugement pour le surplus de ces dispositions, notamment en ce qu'il a condamné les salariés à lui restituer les avances de salaire perçues depuis le 6 décembre 1999 jusqu'au 29 janvier 2001 tout en prenant acte qu'elle s'engage à attendre que chaque salarié ait perçu les salaires dus sur cette période par la société Paillard Abbeville,

- très subsidiairement, juger que la société Paillard Berck est devenue l'employeur des salariés du 6 décembre 1999 au 13 avril 2000, soit jusqu'à la veille de la création de la société Paillard Abbeville et qu'à compter du 14 avril 2000, cette dernière société, succédant à la société Paillard Berck, est devenue de plein droit l'employeur des salariés,

- en conséquence,

* condamner la société Paillard Abbeville à établir les bulletins de paie à compter du 6 décembre 1999 jusqu'au 13 avril 2000 et à payer les salaires dus à chacun des salariés sur cette période,

* condamner la société Paillard Abbeville à établir les bulletins de paie pour chaque salarié à compter du 14 avril 2000 jusqu'au 29 janvier 2001 et à verser à chaque salarié les rémunérations dues au titre de cette période,

* confirmer le jugement pour le surplus de ces dispositions, notamment en ce qu'il a condamné les salariés à lui restituer les avances de salaire perçues depuis le 6 décembre 1999 jusqu'au 29 janvier 2001 tout en prenant acte qu'elle s'engage à attendre que chaque salarié ait perçu les salaires dus sur cette période par la société Paillard Abbeville,

- en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés Paillard Berck et Paillard Abbeville aux entiers dépens et à lui payer 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

-Sur la nullité du jugement :

-Attendu qu'aux termes de l'article 561 du nouveau Code de procédure civile, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statuer en fait et en droit ;

Que les moyens des appelantes tirés d'un défaut de réponse à conclusions et d'un défaut de motivation sont donc inopérants ;

Sur le transfert des contrats de travail :

-Attendu que l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail, tel qu'interprété au regard de la directive n° 77-187-CEE du 14 janvier 1977 modifiée par la directive n° 98-50-CE du 29 juin 1998, est applicable en cas de transfert d'une entité économique maintenant son identité entendue comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ;

Que, pour déterminer si les conditions d'un transfert d'une identité son remplies, il y a lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit, le transfert ou non d'éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens immobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l'essentiel des effectifs par le nouveau chef d'entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée éventuelle de ces activités ; que ces éléments ne constituent que des aspects partiels de l'évaluation d'ensemble qui s'impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément ;

Que, lorsqu'elle peut fonctionner sans éléments d'actifs, corporels ou incorporels, significatifs, le maintien de l'identité de l'entité économique par-delà l'opération dont elle fait l'objet ne saurait par hypothèse dépendre de la cession de tels éléments ;

Attendu que la concession exclusive de la marque Peugeot sur le territoire d'Abbeville comporte les éléments suivants :

- activité de vente de véhicules neufs, et service après-vente en qualité de concessionnaire Peugeot, avec un monopole du traitement des garanties,

- activité de revente des pièces de rechanges et accessoires de marque Peugeot achetées au constructeur,

- activité de vente de véhicules d'occasion dans le cadre du réseau " Occasion du Lion " constitué par la société Peugeot,

- droit d'usage de la marque et de promotion, de la signalisation, des logos Peugeot et de la qualité de concessionnaire officiel,

- droit de nomination d'agents de la marque sur le territoire,

- droit d'exploitation du fichier clients géré et actualisé par le service marketing de la société Peugeot ;

Qu'elle oblige aussi le concessionnaire à disposer notamment d'un magasin de pièces détachées, d'un atelier de réparation répondant aux normes (superficie - aménagement ...) prescrites par le constructeur, d'un emplacement suffisant de stockage des véhicules neufs et, en permanence, d'un stock de véhicules neufs et de véhicules de démonstration et dont la composition doit être représentative de toute la gamme du constructeur et d'un stock de pièces de rechanges proportionné aux besoins de la clientèle et composé selon les recommandations du constructeur ;

Attendu que, par lettre du 13 décembre 1999, la société Peugeot a informé les anciens agents de la société GGA de l'affectation de la société Paillard Berck et que cette dernière prendrait contact avec eux ; que neuf sur onze des anciens agents de la société GGA sont devenus agents de la société Paillard Berck.

Que des mailing ont été adressés entre février et mai 2000 par l'intermédiaire du service de données statistiques de Peugeot au nom de la société Paillard Berck à des clients sur le territoire dévolu antérieurement à la société Les GGA ;

Que des sociétés d'assurances (Maif, Macif, Matmut, Inter Mutuelles Assistance) ont résilié les conventions d'agrément et de partenariat les liant à la société Les GGA en qualité de concessionnaire Peugeot ;

Que sur 52 employés de la société GGA 11 ont démissionné et ont été embauchés par la société Paillard Berck ; que la société GGA a fourni aux autres salariés un travail jusqu'au 23 janvier 2001 ;

Qu'il ressort du constat de Me Leschaeve, huissier de justice, en date du 22 mai 2000, que la société Paillard Abbeville, qui a manifestement été créée pour exploiter la concession attribuée à la société Paillard Berck sur le territoire d'Abbeville, dans l'attente de l'acquisition et de la construction d'une concession répondant aux exigences du constructeur, a installé ses bureaux 39 route d'Amiens dans un domicile privé et un atelier mécanique dans un hangar 115 chemin des postes, certes avec à l'entrée trois véhicules neufs en exposition, deux enseignes du Lion, un bandeau Peugeot et deux drapeaux Peugeot ;

Attendu cependant que, la société Les GGA ayant conservé la jouissance de ses locaux, il n'y a eu ni cession ni location de locaux à la société Paillard ni cession d'aucun stock de véhicules et de pièces de rechanges devenus la propriété du concessionnaire après paiement du prix au constructeur et il n'apparaît pas qu'elle ait revendu son stock à la société Automobiles Peugeot ainsi que la faculté lui en était offerte par le contrat de concession;

Que la société Les GGA a poursuivi, sous une enseigne VO Plus du groupe Sofida-Dubois auquel elle appartient, dans les mêmes locaux, une activité de vente et de réparation;

Qu'exerçant antérieurement la vente de véhicules de reprise, elle a étendu cette activité de vente de véhicules d'occasion à toutes marques y compris ceux de marque Peugeot;

Que, comme auparavant, elle exerce une activité de réparation des véhicules et de contrôle technique;

Que, s'agissant des véhicules neufs, ne contestant pas qu'en 2000 sur 487 véhicules neufs de marque Peugeot vendus sur le territoire d'Abbeville, 185 ont été vendus par les autres concessionnaires du groupe Sofida-Dubois installés dans la région environnante, la société Paillard n'en ayant vendu que 95, la société Les GGA invoque le libre choix de la clientèle ; qu'il n'en résulte pas moins que près des 2/3 de la clientèle attachée à la concession Peugeot sur le territoire d'Abbeville s'est orientée ou a été dirigée vers les concessionnaires du groupe, un bon de commande du 2 mai 2000 versé aux débats établissant en outre la vente d'un véhicule neuf Peugeot par la société les CGA ;

Qu'il apparaît ainsi que le retrait de la concession Peugeot à la société GGA sur le territoire d'Abbeville après la cession de cette société à Sofida et l'attribution à la société Paillard Berck d'une concession sur le même territoire se sont traduits par une réorganisation par la Sofida de son réseau conservant l'essentiel de la clientèle attachée à la concession sur le territoire d'Abbeville;

Attendu qu'il ne résulte pas des pièces versées aux débats, et la société CGA ne l'invoque pas, que cette dernière ait embauché un nouveau personnel pour l'exercice de son activité VO Plus;

Attendu que, dans ces conditions, en l'absence de transfert d'éléments corporels et la société Les GGA, qui ne s'est pas bornée à verser des avances aux 33 salariés intéressés par la présente procédure, mais leur a fourni en contrepartie des versements effectués un travail ainsi qu'elle l'a reconnu, de même que les salariés à l'audience, continuant ainsi à employer son personnel dans le cadre d'une exploitation conservant une partie non négligeable des activités exercées antérieurement à l'opération, il n'y a pas eu transfert d'une entité économique entraînant un transfert des contrats de travail des salariés;

Attendu en conséquence que la société Les GGA demeure l'employeur des salariés;

Attendu que la société Les GGA succombant en ses prétentions sera condamnée aux dépens et à payer à chacune des sociétés Paillard Berck et Paillard Abbeville 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : -Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Dit que l'article L. 122-12 du Code du travail n'est pas applicable, Dit que la société Les Grands Garages de l'Avenir est l'employeur des salariés, La déboute de ses demandes, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, La condamne à verser sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile 15 000 F à la société Paillard SA Automobiles et la même somme à la société Paillard SA Automobiles Abbeville.