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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 18 septembre 1998, n° 97-01293

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Locam (SA)

Défendeur :

Cornillon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Martin, M. Ruellan

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, SCP Brondel-Trudela

Avocats :

Mes Trombetta, Pignarre.

T. com. Saint-Etienne, du 17 déc. 1996

17 décembre 1996

Faits, procédure et prétentions des parties

Le 20 janvier 1993, Monsieur Robert Cornillon a conclu avec la société Tep France un contrat d'abonnement de télésurveillance d'une durée de 48 mois, pour la protection de son commerce de superette aux Ménuires. Ce contrat prévoyait la fourniture du matériel de télédétection nécessaire, obligeait l'installateur à assurer l'exploitation des alarmes et l'entretien des matériels et mettait à la charge du client, outre 400 F de frais d'adhésion, une redevance de 570 F HT par mois. Ce matériel a été installé par la société Tep le 25 janvier suivant.

Le jour même de la conclusion de ce contrat, un contrat de location, portant sur ce même matériel de télédétection a été passé avec la société anonyme Locam, pour une durée de 48 mois et moyennant un loyer de 570 F HT, à compter du 10 mars 1993. Ce contrat stipulait notamment qu'il était indépendant de tout contrat de prestation pouvant être conclu pour permettre d'utiliser ou de faciliter l'utilisation du bien loué, et qu'en cas de suspension, résolution ou résiliation du contrat de prestation, le locataire reconnaissait qu'il pourrait toujours utiliser le matériel loué, et contracter s'il le souhaite, avec un autre prestataire, le contrat de location ne pouvant en aucun cas être affecté par le sort du contrat de prestation. Par ailleurs, les conditions générales de locations annexées au contrat prévoyaient que le choix du matériel incombait au locataire, sous sa seule responsabilité, qu'il renonçait en conséquence à tout recours contre le bailleur en cas de défaillance ou de vices cachés affectant le matériel loué, le bailleur lui transmettant en contrepartie la totalité des recours contre le fournisseur au titre de la garantie légale ou conventionnelle du vendeur, y compris l'action en résolution de la vente pour vices rédhibitoires, que le locataire était solidairement responsable de toutes sommes payées par le bailleur notamment au fournisseur, et qu'en cas de résolution du contrat, le locataire resterait en conséquence redevable de tous les loyers prévus jusqu'à la fin de la période irrévocable du contrat. En outre, il était stipulé que, par dérogation à l'article 1724 du Code civil, le locataire renonçait à demander au bailleur toute indemnité ou résolution du contrat même si pour une raison quelconque le matériel devenait inutilisable. Enfin, un article 4 bis, intitulé prestation maintenance entretien prévoyait que, d'un commun accord entre le locataire, le bailleur et le fournisseur, le bailleur était chargé de l'encaissement des sommes dues au titre du contrat de prestation maintenance entretien revenant au fournisseur, le locataire étant rendu attentif à l'indépendance juridique existant entre le contrat de location et le contrat de prestation maintenance entretien, sans pouvoir suspendre le paiement des loyers sous prétexte des problèmes liés à l'exécution de ce contrat.

Par une lettre adressée le 30 avril 1993 à la société Tep, Monsieur Robert Cornillon s'est plaint du mauvais fonctionnement de l'installation fournie, l'alarme se mettant en route inopinément, en annonçant qu'il la débranchait jusqu'au mois de juillet, date d'ouverture du magasin et qu'il suspendait provisoirement les règlements. Le 28 juin suivant, la société Locam l'a mis en demeure de s'acquitter des loyers des mois de mai et juin, restés impayés, sous peine de déchéance du terme, rendant exigible la totalité du crédit. Après une nouvelle mise en demeure du 21 juillet 1993, portant sur les deux loyers impayés et sur une indemnité de 31 975,62 F, correspondant au montant des loyers non échus, majorés de 10 %, elle a fait assigner le 22 septembre 1993 ce débiteur devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne, en paiement d'une somme de 33 503,25 F en principal. Elle a été déboutée de cette demande par un jugement rendu le 17 décembre 1996, au motif qu'aucune pièce n'était communiquée, au soutien de cette action, et condamnée au paiement d'une indemnité de 1 000 F.

La société Locam a relevé appel du jugement le 27 février 1997. Dans ses conclusions d'appel, elle soutient que Monsieur Robert Cornillon était incontestablement débiteur d'une somme de 33 503,25 F, outre des intérêts et une indemnité de 5 000 F.

Monsieur Robert Cornillon, pour demande la confirmation du jugement et le paiement en outre d'une indemnité de 6 000 F, réplique, d'une part, que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation étant applicables, dès lors que le contrat n'avait pas de rapport direct avec son activité, la clause prévoyant l'indépendance des deux contrats devait être annulée, comme abusive, pour lui avoir été imposée dans le seul intérêt du bailleur ; d'autre part, que du fait de l'indivisibilité existant entre ces deux contrats, le contrat de location devait être résolu par suite de l'inexécution du contrat de maintenance, le bailleur étant ainsi tenu de lui restituer le montant des loyers versés au titre des mois de mars et avril 1993.

Motifs et décision

Attendu que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, relatives aux clauses abusives, ne sont pas applicables lorsque le contrat présente un lien direct avec l'activité professionnelle des parties ;

Que la notion de non professionnel ou consommateur utilisée par cet article doit en effet être interprétée à la lumière des dispositions de la directive européenne du 5 avril 1993, transposée en droit interne par la loi du 1er février 1995 ;

Que cette directive, dont les considérants exposent qu'elle tend à protéger les citoyens dans leur rôle de consommateur et que les règles qu'elle édicte doivent s'appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, définit le consommateur, pour l'opposer au professionnel, en fonction de la finalité de son action contractuelle ;

Qu'est ainsi un consommateur, selon l'article 2 de la directive, la personne physique qui agit à des fins n'entrant pas dans le cadre de son activité professionnelle, lorsqu'elle passe un contrat, alors que le professionnel est celui qui agit dans un tel cadre, autrement dit, pour les besoins de son activité ;

Que s'il est vrai que cette directive accorde aux Etats membres le pouvoir d'étendre le domaine de protection, il n'apparaît pas qu'en reprenant la distinction des consommateurs et des professionnels, le législateur français ait entendu, en 1995, inclure dans la première catégorie les commerçants passant des marchés pour les besoins de leur commerce, mais dans un domaine ne relevant pas de leur compétence technique ;

Attendu qu'en l'espèce, l'installation de télésurveillance à laquelle s'appliquait le contrat de location était destinée à assurer la sécurité du magasin exploité par Monsieur Robert Cornillon aux Ménuires ;

Que la location de ce matériel présentait ainsi un lien direct avec l'activité commerciale de ce locataire, puisque le dispositif d'alarme loué à la société Locam devait garantir la protection des marchandises proposées à la vente et du matériel équipant le magasin contre les risques de vol ;

Attendu, dès lors, que l'intimé n'est pas fondé à invoquer à son profit les dispositions du Code de la consommation édictées dans le seul intérêt des non professionnels ;

Qu'il ne peut donc tirer argument d'un déséquilibre existant entre les droits et obligations des parties au contrat de location, pour demander l'annulation des clauses relatives à l'indépendance des contrats de location et de maintenance-entretien ;

Attendu, toutefois, que, nonobstant les clauses prévues à cet égard dans les conditions générales, il existait objectivement une complète indivisibilité entre, d'une part, le contrat d'abonnement de télésurveillance conclu avec la société Tep, par ailleurs fournisseur du matériel, et d'autre part, le contrat de location de ce matériel, passé avec la société Locam ;

Que cette indivisibilité des prestations offertes par l'installateur et par le bailleur résultait de la nature des choses, puisque la bonne exécution du contrat de location supposait nécessairement celle du contrat de maintenance, assurée par la société de télésurveillance ;

Qu'en effet, le matériel de surveillance électronique loué par la société Locam et raccordé au centre de télésurveillance de la société Tep ne présentait d'intérêt, pour son utilisateur, que dans la mesure où la gestion des alarmes était assurée à distance par cette dernière société ;

Qu'il s'agissait là d'une condition déterminante du contrat portant sur ce matériel, sa location n'ayant de sens que si elle s'accompagnait d'un service de télésurveillance assuré par le fournisseur ;

Que d'ailleurs, le loyer convenu avec a société Locam était exactement égal dans son montant à la redevance prévue au contrat de télésurveillance, et incluait notamment le coût de la gestion des alarmes par le centre de télésurveillance exploité par la société Tep France ;

Que l'article 4 du contrat de télésurveillance, définissant son objet, accordait au client abonné, en contrepartie du paiement des mensualités prévues (devenues ensuite des loyers dans le contrat de bail), le bénéfice d'un service de télésurveillance par l'écoute des locaux dans lesquels le matériel loué était installé, la société Tep s'engageant à ce titre à informer l'abonné ou les services de police, en cas de besoin, de toute alerte signalée par l'installation, et à assurer un service gratuit d'entretien du matériel d'alarme fourni à cet effet ;

Qu'il n'existait donc, malgré les stipulations du contrat de location, aucune indépendance entre ce contrat et l'abonnement de télésurveillance, la société Locam étant au demeurant dans l'incapacité d'indiquer quelle autre solution de remplacement pouvait s'offrir au locataire, en cas de carence de la société Tep dans l'exécution de ses obligations, indispensable à l'exploitation de l'installation louée ;

Attendu qu'en conséquence, du fait de l'indivisibilité entre ces deux contrats, l'inexécution des engagements pris par la société exploitant l'installation, eut autorisé le locataire à suspendre le paiement des loyers et à demander le cas échéant la résolution du contrat de location, inséparable de l'abonnement de télésurveillance ;

Mais attendu que l'intimé ne justifie pas d'un manquement de la société Tep France, qu'il n'a pas jugé utile d'appeler à la procédure, à ses obligations contractuelles, alors que la charge de cette preuve lui incombe ;

Que la seule production aux débats d'une lettre de réclamation adressée à cette société le 30 avril 1993, pour lui annoncer l'arrêt volontaire du fonctionnement de l'installation jusqu'au mois de juillet suivant, ne peut suffire à apporter cette preuve ;

Qu'il n'est démontré, ni que la société Tep France aurait mal assuré les opérations de télésurveillance, ni qu'elle aurait manqué à son obligation de maintenance et d'entretien, portant sur l'installation fournie ;

Attendu, dès lors, que Monsieur Robert Cornillon n'es pas fondé à demander la résolution du contrat de location, en conséquence d'une prétendue inexécution du contrat de maintenance avec lequel il formait un tout indivisible ;

Attendu que le non paiement des loyers, à partir du mois d'avril 1993, a entraîné la résiliation du contrat, prévue par l'article 6 des conditions générales, avec les conséquences définies par cet article ;

Qu'ainsi, la société Locam est créancière des loyers échus, majorés de 10 %, et d'une indemnité égale au montant des loyers non échus, outre une pénalité de 10 % ;

Que cette créance s'élève à la somme de 33 503,25 F, portant intérêts à compter de l'assignation ;

Qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter, en équité, une indemnité en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que les dépens de première instance et l'indemnité s'y ajoutant resteront à la charge de l'appelante, qui n'a pas assuré à cette occasion la défense loyale de ses intérêts ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement et réformant le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Locam aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1 000 F ; Condamne Monsieur Robert Cornillon à payer à la société anonyme Locam la somme de 33 503,25 F et ses intérêts, au taux légal, à compter de la date de l'assignation ; Le condamne en outre aux dépens de la procédure d'appel, avec distraction, s'il y a lieu, au profit de Maître Junillon & Wicky, pour la part dont ces avoués auraient fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.