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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 2 novembre 1998, n° 96-4398

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vogica - VGC Distribution (SA)

Défendeur :

Canard, Union Fédérale des Consommateurs de l'Isère.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berger

Conseillers :

Mmes Manier, Kueny

Avoués :

SCP Calas, SCP Grimaud, SCP Perret & Pougnand

Avocats :

Mes Py, Saunier-Vautrin, Brasseur, SCP Brasseur.

TI Grenoble, du 5 sept. 1996

5 septembre 1996

Faits et procédure

Le 20 novembre 1993, M. Canard a commandé à la société VGC Distribution, une cuisine série Amalfi, selon bon de commande n° 0612175 moyennant le prix de 70 000 F, aucune mention n'étant apposée en ce qui concerne l'obtention d'un crédit.

Il versait lors de la commande un acompte de 21 000 F, le solde du prix devant être payé à la livraison à hauteur de 42 000 F et à la pose à hauteur de 7 000 F.

Par courrier en date du 26 novembre 1993, M. Canard demandait à la société VGC Distribution d'annuler sa commande au motif qu'il n'avait pas pu obtenir de sa banque le prêt qu'il souhaitait.

La société VGC Distribution déposait alors le chèque de 21 000 F pour encaissement et ledit chèque revenait avec la mention "opposition".

Elle informait par ailleurs M. Canard de ce que l'annulation de sa commande entraînait la perte de l'acompte de 21 000 F. M. Canard confirmait l'annulation de sa commande par une lettre du 18 décembre 1993 et la société VGC Distribution obtenait le règlement de l'acompte de 21 000 F, le juge des référés ayant ordonné mainlevée de l'opposition irrégulière.

C'est dans ces conditions que M. Gilles Canard a engagé une instance pour obtenir le remboursement de l'acompte versé.

Par jugement en date du 7 mars 1996 le Tribunal d'instance de Grenoble :

- a reçu l'Union Fédérale des Consommateurs de l'Isère (UFC 38 - Que Choisir) en son intervention ;

- a ordonné la réouverture des débats afin que la SA Vogica puisse faire valoir ses observations sur la suppression des clauses dont le caractère abusif est invoqué ;

- et a sursis à statuer sur la demande de M. Gilles Canard.

Par jugement en date du 5 septembre 1996, le tribunal d'instance, après réouverture des débats a :

- ordonné la suppression dans le type de contrat proposé aux consommateurs par la société VGC Distribution des clauses illicites ou abusives suivantes :

a) clause relative à la " date de livraison souhaitée " en ce qu'elle ne satisfait pas aux conditions présentées par l'article L. 114-1 du Code de la consommation, sur la date limite de livraison du bien ou d'exécution de la prestation ;

b) clause par laquelle les documents tels que prospectus, catalogues émis par le vendeur n'ont qu'une valeur indicative (article 1, alinéa 1 des Conditions Générales de Vente) ;

c) clause de résiliation insérée à l'article 2, alinéa 4 des Conditions Générales de Vente dont l'appréciation est laissée au vendeur et qui s'étend aux contrats impayés conclus antérieurement ;

d) clause pénale prévue à l'article 2, alinéa 7 des Conditions Générales de Vente en ce qu'elle est stipulée " non réductible au sens de l'article 1229 du Code civil " ;

e) clause relative aux modalités de réclamation en cas de vices apparents (article 3, alinéa 3 du contrat) en ce que les réclamations ne sont admises qu'à la double condition d'être formulées lors de la réception des travaux et mentionnées dans le certificat d'achèvement des travaux ;

f) clause relative à l'exception d'inexécution (article 3, alinéa 8 du nouveau contrat) en ce qu'elle interdit à l'acheteur de suspendre ou de refuser le règlement du prix ou des mensualités lorsque l'existence de vices est déplorée par ce dernier ;

- dit que la suppression des clauses illicites et abusives devra être exécutée dans le délai de deux mois suivants la signification du jugement ;

- ordonné la publication du dispositif du jugement dans le " Dauphiné Libéré " et les Petites Affiches de Grenoble aux frais de la société VGC Distribution, le coût de chaque insertion ne devant pas dépasser 10 000 F ;

- condamner la société VGC Distribution à payer à l'UFC 38, 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 4 000, F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la société VGC Distribution à payer à M. Gilles Canard la somme de 21 000 F outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi que 3 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- rejeté les autres demandes des parties ;

- et condamné la société VGC Distribution aux dépens.

La société Vogica Distribution a relevé appel du jugement rendu le 5 septembre 1996 par déclaration au greffe de la cour en date du 25 septembre 1996.

Elle demande à la cour de le réformer, de débouter M. Canard et l'UFC 38 - Que Choisir de l'intégralité de leurs demandes, de les condamner à lui payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de les condamner aux dépens.

M. Gilles Canard sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne le principal mais demande que la somme de 21 000 F porte intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 1993 date d'émission du chèque et à défaut à compter du 29 juin 1994.

Il demande enfin que l'indemnité pour frais d'instance soit portée de 3 000 F à 8 000 F.

L'UFC - Que Choisir sollicite également la confirmation du jugement déféré mais demande que les dommages et intérêts qui lui ont alloués soient portés à 50 000 F et que le jugement soit également publié dans le journal le 38 le coût de l'insertion étant de 10 000 F.

Elle demande enfin à la cour d'ordonner la capitalisation des intérêts et de lui allouer une nouvelle indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à savoir 10 000 F.

Pour une meilleure compréhension de la décision, les points contestés du jugement seront examinés successivement en ce qui concerne les moyens des parties et la décision.

Moyens des parties et décision

Sur les demandes de M. Canard :

La société Vogica expose qu'à l'origine M. Canard a souhaité annuler sa commande au motif qu'il ne pouvait obtenir un financement de sa banque alors qu'il n'était pas prévu que l'achat se ferait à crédit, qu'il n'a invoqué l'absence de signature du plan technique qu'au cours de la procédure, que le jugement en accueillant cette contestation a manifestement méconnu les dispositions de l'article 1583 du Code civil, que l'accord des parties était parfait puisque M. Canard avait commandé un modèle déterminé de mobilier (série Amalfi), avec des références précises correspondant aux dimensions qu'il avait fournies, que la chose vendue était dès lors individualisé, que la plan technique ne devait être réalisé qu'après la commande lors de la visite d'un métreur que M. Canard a d'ailleurs refusé de recevoir et qu'il est constant que les parties n'ont pas entendu conditionner la vente à l'établissement d'un plan technique comportant les mesures exactes de l'installation, ce point n'étant pas une condition de la vente mais une conséquence.

M. Canard fait valoir qu'il a annulé sa commande 6 jours après avoir signé le bon, que la société Vogica Distribution qui s'est contentée de le recevoir et d'enregistrer la commande n' a eu aucun préjudice par suite de sa défection et qu'il n'était pas engagé puisqu'aucun plan technique n'a été soumis à sa signature.

Sur ce :

Les conditions générales de vente prévoient à l'article 2 qu'en cas de résolution de la vente par suite d'une inexécution par l'acheteur des conventions passées, les versements qui ont déjà été effectués par l'acheteur restent la propriété du vendeur à titre de dommages et intérêts. Cette clause a été déclarée valable par le tribunal et ce chef du jugement n'a fait l'objet d'aucune contestation devant la cour.

La société Vogica prétend conserver l'acompte de 21 000 F en application de cette disposition contractuelle.

Le contrat est un contrat de vente puisqu'il comporte la vente d'appareils électroménagers et la vente des meubles nécessaires à l'installation de ces appareils mais il est également un contrat d'entreprise puisqu'il comporte le prix de la main d'œuvre pour l'installation de l'électroménager et le prix de la main d'œuvre pour l'installation des meubles.

La double nature du contrat justifie qu'il soit demandé au client de dater et de signer le bon de commande et le plan technique portant la mention " bon pour implantation ".

Dès lors qu'un plan été daté et signé et comportant la mention " bon pour implantation " était prévu au contrat et qu'il n'a pas établi, il s'ensuit que le contrat d'entreprise n'est pas parfait et compte tenu de ce que les deux contrats sont indissociables, le tribunal a décidé, à bon droit, que la convention signée le 20 novembre 1993 était privée d'effet, de sorte que la société Vogica n'est pas fondée à retenir l'acompte de 21 000 F qui lui a été remis par M. Canard.

Le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a condamné la société VGC Distribution à payer à M. Gilles Canard la somme de 21 000 F, les intérêts devant toutefois courir à compter du 29 juin 1994, compte tenu de ce que la demande a été formée dans le cadre de la procédure de référé.

L'équité justifie qu'une indemnité de 4 000 F soit allouée à M. Canard en ses de celle de 3 000 F déjà accordée par le tribunal.

Sur les demandes de l'UFC 38 - Que Choisir :

En ce qui concerne la clause relative à la livraison :

La société Vogica soutient que si en 1993 les bons de commande soumis à l'approbation des clients ne prévoyaient qu'une quinzaine de livraisons, ce n'est plus le cas aujourd'hui et même à l'époque du jugement déféré, puisque, à la quinzaine de livraison souhaitée est ajoutée la mention d'un jour pour déterminer dans les termes suivants " et au plus tard le jour mois ".

L'UFC 38 - Que Choisir reconnaît que la société mère Vogica Cuisines VGC Distribution dont le siège social est 91, Les Ulis a fait éditer un nouveau contrat qui respecte les dispositions de l'article L. 114-1 du Code de la consommation mais soutient qu'il n'est pas démontré que ce nouveau contrat est effectivement utilisé, notamment par l'établissement de Saint-Egrève.

La société Vogica produit des bons de commande conformes dont l'en-tête est le suivant :

VGC Distribution

Miniparc du Verger Bât F

1, rue Terre Neuve - BP 352

91959 Les Ulis Cedex

SA au capital de 250 000 F

RCS Corbeil Essonne

alors que le bon de commande litigieux comportait comme en-tête :

VGC Distribution

2, rue de Seclin

59175 Vendeville

SA au capital de 250 000 F

RCS Lille

Il existe manifestement plusieurs sociétés exerçant leur activité sous le nom VGC distribution puisque les sièges sociaux sont différents et dès lors qu'il n'est pas démontré que la société dont le siège social est situé 2, rue de Seclin - 59175 Vendeville a modifié la clause relative à la livraison des bons de commande qu'elle utilise, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré cette clause illicite et ordonné sa suppression.

En ce qui concerne la clause d'inopposabilité de certains documents (article 1er, alinéa 1) :

La société Vogica expose que la clause des conditions générales de vente selon laquelle le client n'est lié que par ces conditions et ne peut se prévaloir d'autres documents tels que prospectus et catalogues qui n'ont qu'une valeur indicative ne doit pas être réputée non écrite dès lors qu'elle est insérée dans les bons de commande et non dans les documents publicitaires et qu'ainsi il ne peut y avoir aucune confusion.

L'UFC 38 - Que Choisir soutient pour sa part qu'il est abusif de prévoir dans les conditions générales de vente des clauses qui peuvent être contraires aux documents publicitaires par lesquels le consommateur a été informé antérieurement et qui l'ont peut être déterminé à contracter.

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a parfaitement démontré que la clause incriminée qui figure à l'article 1er du contrat a pour effet de fausser l'information qui est due au consommateur, qu'un vendeur ne peut attirer la clientèle par des offres et promesses publicitaires et se dégager de ses engagements lors de la signature du contrat.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a déclaré cette clause non écrite.

En ce qui concerne la clause de résiliation insérée à l'article 2, alinéa 4 des conditions générales de vente :

Cette clause prévoit qu'en cas d'inexécution quelconque de ses obligations par l'acheteur, la vente sera résiliée de plein droit " si bon semble au vendeur ", de même que les commandes impayées antérieures.

La société Vogica expose que la possibilité de résiliation est limitée au cas de non paiement, le simple retard n'entraînant pas la même sanction et que cette clause conforme aux dispositions de l'article 1146 du Code civil n'entraîne pour elle aucun avant excessif.

L'UFC 38 - Que Choisir indique que la clause vise toute inexécution, qu'elle ne prévoit pas de mise en demeure préalable, qu'elle peut être appliquée de façon totalement arbitraire et qu'elle n'est pas réciproque.

Le tribunal a parfaitement démontré que la clause dont s'agit qui ne fait aucune distinction selon la gravité du manquement, qui n'est pas réciproque et qui, par une méconnaissance totale des dispositions de l'article 1134 du Code civil prévoit une extension de la résolution à des contrats antérieurs est abusive.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il l'a déclarée non écrite.

En ce qui concerne la clause pénale irréductible (article 2, § 7) :

La société Vogica soutient que les dispositions de l'article 1152 du Code civil sont inapplicables à cette clause qui ne sanctionne pas l'inexécution d'une obligation mais le retard de l'exécution par le client.

L'UFC 38 - Que Choisir indique en réponse que le raisonnement de l'appelante est spécieux et que la clause est illicite dans la mesure où elle a pour but d'écarter les dispositions d'ordre public de l'article 1152 du Code civil et où, prévoyant une pénalité de 10 % du prix du marché, elle est manifestement excessive.

Dès lors que le retard de paiement est un manquement à ses obligations par le client la clause s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 1152 du Code civil et elle doit pouvoir être réduite si le juge estime qu'elle est excessive de sorte que le tribunal a décidé à bon droit que la mention " non réductible au sens de l'article 1229 du Code civil " était réputée non écrite.

En ce qui concerne la clause relative aux vices apparents (article 3, alinéa 3) :

La société Vogica soutient que le tribunal a considéré à tort que la restriction prévue n'était pas limitée aux travaux effectués par elle mais qu'elle s'appliquait également aux meubles livrés.

L'UFC 38 - Que Choisir soutient en réplique que la commission des clauses abusives préconise, en ce qui concerne les contrats de cuisinistes, d'écarter les clauses qui ont pour effet de limiter au seul moment de la livraison le droit pour l'acheteur d'émettre ses réclamations sur la conformité du meuble livré avec les caractéristiques prévues à la commande.

A défaut de précision, il est évident que la limitation de la garantie en cas de vice apparent vise l'intégralité des prestations fournies par la société Vogica.

La double condition imposée par la société Vogica, à savoir prise en charge des vices signalés lors de la réception des travaux et dans la mesure où ils auront été mentionnés dans le certificat d'achèvement des travaux, confère manifestement un avantage excessif au vendeur professionnel et n'a pas lieu d'être compte tenu de ce que la jurisprudence a parfaitement défini les conditions de prise en charge des vices apparents de façon à limiter les réclamations abusives.

Ce chef du jugement sera également confirmé.

En ce qui concerne la clause relative à l'exception d'inexécution :

Les conditions générales de vente prévoient qu'en aucun cas l'existence de vices n'autorise l'acheteur à suspendre ou à refuser le règlement du prix ou des mensualités.

La société Vogica soutient que cette clause qui n'est qu'un rappel de l'article 1184 du Code civil ne lui confère pas un avantage excessif.

L'UFC 38 - Que Choisir indique que si l'article 1184 du Code civil ne prévoit pas la résolution automatique du contrat, il permet cependant l'application de l'exception d'inexécution.

Le tribunal a parfaitement démontré que la clause litigieuse conférait au vendeur un avantage excessif en ce qu'elle obligeait l'acquéreur à exécuter ses obligations en cas de non respect manifeste des siennes par le vendeur.

Ce chef du jugement sera également confirmé.

Le Tribunal a par ailleurs effectué une juste appréciation du préjudice de l'UFC 38 - Que Choisir ? et les modalités de réparation qu'il a décidées doivent être confirmées.

Conformément à la demande de l'UFC 38 - Que Choisir les intérêts seront capitalisés à compter du 5 août 1997, dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil.

L'équité justifie qu'une indemnité de 5 000 F soit allouée à l'UFC 38 - Que Choisir en sus de celle allouée par le tribunal, pour compenser les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

La société Vogica qui succombe sera déboutée de sa demande à ce titre.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré excepté en ce qu'il a dit que la condamnation prononcée au profit de M. Canard porterait intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; Le réforme de ce chef ; Statuant à nouveau, Dit que la somme de 21 000 F (vingt et un mille francs) portera intérêts au taux légal à compter du 29 juin 1994 ; Ajoutant au jugement, Dit que les intérêts des sommes allouées à l'UFC 38 - Que Choisir, seront capitalisés à compter du 5 août 1997, dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ; Condamne la société VGC Distribution Vogica à payer, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 4 000 F (quatre mille francs) à M. Canard et celle de 5 000 F (cinq mille francs) à l'UFC 38 - Que Choisir en sus des indemnités allouées par le tribunal ; Déboute la société Vogica de sa demande pour frais irrépétibles ; La condamne aux dépens d'appel avec application au profit de la SCP d'Avoués Grimaud des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.