Livv
Décisions

CA Agen, ch. corr., 20 septembre 2001, n° 00-00496

AGEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

M. Louiset, Mme Latrabe

Avocat :

Me Prouvost.

TGI Cahors, ch. corr., du 14 déc. 2000

14 décembre 2000

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal de grande instance de Cahors, par jugement en date du 14 décembre 2000, a relaxé Paul D du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, second semestre 1998, à Cahors (46), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.

Les appels :

Appel a été interjeté par M. le Procureur de la république, le 22 décembre 2000 contre M. Paul D. Sur citation à comparaître, l'affaire a été appelée à l'audience du 28 juin 2001.

Attendu que le Ministère public a interjeté appel de la décision susmentionnée par déclaration reçue au greffe du Tribunal de grande instance de Cahors le 22 décembre 2000 ;

Attendu que cet appel est régulier en la forme et qu'il a été interjeté dans le délai de la loi ; qu'il convient, par conséquent, de le déclarer recevable ;

Attendu que, bien que régulièrement citée à sa personne le 12 avril 2001, la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Lot n'a pas comparu, ni personne pour elle ; qu'il convient de statuer par défaut à son encontre, conformément aux dispositions de l'article 487 du Code de procédure pénale ; qu'en effet, les dispositions de l'article 410 de ce même Code selon lesquelles le prévenu régulièrement cité à personne ou ayant eu connaissance de la citation, et qui ne comparaît pas, est jugé contradictoirement lorsqu'il n'a pas été excusé, ont un caractère exceptionnel et ne sauraient être étendues aux autres parties ;

Attendu que le Ministère public a requis l'application de la loi ;

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats d'audience les faits suivants :

Les 3 décembre 1998 et 10 février 1999, Hervé Lyautey, inspecteur à la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Lot, dans le cadre d'une enquête nationale, s'est présenté dans les locaux de la SA X, sise <adresse>, entreprise spécialisée dans la vente par correspondance de préparations à base de foie gras.

Il avait été en effet observé que ladite entreprise avait diffusé à diverses reprises en 1998 sur des supports nationaux (tels que " Télé 7 jours ", " Télépoche ") des offres conçues et réalisées sous la responsabilité de Paul D, PDG de la SA X, annonçant diverses opérations promotionnelles.

L'enquête portait sur l'examen de six documents publicitaires diffusés au cours du second semestre 1998.

Les publicités en cause s'appuyaient, à l'exception de la première (offre à l'unité), sur la mise en avant d'un prix forfaitaire réduit pour un lot de boîtes de bloc de foies gras dont une ou plusieurs étaient annoncées comme gratuites.

Ces offres étaient complétées, pour renforcer leur caractère attractif, par la fourniture gratuite d'articles accessoires (couteaux ou lyre à découper les blocs).

La gratuité d'un certain nombre de boîtes composant le lot était calculée par rapport au prix de vente résultant du prix " tarif à l'unité ".

De plus, le prix unitaire servant de base au calcul du "coffret" était lui-même réduit à un prix de référence barré.

Ledit inspecteur établissait un procès-verbal pour délit de publicité mensongère à l'encontre de Paul D, PDG de la SA X, en relevant en particulier que :

- les examens des documents commerciaux et comptables permettaient d'établir que, pour cette entreprise de vente par correspondance, la vente à l'unité représentait 9 % des ventes totales des blocs de foie gras et 0,4 % du chiffre d'affaires global de l'entreprise,

- la vente par lot était donc l'activité essentielle et permanente de l'entreprise, alors qu'à l'inverse, la vente à l'unité était une activité commerciale mineure,

- si l'on examinait les diverses campagnes promotionnelles réalisées au cours du second semestre 1998, il apparaissait notamment, par les diverses options de lots offertes aux consommateurs :

1) offre " A " (Télé Z et Télé 7 jours du 22 au 28 août) : 6 boîtes " bloc de foie gras de canard " de 100 g au prix de 118 F dont 4 sont annoncés gratuits (avec, en plus, 2 couteaux Laguiole),

2) offre " B " : 6 boîtes "bloc de foie gras de canard" de 100 g au prix de 177 F dont 3 sont annoncés gratuits avec, en plus, un couteau ou une lyre,

3) offre " C " : 5 blocs de foie de canard de 100 g, 2 boîtes de rillettes et 2 terrines au prix de 212 F dont 1 bloc, 1 rillettes et 1 terrine sont annoncés gratuits, avec en plus, 2 couteaux ou un cache-nez,

- prise individuellement, chacune de ces offres avec leurs multiples combinaisons présentait un caractère légitimement attractif pour le consommateur et visait à provoquer un achat spontané,

- comparées dans le temps (sur une période courte), ces publicités et leur répétitivité faisaient ressortir le caractère artificiel des avantages annoncés dans chacune d'elles (nombre de blocs gratuits, articles accessoire offerts),

- de l'ensemble de ces constatations, il apparaissait que cette société avait procédé durant tout le second semestre 1998 à des vagues successives de "promotions" sur la base de vente par lots ;

Attendu que Paul D est poursuivi pour avoir, à Cahors (46) et sur le territoire national, dans le second semestre de 1998, trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelques moyens ou procédés que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, en l'espèce en utilisant des publicités de blocs de foies gras comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et conditions de vente (comparaison unitaire et par lot) et les procédés de vente (gratuits et cadeaux supplémentaires), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4 et L. 213-1 du Code de la consommation ;

Attendu que le prévenu sollicite la décision de relaxe des premiers juges, en soutenant principalement que :

- tout ce qui est annoncé dans les messages publicitaires de sa société est rigoureusement exact : les boîtes de blocs de foie gras vendues sont conformes à leur description et leur prix est conforme à ce qui est annoncé, les boîtes gratuites sont elles aussi conformes à leur description et sont fournies sans aucune augmentation de prix, enfin, les cadeaux sont conformes à la description qui en est faite et sont fournis sans augmentation de prix,

- qu'il s'agisse des prix ou de la nature de la marchandise, aucune mauvaise surprise n'est réservée aux consommateurs à la livraison,

- le message publicitaire n'est en rien mensonger,

- on ne voit pas en quoi l'on voit l'adjectif " spécial " pas plus que les adjectifs " exceptionnel ", " extraordinaire ", " unique ", tous adjectifs qui traduisent l'hyperbole, seraient de nature à égarer le consommateur moyen,

- l'intention de tromper ou d'induire en erreur ne saurait être retenue dès lors que, par ses questions, ses rendez-vous, lettres, communications, il apporte la preuve que les publicités dont il use ont reçu l'approbation de l'administration ;

Attendu que la prévention est fondée sur des documents publicitaires diffusés au cours du second semestre de l'année 1998, à savoir en particulier :

- un encart " A " proposant 2 blocs de foie gras de canard au prix tarif de 2 x 59 F + 4 blocs de foie gras de canard gratuits + 1 lyre à foie gras gratuite, ou 1 bloc de foie gras au prix tarif de 59 F,

- une double annonce parue dans le numéro de " Télé Z " pour la semaine du 22 au 28 août 1998 proposant, sous l'appellation " Offre A ", 2 blocs de foie gras de canard au prix tarif de 2 x 59 F + 4 blocs de foie gras de canard gratuits + 1 lyre à foie gras gratuite, ou 1 bloc de foie gras de canard au prix tarif de 59 F,

- une double annonce parue dans le numéro de " Télé 7 jours " pour la semaine du 22 au 28 août 1998 proposant, sous l'appellation " Offre A ", 2 blocs de foie gras de canard au prix tarif de 2 x 59 F + 4 blocs de foie gras de canard gratuits + 1 authentique couteau Laguiole à 10 F + 1 authentique couteau Laguiole gratuit, ou 1 bloc de foie gras de canard au prix tarif de 59 F,

- un " mailing " " Offre B " d'août 1998 proposant :

a) deux lots dénommés " B " : 3 blocs de foie gras au prix tarif de 177 F (3 canard x 59 F) ou 196 F (3 oie et 1 canard) + 3 blocs de foie gras gratuits + 2 couteaux ou une lyre à foie gras,

b) deux lots " B " et " D " + 1 bloc de foie gras au prix tarif + plusieurs terrines au prix tarif + plusieurs produits gratuits,

e) 3 offres de blocs de foie gras au prix tarif à l'unité, soit 1 bloc de foie gras d'oie au prix tarif, soit 1 bloc de foie gras de canard au prix tarif soit 2 blocs de foie gras de canard au prix tarif et des poupées gratuites,

- un " mailing " " C " proposant :

a) 4 lots de blocs de foie gras et de spécialité avec une remise et des cadeaux,

b) quatre offres de blocs de foie gras au prix tarif, soit 1 bloc de foie gras d'oie au prix tarif, soit 1 bloc de foie gras de canard au prix tarif, soit 2 blocs de foie gras de canard au prix tarif avec des poupées, soit 1 bloc de foie gras d'oie et 2 terrines au prix tarif avec 2 couteaux ;

Qu'il était précisé pour toutes ces offres qu'elles étaient valables 3 mois ;

Attendu que ces offres promotionnelles, présentées comme limitées dans le temps pour donner l'illusion d'offres exceptionnelles, étaient en réalité répétées (six diffusions publicitaires en six mois), pouvant ainsi être considérées comme systématiques ;

Que la multiplicité de ces offres commerciales qui se sont succédées sur des périodes voisines(offre " B ", offre " C ") ôte tout caractère d'offres spéciales pour les consommateurs ;

Attendu qu'en effet, ces publicités, répétées, par les mentions qu'elles comportaient (réduction de prix, gratuit, cadeaux), leur présentation, leur montage, visaient manifestement à induire les consommateurs en erreur sur le caractère spécial des offres promotionnelles proposées, alors qu'en réalité, il s'agissait du procédé de vente habituel et non pas occasionnel de la société, la vente par lots constituant une activité essentielle et permanente pour cette entreprise et la vente à l'unité représentant seulement 0,4 % du chiffre d'affaire global au regard des documents comptables ;

Que le caractère trompeur de la présentation était lié à la comparaison artificielle de deux logiques de prix : le prix unitaire et le prix par lot, alors que les prix de base mis en avant dans ces publicités n'étaient pratiqués que très occasionnellement, de sorte que les économies annoncées ou suggérées étaient fictives ;

Que ces offres très attractives visaient à susciter des achats spontanés chez les consommateurs et étaient de nature à les induire en erreur sur lesdites économies ;

Attendu, quant à l'erreur de droit alléguée,que D ne rapporte pas la preuve que les publicités dont il a usé ont reçu l'approbation expresse de l'administration, le fait que le service des fraudes n'aurait élevé aucune objection au regard de publicités de même type communiquées par sa société ou son conseil en 1996 et 1997, période au demeurant antérieure aux faits reprochés, étant inopérant ;

Attendu qu'il convient, dans ces conditions, d'infirmer le jugement dont appel qui a relaxé Paul D et, statuant à nouveau, de déclarer celui-ci coupable du délit de publicité mensongère ;

Attendu qu'au regard tant de la nature des faits et de leur contexte que de la personnalité de D, la cour lui infligera une peine d'amende de 25 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de Paul D, par arrêt de défaut à l'égard de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Lot, et en dernier ressort ; En la forme, reçoit en son appel le Ministère Public ; Au fond ; Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Déclare Paul D coupable du délit de publicité mensongère ; En répression, condamne Paul D à la peine de 25 000 F d'amende ; Dit que la contrainte par corps s'exercera, s'il y a lieu, conformément aux dispositions des articles 749 à 762 du Code de procédure pénale ; Le tout en application des dispositions des articles susvisés, ainsi que des articles 547, 512 et suivants du Code de procédure pénale.