CJCE, président, 27 février 2002, n° C-477/01 P (R)
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Reisebank AG
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodriges Iglesias
Avocats :
Mes Klusmann, Wiemer.
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 décembre 2001, Reisebank AG a formé, conformément aux articles 225 CE et 50, deuxième alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi contre l'ordonnance du président du Tribunal de première instance du 5 décembre 2001, Reisebank/Commission (T-216/01 R, non encore publiée au Recueil, ci-après l'"ordonnance attaquée"), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande en référé tendant à obtenir, d'une part, le sursis à l'exécution de la décision de la Commission du 14 août 2001 refusant à la requérante l'accès à certains documents portant sur l'abandon, dans l'affaire COMP/E-1/37.919 - frais bancaires pour le change de devises de la zone euro, de la procédure menée contre d'autres banques (ci-après la "décision du 14 août 2001") et, d'autre part, la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE dans la même affaire en ce qui la concerne.
2 Outre l'annulation de l'ordonnance attaquée, la requérante demande:
- le sursis à l'exécution de la procédure dans l'affaire COMP/E-1/37.919 - frais bancaires pour le change de devises de la zone euro: Allemagne (Deutsche Verkehrsbank/Reisebank) jusqu'à l'adoption d'une décision au fond par le Tribunal dans l'affaire T-216-01,
- le cas échéant, le renvoi de l'affaire devant le Tribunal, et
- que les dépens soient réservés.
3 Par acte déposé au greffe le 15 janvier 2002, la Commission a présenté ses observations écrites devant la Cour.
Le cadre juridique, les faits et la procédure devant le Tribunal
4 S'agissant du cadre juridique, des faits qui sont à l'origine du litige et de la procédure devant le Tribunal, il est renvoyé aux points 1 à 21 de l'ordonnance attaquée.
L'ordonnance attaquée
5 Par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé comme irrecevable, faute d'éléments sérieux permettant de considérer que la recevabilité du recours au principal était envisageable.
6 À cet égard, l'ordonnance attaquée expose, en substance, que la décision du 14 août 2001 constitue un acte préparatoire s'insérant dans le cadre d'une procédure administrative préalable et qu'elle ne peut donc être attaquée de manière autonome.
7 Pour aboutir à cette conclusion, le juge des référés a tout d'abord écarté l'argumentation relative au règlement (CE) n° 1049-2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), ce dernier n'étant applicable que depuis le 3 décembre 2001 et étant donc, en tout état de cause, sans pertinence en l'espèce.
8 Il a ensuite rappelé la jurisprudence selon laquelle, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale.
9 Tel serait le cas, notamment, des actes de la Commission refusant l'accès au dossier dans les affaires de concurrence, qui ne produiraient, en principe, que des effets limités propres à un acte préparatoire s'insérant dans le cadre d'une procédure administrative préalable.
10 Selon le juge des référés, est sans pertinence l'affirmation de la requérante, selon laquelle une décision finale lui infligeant une amende serait adoptée à bref délai, cette affirmation étant insuffisamment précise en ce qu'elle ne permet pas de connaître le contenu d'une éventuelle décision concernant la requérante.
11 Quant à l'argument de la requérante fondé sur la violation de ses droits en tant que destinataire d'une communication des griefs, il ressort de l'ordonnance attaquée qu'une telle violation n'est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante que lorsque la Commission a adopté, le cas échéant, la décision constatant l'existence de l'infraction qu'elle lui reproche.
12 Enfin, à propos de l'argumentation relative à la décision 2001-462-CE, CECA de la Commission, du 23 mai 2001, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), il est relevé dans l'ordonnance attaquée que la requérante n'avait pas présenté d'éléments sérieux permettant de considérer que la jurisprudence relative à l'accès au dossier dans les affaires de concurrence n'était plus applicable.
13 S'agissant de la demande de suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE menée à l'encontre de la requérante, le juge des référés a relevé que la requérante n'avait fourni aucun élément de preuve qui démontrait l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant l'adoption d'une telle mesure.
Le pourvoi
14 La requérante fait valoir quatre moyens à l'appui de son pourvoi.
15 En premier lieu, ce serait à tort que, dans l'ordonnance attaquée, il n'aurait pas été tenu compte du règlement n° 1049-2001, dès lors que celui-ci serait entré en vigueur le 3 décembre 2001, soit avant l'adoption de l'ordonnance attaquée.
16 En deuxième lieu, le juge des référés aurait dû tenir compte de ce que la clôture de la procédure administrative devant la Commission, par une décision prononçant une amende, était imminente. En se satisfaisant de l'argument théorique et général selon lequel la Commission pouvait encore se raviser, le juge des référés aurait méconnu l'état de la procédure.
17 En troisième lieu, il résulterait de l'ordonnance attaquée une méconnaissance de la portée de la décision 2001-462.
18 En quatrième lieu, le point 52 de l'ordonnance attaquée révélerait une erreur de droit, dans la mesure où, en refusant de se substituer à la Commission dans l'exercice de ses compétences à caractère administratif, le juge des référés aurait méconnu les obligations d'appréciation discrétionnaire qui lui incombent dans le cadre d'une procédure en référé tendant à l'adoption de mesures provisoires.
Appréciation
19 Dès lors que les observations écrites des parties contiennent toutes les informations nécessaires pour qu'il soit statué sur le pourvoi, il n'y a pas lieu de les entendre en leurs explications orales.
20 Il convient, à titre liminaire, d'examiner si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la requérante peut faire valoir un intérêt à agir.
21 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'existence d'un intérêt à agir dans le chef de l'auteur d'un pourvoi suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice(arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C-19-93 P, Rec. p. I-3319, point 13, et du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C-174-99 P, Rec. p. I-6189, point 33).
22 Il convient d'ajouter que l'appréciation de l'intérêt d'un requérant à l'obtention des mesures demandées revêt une importance particulière dans le cadre d'une procédure en référé[ordonnance du 30 avril 1997, Moccia Irme/Commission, C-89-97 P(R), Rec. p. I-2327, point 43].
23 En effet, le sursis à l'exécution et les mesures provisoires ne peuvent être accordés par le juge des référés que s'il est notamment établi qu'ils sont urgents en ce sens qu'il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu'ils soient édictés et sortissent leurs effets dès avant la décision au principal. Or, des mesures provisoires qui ne seraient pas aptes à éviter le préjudice grave et irréparable dont fait état le requérant ne sauraient a fortiori être nécessaires à cet effet. En l'absence d'intérêt du requérant à l'obtention des mesures provisoires sollicitées, ces dernières ne sauraient donc satisfaire au critère de l'urgence(ordonnance Moccia Irme/Commission, précitée, point 44).
24 En l'espèce, il apparaît que la procédure en référé dans laquelle le présent pourvoi s'insère vise en substance à empêcher la Commission d'adopter une décision définitive à l'égard de la requérante dans l'affaire COMP/E-1/37.919 avant que le Tribunal ait statué sur la légalité de la décision du 14 août 2001.
25 Or, cette décision définitive a été adoptée par la Commission le 11 décembre 2001, soit le lendemain du dépôt du présent pourvoi.
26 L'adoption de ladite décision définitive a donc fait perdre à la requérante tout intérêt à poursuivre la procédure en référé.
27 Par ailleurs, il ressort du pourvoi que la requérante avait connaissance du fait que la Commission envisageait d'adopter une telle décision définitive à très court terme. Dans ces conditions, il lui aurait été loisible de faire état dans son pourvoi, le cas échéant, de l'existence de circonstances particulières justifiant le maintien d'un intérêt à poursuivre la procédure en référé malgré l'adoption prévisible de ladite décision définitive, ce dont elle s'est abstenue.
28 Dans ces conditions, la requérante n'ayant plus d'intérêt à voir se poursuivre la procédure en référé, le pourvoi est devenu sans objet, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer.
Sur les dépens
29 Aux termes de l'article 69, paragraphe 6, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 de ce règlement, en cas de non-lieu à statuer, la Cour règle librement les dépens.
30 S'agissant du règlement des dépens, le non-lieu à statuer doit en l'occurrence être assimilé à un rejet du pourvoi. Pour cette raison, il est décidé que la requérante doit supporter l'ensemble des dépens.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DE LA COUR,
ordonne:
1) Il n'y a pas lieu de statuer.
2) Reisebank AG est condamnée aux dépens.