Livv
Décisions

TPICE, président, 5 décembre 2001, n° T-216/01 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Reisebank AG

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Avocats :

Mes Klusmann, Wiemer.

TPICE n° T-216/01 R

5 décembre 2001

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Cadre juridique

1 Le 23 mai 2001, la Commission a adopté la décision 2001-462-CE, CECA, relative au mandat des conseillers auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), qui a abrogé la décision 94-810-CECA, CE de la Commission, du 12 décembre 1994 (JO L 330, p. 67).

2 Les troisième et sixième considérants de ladite décision prévoient, d'une part, qu'il convient de confier la conduite des procédures administratives à une personne indépendante, le conseiller auditeur, ayant de l'expérience en matière de concurrence, qui possède l'intégrité nécessaire pour contribuer à l'objectivité, à la transparence et à l'efficacité de ces procédures, et, d'autre part, que afin de garantir l'indépendance de celui-ci, il doit être rattaché, sur le plan administratif, au membre de la Commission en charge des questions de concurrence. En outre, la transparence en ce qui concerne sa nomination, sa cessation de fonctions et son transfert doit être renforcée.

3 Il ressort de l'article 5 de la décision 2001-462 que le conseiller auditeur a pour mission d'assurer le bon déroulement de l'audition et de contribuer au caractère objectif tant de l'audition elle-même que de toute décision ultérieure relative à la procédure administrative en matière de concurrence. Il veille, notamment, à ce que tous les éléments de fait pertinents, qu'ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, ainsi que les éléments de fait relatifs à la gravité de l'infraction, soient dûment pris en considération dans l'élaboration des projets de décision de la Commission relatifs à une telle procédure.

4 L'article 8 de la décision 2001-462 dispose:

"1. Si une personne, une entreprise ou une association de personnes ou d'entreprises, qui a reçu une ou plusieurs des lettres [envoyées par la Commission] énumérées à l'article 7, paragraphe 2 [y compris celles accompagnant une communication des griefs], a des raisons de penser que la Commission détient des documents qui n'ont pas été mis à sa disposition et qui lui sont nécessaires pour exercer utilement son droit d'être entendue, l'accès à ces documents peut être demandé au moyen d'une demande motivée.

2. La décision motivée sur cette demande est communiquée à la personne, entreprise ou association demanderesse et à toute autre personne, entreprise ou association concernée par la procédure."

5 Le 30 mai 2001, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement (CE) n° 1049-2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43). Il ressort de l'article 19 dudit règlement qu'il entre en vigueur le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes et qu'il est applicable à partir du 3 décembre 2001.

Faits et procédure

6 Au début de 1999, la Commission a engagé une procédure d'enquête à l'encontre de 150 banques environ, dont la requérante, établies dans sept pays membres, à savoir la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche, le Portugal et la Finlande, parce qu'elle soupçonnait les banques concernées de s'être entendues pour maintenir à un certain niveau les frais bancaires pour le change de devises de la zone euro.

7 Le 3 août 2000, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante dans le cadre de cette enquête.

8 Le 27 novembre 2000, la requérante a présenté ses observations à cet égard.

9 La requérante a été entendue lors d'une audition relative à cette enquête qui a eu lieu les 1er et 2 février 2001.

10 Il ressort des communiqués de presse de la Commission, qui datent respectivement des 11 avril, 7 et 14 mai 2001, que celle-ci a décidé de mettre fin à la procédure d'infraction engagée à l'encontre des banques néerlandaises et belges, ainsi que de certaines banques allemandes. La Commission a pris cette décision après que ces banques ont réduit leurs frais bancaires pour le change de devises de la zone euro.

11 Par lettres des 16 mai, 13 juin et 25 juillet 2001 la requérante a présenté trois offres d'engagement à la Commission par lesquelles elle s'engageait à ce que ses frais bancaires pour le change de devises de la zone euro soient réduits. Ces offres ont toutes été refusées par la Commission.

12 Il ressort d'un communiqué de presse de la Commission du 31 juillet 2001 qu'elle a décidé de mettre fin aux procédures d'infraction qu'elle avait engagées à l'encontre de banques finlandaises, irlandaises, belges, néerlandaises et portugaises, ainsi que de certaines banques allemandes.

13 La requérante a adressé au conseiller auditeur une demande d'accès aux documents indiquant quelles étaient les conditions qui ont permis qu'il soit mis fin à la procédure menée contre d'autres banques concernées par l'enquête en question.

14 Par une première lettre du 14 août 2001, le conseiller auditeur a rejeté cette demande d'accès auxdits documents (ci-après la "décision litigieuse"). Ce refus était fondé sur la justification suivante:

"Selon une jurisprudence constante, la consultation du dossier dans le cadre des procédures de concurrence devant la Commission remplit une fonction spécifique. Elle est destinée à permettre à l'entreprise accusée d'avoir violé le droit de la concurrence communautaire de se défendre de manière efficace contre les griefs retenus par la Commission. Cette condition n'est remplie que si les entreprises ont accès à l'intégralité des documents contenus dans le dossier de procédure, c'est-à-dire aux documents relatifs à la procédure, à l'exception des documents confidentiels et des documents internes à l'administration. C'est de cette manière qu'est établie l'égalité des armes entre la Commission et la défense.

En l'espèce, la Reisebank AG et la Deutsche Verkehrsbank AG ont pu avoir accès aux documents de la procédure COMP/E-1-37.919 ainsi qu'à d'autres documents, figurant dans des dossiers parallèles, mais pertinents pour la procédure banques allemandes. Il a donc été tenu compte de ce droit à une défense sans restriction contre les griefs retenus par la Commission.

Les circonstances qui ont conduit à la suspension de la procédure concernant d'autres établissements bancaires d'autres États membres font l'objet d'actes de la Commission parallèles mais distincts, non accessibles en principe aux banques allemandes. On ne voit pas non plus dans quelle mesure les informations souhaitées pourraient être d'une importance pour la défense de vos clientes. Dans ces circonstances, il convient donc de rejeter votre demande d'accès complémentaire au dossier, conformément à la jurisprudence du Tribunal de première instance dans les affaires Ciment.

En ce qui concerne les documents relatifs à la suspension de la procédure COMP/E-1-37.919 intentée à l'encontre de certaines banques allemandes, nous ne saurions pas non plus faire droit à votre demande. Les informations afférentes concernant les établissements particuliers, dans la mesure où elles n'ont pas été publiées par la Commission, ont un caractère confidentiel et, par conséquent, ne sauraient être accessibles aux autres parties à la procédure.

Cette décision est adoptée conformément à l'article 8 de la décision [2001-462]."

15 Par une seconde lettre, également du 14 août 2001, le conseiller auditeur a, en réponse à la demande de la requérante de suspension de la procédure administrative, indiqué ce qui suit:

"[...] la Commission n'a [...] aucune raison pour repousser la transmission - prévue pour la période comprise entre le début et mi-septembre de cette année - du projet d'une décision finale dans la procédure COMP/E-1-37.919."

16 Par lettre du 17 août 2001 la requérante a, de nouveau, présenté une offre à la Commission selon laquelle elle s'engageait, sur la base de deux modèles alternatifs, à ce que ses frais bancaires pour le change de devises de la zone euro soient réduits.

17 Par lettre du 14 septembre 2001, la Commission a rejeté cette dernière offre.

18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 septembre 2001, la requérante a formé un recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a saisi le Tribunal de la présente demande en référé, tendant à obtenir, d'une part, le sursis à l'exécution de la décision litigieuse et, d'autre part, la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE dans l'affaire COMP/E-1-37.919 - frais bancaires pour le change de devises de la zone euro: Allemagne (Deutsche Verkehrsbank-Reisebank).

19 Le 5 octobre 2001, la Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé.

20 Le 17 octobre 2001, la requérante a été invitée à présenter ses observations sur la question de la recevabilité du recours au principal et de la demande en référé.

21 Le 23 octobre 2001, la requérante a présenté ses observations à cet égard.

En droit

22 En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

23 En vertu des dispositions de l'article 104, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, une demande de sursis à l'exécution d'un acte n'est recevable que si le demandeur a attaqué cet acte dans un recours devant le Tribunal. Cette règle n'est pas une simple formalité, mais présuppose que le recours au fond, sur lequel se greffe la demande en référé, puisse être examiné par le Tribunal.

24 Selon une jurisprudence constante, le problème de la recevabilité du recours devant le juge du fond ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger l'affaire au principal. Il peut, néanmoins, s'avérer nécessaire, lorsque, comme en l'espèce, l'irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours[ordonnances du président de la Cour du 27 janvier 1988, Distrivet/Conseil, 376-87 R, Rec. p. 209, point 21, et du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C-300-00 P (R), Rec. p. I-8797, point 34; ordonnance du président du Tribunal du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement, T-222-99 R, Rec. p. II-3397, point 60].

25 En l'espèce, le juge des référés estime qu'il y a lieu de vérifier s'il existe des éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité du recours au principal.

Arguments des parties

26 La Commission fait valoir qu'il appartient au juge des référés d'établir que, à première vue, la requête au principal présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à la recevabilité du recours au principal. Or, en l'espèce, celui-ci serait manifestement irrecevable.

27 En ce qui concerne la recevabilité de la demande en référé, la requérante solliciterait, par le second chef de la demande en référé, la suspension de la procédure d'infraction en cours dans l'affaire COMP/E-1-37.919, afin d'obtenir par la suite un accès au dossier. Or, la possibilité d'une saisine des juridictions communautaires dans le but de s'assurer l'accès au dossier dans le cadre d'une procédure d'infraction en cours aurait fait l'objet de l'arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-10-92 à T-12-92 et T-15-92, Rec. p. II-2667, ci-après l'"arrêt Cimenteries CBR" points 38 et 39, dans lequel le Tribunal aurait nié l'existence d'une telle possibilité.

28 Le premier chef de la demande en référé viserait à obtenir le sursis à l'exécution de la décision litigieuse qui interdit à la requérante d'accéder à certains documents. Étant donné l'irrecevabilité du second chef de la demande en référé, ce premier chef se retrouverait isolé et il n'aurait plus aucun sens. En outre, il viserait à faire adopter une mesure manifestement dépourvue d'effet, à savoir un sursis à l'exécution d'une décision négative, qui n'obligerait pas la Commission à accorder à la requérante ce qu'elle souhaiterait, à savoir l'accès au dossier. La mesure demandée ne pourrait donc être ordonnée dans le cadre d'une procédure en référé. Ce premier chef de la demande en référé serait donc également irrecevable.

29 Le fait que la requérante s'efforce de démontrer la recevabilité des chefs de sa demande en référé en faisant valoir de prétendues différences entre les faits à l'origine de l'arrêt Cimenteries CBR et ceux du cas d'espèce, à supposer qu'elles existent, ne justifierait pas que l'on s'écarte dudit arrêt. Pour l'essentiel, les faits de la présente affaire correspondraient à ceux de l'arrêt Cimenteries CBR. À cet égard, la Commission soutient, notamment, que le conseiller auditeur a toujours été indépendant, et il l'était assurément au moment de l'arrêt Cimenteries CBR. La requérante n'expliquerait donc pas pourquoi la question de son indépendance devrait remettre en cause le principe du caractère inattaquable des actes préparatoires avant l'adoption de la décision finale.

30 La requérante fait valoir que, contrairement à ce que suppose la Commission, la demande en référé vise à obtenir qu'il lui soit ordonné, provisoirement et jusqu'à ce qu'intervienne la décision au principal, de ne pas créer une situation de fait qui serait irréversible. À cette fin, la requérante demande que la Commission soit provisoirement obligée de ne pas soumettre de projet de décision au comité consultatif ou au collège des commissaires en vue de l'adoption d'une décision finale infligeant une amende, tant que le Tribunal n'a pu trancher le recours en annulation dont il est saisi au principal à l'encontre de la décision litigieuse.

31 Le recours formé au principal ne serait pas une action en injonction, irrecevable, mais un recours en annulation. Par conséquent, il serait impossible que la demande en référé soit manifestement irrecevable du fait d'une irrecevabilité manifeste du recours au principal, comme le prétend la Commission.

32 Déjà sous l'empire de l'état traditionnel du droit, il aurait été décidé, dans l'ordonnance du président du Tribunal du 23 mars 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-10-92 R, à T-12-92 R, T-14-92 R et T-15-92 R, Rec. p. II-1571, point 54), que le recours tendant à l'annulation d'une décision refusant l'accès au dossier n'était pas manifestement irrecevable. La demande formée en l'espèce dans la procédure de référé ne saurait donc, elle non plus, être automatiquement manifestement irrecevable du fait d'une irrecevabilité manifeste du recours au principal, comme la Commission l'avance.

33 La requérante invoque, en particulier, cinq arguments à l'appui de la conclusion visant à démontrer que la décision litigieuse peut être attaquée de manière autonome. Le premier argument est fondé sur l'indépendance du conseiller auditeur. Le deuxième est tiré d'une atteinte irréversible aux droits de la défense de la requérante. Le troisième est tiré de la perte d'un degré d'instance dans la mesure où la requérante n'aurait pas été entendue sur l'inégalité de traitement qu'elle aurait subie. Le quatrième est tiré du fait que la Commission aurait annoncé de manière certaine qu'elle entendait adopter une décision infligeant une amende à la requérante. Le cinquième est tiré d'une violation de l'article 8 du règlement n° 1049-2001.

34 Quant à l'indépendance du conseiller auditeur, consacrée aux troisième et sixième considérants de la décision 2001-462, et à la formalisation expresse de la procédure visant la consultation des dossiers, ces principes exigeraient que les décisions prises sur le fondement de l'article 8 de la décision 2001-462 puissent être attaquées de manière autonome. Il ne serait, en effet, possible de garantir l'indépendance du conseiller auditeur et l'autonomie de la procédure d'audition que si les décisions intervenues sur le fondement du mandat des conseillers auditeurs peuvent faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. À cet égard, la requérante souligne que la Commission aurait, depuis l'arrêt Cimenteries CBR, à plusieurs reprises et non seulement dans la décision 2001-462, modifié et renforcé la fonction du conseiller auditeur.

35 En ce qui concerne l'atteinte alléguée aux droits de la défense de la requérante de manière persistante et irréversible, si la Commission adopte une décision infligeant une amende à la requérante, en l'absence d'autorisation pour celle-ci de consulter les dossiers demandés, la requérante fait référence à une jurisprudence constante, notamment, l'arrêt de la Cour du 13 novembre 1991, France/Commission (C-303-90, Rec. p. I-5315), selon laquelle toutes les mesures qui produisent des effets juridiques contraignants et qui portent directement et de manière irréversible atteinte aux intérêts des intéressés pourraient être attaquées de manière autonome devant le juge. En l'espèce, la Commission aurait annoncé, notamment dans sa lettre du 14 août 2001, son intention, malgré l'absence d'autorisation donnée à la requérante de consulter les dossiers, d'adopter, à bref délai, une décision lui infligeant une amende.

36 Par conséquent, la requérante subirait des dommages financiers et immatériels irréversibles. Cela constituerait manifestement un détournement de pouvoir, car la requérante aurait, à plusieurs reprises, proposé des concessions au moins aussi importantes que celles d'autres banques déclarées hors de cause dans les procédures parallèles. Du simple fait de la publication du dispositif de la décision lui infligeant une amende, la requérante non seulement perdrait sa bonne réputation en tant qu'entreprise sérieuse, mais subirait également des désavantages financiers considérables, étant donné que les consommateurs changeraient vraisemblablement leurs devises auprès d'autres instituts financiers qu'elle. Il conviendrait de supposer, par ailleurs, que la requérante perdra également des clients dans d'autres secteurs d'activité, étant donné que cette publicité négative se répercuterait sur l'intégralité de son activité. Enfin, la requérante devrait s'attendre à des demandes de dommages et intérêts en vertu du droit civil.

37 En revanche, s'il était permis à la requérante de consulter les dossiers en cause, celle-ci trouverait vraisemblablement des éléments de preuve à décharge ou établissant une inégalité de traitement illégale contre elle. Il serait par conséquent nécessaire qu'elle soit informée des éléments de fait décisifs qui se trouveraient uniquement dans les dossiers de la Commission, et sur lesquels celle-ci voudrait préserver sa maîtrise au mépris du principe de l'égalité des armes.

38 Quant à la perte d'un degré d'instance, la requérante souligne qu'elle n'aurait pas été entendue sur la question de l'inégalité de traitement intervenue lorsqu'il a été mis fin aux procédures menées à l'égard d'autres banques concernées. Il y aurait donc adoption d'une décision finale sans que la requérante ait pu faire valoir le grief de l'inégalité de traitement subie par elle et sans que le comité consultatif et le collège des commissaires aient pu être consultés sur ce point.

39 En ce qui concerne l'annonce d'une décision finale, la Commission aurait, contrairement à ce qui aurait été le cas dans l'arrêt Cimenteries CBR, annoncé de manière certaine, tant dans des entretiens téléphoniques avec la requérante que dans la seconde lettre du 14 août 2001, qu'elle allait, à bref délai, adopter une décision finale infligeant une amende à la requérante.

40 Enfin, la possibilité de former un recours de manière autonome contre la décision litigieuse découlerait, également, du règlement n° 1049-2001, et notamment de son article 8, paragraphe 1, deuxième phrase. Les dispositions de ce règlement seraient applicables aux décisions des conseillers auditeurs adoptées en vertu de l'article 8 de la décision 2001-462, par lesquelles une demande d'accès au dossier est refusée. La requérante rappelle qu'il découle du dixième considérant de la décision 2001-462 que cette dernière doit être mise en œuvre sans préjudice des règles générales sur l'accès aux documents de la Commission.

41 En outre, compte tenu des huitième et douzième considérants du règlement n° 1049-2001, il conviendrait d'appliquer ce dernier, également, aux demandes d'accès aux documents émises dans le cadre de l'audition prévue à l'article 19 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), et aux décisions du conseiller auditeur prises en vertu de l'article 8 de la décision 2001-462.

Appréciation du juge des référés

42 À titre liminaire, quant à l'incidence éventuelle du règlement n° 1049-2001, invoqué par la requérante, sur l'appréciation de la présente affaire, il convient de rappeler que ledit règlement ne sera applicable qu'à partir du 3 décembre 2001. Il est, dès lors, en tout état de cause, sans pertinence dans la présente affaire.

43 En ce qui concerne les quatre autres arguments invoqués par la requérante à l'appui de sa conclusion tendant à démontrer la recevabilité du recours au principal et selon lesquels la décision litigieuse pourrait être attaquée de manière autonome, il y a lieu de souligner que, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêts du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T-37-92, Rec. p. II-285, point 27, et du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277-94, Rec. p. II-351, point 51).

44 Quant à l'accès au dossier dans les affaires de concurrence, il a pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve détenus par la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans la communication des griefs, sur la base de ces éléments (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51-92 P, Rec. p. I-4235, point 75). L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu, prévu par le règlement n° 17, à l'article 19, paragraphes 1 et 2, et par le règlement (CE) n° 2842-98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18), à l'article 2. Le respect de ces droits dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé en toutes circonstances, même s'il s'agit d'une procédure à caractère administratif (arrêt Cimenteries CBR, points 38 et 39, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T-37-91, Rec. p. II-1901, point 49).

45 Le respect effectif de ce principe fondamental exige que la requérante soit mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, points 9 et 11).

46 De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que, même s'ils sont susceptibles d'être constitutifs d'une violation des droits de la défense, des actes de la Commission refusant l'accès au dossier ne produisent, en principe, que des effets limités propres à un acte préparatoire s'insérant dans le cadre d'une procédure administrative préalable(arrêt Cimenteries CBR, point 42). Or, seuls des actes affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique des entreprises concernées seraient de nature à justifier, dès avant l'achèvement de la procédure administrative, la recevabilité d'un recours en annulation.

47 À cet égard, l'affirmation de la requérante, selon laquelle une décision finale lui infligeant une amende va être adoptée à bref délai, ne saurait avoir de pertinence dans le cadre du présent examen dès lors que, en tout état de cause, cette affirmation est insuffisamment précise en ce qu'elle ne permet pas de connaître le contenu d'une éventuelle décision concernant la requérante. Cette affirmation ne permet donc pas de distinguer, d'une manière significative, la présente affaire de celle qui a donné lieu à l'arrêt Cimenteries CBR.

48 L'éventuelle violation du droit d'un destinataire d'une communication des griefs, en l'occurrence la requérante, de faire connaître utilement son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission ainsi que sur les éléments de preuve destinés à étayer ces griefs n'est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante que lorsque la Commission aura adopté, le cas échéant, la décision constatant l'existence de l'infraction qu'elle lui reproche. En réalité, jusqu'à ce qu'une décision finale soit adoptée, la Commission peut, au vu notamment des observations écrites et orales de la requérante, abandonner certains ou même la totalité, des griefs initialement articulés contre elle. Elle peut également réparer d'éventuels vices de procédure en rouvrant l'accès au dossier, initialement refusé, afin que la requérante puisse se prononcer à nouveau et en pleine connaissance de cause sur les griefs qui lui ont été communiqués.

49 Or, si, par hypothèse, le Tribunal devait reconnaître, dans le cadre d'un recours contre une décision mettant un terme à la procédure, la méconnaissance d'un droit d'accès complet au dossier et, partant, annuler la décision finale de la Commission pour violation des droits de la défense, ce serait l'ensemble de la procédure qui serait entaché d'illégalité. Dans de telles circonstances, la Commission serait obligée soit d'abandonner toute poursuite à l'encontre de la requérante, soit de reprendre la procédure en lui donnant la possibilité à nouveau de faire connaître son point de vue sur les griefs retenus contre elle à la lumière de l'ensemble des nouveaux éléments auxquels elle aurait dû avoir accès. Dans cette dernière hypothèse, une procédure contradictoire régulière suffirait à rétablir pleinement la requérante dans ses droits et prérogatives (arrêt Cimenteries CBR, point 47).

50 Il convient de constater que, malgré le fait que la décision 2001/462 vise à garantir l'indépendance du conseiller auditeur, la requérante n'a pas présenté d'éléments sérieux permettant de considérer que la jurisprudence, citée ci-dessus, relative à l'accès au dossier dans les affaires de concurrence n'est plus applicable.

51 Il ressort de ce qui précède que la décision litigieuse, en refusant à la requérante l'accès à certains documents portant sur l'abandon de la procédure COMP/E-1-37.919 menée contre d'autres banques, n'est pas susceptible de produire des effets juridiques de nature à affecter, d'ores et déjà, et avant l'intervention éventuelle d'une décision constatant une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE et prononçant, le cas échéant, une sanction contre elle, les intérêts de la requérante(voir, en ce sens, arrêt Cimenteries CBR, point 48).

52 Quant au second chef de la demande en référé, portant sur la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE menée à l'encontre de la requérante, il convient de constater que le juge des référés ne peut, en principe, donner suite à une demande de mesures provisoires qui vise à empêcher la Commission d'exercer ses pouvoirs d'enquête après l'ouverture d'une procédure administrative et avant même qu'elle n'ait adopté les actes définitifs dont on désire éviter l'exécution. En effet, en adoptant de telles mesures, le juge des référés n'opérerait pas dans le cadre du contrôle de l'activité de l'institution défenderesse, mais il se substituerait plutôt à celle-ci dans l'exercice de compétences à caractère purement administratif. Il s'ensuit que la requérante ne peut, en vertu des articles 242 CE et 243 CE, demander qu'il soit imposé à l'institution défenderesse d'abandonner, même à titre provisoire, l'exercice de ses compétences dans le cadre d'une procédure administrative(voir ordonnances du président du Tribunal du 14 décembre 1993, Gestevisión Telecinco/Commission, T-543-93 R, Rec. p. II-1409, point 24, et, en ce sens, du 22 novembre 1995, Atlantic Container e.a./Commission, T-395-94 R II, Rec. p. II-2893, point 39). Un tel droit ne pourrait lui être reconnu que dans le cas où cette demande présente des éléments de nature à permettre au juge des référés de constater l'existence de circonstances exceptionnelles, justifiant l'adoption des mesures sollicitées (voir, à cet égard, ordonnance du président du Tribunal du 12 juillet 1996, Sogecable/Commission, T-52-96 R, Rec. p. II-797, points 40 et 41).

53 À cet égard, il y a lieu de relever que, en l'espèce, la requérante n'a fourni aucun élément de preuve qui démontre l'existence de telles circonstances exceptionnelles, qui pourraient fonder l'adoption de la mesure sollicitée, à savoir la suspension de la procédure d'application de l'article 81 CE en ce qui la concerne. Le second chef de la demande de mesures provisoires ne peut être déclaré recevable sur ce fondement.

54 Dès lors, faute d'éléments sérieux permettant de considérer que la recevabilité du recours au principal est envisageable, la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,

ordonne:

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.