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Décisions

Cass. crim., 22 mai 2002, n° 01-85.763

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Gailly

Avocats :

Mes Pradon, Thouin-Palat.

TGI Paris, 31e ch., du 4 déc. 2000

4 décembre 2000

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Jean-Louis, Z Raymond contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 30 mai 2001, qui, pour publicité trompeuse, les a condamnés, chacun, à 20 000 francs d'amende et a prononcé sur les dispositions civiles ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Jean-Louis X, pris de la violation des articles L. 121 et suivants du Code de la consommation, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que la cour a décidé que l'action publique dirigée contre Jean-Louis X n'était pas prescrite, a déclaré le prévenu coupable de publicité trompeuse, délit prévu et réprimé par les articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation et l'a condamné à la peine de 20 000 francs d'amende ;

"aux motifs qu'en matière de publicité trompeuse, le délai de prescription de l'action publique ne peut commencer à courir tant que les victimes n'ont pas été en mesure de constater le défaut de conformité entre ce qui était promis et ce qui est réalisé ; que la cour estime que Nicole Lahique, partie civile à l'origine des poursuites entreprises, qui est devenue propriétaire des locaux le 5 novembre 1991, date de la signature de l'acte authentique, n'a pu être valablement convaincue du caractère mensonger des énonciations de la plaquette litigieuse, sur la rentabilité moyenne annoncée, qu'à la fin de l'exercice 1992, après avoir fait ses comptes pour vérifier la rentabilité de son placement ; que la première répartition individuelle des charges couvrant l'exercice du 1er octobre 1991 au 30 juin 1992 n'a été éditée que le 10 novembre 1992 ; que, dès lors, la prescription triennale de l'action publique n'était pas acquise à la date du 6 septembre 1995, jour du dépôt de sa plainte avec constitution de partie civile ;

"alors que, d'une part, s'agissant des loyers et des charges, leurs montants étaient fixes et déterminables immédiatement après leur paiement; qu'il était donc possible à Nicole Lahique de déterminer le montant de rentabilité de son investissement, dès le premier mois de loyer et le premier appel de charges ; qu'en se bornant à affirmer que Nicole Lahique n'avait pas pu apprécier la rentabilité de son investissement avant la fin de l'exercice 1992, après avoir fait ses comptes pour vérifier la rentabilité de son placement, sans expliquer pourquoi elle n'avait pas pu le faire à partir du moment où elle avait été en possession des éléments comptables, la cour n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ;

"alors que, d'autre part, pour caractériser le délit de publicité trompeuse, la cour a retenu que la mention "franchise D - groupe E" était de nature à induire en erreur ; que, cependant, il était constant et non dénié que cet élément pouvait être vérifié dès le [moment] de l'achat ; qu'en se bornant dès lors à écarter la prescription sur ce point, au prétexte que Nicole Lahique n'avait pu apprécier la rentabilité de son placement qu'à la fin de l'exercice 1992, après avoir fait ses comptes pour vérifier la rentabilité de son placement, sans rechercher si la prescription n'était pas acquise, au moins en ce qui concernait la mention "franchise D - groupe E", la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation" ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Jean-Louis X, pris de la violation des articles L. 121 et suivants du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que la cour a décidé que la mention "franchise D - groupe E" sur la plaquette avait un caractère trompeur et que ,pour ce motif, elle a condamné pénalement Jean-Louis X ;

"aux motifs que la cour relève que cette mention, qui apparaît sur la plaquette de présentation, n'est corroborée par aucun contrat réel et a d'ailleurs été supprimée dans la documentation ultérieure ; qu'elle était donc de nature à induire le consommateur en erreur ;

"alors que la cour ne pouvait, sans entacher son arrêt de contradiction, tout à la fois constater que la mention sur la plaquette "franchise D - groupe E" n'était corroborée par aucun contrat réel, et constater également que D était contractuellement liée aux sociétés W et V, et sans prendre en compte l'existence de ce lien contractuel établi par les documents non contestés versés aux débats qui établissaient que le concept en cause était bien celui de la société "D - groupe E", partie au projet et qui avait signé la convention de commercialisation passée avec V" ;

Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Jean-Louis X, pris de la violation des articles L. 121 et suivants du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que la cour a décidé que les indications de la publicité sur les résultats attendus de l'investissement avaient un caractère trompeur et a, pour ce motif, condamné Jean-Louis X pénalement ;

"aux motifs que la plaquette litigieuse faisait miroiter une rentabilité prévisionnelle moyenne de 6 % du montant de l'acquisition ; qu'il s'est avéré cependant que les résultats réels se sont situés entre seulement 1,16 % et 4,52 % devenant mêmes négatifs après 1995 du fait de la vacance des logements ; qu'ainsi, la rentabilité annoncée s'est révélée très supérieure à celle effectivement réalisée ; que, même s'il est exact que la rentabilité annoncée n'était pas garantie, l'ampleur de la différence entre les résultats suggérés et ceux réalisés, caractérise le délit de publicité trompeuse, étant observé qu'en matière de placement locatif la rentabilité annoncée est un critère essentiel de choix pour l'acquéreur ;

"alors que Jean-Louis X avait soutenu, dans ses conclusions de ce chef délaissées, que les résultats de rentabilité cités ne correspondaient pas aux placements de Nicole Lahique, mais à une étude statistique de la DGCCRF fondée uniquement sur la transmission des chiffres des propriétaires mécontents et non sur les taux réels de rentabilité moyens et encore moins sur le taux de rentabilité de l'investissement de Nicole Lahique ; et que la cour ne pouvait se dispenser de répondre au moyen soulevé qui était de nature à établir que les résultats de l'investissement étaient conformes à ceux annoncés dans la publicité, sans priver son arrêt d'un défaut de motifs par défaut de réponse à conclusions" ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Raymond Z, pris de la violation des articles 6, 7, 8, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de prescription de l'action publique ;

"aux motifs que : "sur l'exception de prescription de l'action publique, en matière de publicité trompeuse, le délai de prescription de l'action publique ne peut commencer à courir tant que les victimes n'ont pas été en mesure de constater le défaut de conformité entre ce qui était promis et qui est réalisé ; que la cour estime que Nicole Lahique, partie civile à l'origine des poursuites entreprises, qui est devenue propriétaire des locaux le 5 novembre 1991, date de la signature de l'acte authentique, n'a pu être valablement convaincue du caractère mensonger des énonciations de la plaquette litigieuse, sur la rentabilité moyenne annoncée, qu'à la fin de l'exercice 1992, après avoir fait ses comptes pour vérifier la rentabilité de son placement; que la première répartition individuelle des charges couvrant l'exercice du 1er octobre 1991 au 30 juin 1992 n'a été éditée que le 10 novembre 1992 ; que, dès lors, la prescription triennale de l'action publique n'était pas acquise à la date du 6 septembre 1995, jour du dépôt de sa plainte avec constitution de partie civile ; que, dans ces conditions, la cour rejettera l'exception de prescription proposée" (arrêt, pages 12 et 13) ;

"alors que, dans ses conclusions d'appel, le demandeur avait expressément fait valoir, d'une part, que le contrat de réservation, signé par Nicole Lahique le 30 juillet 1991, ne mentionnait aucune garantie de rentabilité, hormis le règlement du loyer jusqu'à la mise en place du premier locataire, d'autre part, que cette garantie ne figurait pas plus dans l'acte de vente, signé le 5 novembre 1991, dont les mentions définissaient clairement les obligations du vendeur, de sorte qu'à la date de la signature de cet acte, l'acquéreur était en mesure de constater que la rentabilité moyenne de 6 % indiquée dans la plaquette litigieuse, au demeurant à titre prévisionnel, ne pouvait en aucun cas être garantie dans les faits, aucun engagement n'étant pris à cet égard par le vendeur, et ce, d'autant plus que Nicole Lahique exerçait la profession de conseil juridique avant de devenir avocate et qu'elle était, à ce titre, en mesure de se convaincre de la portée exacte des obligations dudit vendeur à la seule lecture de l'acte de vente ; qu'ainsi, en se bornant à énoncer que la partie civile n'avait pu être convaincue du caractère mensonger de la rentabilité moyenne annoncée dans la plaquette qu'à la faveur de l'édition, le 10 novembre 1992, de la première répartition individuelle des charges couvrant l'exercice du 1er octobre 1991 au 30 juin 1992, pour en déduire que la prescription de l'action publique n'était pas acquise à la date du 6 septembre 1995, jour du dépôt de la plainte du chef de publicité trompeuse, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel du prévenu, de nature à démontrer que, dès le 5 novembre 1991, Nicole Lahique ne pouvait ignorer que la rentabilité annoncée, aurait-elle constitué un critère essentiel de choix pour l'acquéreur, ne constituait pas un engagement ferme du vendeur, contrairement aux mentions figurant sur la plaquette publicitaire, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale";

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Raymond Z et pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation, 2, 6, 7, 8, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Raymond Z coupable de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

"aux motifs que, "sur le caractère trompeur de la publicité s'agissant de la mention "franchise D - groupe E", la cour relève que cette mention apparaissant sur la plaquette de présentation n'est corroborée par aucun contrat réel et a d'ailleurs été supprimée dans la documentation ultérieure ; qu'elle est donc de nature à induire le consommateur en erreur ; que, s'agissant de l'existence d'une garantie locative, la plaquette litigieuse n'a jamais énoncé de garantie locative totale, cette notion ayant été déduite d'autres publicités exclues du champ des poursuites ; que la cour ne retiendra pas sur ce point le caractère trompeur de la publicité ; que, s'agissant des résultats attendus de l'investissement, la plaquette litigieuse faisait miroiter une rentabilité prévisionnelle moyenne de 6 % du montant de l'acquisition ; qu'il s'est avéré cependant que les résultats réels se sont situés entre seulement 1,16 % et 4,52 %, devenant même négatifs après 1995 du fait de la vacance des logements ; qu'ainsi, la rentabilité annoncée s'est révélée très supérieure à celle effectivement réalisée ; que, même s'il est exact que la rentabilité annoncée n'était pas garantie, l'ampleur de la différence entre les résultats suggérés et ceux réalisés caractérise le délit de publicité trompeuse poursuivi, étant observé qu'en matière de placement locatif, la rentabilité annoncée est un critère essentiel de choix pour l'acquéreur ; que, s'agissant des responsabilités et des sanctions pénales, la société W a confié à D la définition de la stratégie de commercialisation qui a ensuite été déléguée à V ; que Jean-Louis X, président-directeur général de V, a participé à la conception de la plaquette litigieuse, ainsi que Raymond Z, en tant que président-directeur général de W, jusqu'au 11 septembre 1992 ; qu'en revanche, Bruno Y n'a été désigné aux fonctions de PDG de W qu'en septembre 1992, donc postérieurement à la diffusion de la plaquette concernée ; que la cour, dans ces conditions, relaxera Bruno Y des fins de la poursuite, déclarera Jean-Louis X et Raymond Z coupables du délit de publicité trompeuse et les condamnera chacun à la peine de 20 000 francs d'amende ; que la cour, par ailleurs, pour tenir compte de l'ancienneté des faits poursuivis, dispensera les condamnés de la publication de la décision prévue à l'article L. 121-4 du Code de la consommation" (arrêt, pages 13 et 14) ;

1°) alors que, dans ses conclusions d'appel (page 18), le demandeur avait notamment fait valoir que si la franchise D avait été associée au droit de réservation étendu et explicité au contrat de réservation, en revanche l'acte de vente du 5 novembre 1991 ne faisait aucune référence à cette franchise, de sorte que, dès cette date, l'acquéreur pouvait se convaincre de l'inexactitude des informations mentionnées sur la plaquette, et qu'ainsi, la prescription de l'action publique était nécessairement acquise à la date du 6 septembre 1995, jour du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile de Nicole Lahique ; qu'ainsi, en se bornant à énoncer que la mention "franchise D" figurant sur la plaquette litigieuse était de nature à induire en erreur, pour en déduire que la culpabilité du demandeur du chef de publicité trompeuse devait être retenue sur ces bases, sans répondre au moyen péremptoire susvisé dont il résultait que la prescription de l'action publique était, dans cette limite, nécessairement acquise à la date du dépôt de la plainte de la partie civile, effectuée plus de trois ans après la signature de l'acte de vente, lequel révélait à l'intéressée l'inexistence de la franchise D, et partant le caractère mensonger des mentions figurant sur la plaquette, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

2°) alors que, induire le consommateur en erreur consiste à le conduire à tenir pour vrai ce qui est faux; que, dès lors que, par son caractère nécessairement aléatoire, un taux de rentabilité prévisionnel ne saurait être assimilé à un taux de rentabilité garanti, l'indication selon laquelle un investissement est de nature à générer un taux de rentabilité prévisionnel donné ne saurait induire le consommateur en erreur quant à la rentabilité exacte ou même approximative de l'opération, le taux ainsi indiqué n'étant pas - à défaut de toute garantie véritable de rentabilité - de nature à déterminer le consentement de l'intéressé; qu'en l'espèce, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a essentiellement relevé que la rentabilité annoncée s'est révélée très supérieure à celle effectivement réalisée et que, même s'il est exact que la rentabilité annoncée n'était pas garantie, l'ampleur de la différence entre les résultats suggérés et ceux réalisés caractérisait le délit de publicité trompeuse poursuivi, étant observé qu'en matière de placement locatif la rentabilité annoncée est un critère essentiel de choix pour l'acquéreur ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions d'appel du prévenu qu soutient (pages 27 et 28) que la rentabilité annoncée n'était pas seulement dépourvue de garantie mais qualifiée de prévisionnelle, comme telle aléatoire aux yeux des consommateurs, et, partant, qu'elle ne pouvait être assimilée à une quelconque promesse, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ; - Sur le premier moyen de Jean-Louis X, le premier moyen de Raymond Z et le second moyen de Raymond Z, pris en sa première branche ; - Attendu que, pour écarter la prescription de l'action publique, invoquée par les prévenus, l'arrêt retient qu'en ce qui concerne la rentabilité prévisionnelle de l'investissement locatif proposé, le caractère trompeur de la publicité, faite en 1991, n'est apparu dans des conditions de nature à permettre l'exercice de l'action publique qu'à la fin de l'exercice 1992, après la première répartition des charges, et que, dès lors, la prescription n'était pas acquise à la date de la plainte avec constitution de partie civile de Nicole Lahique, le 6 septembre 1995;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations dépourvues d'insuffisance et de contradiction, la cour d'appel a justifié de ce chef sa décision; que, dès lors, les griefs allégués, inopérants en ce qu'ils ont trait à une indication accessoire de la publicité, ne sont pas fondés ;

Sur les deuxième et troisième moyens de Jean-Louis X et le second moyen de Raymond Z, pris en sa seconde branche ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.