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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 13 septembre 2002, n° 1999-17155

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eaux Minerales Saint Martial (SA)

Défendeur :

Perrier Vittel Belgilux (SA), Perrier Vittel France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avocats :

Mes Clery, Turbil

TGI Paris, 3e ch., du 12 mai 1999

12 mai 1999

Perrier Vittel Belgilux anciennement dénommée Générale de Grandes Sources Belges, est titulaire d'une marque tridimensionnelle n° 93 454087 (représentant une bouteille), déposée le 5 février 1993, pour désigner, en classes 31 et 32, notamment les bouteilles et les eaux minérales gazeuses ou non gazeuses.

Cette marque est exploitée pour commercialiser l'eau minérale Valvert, en France, par Perrier Vittel France.

St Martial a déposé une marque le 17 janvier 1995 sous le n° 95 553732 représentant une bouteille sur laquelle est apposée une étiquette comportant un dessin ainsi que des dénominations notamment "Eaux de St Martial" pour désigner divers produits et services relevant des classes 32 et 42 dont les eaux minérales et gazeuses.

Prétendant que la bouteille figurant sur ce dépôt porterait atteinte aux droits sur la marque dont est titulaire Perrier Vittel Belgilux, celle-ci et Perrier Vittel France ont, par acte du 25 novembre 1997, fait citer St Martial respectivement en contrefaçon et en concurrence déloyale pour obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'annulation du dépôt de la marque n° 95 553732, paiement d'une provision de 500 000 F à chacune à valoir sur la réparation de leur préjudice à déterminer après expertise, l'exécution provisoire et paiement de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Après avoir soulevé des exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité, St Martial avait conclu au mal fondé des demandes, soutenant qu'aucune confusion n'était possible entre les marques et les bouteilles incriminées, avait sollicité à titre très subsidiaire, une expertise et avait réclamé paiement de la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par le jugement déféré, le tribunal a rejeté les exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité et a estimé qu'il existait un risque de confusion entre les signes. Il a, en conséquence :

- dit qu'en déposant le 17 janvier 1995, en classe 32, la marque n° 95 553732 et en exploitant cette marque pour des bouteilles d'eau minérale, sans l'autorisation de la société Perrier Vittel Belgilux, St Martial avait commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque n° 93 454087 dont la société Perrier Vittel Belgilux est propriétaire ainsi que des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Perrier Vittel France,

- annulé l'enregistrement de la marque n° 95 553732 en ce qu'elle vise, en classe 32, les bières, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, boissons de fruits, sirops et autres préparations pour faire des boissons.

- dit que le présent jugement sera transmis à l'INPl sur réquisition du greffier ou sur requête de l'une des parties pour inscription au registre national des marques,

- interdit à St Martial de faire usage de ladite marque sous astreinte de 5 F par infraction constatée passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement,

- condamné St Martial à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 50 000 F à Perrier Vittel Belgilux et celle de 50 000 F à Perrier Vittel France,

- autorisé les sociétés demanderesses à faire publier le dispositif du jugement par extraits ou en entier, dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de Saint Martial, le coût total de ces insertions ne pouvant excéder à sa charge la somme globale hors taxes de 45 000 F,

- ordonné l'exécution provisoire pour les mesures d'interdiction seulement,

- condamné St Martial à payer aux demanderesses la somme de 12 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante de ce jugement, St Martial, par ses dernières écritures du 13 mai 2002, soutient que la marque qui lui est opposée ne présente pas de caractère distinctif. Elle prie en conséquence la cour de :

- constater ou, au besoin, prononcer la nullité du dépôt de la marque n° 93 4540087 effectué le 5 février 1993 par la société de droit belge Générale de Grande Sources Belges devenue Perrier Vittel Belgilux,

- débouter Perrier Vittel Belgilux et Perrier Vittel France de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- les condamner au paiement de la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par écritures du 9 avril 2002, les sociétés Perrier Vittel demandent à la cour de dire leur adversaire mal fondée dans son appel, et notamment en sa demande de nullité de la marque n° 93 454 087, de l'en débouter, et en conséquence de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne les sommes allouées à Perrier Vittel France au titre de la réparation de son préjudice. Formant appel incident de ce chef, elle réclame paiement de la somme de 100 000 euros.

Elles réclament en outre paiement de la somme de 10 000 euros à chacune d'elles par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'en appel, St Martial soutient que la marque tridimensionnelle qui lui est opposée est dépourvue de toute distinctivité ; qu'en effet, selon elle,

- la forme est peu différente de celle d'une bouteille ordinaire et d'un usage courant, étant largement utilisée dans le domaine des eaux minérales, de longue date,

- par ailleurs, les anneaux ou "corrégations" horizontaux, utilisés dans la fabrication de la quasi-totalité des bouteilles d'eau minérales, cylindriques ou parallélépipédiques ont un caractère essentiellement fonctionnel, ayant pour but de permettre une bonne prise en mains de la bouteille et de rendre sa compression plus facile,

- le nombre des anneaux et leur largeur varient peu d'une bouteille à une autre, ces éléments étant imposés par la taille de la bouteille, sensiblement égale pour toutes, puisque résultant de la contenance (1,5 litres), identique pour toutes les marques,

- ces signes ont ainsi un caractère nécessaire résultant de la nature et de la fonction du produit ;

Considérant que selon les dispositions de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, "sont dépourvus de caractère distinctif ;

a) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

c) les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle";

Considérant que l'appelante invoque, pour contester la distinctivité de la marque, tout à la fois l'usage et la forme imposée par la nature ou la fonction du produit mais ne verse aux débats aucun document démontrant qu'à la date du dépôt, il était habituel d'utiliser pour des eaux minérales des conditionnements présentant la forme particulière de la bouteille déposée à titre de marque ; qu'en effet, il ne s'agit pas d'une bouteille seulement cylindrique mais d'une bouteille présentant, comme l'ont décrit exactement les premiers juges, quatre épaulements verticaux équidistants et bombés, de section circulaire, prenant progressivement naissance à la base de la bouteille pour se terminer progressivement à la naissance de son col, qui par un effet d'optique confèrent à la bouteille un aspect sensiblement parallélépipédique aux angles arrondis ;

Considérant que si les anneaux présentent un aspect fonctionnel puisqu'ils permettent aux bouteilles d'être aisément concassables, cette fonction n'impose ni le nombre des anneaux ni leur largeur ;

Qu'il n'est ainsi par davantage établi que la marque serait constituée exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction ;

Considérant que la demande en nullité de la marque invoquée par Perrier sera en conséquence rejetée ;

Considérant que St Martial insiste sur l'absence de risque de confusion entre les deux marques, d'une part, parce que la forme de la bouteille n'est pas identique et, d'autre part, parce que l'étiquette de grande taille, élément du signe qu'elle a déposé, porte les mentions "Saint Martial" suivi de "Source de beauté depuis 1887" qui évitent tout risque de confusion avec la marque déposée qui ne comprend qu'une forme de bouteille comportant luit anneaux ;

Mais considérant que dans la comparaison d'ensemble qui doit être effectuée entre les signes, la cour relève que la bouteille reproduit comme l'a dit le tribunal, outre des corrégations horizontales superposées de même largeur, quatre épaulements verticaux équidistants et bombés, de section circulaire, produisant par un effet d'optique identique à celui de la marque invoquée, un aspect de parallélépipède aux angles arrondis ; que l'étiquette qui y est apposée ne suffit pas à éviter tout risque de confusion entre les signes, dès lors qu'elle laisse subsister la ressemblance prédominante tenant à la forme de la bouteille;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de St Martial dans les actes de contrefaçon à l'égard de Perrier Vittel Belgilux et des actes de concurrence déloyale à l'encontre de Perrier Vittel France qui n'est pas titulaire de la marque mais qui l'exploite en France;

Considérant que contrairement à ce que soutient Perrier Vittel France qui n'apporte aucun élément nouveau en appel notamment sur l'importance de la commercialisation des eaux Saint Martial en France, la somme allouée par les premiers juges répare exactement le préjudice subi par elle ;

Que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a alloué à Perrier Vittel Belgilux une somme de 50 000 F au titre de l'atteinte portée à sa marque ;

Considérant que compte tenu des circonstances de l'affaire, il n'apparaît pas approprié d'ordonner de mesures de publication ; que le jugement sera réformé de ce chef ;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque incriminée pour des produits de la classe 32, et des mesures d'interdiction ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à chacune des intimées la somme de 1000 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ;

Par ces motifs : Confirme la décision sauf sur les mesures de publication ; Réformant de ce chef, et ajoutant, Condamne la société des Eaux Minérales Saint Martial à payer à la société Perrier Vittel Belgilux et à la société Perrier Vittel France, la somme de 1 000 euros à chacune d'elles au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Les Eaux de Saint Martial aux entiers dépens ; Autorise la SCP Roblin Chaix de La Varenne, avoués, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.